Langues nationales: le socle de notre identité

Psychrodrame confédéral * : à la suite du Roestigraben et du Polentagraben douloureusement bien connus est venu s’ajouter un Reussgraben. A l’est de la Suisse, l’obligation que se sont donnée les directeurs de l’instruction publique cantonaux d’enseigner à l’école primaire déjà une autre langue nationale en premier est de plus en plus rejetée. Le Grand Conseil thurgovien a décidé que l’anglais passerait d’abord. Emoi à l’ouest du pays. La cohésion nationale est en jeu, disent les Romands. Il est exagéré de penser qu’elle tient à cela.

Dans ces passes d’armes enflammées, peu d’allusions hélas au statu de l’italien. Les deux camps savent gré aux Tessinois d’être de meilleurs plurilingues que les autres, mais personne ne se bat pour que l’italien soit enseigné avec la même rigueur que l’allemand en Suisse romande ou le français en Suisse alémanique. Ce gros coup de canif dans le souci du respect des minorités n’augure rien de bon.

C’est dans ce contexte tendu que s’est exprimé le président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Patrick Aebischer, cette semaine dans la NZZ. Lui aussi plaide pour l’anglais en premier, largement pratiqué dans les cours que dispense son institution. Il s’agit d’adapter les nouvelles générations au vecteur de la globalisation. Il est la première personnalité romande de premier plan à casser le consensus autour de la nécessité d’apprendre d’abord une autre langue nationale. Il a commis une faute politique.

En Suisse, plus qu’ailleurs, la maîtrise d’une langue ne saurait être réduite à une fonction purement utilitaire. Le discours articulé depuis plusieurs années par Pascal Couchepin est beaucoup plus subtil. L’ancien président de la Confédération estime que la Suisse est une construction tripartite. Sans l’apport latin des Tessinois et des Romands, la Suisse ne serait pas la Suisse. La Confédération est l’addition de trois sensibilités au monde, de trois cultures européennes, pas la soumission de deux minorités à l’esprit de la majorité.

Au moment de quitter Berne, le radical valaisan redoutait que l’administration fédérale ne se mette à penser qu’en allemand, et n’arrive plus à concevoir, et pas seulement intégrer, les différences latines.

Si l’anglais doit devenir notre langue commune, si les autres langues nationales ne sont parlées que par des élites cosmopolites, ce sera la fin de la Suisse. L’apprentissage laborieux d’une autre langue nationale constitue la première démarche citoyenne. Je suis suisse parce que je m’efforce de comprendre mes Confédérés qui ne sont pas de ma langue maternelle. Je me prépare à ne pas être toujours d’accord avec eux, mais à supporter les tensions, à respecter et à aimer nos différences. Cet effort serein est le socle de notre identité.

* texte paru en italien  dans le Caffè