Tous contre l’initiative « contre l’immigration de masse »

Il est tout à fait inhabituel que le gouvernement vaudois se présente in corpore à une conférence de presse. Mais la solennité et l’importance de l’enjeu valait bien que les sept soient présents, a expliqué son président Pierre-Yves Maillard.

Au moment où les citoyens recoivent leur enveloppe de vote, le Conseil d’Etat leur recommande de:

– refuser l’initiative contre l’immigration de masse et l’initiative « financer l’avortement est une affaire privée »

– d’accepter FAIF, le fond de financement de l’aménagement de l’infastructure ferroviaire.

En cas d’acceptation du texte de l’UDC sur la réintroduction des contingents, le gouvernement vaudois redoute un retour des temps difficiles comme ceux que le canton a traversés dans les années 1990: chute de l’immigration, hausse du chômage, crise des finances publiques. Une période dépressive dont il est sorti à partir de 2002, date de l’entrée en vigueur de la libre-circulation des personnes.

Pierre-Yves Maillard a noté la conjnction de forces qui proposent, lors des votations du 9 février, des retours en arrière en refusant le développement des tansports publics, en voulant stopper l’immigration, ou en voulant pénaliser les femmes qui souhaitent avorter.

Historien de formation, le président du Conseil d’Etat souligne que les courbes de croissance comme celle de l’immigration ne montent jamais indéfiniment vers le haut, il arrive toujours un moment où elles se retournent. C’est pourquoi il faut profiter des périodes fastes comme celle que connaît le canton de Vaud pour investir dans les infrastructures, renforcer la protection des travailleurs et raffermir la cohésion sociale, cela permettra d’affronter les crises lorsqu’elles surviendront.

Depuis l’entrée en vigueur de la libre-circulation des personnes, Vaud a fait fondre sa dette iniatialement de 9 milliards de francs, il a doublé les subsides à l’assurance-maladie, et enregistré la création de 5500 emplois nouveaux par an.

Pourquoi prendre position sur des objets fédéraux? Les conseillers d’Etat notent qu’une fois les résultats et les conséquences concrètes de certains votes connus, des citoyens se plaignent parfois de ne pas avoir été suffisamment renseignés. Les Vaudois, qui ont toujours largement vité en faveur de la libre-circulation des personnes jusqu’ici, ne pourront pas dire qu’ils n’avaient pas été avertis.

Trois socialistes, trois libéraux-radicaux, une Verte, tous se sont exprimés sur les trois objets soumis au vote le 9 février, et sont sur la même longueur d’onde. Ils en ont profité pour détaillé  des mesures d’accompagnement « cantonales » comme un meilleur contrôle des sous-traitants notamment, et ont annoncé pour le premier trimestre un plan des mesures pour accroître le nombre de logements.

Sur le même sujet, dans L’Hebdo

Sur les blogs

  • François Cherix:

1914-1918: La matrice de la Suisse du XXe siècle

 
Comme les belligérants, les Suisses imaginaient que la guerre serait courte. Mal préparés, ils vont improviser et faire des choix qui nous conditionnent encore un siècle plus tard. *
La fin d’un monde où l’on circulait dans toute l’Europe sans passeport, la vraie fin du XIXe siècle, le début du XXe, le choc inéluctable entre puissances impérialistes. C’est ainsi qu’est généralement perçue la Grande Guerre, une conflagration d’une ampleur inimaginable, 19 millions de morts (10 millions de militaires, 9 millions de civils) et 21 millions de blessés.
Les derniers travaux des historiens qui paraissent à l’occasion du centenaire du déclenchement des hostilités s’attachent à montrer à quel point l’enchaînement fatal des événements, de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin 1914, à la violation de la neutre Belgique par les Allemands, le 5 août, échappa aux gouvernements. Durant le long mois de juillet, les chancelleries s’agitent pour éviter la guerre – les Anglais s’y emploient jusqu’au bout. Les trois empereurs cousins (le tsar Nicolas II, le Kaiser Guillaume II et le roi d’Angleterre, empereur des Indes George V) s’activent sans parvenir à s’entendre. Il y a beaucoup de bluff, pas mal de paranoïa dont les états-majors qui veulent en découdre finissent par tirer le meilleur des partis.
Prospérité de la Belle Epoque
Quand la guerre éclate, on croit cependant qu’elle sera courte. Elle sera épouvantablement longue, avec un front stagnant, et l’on s’apercevra assez vite que, malgré de précédentes crises diplomatiques, malgré les rodomontades militaristes des uns et des autres, personne ne s’y était suffisamment préparé.
Ce qui est vrai pour les belligérants l’est également pour la Suisse. L’éclatement des hostilités clôt pour la Confédération un demi-siècle d’essor économique sans précédent. Depuis 1848, la prospérité des Suisses s’est considérablement améliorée. A la veille du conflit, le produit national brut par habitant est un des plus élevés d’Europe, au même niveau que celui du Royaume-Uni, nourri par son immense empire colonial. Les radicaux qui ont insufflé cet élan libéral et modernisateur ont réussi leur pari. La petite Helvétie, qui compte alors 3,7 millions d’habitants, appartient aux nations gagnantes de la première mondialisation économique, dopée par les révolutions technologiques du XIXe siècle.
La Belle Epoque ne l’est toutefois pas pour tous. Les familles d’ouvriers peinent à joindre les deux bouts. Signe de ce malaise social, le nombre important de grèves, 130 en moyenne par an, entre 1900 et 1914. Les revendications? Des augmentations de salaire et la diminution du temps de travail à dix heures par jour.
En août 1914, 220 000 hommes sont mobilisés pour défendre les frontières. Le sentiment prévaut également chez nous que cette guerre sera brève (la guerre de 1870 entre la Prusse et la France n’avait duré que six mois) et vite gagnée par les Allemands, dont la puissance impressionne.
Mais comment échappe-t-on à la guerre quand on est neutre? Certaines élites doutent même que cela soit possible, ou souhaitable (lire l’article de Hans-Ulrich Jost, notamment sur la stupéfiante résignation du Conseil fédéral à ce propos, consignée dans un arrêté secret). Mise à l’épreuve, la Suisse va improviser, faire face à des problèmes qu’elle n’avait pas expérimentés jusqu’alors. Elle va ainsi inventer des doctrines et comportements qui définiront son destin pour le siècle à venir.
En cela, notre pays épargné par les combats s’inscrit dans une tendance globale. La période 1914-1918 passe pour avoir été la matrice du XXe siècle, donnant naissance à la révolution bolchevique, au fascisme et au nazisme qui conditionnèrent les décennies suivantes. Mutatis mutandis, l’image vaut donc pour la Confédération, dont la santé économique et la cohésion nationale sont bouleversées par les conséquences de la guerre.
Le défi sacré entre tous consiste à ne pas se laisser entraîner dans la tourmente, c’est-à-dire à faire respecter la neutralité. Si l’on voit à peu près à quoi peut ressembler la neutralité politique (pas de déclaration intempestive en faveur d’un camp) ou la neutralité militaire (pas d’engagement en faveur d’un belligérant), il est moins aisé de pratiquer la neutralité économique pour un petit pays déjà fort dépendant de l’extérieur pour son approvisionnement.
La Suisse a besoin de blé étranger, elle dépend du charbon allemand. Manger et se chauffer nécessitent des accommodements, et une organisation ad hoc. Dès 1915, lorsque l’on se rend compte que le conflit va durer, sont créés la Société suisse de surveillance économique et l’Office fiduciaire suisse pour le contrôle du trafic des marchandises. Il s’agit de centraliser les demandes d’importations, se procurer les marchandises et veiller à ce que cellesci ne soient pas réexportées vers un belligérant.
L’indépendance de ces structures, qui traitent chacune avec un camp, ne fait guère illusion. La SSS est brocardée en «Société de la souveraineté suspendue».
Secret des affaires
C’est ainsi, notent les historiens, que le secret des affaires est érigé peu à peu au rang de secret d’Etat – un voile qu’il ne quittera pas une fois la paix revenue. La discrétion doit masquer les entorses aux nobles principes d’impartialité que commande la neutralité et éviter les protestations furieuses des belligérants (qui ne manquent pourtant pas). Ces efforts n’empêchent pas les problèmes d’approvisionnement, notamment dans les villes, qui exaspèrent la population.
Sur le front politique, le Conseil fédéral adopte également le profil bas, entre opportunisme et petites lâchetés. Il choisit et fait élire par l’Assemblée fédérale le général Ulrich Wille. Outre ses compétences militaires, on calcule que ce proche du Kaiser (il a épousé une von Bismarck) inspirera confiance aux Allemands qui renonceront ainsi à violer la neutralité suisse pour mieux prendre les troupes françaises à revers.
Du coup, le gouvernement, qui ne compte qu’un seul ministre romand, s’abstient de protester contre la violation de la neutralité belge. Cette germanophilie déclenche l’ire de la presse romande. Un fossé se révèle. Le fameux Röstigraben, que l’on ne nomme pas encore ainsi, est né dans une nation qui depuis la fin de l’épopée napoléonienne, un siècle plus tôt, avait mis beaucoup d’énergie à s’unir autour d’idéaux et de buts communs. La convention du Gothard, et quelques autres dossiers fédéraux, avaient déjà montré de fortes divergences entre Alémaniques et Romands. Mais chacun pressent que la différence de sensibilités aux événements internationaux en temps de guerre est d’une gravité particulière.
Les appels à la raison et à l’entente, comme celui que lance l’écrivain Carl Spitteler, futur Prix Nobel, lors d’une conférence intitulée «Notre point de vue suisse», n’apaisent que provisoirement les esprits. Plusieurs affaires vont se succéder avec des cortèges d’accusations réciproques de germanophilie ou de francophilie.
Il y a d’abord l’affaire des colonels qui transmettent des informations confidentielles aux Allemands et aux Autrichiens. Elle éclate début 1916. Cette confirmation de la germanophilie du haut commandement génère un tollé populaire, en Suisse romande surtout, où le rédacteur en chef de La Gazette de Lausanne, Edouard Secretan, qui est aussi conseiller national, hurle à la trahison.
Nouvelle passe d’armes avec l’exploit d’un jeune Lausannois qui décroche un drapeau allemand hissé sur le consulat, en l’honneur de l’anniversaire du Kaiser. Les autorités sont contraintes de présenter des excuses à Guillaume II. Camille Decoppet, chef du Département militaire et président de la Confédération en cette tumultueuse année 1916, découvre quelques mois plus tard que l’état-major et le général ne lui ont pas communiqué toutes les informations concernant les débordements liés à «l’affaire», comme on la nomme alors par analogie avec l’affaire Dreyfus qui avait enflammé la France quelques années plus tôt. Il présente sa démission à ses collègues, qui la refusent en menaçant de démissionner tous. Le gouvernement a frôlé l’implosion. Il devra affronter de pires crises encore.
Les risques de la médiation
Face à la boucherie ambiante, le neutre se sent le devoir de s’entremettre pour restaurer a paix, démarche louable mais pleine de risques. En juin 1917, le «ministre» de Suisse à Washington (comme on appelle alors les ambassadeurs) est rappelé après avoir entrepris une démarche intempestive de médiation en faveur de l’Allemagne qui mécontente les Alliés.
Plus dramatique encore, le conseiller fédéral Arthur Hoffmann, chef du Département politique, tente lui aussi de négocier une paix séparée entre la Russie et l’Allemagne. Il a omis d’en informer ses collègues. Cette fois, le scandale est trop important. Il doit démissionner, le 18 juin 1917. Pour restaurer le crédit international de la Suisse, l’Assemblée fédérale élit huit jours plus tard le président du CICR, Gustave Ador.
Panique
Dans l’historiographie, le fossé moral, révélé par la Grande Guerre, le dispute en importance à l’éclosion violente du malaise social. La Suisse termine le conflit par une grève générale qui la déstabilise totalement, du jamais vu. Paradoxe, alors que le 11 novembre 1918 les belligérants fêtent dans l’allégresse l’armistice, notre pays tremble et prend peur. La Suisse connaît une tension maximale, panique, s’énerve comme en témoigne la convocation urgente des Chambres fédérales.
Si les milieux économiques ont profité de la guerre pour faire des affaires, les classes populaires ont enduré des conditions de vie difficiles. Les soldats ont dû supporter le drill «à la prussienne» et accomplir des travaux d’utilité publique. Les indemnités pour perte de gain n’existent pas, la solde est dérisoire.
L’exaspération des ouvriers et des employés n’a cessé de s’amplifier. Ce sont les employés de banque qui se mettent d’abord en grève à Zurich les 30 septembre et 1er octobre 1918. La tension monte, des troupes sont envoyées à Zurich par le général Wille pour maintenir l’ordre, d’autant que le Parti socialiste a appelé à fêter le premier anniversaire de la révolution russe.
Formé de socialistes et de syndicalistes, le comité d’Olten, initialement entré dans un processus de négociation avec le Conseil fédéral pour arracher des améliorations sociales, appelle à la grève générale le 10 novembre pour le surlendemain. 250 000 travailleurs suivent ce mot d’ordre, surtout dans les villes industrielles comme Zurich, peu en Suisse romande, plus agricole; ce sont d’ailleurs des troupes romandes que l’on a envoyées à Zurich.
La grève cessera le 15. Mais la grande peur de la révolution va marquer durablement les esprits, nourrir un anticommunisme virulent qui ne s’estompera qu’avec la chute du mur de Berlin en 1989.
Robert Grimm, un des leaders du mouvement, est condamné à six mois de prison ferme, alors que les colonels qui avaient renseigné les Allemands et les Autrichiens n’avaient écopé que de vingt jours d’arrêt de rigueur.
Mais le bilan de la grève générale – la seule que la Suisse a jamais connue – n’est pas négatif. Si l’AVS (Assurance vieillesse et survivants) a dû attendre 1948 pour entrer en vigueur, et le droit de vote des femmes en 1971, le climat tendu qui a précédé l’arrêt du travail a favorisé une réforme majeure, refusée deux fois auparavant par le peuple: l’introduction de l’élection à la proportionnelle est enfin acceptée le 13 octobre 1918. Aux élections de 1919, le Parti socialiste passe de 19 à 41 sièges, les radicaux de 106 à 60 sur 189, et perdent ainsi la prépondérance écrasante dont ils jouissaient depuis 1848. Plus jamais un parti n’a atteint la majorité absolue. La Suisse ne le sait pas encore, mais elle commence ainsi ses premiers pas vers un gouvernement de coalition qui intègre de manière durable les partis de droite comme de gauche (les socialistes feront leur entrée au Conseil fédéral en 1943, la formule magique incorporant tous les grands partis sera scellée en 1959). Une scission du parti radical apparaît, le parti des paysans, artisans et bourgeois, qui deviendra l’UDC. Elle annonce une fragmentation du pouvoir à droite, dans une optique clientéliste qui se révélera un siècle plus tard de plus en plus exigeante et moins encline au compromis.
La société des Nations
Dernier marqueur fort dont la période 1914-1918 imprègne le destin national, la redéfinition des rapports que le pays entretient avec les autres sur l’échiquier international. La Confédération s’essaie à la neutralité différentielle. Instruits par l’expérience et quelques déboires, les Suisses s’engagent avec enthousiasme dans la création de la Société des Nations; celle-ci ne doit-elle pas prévenir tout retour des atrocités?
Le 16 mai 1920, 56% des votants se rallient au projet, les Romands sont plus enthousiastes (93% de oui chez les Vaudois), mais le Tessin et six cantons alémaniques suivent également. Genève y gagne une utilité mondiale, la ville a bénéficié de la bienveillance des Américains, logée en un territoire neutre, resté inviolé, mais francophone, donc du côté des vainqueurs.
L’expérience non concluante de participation à la SDN va nourrir jusqu’à nos jours la méfiance du pays face aux nouvelles organisations internationales qui émergeront dans le second après-guerre, et installer une mentalité de repli.
Beaucoup de choix de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale sont en gestation dans la première. L’opportunisme économique sans états d’âme s’installe. Les fractures entre confédérés qui ne rêvent pas d’un même avenir dans le concert des nations ont été si traumatisantes que tout sera entrepris pour les éviter (on se choisira un général romand, Guisan qui, contrairement à Wille qui ne savait pas le français, sera en mesure de s’adresser à tous), mais elles se raviveront. L’intégration de forces politiques aux idées divergentes deviendra le fil conducteur de la politique suisse. Oui, la Grande Guerre à laquelle ils n’ont pas participé directement a conditionné pour un siècle au moins les choix des Suisses.
Légendes photos:
NOVEMBRE 1918
Pendant la grève générale qui déstabilise le pays, alors que les belligérants fêtent l’armistice, l’armée est appelée en renfort pour protéger le Palais fédéral où les Chambres ont été convoquées en urgence.
SURVEILLANCE À LA FRONTIÈRE EN AJOIE
Les états-majors allemand et français ont élaboré des plans qui passent par la Suisse. Leur frontière étant bornée par trois Etats neutres (Belgique, Luxembourg et Suisse), il était quasi fatal que l’un serve à contourner les ouvrages de défense installés entre les deux belligérants.
FRATERNISATION
Soldats suisses et français se saluent.
ARMÉE
220 000 hommes mobilisés en août 1914, c’est intenable sur la durée pour l’agriculture et l’industrie. Dès lors, les chiffres des engagés varient selon le degré de la menace militaire. Ils seront affectés à des tâches et travaux divers d’intérêt général comme la construction de routes ou l’établissement de lignes téléphoniques.
BERNE
Les troupes mobilisées défilent dans la capitale fédérale.
ARTHUR HOFFMANN
Le conseiller fédéral doit démissionner après avoir tenté de négocier une paix séparée entre l’Allemagne et la Russie, au grand dam des Alliés, parce qu’elle permet aux Allemands de concentrer toutes leurs forces contre la France au lieu de devoir couvrir deux fronts.
HUMEUR
Les illustrateurs s’en donnent à cœur joie pour exalter les vertus des soldats, mais aussi dénoncer la germanophilie des chefs. L’idée que l’armée suisse défend le flanc sud-ouest des Allemands est très répandue.

Vaud-Genève pour FAIF: un vrai couple

Heureuse image que celle offerte mercredi après-midi par Nuria Gorrite, François Longchamp, Pascal Broulis et Luc Barthassat: quatre conseillers d’Etat réunis pour plaider la cause de FAIF, ce projet de financement des infrastructures ferroviaires, sur lequel le peuple est appelé à se prononcer le 9 févier prochain.

Une socialiste, deux radicaux, un démocrate-chrétien, l’arc partisan illustre les alliances qui ont porté le projet lors des débats parlementaires.

Philippe Pidoux, autre conseiller d’Etat radical, qui avait agité l’idée de fusionner Vaud et Genève en 1997, avait vu juste. Les deux cantons sont faits pour collaborer, et ensemble ils jouissent d’une magnifique force de frappe.

La politique est faite de vision, mais les intentions ont toujours besoin de beaucoup de temps pour se concrétiser, et notamment d’institutions.

L’idée de mieux collaborer entre les deux cantons, et de financer ensemble des projets ou des institutions, avait été lancée au Forum des 100, organisé par L’Hebdo en mai 2008 (comme l’a rappelé François Longchamp, président du Conseil d’Etat genevois). Elle s’est traduite l’année suivante par la signature d’une convention sur les infrastructures supra-régionales entre les deux cantons, puis la signature d’une autre convention avec l’Office fédéral des transports et des CFF. En 2010, c’est la constitution du Comité rail-route Vaud-Genève; en 201, la Métropole lémanique est créé, son poids démographique et économique est documenté et acquière une visibilité particulière.

En 2012, la première étape du projet ferroviaire Léman 2030 est lancée. En juin 2013, les Chambres ficellent le paquet FAIF, qui contente un maximum de besoins régionaux dans toute la Suisse.

Et ce 18 décembre, Vaud et Genève communiquent de concert leur soutien à une réalisation essentielle pour la Métropole lémanique. 

Reste à gagner la votation du 9 février.

Après le refus de la vignette le 24 novembre dernier, la chose paraît moins couler de source qu’il y a quelques mois, lorsque régnait l’euphorie d’avoir conçu un projet fédérant toutes les régions du pays. Ceux qui pensent que la Suisse a trop d’immigrés (et qui voteront oui à l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse) peuvent être tentés de glisser un non à FAIF: s’il y a moins d’immigrés alors les infrastructures seront moins engorgées. Mauvais calcul, car les infrastructures sont d’ores et déjà inadaptées, la Suisse romande ne faisant que combler son retard. Mais, la tentation serait logique.

Quoi qu’il en soit, la descente dans l’arène des ministres cantonaux est une bonne chose. Elus de proximité, jouissant d’une popularité réelle, ils peuvent très opportunément  renforcer le pouvoir de conviction de conseillers fédéraux, moins habitués qu’eux à rencontrer et motiver les foules.

En matière de rails, Vaud et Genève ont tout du vrai couple, ne dit-on pas que les mariages réussis sont ceux où les deux conjoints regardent le même horizon?

Traité avec la Chine: deux poids deux mesures

Je ne suis pas sûre de bien comprendre l’attitude du Conseil national qui refuse d’ouvrir la possibilité d’un referendum facultatif sur le traité de libre-échange avec la Chine. Ce sont pourtant  les mêmes députés, outrés, qui ont refusé la Lex USA l’été dernier.

Je mélange tout? Je ne crois pas.

Face aux prétentions des grandes puissances, la Suisse devrait avoir un comportement plus cohérent. En cette année 2013, l’indignation de nos élus est vraiment trop « à géométrie variable ». 

L’été dernier la Lex USA était dénoncée comme une ingérence insupportable dans notre secteur bancaire. Les conditions de travail des Chinois qui produisent des biens que nous allons consommer ne nous sont pas moins indifférentes, tout comme le respect de certaines normes environnementales ou d’hygiéne. Le soucis de défendre nos valeurs et nos intérêts devrait être plus constant.

On peut parfaitement soutenir l’accord de libre-échange avec la Chine pour des motifs de raisons économiques. Mais pourquoi fermer d’avance tout débat populaire. Redoute-t-on de ne pas savoir convaincre?

Les Suisses discutent à intervalles réguliers des règles du grand marché européen, pourquoi seraient-ils incompétents pour se prononcer sur l’accès au méga-marché chinois?

Un tel accord de libre-échange a évidemment une nature politique, comme notre arrimage aux 28 pays de l’Union européenne. Choisir avec qui et comment on commerce est éminement un choix politique. Au moment où la planète rend hommage à Nelson Mandela et où les Suisses s’interrogent sur le soutien de certains milieux économiques au régime de l’apartheid, est-il nécessaire de l’expliquer?

La neutralité économique n’existe pas.

Didier Burkhalter: éloge du gris

Le «charisme d’une autoroute». C’est ainsi que la Basler Zeitung décrit Didier Burkhalter le nouveau président de la Confédération. Le Neuchâtelois a la réputation d’être un homme gris. Comme il donne peu d’interviews, nombre de journalistes se vengent en le caricaturant en encore plus terne qu’il n’est. En fait, ce quinquagénaire appartient à la race des ministres austères, imprégnés de leur mission au service de la collectivité, qui ne sont pas là pour rigoler, mais faire avancer les dossiers.

Quand on a la chance de pouvoir s’entretenir avec lui, on s’aperçoit que le Chef du département des affaires étrangères peut être drôle, pince-sans-rire. D’expérience, on dira qu’il n’est ni plus drôle, ni plus terne que la plupart de ses prédécesseurs. A Berne, la règle consiste plutôt à se confondre avec le gris de la molasse du Palais fédéral qu’à briller. Les personnalités extravagantes ou charismatiques sont d’heureuses mais rares exceptions. D’autant plus qu’il reste difficile d’être charismatique en trois langues. Dans le collège actuel, seule Doris Leuthard parvient à séduire dans tout le pays. L’aura des autres ne dépasse guère leur aire linguistique d’origine.

Surtout, séduire les foules par un style empathique, décontracté et populaire, n’est pas ce que l’on demande en priorité à nos conseillers fédéraux. Ils doivent convaincre le peuple de leur donner raison. Cela est autrement plus difficile que de sourire avantageusement sur les photos.

Bien sûr, l’art oratoire et le sens du contact peuvent aider dans ce périlleux exercice de conviction, mais le glamour ne fait pas tout, comme on vient de le constater avec la défaite de Doris Leuthard sur la vignette à 100 francs.

Surtout cette critique à l’encontre de Didier Burkhalter est un peu étrange. Le 16 septembre 2009, lorsqu’il a été élu, il avait pour challenger radical le conseiller national Christian Lüscher, beau gosse et grande gueule « à la genevoise ». Si l’Assemblée fédérale avait voulu de la fougue et du charisme, elle aurait pu choisir l’avocat genevois. Elle ne l’a pas fait. De quoi donc se plaint-on dès lors ?

Les critiques sur le style Burkhalter dissimulent  mal une aversion sur le fond. Le Chef du Département des affaires étrangères s’emploie à rénover la voie bilatérale avec l’Union européenne. Son engagement dans ce dossier ingrat agace souverainement tous ceux qui ne comprennent même pas pourquoi il faut le faire. Avec ou sans charisme, le nouveau président de la Confédération devra surtout expliquer inlassablement la pertinence de ses actions.

Qui peut imaginer que les Suisses pourraient approuver les choix européens du gouvernement juste par ce que le conseiller fédéral qui les a proposés est sympa?

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Chronique parue en italien dans le Caffè, le 8 décembre

Le cours d’histoire de Didier Burkhalter

Invité lundi soir à Lausanne*, Didier Burkhalter a plaidé pour le refus de l’initiative de l’UDC contre l’immigration dite de masse. Il a rappelé une évidence historique que ceux qui sacralisent les frontières oublient:

« Depuis des générations notre pays est ouvert au commerce avec l’Europe et avec le monde. En réalité je devrais dire des siècles puisque, pour reprendre la belle image d’un historien: le sel indispensable au bétail dans les pâturages de Guillaume Tell venait d’Afrique du Nord.

La Suisse a toujours été un lieu de passage, un lieu de commerce et c’est ce commerce à travers les Alpes qui a rendu prospères les vallées autour des principaux cols alpins, dont le Gothard. C’est ce commerce européen et même international qui a permis l’essor d’importantes villes commerçantes sur le chemin de ces Alpes à l’image de celle qui furent les premières à rejoindre la Confédération comme Lucerne, Zurich ou Berne… »

* Par le Centre patronal et nos confrères de 24 Heures et La Télé

Chic, des retraites plus longues

La semaine dernière, l’OCDE (L’organisation de coopération et de développement économiques) nous a appris que l’espérance de vie a dépassé pour la première fois 80 ans en moyenne dans ses 34 pays-membres.  Depuis 1970, on a gagné dix ans de vie. Ce sont les Suisses qui devraient vivre le plus longtemps (82,8 ans), devant les Japonais et les Italiens (82,7). En fait, les championnes sont les Suissesses, leur espérance de vie atteint 84,7 ans !

C’est une bonne nouvelle, nous ne payons pas pour rien notre système de santé à prix d’or. Nous en bénéficions concrètement.

Mais vu sous un autre angle, ce progrès complique la tâche de ceux qui, comme Alain Berset, sont chargés d’assurer notre système de retraite. Le conseiller fédéral socialiste vient de présenter son projet de réforme « Prévoyance vieillesse 2020 ». Le chef du Département fédéral de l’intérieur ne touche pas à l’âge de référence pour toucher l’AVS, cela reste 65 ans (mais désormais pour les femmes aussi).  Il prévoit plus de flexibilité entre 62 et 70 ans, une hausse de la TVA et une baisse du taux de conversion des avoirs du deuxième pilier. Au vu des réactions, ce paquet de mesures additionne les mécontents, à droite et à gauche. Cela signifie pourtant qu’il repose sur une symétrie des sacrifices, très emblématique du compromis helvétique : chaque partie doit admettre des concessions pour obtenir une solution équilibrée.

Anticipant l’annonce de Berset, les libéraux-radicaux ont formulé une proposition très astucieuse. Ils estiment nécessaire de tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie. Aussi proposent-ils que pendant une vingtaine d’années on augmente l’âge de la retraite de référence d’un mois, pour parvenir à 66,5 ans. Ce changement graduel se ferait par ordonnance, ce qui éviterait la dramatisation d’une votation.

Scandaleux ? Pas vraiment. Il faut considérer les modifications des parcours de vie: on se marie plus tard, les enfants naissent donc plus tard, ils se forment plus longtemps et partent plus tard du foyer familial. Il faut arrêter d’exiger de pères et de mères de famille qu’ils cessent toute activité professionnelle alors qu’ils ont encore de jeunes adultes à entretenir ou qu’ils viennent juste d’arrêter de payer pour eux.

Il est grand temps que les Suisses refondent leur système de prévoyance vieillesse en fonction de la manière dont ils vivent actuellement et pas selon le modèle de leurs ancêtres. L’allongement de la vie est une chance, pas une calamité. Son financement ne devrait  pas nous angoisser, mais nous réjouir.

* Chronique parue en italien dans le Caffè le dimanche 24 novembre:

http://www.caffe.ch/stories/il_punto/45239_le_pensioni_seguono_la_svizzera_longeva/

Un Lausannois sur deux a voté pour 1:12

Ce sera non à 1:12, comme aux autres objets fédéraux, semble-t-il, mais le détail des résultats contient des surprises. Ainsi 48% des Lausannois ont dit oui à 1:12. Presque un sur deux!

Un résultat qui montre que les utopies ont encore un pouvoir de séduction.

Certes, Lausanne, comme toutes les grandes villes du pays, est en mains de la gauche. Mais cet engouement pour la réduction des inégalités se lit aussi dans les résultats genevois, 57% de nons.

1:12 : L’USAM meilleure qu’économiesuisse?

L’initiative 1:12 rejetée, l’USAM qui a mené la campagne est dans le camp de gagnants et a réussi là où économiesuisse a failli à contrer la proposition de Minder. Victoire symbolique des petits patrons contre les grands?

De fait l’argumentaire de l’USAM n’a pas été très différent de celui utilisé par Economiesuisse ce printemps. Ont été beaucoup brandies les craintes de casser un modèle économique actuellement performant et d’encourager les délocalisations.

Mais la solidarité affichée par les responsables de PME envers les multinationales exportratrices a touché les Suisses. L’économie est un tissu, le succès des uns dépend du succès des autres, les sous-traitants dépendent de grands groupes, les fournisseurs locaux vivent des sociétés internationales.

On se demande si l’image aura la même efficacité en février prochain, lorsqu’il s’agira de voter sur l’initiative « contre l’immigration de masse ».

Alors l’USAM meilleure qu’Economiesuisse? Ce n’est pas certain, puisque si le casting a changé les arguments étaient similaires. Simplement, avec leur oui au texte de l’entrepreneur Minder, les Suisses estiment avoir déjà tancé les hauts managers aux salaires stratosphériques.

J’ai personnellement un regret par rapport à la campagne: que la vénalité de ceux qui touchent des salaires à plusieurs millions n’ait pas été plus soulignée, ou au moins questionnée. Qu’est-ce qui justifie vraiment ces hauts salaires? La capacité de prendre des décisions courageuses? Mais décider ne nécessite-t-il pas parfois de douter? Et donc comment se remettre en cause quand votre salaire indique que vous êtes le meilleur? Comment oser douter quand on vaut des millions? Et comment susciter l’adhésion des employés à un changement de cap, quand on est si déconnecté des réalités humaines? Ces objections sont restées sans réponses.

Le bon score relatif de l’utopie 1:12 (qui n’avait aucune chance face à l’écueil de la double majorité du peuple et des cantons) annonce par contre que le débat sur le salare minimum à 4000 francs n’est pas gagné d’avance. Ni pour l’USAM, ni pour Economiesuisse.

http://www.hebdo.ch/news/politique/dimanche-de-votations-lhebdo-est-sur-le-pont

Défaite sèche pour Doris Leuthard

Doris Leuthard subit une défaite sans précédent. Pas un seul canton n’a accepté la vignette à 100 francs! Comme je l’écrivais dans notre édition de jeudi:

« Ainsi va la démocratie suisse; alors qu’ailleurs la popularité se traduit en succès politiques assurés, il n’est pas du tout certain que la plus aimée de nos ministres, Doris Leuthard, soit parvenue à faire passer la vignette de 40 à 100 francs. »

L’argument « automobilistes vaches à lait » saccage tout sur son passage, y compris les trop subtiles tentatives de comprimis ou de paquets ficelés au Palais fédéral. Et y compris donc la plus populaire de nos ministres.

C’est inquiétant vu les besoins en financement de toutes nos infrastructures de transports.

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