Âge de la retraite des femmes et égalité salariale: prendre les choses dans le bon ordre

En matière de statut des femmes, l’actualité nous offre un intéressant carambolage :

  • On commémore ce 7 février les 50 ans de l’introduction du suffrage féminin sur le plan fédéral, ce qui amène tout naturellement à tirer un bilan des conquêtes féministes (voir également l’article précédent). En matière d’égalité salariale, l’exercice est particulièrement attristant : les femmes gagnent 19,6% de moins que les hommes dans le secteur privé ; dans le secteur public, l’écart n’est « que » de 16,7%.
  • Vendredi dernier, une commission du Conseil des Etats a proposé de raboter les compensations prévues pour les femmes dans le cadre du projet AVS21 visant à aligner l’âge de la retraite à 65 ans pour les deux sexes. La manœuvre a suscité l’ire de l’Union syndicale suisse et une pétition en ligne déjà signée par 200 000 indigné-e-s.
  • Les femmes PLR s’apprêtent à lancer ce même 7 février leur initiative pour l’imposition individuelle, énième tentative de mettre à fin à la pénalisation fiscale des couples mariés. Le problème a été identifié en 1984, mais aucune solution satisfaisante n’a pu y être apporté.  

Le relèvement de l’âge de la retraite des femmes est un vieux serpent de mer. La démographie plaide pour cet alignement : les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Mais les réalités économiques et financières des principales concernées constituent un puissant obstacle. Si réellement, le Conseil fédéral souhaite imposer cette réforme, alors il devrait prendre les choses dans le bon ordre.

Dix ans après l’introduction du suffrage féminin, l’égalité entre hommes et femmes a été inscrite dans la Constitution. Dès 1981, le principe « à travail égal, salaire égal «  aurait dû être systématiquement appliqué. Or il ne l’est pas, malgré moult débats, et plusieurs grèves féministes. Si toutes les femmes gagnaient autant que leurs confrères de bureau ou d’atelier, elles cotiseraient plus à l’AVS et au deuxième pilier, ce qui résoudrait en partie les problèmes de financement de ces institutions. En cas de divorce, elles seraient mieux armées pour faire face au risque de pauvreté, qui les impacte directement dans la plupart des cas elles et leurs enfants. De manière générale, tout au long de leur vie, elles auraient moins besoin de recourir aux dispositifs d’aide sociale, de subventions ou de prestations complémentaires.

Dans un premier temps (dans les années 1980 et 1990), comme souvent en Suisse, on s’est persuadé que l’égalité salariale s’imposerait vertueusement avec le temps. Nous sommes quarante ans plus tard, et le temps n’a pas fait son œuvre. Le législateur non plus, ou alors très mollement. Rien de contraignant, des incitations qui n’incitent pas beaucoup d’employeurs, même si des outils de certification ont été développés pour aider les entreprises à voir clair dans leur politique salariale.

Ce manque de bonne volonté de la part de la classe politique comme des entreprises est tout simplement scandaleux. Il relève d’un souverain mépris des femmes et de leurs compétences.

Avant d’envisager d’augmenter l’âge de la retraite des femmes, le Conseil fédéral et le Parlement devraient donc imposer l’égalité salariale, en donnant un ultime délai de 1 an aux employeurs pour appliquer ce principe constitutionnel. Passé ce délai, toute entité ne pouvant certifier qu’elle respecte l’égalité salariale devrait être durement sanctionnée. Les lésées devraient pouvoir percevoir leur manque à gagner avec un effet rétroactif, dès leur engagement.

Deuxième étape sur cette feuille de route, mettre fin à la pénalisation fiscale des couples mariés. Et donner aux couples concernés quelques années de répit. Tout au long de leur vie active, les femmes que l’on prétend faire travailler jusqu’à 65 ans, alors qu’elles sont proches de leur 64 ième anniversaire, sont aussi celles qui ont trop payés d’impôts depuis 1984. Il faudrait éviter que cette génération, née entre 1959 et 1967, soit pénalisée encore une fois. Le calendrier du passage à 65 ans devrait être annoncé au moins 5 ans avant qu’il ne déploie ses premiers effets.

En voulant mettre la charrue avant les bœufs, l’âge de la retraite des femmes à 65 ans alors que l’inégalité salariale entre les sexes reste aussi scandaleusement patente, le Conseil fédéral programme son échec en votation populaire. Il programme tout autant l’accumulation de problème irrésolus dans le financement des retraites. Ce qui est particulièrement irresponsable.

Enfin, sans action plus déterminée sur cet enjeu de justice sociale élémentaire, il laisse ouverte une question que les historiens peineront à trancher à l’avantage de la Suisse : comment se fait-il que cette petite démocratie exemplaire que prétend être la Confédération ait tant pétouillé à accorder aux femmes leur dû, tout au long du XX ième siècle, et du XXI ième siècle, encore et toujours ?

Non, PV2020 n’est pas la mère des batailles pour Alain Berset

Je mène depuis des années un combat personnel, un peu vain, très Sisyphe dépité, contre la personnalisation excessive des enjeux de la politique, que je trouve ridicule dans un pays qui pratique le pouvoir collégial.

Depuis la conférence de presse d’Alain Berset, hier, sur PV2020, on nous dit que c’est la « mère de toutes les batailles » pour lui, que s’il se plante, ça fera une grosse tâche sur son bilan de conseiller fédéral.

Tout cela est juste, le 24 septembre est un scrutin très important  – s’y joue non seulement l’avenir de nos retraites, mais aussi une certaine manière de faire de la politique en Suisse, par le compromis, et la symétrie des sacrifices, et, évidemment si le Chef du Département de l’Intérieur ne parvient pas à convaincre, cela entamera sérieusement son aura gouvernementale.

Pourtant, il me semble que dans cette réforme, ce n’est pas Alain Berset, l’élu politique, qui a le plus à perdre, mais nous tous. On vote sur l’avenir de nos retraites, la manière de les financer, et l’âge de référence. Nous sommes bien plus concernés que l’élu ou la personne Alain Berset.

Au surplus, ce projet est celui du Conseil fédéral (déjà un compromis par rapport à ce que le socialiste aurait peut-être voulu faire s’il pouvait décider par décret, tout seul dans son bureau), et aussi celui des Chambres, qui se sont étripées sur chaque virgule (puisque le tout s’est terminé en conférence de conciliation et n’a obtenu une majorité au Conseil national qu’à une petite voix).

Si on personnalise trop sur la figure de Berset, on risque de passer à côté de l’essentiel. C’est-à-dire estimer les effets de la réforme proposée, et s’interroger sur ce qui se passera pour nous (et pas pour lui) si c’est non.

Cela fait 20 ans que l’on tente de réformer notre prévoyance sociale pour en assurer le financement. Avant Alain Berset, deux autres conseillers fédéraux s’y sont essayé, Pascal Couchepin et Didier Burkhalter, en vain. Tous deux goûtent ou vont goûter bientôt une belle retraite – la preuve que les conséquences d’un non ne sont pas les mêmes pour les ministres en charge et nous autres citoyens lambda.

Alors d’accord, la manière dont Alain Berset va faire campagne est importante. Ce genre de bataille se gagne sur le terrain en allant dans moult assemblées expliquer et expliquer encore, lever les craintes, entendre et désamorcer les objections. C’est une victoire qui s’arrachera avec les dents, puisque il faut notamment convaincre la moitié des votants – les votantes – de consentir un gros, très gros sacrifice. Mais ne nous trompons pas de perspective: comme futurs rentiers, c’est nous tous, et pas Alain Berset, qui avons le plus à perdre en cas de refus de cette réforme.

Prévoyance 2020: au peuple de trancher

On ne dira pas que c’est la « mère de toutes les batailles ». Dans le champ politique suisse, l’expression est trop souvent utilisée. Mais, Prévoyance 2020 est un des dossiers-clé de la décennie. L’avenir des retraites se place régulièrement en tête des préoccupations des Suisses, qui ont le furieux sentiment que les promesses de lendemains radieux et sereins ne seront pas tenues.

Deux conseillers fédéraux radicaux, Pascal Couchepin et Didier Burkhalter, ont tenté de réformer notre système de retraites, sans succès. Le parlement a voulu ensuite placer au gouvernement et à la tête du Département de l’intérieur Alain Berset, un socialiste réputé habile, plus droite-compatible que d’autres prétendants au Conseil fédéral. Le Fribourgeois a élaboré une réforme équilibrée, et le reste du gouvernement, autant que l’on sache, l’a soutenu.

Depuis, les deux chambres se déchirent. Le nouvel équilibre des forces post-élections fédérales au Conseil national  a poussé la droite UDC et libérale-radicale à l’intransigeance. Depuis le flop de RIEIII, le mois dernier, on sait où mène ce genre d’entêtement.

Nous en sommes donc à la conférence de conciliation et au vote final. Une solution de compromis est sur la table. Un compromis est par nature imparfait, mais a le mérite de permettre d’aller de l’avant, d’engranger les aspects les moins contestés de la réforme. Si ce compromis n’est pas validé par les Chambres, alors il faudra recommencer la réforme à zéro.

Dans cet exercice, la gauche a concédé le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes – un sacré boa à avaler. La droite UDC-libérale-radicale devrait en prendre la mesure.

En fait, à ce stade, le parlement s’étant révélé incapable de s’entendre (autrement qu’en séance de conciliation), nos institutions suggèrent qu’il serait opportun de faire trancher le dilemme par le peuple.

La responsabilité sera ainsi mieux partagée en cas d’échec populaire. En cas de succès, rien n’empêchera le Conseil fédéral et les Chambres de remettre l’ouvrage sur le métier pour améliorer la durabilité, l’équilibre et le financement de notre système de retraite.

Si Prévoyance 2020 est engloutie corps et bien en vote final, alors vraiment, il faudra douter du sens des responsabilités dans la durée de ceux qui ont choisi Alain Berset.