PIB romand : Notre dynamisme se confirme

L’Hebdo
– 22. mai 2008
Ausgaben-Nr. 21, Page: 134
étude exclusive forum des100
PIB romand Notre dynamisme se confirme
Pendant longtemps, les Romands ont fait un complexe d’infériorité économique par rapport à la Suisse alémanique, présentée comme nettement plus dynamique. Le calcul exclusif du PIB de notre région prouve que ce n’est pas le cas.
C’est une première, et L’Hebdo est étonné d’en être un peu à l’origine. Le produit intérieur brut (PIB) romand a été calculé. Il se monte à 113,1 milliards de francs. En dix ans, il s’est accru de près d’un quart. Sa croissance annuelle a même parfois surpassé la moyenne suisse. Genève et Vaud sont les locomotives de la région, leur PIB pèse respectivement 33% et 32% du total. Mais lorsque les deux mastodontes surchauffent, l’ardeur des plus petits cantons, aux tissus économiques très complémentaires, permet de maintenir le cap.
Mieux ou moins bien? Avant de décrypter plus en détail ces résultats, il faut revenir sur la genèse du projet. Au cours des préparatifs de l’édition 2008 du Forum des 100, consacré à la créativité et à la compétitivité, nous nous sommes demandé où se situait la Suisse romande par rapport aux autres régions européennes. Eurostat, la banque de données statistiques de l’Union européenne, fournit de plus en plus d’indicateurs qui découpent les 27 en entités régionales plutôt que nationales avec, souvent au milieu de la carte, à la place de la Suisse, un espace blanc. C’est notamment le cas de la statistique annuelle qui renseigne sur le PIB par habitant. Que vaut la Suisse romande par rapport à la Lombardie, au Bade-Wurtemberg, à Bruxelles ou Londres? Sommes-nous une région européenne comme les autres, un peu meilleure ou un peu moins bonne?
Pour le savoir, nous nous sommes naturellement tournés vers l’un de nos partenaires du Forum des 100, la Banque cantonale vaudoise. Notre demande a été reçue avec d’autant plus de bienveillance qu’elle a réveillé un vieux projet de calculer le PIB vaudois. La BCV, par l’entremise de Christian Jacot-Descombes, son porte-parole, et de Paul Coudret, conseiller économique, a convaincu les autres banques cantonales de s’associer à la démarche, même si certains, le Valais, Genève et Fribourg, disposaient déjà d’un tel outil.
La faute aux déficits publics. L’Institut Créa de macroéconomie appliquée de l’Université de Lausanne a synthétisé les données et livré une photographie précise des forces et faiblesses de l’économie romande.
Comme le souligne Bertand Valley, directeur général de la Banque cantonale du Jura, «ces chiffres vont nous permettre de combattre les idées reçues». Longtemps obnubilée par l’importance de ses déficits publics, qui en faisait une mauvaise élève de la classe confédérale, la Suisse romande avait perdu l’habitude de se considérer comme un moteur de l’économie nationale, et n’avait surtout pas conscience que sa croissance a même été parfois supérieure au reste de la Suisse.
Romands bosseurs. Cheffe du Département fédéral de l’économie, Doris Leuthard avoue ne pas avoir été surprise. D’autres indicateurs, publiés par le Seco (secrétariat à l’économie) ou l’Office fédéral de la statistique, confirment les tendances mises en exergue par le Créa, note-t-elle: «La Suisse romande peut être fière. Je suis parfaitement consciente du grand dynamisme de l’arc lémanique grâce à tous ses atouts: des entreprises connues mondialement, l’EPFL, la Genève internationale, les forfaits fiscaux, des infrastructures tout de même performantes. C’est vous en Suisseromande qui pensez qu’il n’y a que Zurich. Nous savons que ce n’est pas le cas. Peut-être devriez-vous devenir plus confiants, plus conscients de votre potentiel.»
Doris Leuthard ne croit pas si bien dire. En comparaison des régions européennes, la Suisse romande, avec 1,8 million d’âmes, apparaît comme l’une des plus productives du continent. Pour Pascal Kiener, président de la direction de la Banque cantonale vaudoise, «ce haut PIB par habitant est, notamment, le fruit du développement en Suisse romande d’une société de la connaissance, basée sur un réseau de formation structuré et efficace et connu loin au-delà de nos frontières. Les Suisses romands peuvent en profiter pour dégager une rentabilité élevée de leurs postes de travail». Jean-Noël Duc, directeur général de la Banque cantonale neuchâteloise, résume joliment: «Le Romand, contrairement à ce que certains pensent, est un entrepreneur et un travailleur.»
Depuis la disparition de plusieurs fleurons industriels historiques dans les années 90, on croyait la région condamnée à une inéluctable tertiarisation. L’étude du Créa révèle que si le secteur des services reste le plus important (la place financière genevoise témoigne d’une insolente santé, alors que la lausannoise affiche un dynamisme méconnu), l’industrie fait mieux que résister. Dans le Jura et à Neuchâtel, c’est elle qui irrigue le PIB cantonal, et en Valais également!»
L’horlogerie de luxe est pour beaucoup dans ce dynamisme, mais les entreprises productrices de machines ou d’instruments de précision pointent également. Même Fribourg se signale dans cette éclosion du secondaire par une croissance de 5% par an sur dix ans!
D’autres secteurs, émotionnellement dominants dans l’imaginaire politico-économique, sont remis à leur juste place. Ainsi, le secteur primaire, l’agriculture, ne pèse plus que 1,5% de l’ensemble de la création de richesses qu’embrasse le PIB romand. En termes de valeur ajoutée, le secteur de l’hôtellerie et de la restauration n’amène, lui, que 2,6%. Un faible poids dû au fait que la branche n’est importante que dans trois cantons (Valais, Vaud, Genève) sur six.
Enfin, l’étude du Créa souligne une autre faiblesse: le secteur public et parapublic constitue 21% du PIB romand. C’est beaucoup pour l’administration. Cela méritera d’être analysé dans la durée.
Changer d’échelle. Comme le rappelle Blaise Goetschin, président de la direction générale de la Banque cantonale de Genève, «l’analyse sectorielle permet de mieux appréhender le dynamisme de certaines branches et le potentiel d’autres».
Les dirigeants des banques cantonales se félicitent d’avoir œuvré à une meilleure reconnaissance de la place économique romande, «une région dont la globalité était surtout perçue jusqu’alors sous l’angle culturel et linguistique», explique Jean-Daniel Papilloud, président de la direction générale de la Banque cantonale du Valais.
Comparaison n’est pas toujours raison. «Il convient d’éviter à tout prix de classer les PIB de la Suisse romande, de la Suisse alémanique, orientale et du Tessin, avertit Blaise Goetschin. Ce n’est pas l’esprit de ce travail et ce serait en détourner l’objectif. Chaque région a ses spécificités qui doivent être analysées indépendamment.»
Consolidés pour la première fois, les chiffres qui documentent la vitalité de la Suisse de l’Ouest constituent plutôt un appel à penser à une autre échelle. Comme le suggère Jean-Noël Duc: «La Suisse romande est une région à forte productivité, bien diversifiée dans les secteurs secondaires et tertiaires. Des mesures régionales plutôt que cantonales profiteraient à l’ensemble.» ?
En chiffres, la performance économique de la région romande
Economie bien diversifiée, très haute productivité, la Suisse romande fait jeu presque égal avec les régions les plus dynamiques d’Europe.
ÉVOLUTION DU PIB ROMAND: Le PIB de la Suisse romande a augmenté d’un quart, en termes réels, entre 1997 et 2007. Il se situe à 113,1 milliards de francs (23% du PIB Suisse), soit près de 60 000 francs par habitant.
ÉVOLUTION COMPARÉE SUISSE ROMANDE – SUISSE: La comparaison de l’évolution du PIB romand avec celui du pays dans son entier montre que notre région est sensiblement plus dynamique sur le long terme. Elle a moins subi la crise de 2001 et 2002, puis elle s’est redressée plus rapidement.
ÉVOLUTION COMPAREE DE LA CROISSANCE DU PIB ET DE LA POPULATION:
Sur dix ans, le PIB réel de la Suisse romande croît en moyenne de 2,05%. Comme la croissance de la population n’est que de 0,9%, cela signifie que les Romands deviennent de plus en plus riches. ÉVOLUTION COMPARÉE DU SECTEUR DES MACHINES: Le secteur industriel (horlogerie, machines, équipements et instruments) se porte bien, hormis le creux conjoncturel de 2002-2003. Très tourné vers les exportations, il est représentatif du dynamisme de l’économie romande.
LE POIDS DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE, EN PIB PAR HABITANT: Dans tous les cantons, l’administration publique (y compris la santé, l’éducation et le sport) constitue le premier ou le second secteur le plus important. Il représente, 21% du PIB romand et 19% du PIB suisse.
PRINCIPAL SECTEUR D’ACTIVITE DE CHAQUE CANTON (HORS SECTEUR PUBLIC), EN PIB PAR HABITANT: L’économie romande est bien diversifiée, c’est un de ses gros atouts. Sans surprise, la finance domine à Genève et la chimie en Valais.
les six directeurs des banques cantonales romandes ONT TOUS DES MOTIFS DE SATISFACTION«LA PRODUCTIVITE DES ACTIVITES FINANCIERES EST PLUS ELEVEE»
«Le dynamisme du secteur financier et des activités tertiaires est à nouveau confirmé par les données du Créa. Ceci ne constitue pas une surprise en soi. Toutefois, le Créa s’est aperçu que la productivité des activités financières genevoises est plus élevée que dans d’autres régions suisses. Cela l’a amené à apprécier l’apport de ce secteur. L’étude permet de valoriser des secteurs qui n’étaient pas analysés séparément à ce jour, ce qui est précieux. Il s’agit en particulier de l’agriculture et des services publics.»
«LE PHENOMENE DE TERTIARISATION EST MIS EN EVIDENCE»
«Bien qu’attendue, l’importance du phénomène de tertiarisation est mise en évidence. Ce secteur représente près des deux tiers de la substance économique du canton, et le poids du secteur public et des activités para-publiques est important. Le secteur primaire ne représente que 1,9% de la valeur ajoutée créée dans le canton. La vitalité du secteur secondaire et des activités financières est impressionnante. L’évolution est plus nuancée pour la construction et l’hôtellerie et la restauration.»
«L’IMPORTANCE DE L’INDUSTRIE EST BIEN REELLE POUR LE VALAIS»
«Le secteur secondaire contribue pour 30% au PIB cantonal, un chiffre supérieur à la moyenne suisse. L’importance de l’industrie – les technologies du vivant en particulier – et de l’énergie est bien réelle pour le Valais, même si le public préfère souvent reconnaître d’abord la valeur émotionnelle d’autres branches. Cette situation dynamise l’économie grâce aux PME à forte valeur ajoutée gravitant autour de ce pôle industriel et aux centres de compétences des HES.»
«LE CANTON A TROUVE UN BON RYTHME DE CROISSANCE»
«Le PIB par habitant du canton de Fribourg est le plus faible de Suisse romande. Il s’explique par le fait que le canton n’a pas de secteur d’activité dominant et par la jeunesse de la population ainsi que par le nombre important de pendulaires. Bien qu’aucun secteur d’activité ne se détache de manière importante, le canton a trouvé un bon rythme de croissance qui se manifeste dans le secteur des machines, équipements et instruments. Sa valeur ajoutée a progressé en moyenne de près de 5% par an sur dix ans.»
«NOUS AVONS ETE SURPRIS PAR L’EVOLUTION DU PIB NEUCHATELOIS»
«Ces nouveaux chiffres permettent de compléter le ressenti et l’émotionnel par des données rationnelles, et de suivre l’évolution au fil des ans, secteur par secteur et ainsi, de donner les impulsions aux bons endroits. Nous avons été surpris par le rythme de l’évolution du PIB neuchâtelois par rapport aux autres cantons. Il indique le dynamisme industriel du canton et sa capacité à créer de la valeur. Malheureusement, cela ne permet pas d’améliorer suffisamment l’état des finances du canton.»
«PAR HABITANT, LE PIB DU JURA EST PLUS ELEVE QUE CELUI DE VAUD»
«Un chiffre agréable nous a surpris: le PIB du canton du Jura par habitant est plus élevé que celui de Vaud, Fribourg et Valais. Il faudra voir si cette donnée se confirme dans la durée. Nous avons la confirmation que le canton est fort dans le secteur secondaire. Pour notre établissement, il s’agit d’offrir les services financiers qui accompagnent cet essor des PME. Sur le plan suisse, le Jura passe souvent pour être à la traîne. Cette étude tord le cou aux idées reçues.»
À CONSULTER
Vous pouvez télécharger l’intégralité de la brochure éditée par L’Hebdo à l’occasion du Forum des 100, en collaboration avec les six banques cantonales romandes, «La force économique de la Suisse romande», sur le site www.forumdes100.com