MAZETTE, ILS – ELLES – ONT DÉCIDÉ DE GOUVERNER!

L’Hebdo
– 30. septembre 2010
Page: 26
SUISSE
GRÂCE ET DISGRÂCE
MAZETTE, ILS – ELLES – ONT DÉCIDÉ DE GOUVERNER!
CHANTAL TAUXE RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE
Big-bang au Conseil fédéral. Mazette, ils – elles – ont décidé de gouverner. Il était temps. Les partis du centre, démocratechrétien, libéral-radical et bourgeois-démocratique, ont décidé de prendre le pouvoir, malgré les sarcasmes entendus à l’annonce, il y a quelques mois, de leur alliance. Pas de quoi s’offusquer donc, c’est exactement ce qu’on leur demande depuis le début de la législature.
Evidemment la nouvelle répartition des départements n’advient pas sans quelques dégâts collatéraux, car elle n’a peutêtre pas été, sur le plan formel, de la même élégance que les tenues de Doris Leuthard depuis le début de son année présidentielle. Mais bon, on ne gouverne pas sans déplaire un peu. Il est heureux que le Conseil fédéral l’assume.
La quadruple rocade, pour historique qu’elle soit, n’est donc pas le cataclysme, qu’UDC et PS s’époumonent à dénoncer depuis lundi. L’alliance du centre crèvera peut-être dans un an, piétinée par les électeurs, mais au moins ça n’aura pas été sans combattre, sans essayer quelque chose, sans assumer ses responsabilités.
Son coup de force annonce peut-être bien que la concordance arithmétique, bête et stérile qui nous navre depuis si longtemps, sera bientôt rangée au magasin des antiquités. Le pari est osé. Disposant de 76 voix au Conseil national, le trio est loin des 101 voix nécessaires pour concrétiser son soudain volontarisme. Il devra encore et toujours trouver des majorités à géométrie variable pour faire passer ses propositions, compter sur les renforts de l’UDC, des socialistes ou des Verts (ou sur les plus raisonnables d’entre eux). Aux Etats en revanche, les trois partis sont rois.
Mais il n’est pas interdit de penser que, après quelques éclats de voix, les esprits vont se calmer. Car les changements à la tête des départements ne sont pas aussi insensés que d’aucuns le prétendent. D’abord, au nom de quoi tout fossiliser à une année des élections fédérales? La législature a déjà très bien chahutée, elle peut supporter quelques tensions supplémentaires.
Surtout, le jeu des chaises musicales recèle du potentiel. Doris Leuthard au DETEC? Il était temps que la droite reprenne ses responsabilités par rapport aux défis énergétiques, climatiques ou de mobilité. Et puis l’immense DETEC a trop servi d’arme de dissuasion à Moritz Leuenberger, roi du deal avec ses collègues: «Tu me laisses faire ceci, je te soutiens pour cela.» L’Argovienne remettra sur la table le nucléaire? Tant mieux, on pourra enfin négocier une paix énergétique, la construction d’une dernière centrale pour mieux préparer la sortie définitive du nucléaire. Le PDC devra aussi assumer son étiquette verte, mis sous pression par les Verts libéraux qu’il abrite en son groupe parlementaire. C’est prometteur.
Eveline Widmer-Schlumpf aux Finances? De bon augure également. L’ancienne conseillère d’Etat sera un peu plus soucieuse que son prédécesseur des reports de charges sur les cantons. Qui s’en plaindra?
Johann Schneider-Ammann à l’Economie, préposé donc aux conditions-cadres et à l’ouverture de nouveaux marchés? Son expérience d’entrepreneur le rend directement prêt à l’emploi, on gagnera du temps, de même qu’une visibilité enfin assumée des liens entre milieux économiques et pouvoir politique.
A vrai dire, on aurait bien vu l’exercice de transfert poussé un peu plus loin. Didier Burkhalter au DDPS. Le ministre radical est le seul à avoir les idées claires sur la défense et à pouvoir y remettre de l’ordre. Ce sera pour une prochaine fois. Cette option aurait libéré le département de l’intérieur pour Simonetta Sommaruga. Pour la paix du nouveau collège c’eût été opportun.
Mais l’assignation de la socialiste à Justice et Police, première historique, n’est pas la punition que l’on prétend. C’est même une chance pour son parti de prouver qu’il ose se frotter aux problèmes de migration. Ce département, léger, laissera à la Bernoise du temps mignon pour se mêler, avec l’intelligence qu’on lui connaît, du travail des autres. Simonetta Sommaruga sera aussi conseillère fédérale et pas seulement cheffe de Département, ça changera de Micheline Calmy-Rey.
C’est dire si les lamentations geignardes de Christian Levrat sont ridicules. Son discours sur les préséances et l’ancienneté des fauteuils particulièrement gamin. Si le président du PS voulait absolument éviter que l’une de ses deux divas soit collée au DFJP, il aurait dû faire élire Karin Keller-Sutter, magnifiquement taillée pour le poste.
Enfin, il y a des mots qu’il vaudrait mieux ne pas utiliser sur la scène publique. Un président de parti peut-il vraiment en traiter un autre de «menteur»? On peut dire beaucoup de choses de Fulvio Pelli, mais découvrir qu’il est un redoutable stratège un matin de septembre, c’est de la naïveté. A moins d’un an des élections fédérales, passer pour un type qui n’a pas su manœuvrer n’accroît pas l’aura de Levrat.
Enfin la propension que le socialiste met à se disputer publiquement avec le président du PDC Christophe Darbellay est tragicomique. Ces deux-là s’apprécient par-dessus leurs divergences partisanes. Ils devraient s’interdire ce théâtre potache qui dessert la crédibilité de l’un et de l’autre.
Le choix pour le PS est clair: s’il sombre dans un esprit de revanche, il fait l’affaire de l’UDC. S’il se calme, il convaincra qu’il est à terme un bien meilleur partenaire gouvernemental que l’UDC. Que gagnerait le PS à singer la martyrologie de l’UDC? Certainement pas des électeurs.
LES LAMENTATIONS GEIGNARDES DE CHRISTIAN LEVRAT SONT RIDICULES.