À l’origine du mobbing d’Ignazio Cassis

On attendait mieux de Ignazio Cassis. Un style nouveau. De la détermination. Une direction.Près de 3,5 ans après son élection, on est obligé de constater que son style est hésitant, plein de maladresses. Comme chef du Département des affaires étrangères, il n’exprime pas de conviction forte, ni n’a été capable de proposer un nouveau storytelling sur l’avenir du pays, le «reset» qu’il avait annoncé.*

En matière de politique européenne, il laisse le champ libre au parti auquel il doit son élection, l’UDC. Son incroyable mutisme sur le sujet mine le chemin d’une approbation de l’accord-cadre, avec toutes sortes de bombes à retardement.

Il devait fédérer les Suisses autour d’une vision commune de leur place en Europe, il lasse et désespère par l’absence d’action forte.

On en vient à se demander ce qu’il est venu faire dans cette galère, à part satisfaire la légitime aspiration des Tessinois à être représentés au gouvernement.

S’il n’étoffe pas son bilan d’ici à 2023, il risque de faire les frais d’un nouveau recul de son parti aux élections fédérales. Si le PLR ne devait plus disposer que d’un seul siège, alors c’est lui qui devrait être sacrifié et pas la brillante Karin Keller-Sutter, extrapolent les amateurs de «toto-ministri» .

Ce mobbing soulève quelques objections. Il n’est pas exclu que la nouvelle Secrétaire d’Etat, Livia Leu, revienne de Bruxelles avec des clarifications sur l’accord-cadre, qui le rendent «vendable» au peuple souverain. L’effet de – bonne – surprise pourrait permettre à Cassis de revenir sur le devant de la scène comme l’homme qui a enfin tranché le nœud gordien de la politique suisse. L’étalage de son euro-scepticisme jusqu’ici en ferait un défenseur crédible de l’accord, en mode «si je vous recommande de l’accepter, c’est parce que nous avons finalement obtenu ce que nous souhaitions». Un scénario optimiste, mais pas impossible, tant les virages à 180 degrés caractérisent notre politique européenne.

Ensuite, en 2022, le Tessinois sera président de la Confédération. Cette année de primus inter pares booste en général la cote de popularité d’un ministre.

Enfin, les rapports de force au sein du PLR ne sont pas aussi défavorables, sur le papier, à Cassis. Il est le représentant des PLR latins, dont les scores sont très supérieurs en Suisse romande et au Tessin à ceux des Alémaniques : plus de 20% de parts électorales en 2019 contre 13%.

Un autre point relativise la mauvaise performance de Cassis. Au départ de Micheline Calmy-Rey en 2011, le PLR a absolument voulu reprendre le DFAE et la politique européenne depuis trop longtemps en mains du PS et du PDC. Or, le plus vieux parti de Suisse n’a pas de vision pour la politique étrangère, et encore moins sur les enjeux européens, qui excède la défense des intérêts économiques, même si Didier Burkhalter s’est illustré avec plus de panache que son successeur sur la scène internationale. C’est ce déficit de réflexion et d’ambition que paie actuellement le libéral-radical Cassis, placé dans ce Département un peu par défaut. Quel gâchis.

*Texte paru en italien dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè

Âge de la retraite des femmes et égalité salariale: prendre les choses dans le bon ordre

En matière de statut des femmes, l’actualité nous offre un intéressant carambolage :

  • On commémore ce 7 février les 50 ans de l’introduction du suffrage féminin sur le plan fédéral, ce qui amène tout naturellement à tirer un bilan des conquêtes féministes (voir également l’article précédent). En matière d’égalité salariale, l’exercice est particulièrement attristant : les femmes gagnent 19,6% de moins que les hommes dans le secteur privé ; dans le secteur public, l’écart n’est « que » de 16,7%.
  • Vendredi dernier, une commission du Conseil des Etats a proposé de raboter les compensations prévues pour les femmes dans le cadre du projet AVS21 visant à aligner l’âge de la retraite à 65 ans pour les deux sexes. La manœuvre a suscité l’ire de l’Union syndicale suisse et une pétition en ligne déjà signée par 200 000 indigné-e-s.
  • Les femmes PLR s’apprêtent à lancer ce même 7 février leur initiative pour l’imposition individuelle, énième tentative de mettre à fin à la pénalisation fiscale des couples mariés. Le problème a été identifié en 1984, mais aucune solution satisfaisante n’a pu y être apporté.  

Le relèvement de l’âge de la retraite des femmes est un vieux serpent de mer. La démographie plaide pour cet alignement : les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Mais les réalités économiques et financières des principales concernées constituent un puissant obstacle. Si réellement, le Conseil fédéral souhaite imposer cette réforme, alors il devrait prendre les choses dans le bon ordre.

Dix ans après l’introduction du suffrage féminin, l’égalité entre hommes et femmes a été inscrite dans la Constitution. Dès 1981, le principe « à travail égal, salaire égal «  aurait dû être systématiquement appliqué. Or il ne l’est pas, malgré moult débats, et plusieurs grèves féministes. Si toutes les femmes gagnaient autant que leurs confrères de bureau ou d’atelier, elles cotiseraient plus à l’AVS et au deuxième pilier, ce qui résoudrait en partie les problèmes de financement de ces institutions. En cas de divorce, elles seraient mieux armées pour faire face au risque de pauvreté, qui les impacte directement dans la plupart des cas elles et leurs enfants. De manière générale, tout au long de leur vie, elles auraient moins besoin de recourir aux dispositifs d’aide sociale, de subventions ou de prestations complémentaires.

Dans un premier temps (dans les années 1980 et 1990), comme souvent en Suisse, on s’est persuadé que l’égalité salariale s’imposerait vertueusement avec le temps. Nous sommes quarante ans plus tard, et le temps n’a pas fait son œuvre. Le législateur non plus, ou alors très mollement. Rien de contraignant, des incitations qui n’incitent pas beaucoup d’employeurs, même si des outils de certification ont été développés pour aider les entreprises à voir clair dans leur politique salariale.

Ce manque de bonne volonté de la part de la classe politique comme des entreprises est tout simplement scandaleux. Il relève d’un souverain mépris des femmes et de leurs compétences.

Avant d’envisager d’augmenter l’âge de la retraite des femmes, le Conseil fédéral et le Parlement devraient donc imposer l’égalité salariale, en donnant un ultime délai de 1 an aux employeurs pour appliquer ce principe constitutionnel. Passé ce délai, toute entité ne pouvant certifier qu’elle respecte l’égalité salariale devrait être durement sanctionnée. Les lésées devraient pouvoir percevoir leur manque à gagner avec un effet rétroactif, dès leur engagement.

Deuxième étape sur cette feuille de route, mettre fin à la pénalisation fiscale des couples mariés. Et donner aux couples concernés quelques années de répit. Tout au long de leur vie active, les femmes que l’on prétend faire travailler jusqu’à 65 ans, alors qu’elles sont proches de leur 64 ième anniversaire, sont aussi celles qui ont trop payés d’impôts depuis 1984. Il faudrait éviter que cette génération, née entre 1959 et 1967, soit pénalisée encore une fois. Le calendrier du passage à 65 ans devrait être annoncé au moins 5 ans avant qu’il ne déploie ses premiers effets.

En voulant mettre la charrue avant les bœufs, l’âge de la retraite des femmes à 65 ans alors que l’inégalité salariale entre les sexes reste aussi scandaleusement patente, le Conseil fédéral programme son échec en votation populaire. Il programme tout autant l’accumulation de problème irrésolus dans le financement des retraites. Ce qui est particulièrement irresponsable.

Enfin, sans action plus déterminée sur cet enjeu de justice sociale élémentaire, il laisse ouverte une question que les historiens peineront à trancher à l’avantage de la Suisse : comment se fait-il que cette petite démocratie exemplaire que prétend être la Confédération ait tant pétouillé à accorder aux femmes leur dû, tout au long du XX ième siècle, et du XXI ième siècle, encore et toujours ?