Le Brexit aux calendes grecques, que va faire la Suisse?

Dans le flux sans cesse roulant de l’actualité, cette chronique souhaite établir des liens, tracer des perspectives, donner une profondeur historique, bref, abolir les frontières qui freinent la réflexion. L’auteure éprouvant une passion déraisonnable pour l’Europe (et même l’Union européenne), l’Italie et la Suisse, il y sera souvent question de politique mais pas que… à moins de considérer que tout est politique!

«Une fois que vous avez mis un œuf dans une omelette, essayez un peu de l’en extirper… c’est impossible. Voilà pourtant à quoi ressemblera la procédure du Brexit». Cette goûteuse métaphore culinaire a été utilisée par Enrico Letta, ancien premier ministre italien, de passage au Club 44, à La Chaux-de-Fonds, il y a quelques jours.

Très en verve, celui qui est devenu doyen de l’Ecole des affaires internationales de SciencesPo Paris plaisantait sur l’enchaînement des événements: «Si j’étais venu il y a douze mois ici et vous avais annoncé que les Britanniques allaient voter pour le Brexit, que Trump serait élu président des Etats-Unis, et que Macron succéderait à Hollande à l’Elysée, vous ne m’auriez pas cru».

Manière de souligner que les événements s’accélèrent, et que la géopolitique devient imprévisible. «Rien ne s’est passé comme prévu» devient la phrase fétiche des commentateurs. Alors que règnent les algorithmes censés tout anticiper, c’est joyeusement paradoxal.

Rien ne se passe plus comme prévu, mais beaucoup de gens continuent à faire semblant que tout roule comme d’habitude, et que l’on peut tranquillement continuer à vaquer à nos impératives occupations. Les Suisses sont les champions du nez dans le guidon. Ne surtout pas regarder au-delà des contingences présentes, ne surtout pas embrasser large, ne surtout pas se projeter. Nous avons beau être une nation exportatrice, il n’y en a point comme nous quand il s’agit de se replier sur une petite prairie, de s’enfermer dans nos certitudes, de pratiquer le réduit mental.

A Berne, désormais on s’écharpe pour savoir qui succédera à Didier Burkhalter, on se préoccupe nettement moins de savoir ce qui se passe dans le domaine de celui-ci: les affaires étrangères.

Or dans les affaires étrangères, c’est-à-dire tout ce qui survient outre-frontières, ça bouge pas mal. Et pas seulement au gré des tweets de l’impétueux Donald.

Une nouvelle dynamique souffle entre Paris et Berlin. L’effet Macron donne du peps aux institutions européennes. C’est énervant pour tous ceux qui la détestent – et ils sont nombreux en Suisse – mais c’est indéniablement un fait. Loin de disloquer l’UE, le Brexit a resserré les rangs – les projets de défense unifiée reviennent sur la table, longtemps réputés impossibles à empoigner à l’échelle communautaire. Que Martin Schulz ou Angela Merkel (plus vraisemblablement) gagne les élections allemandes ne devrait pas entamer ce regain de vigueur européenne.

Comme un géranium ornant le balcon, la classe politico-économique helvétique reste imperturbable. Les plus malins se demandent vaguement s’il faut mettre sous toit rapidement l’accord-cadre prévu avec Bruxelles (c’était l’option du démissionnaire Burkhalter) ou attendre de voir ce que donne le Brexit afin d’en tirer avantage. Mais personne ne s’est aperçu d’une chose: à voir comment elle démarre, la procédure de divorce entre la Grande-Bretagne et l’UE promet de durer bien plus que deux ans. Là, on négocie les modalités du divorce, puis il faudra que celles-ci entrent en vigueur, le fameux retrait de l’œuf de l’omelette, ou plutôt sa reconstitution moléculaire, c’est-à-dire tout un édifice de nouveaux traités et lois se substituant peu à peu au corpus de l’UE.

Soyons simple, le Brexit effectif se fera aux calendes grecques

Pour la placide Helvétie, attendre la fin de l’exfiltration la plus compliquée de l’histoire commercialo-diplomatique est le plus désastreux des choix. Car, nous n’avons pas les mêmes intérêts. Nous voulons rester dans le marché unique, la Grande-Bretagne veut en sortir. Nous convergeons, elle diverge.  Voulons-nous devenir les otages d’une incertitude, créée et gérée par d’autres que nous, au nom d’une improbable meilleure défense de notre souveraineté?

Mal préparée à l’échéance, confuse dans l’énoncé de ses prétentions, la Grande-Bretagne promet de devenir le pire cauchemar des négociateurs de l’UE au près desquels, les petits caprices suisses vont soudain passer pour attendrissants. La Suisse devrait donc foncer avec l’accord-cadre institutionnel, mettre sous toit cette rénovation de la voie bilatérale, avant que l’embrouille du Brexit ne contamine toutes les discussions de l’UE avec ses partenaires commerciaux extérieurs. C’est le moment de dire aux 27 que nous les aimons, que nous sommes naturellement de leur côté, que nous partageons avec eux les mêmes valeurs.

Je vous fiche mon billet qu’il n’en sera rien. Mais, je serai ravie d’avoir tort. Dans un monde devenu très imprévisible, il serait bon que la Suisse cesse d’être parfaitement prévisible parce que n’entreprenant rien d’un peu courageux sur la scène européenne.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/le-brexit-aux-calendes-grecques-que-va-faire-la-suisse

ASIN et UDC: que d’hésitations!

Depuis le temps qu’ASIN et UDC évoquent une nouvelle initiative contre la libre-circulation des personnes, il est cocasse de voir qu’ils n’ont toujours pas tranché entre 3 variantes.

Cette valse hésitation n’est pas digne de leur inflexible « détermination » à agir dans ce qu’ils croient être l’intérêt des Suisses !

Cela conforte l’idée qu’il s’agit plus de gesticulations sur un thème perçu comme porteur au près de l’opinion pour occuper le terrain médiatique que de la recherche de vraies solutions!

Au surplus, ASIN et UDC prétendent à nouveau qu’en cas de vote favorable à leur proposition, « Il n’y aura qu’à aller négocier avec Bruxelles ». L’honnêteté intellectuelle voudrait que ces Messieurs reconnaissent que pour « négocier », il faut que l’autre partenaire soit d’accord. L’expérience du 9 février n’aurait-elle servi à rien?

Jacques de Watteville et sa mission impossible

Les Suisses qui n’aiment pas trop les enjeux de politique extérieure l’ignorent généralement : nous avons un corps diplomatique d’excellence, nous disposons de très bons diplomates. Sans eux, le rayonnement de la Suisse sur la scène internationale ne reposerait que sur les montres et le chocolat. *

Avec raison le TagesAnzeiger a donc qualifié Jacques de Watteville, nommé mercredi par le Conseil fédéral négociateur en chef pour toutes nos discussions avec l’Union européenne, un « Grand Seigneur de la diplomatie ».

Cette réputation ne doit à rien à sa particule patricienne : le Vaudois a une carrière de haut vol, après avoir passé quelques années aux CICR comme délégué, il entre au Département fédéral des affaires étrangères. Un de ses premiers postes a été Bruxelles, où il a notamment participé aux négociations sur l’Espace économique européen. Puis il a été ambassadeur  en Syrie, à Bruxelles, puis en Chine. C’est là que Eveline Widmer-Schlumpf est allé le chercher pour qu’il soit son Secrétaire d’Etat aux questions financières internationales.

Jacques de Watteville connaît donc les arcanes bruxelloises comme sa poche, il connaît toutes les postures et toutes les ruses que la Suisse a déployées par le passé pour signer des accords avec l’Union européenne. Mais, il maîtrise aussi les enjeux de la mondialisation, c’est lui qui était en poste à Pékin quand fut signé l’accord de libre-échange avec la Chine en juillet 2013, un petit exploit de la diplomatie suisse. Cet homme a remis également « en conformité » avec les standards internationaux notre chère place financière.

Mais dans les commentaires qui ont accompagné sa désignation, il a aussi beaucoup été question de « mission impossible »!

A dire vrai, pour un diplomate, il n’y a jamais de « mission impossible ». Tout est affaire de temps comme le montre l’accord sur le nucléaire iranien. Jacques de Watteville a le réseau et le savoir-faire pour réussir. Mais l’actuel mandat de négociation du Conseil fédéral lui laisse peu de marges de manœuvre. Son travail consistera donc à ouvrir des brèches autant dans le glacis bruxellois que sur le plan intérieur. Il devra se montrer créatif, audacieux, rentre-dedans, ce qui le conduira certainement à proposer de briser quelques tabous.

La votation du 9 février a fracassé les relations bilatérales avec l’UE contre le mur d’une impasse. Tout en respectant ce vote, il faut aussi admettre que l’on en sortira seulement en faisant des efforts et des concessions. Un diplomate, aussi talentueux soit-il, ne peut pas réussir tout seul. Le premier défi de Jacques de Watteville constitue paradoxalement à pacifier le front intérieur. 

* texte paru en italien dans il caffé du 16 août

Suisse-UE: quinze mois plus tard

Il a été ferme, vaillant, offensif  *. Convoqué devant une Commission du Parlement européen il y a quelques jours, Roberto Balzaretti, ambassadeur de Suisse au près de l’Union européenne, a bien défendu nos intérêts suisses. A un euro-député qui lui faisait remarquer que la Confédération profite grandement du marché intérieur européen, il a rétorqué en substance : oui, nous en profitons, mais vous aussi, la Suisse donne du travail à des centaines de milliers d’Européens, compte tenu des taux de chômage dans certaines régions, cette réalité n’est pas négligeable.Il a été ferme, mais il n’est pas sûr que cela suffise à ébranler la position européenne affirmée avant et après la votation du 9 février 2014 : la libre-circulation des personnes est un principe non négociable. A chacun ses dogmes.Qu’avons nous obtenu en 15 mois de contact avec les Européens ? Pas grand chose : on discute, on se parle mais on ne négocie pas, c’est maigre alors que l’horloge tourne, l’initiative « Contre l’immigration de masse » contenant un date d’application brute au 9 février 2017.De plus, l’UE, au-delà de quelques belles paroles de ses dirigeants, ne va pas être d’une grande disponibilité pour passer des actuelles discussions informelles à une phase de négociation sérieuse. D’ici à 2017, elle va être prioritairement préoccupée par le referendum britannique sur l’appartenance à l’Union, un dossier autrement plus stratégique pour elle que les états d’âme des Suisses et leur impression d’être envahis, alors que leur économie se porte bien.Outre le Brexit, l’UE est focalisée sur le drame des migrants en Méditerranée, la sortie de la crise de la zone euro, l’Ukraine, le dégel avec la Russie poutinienne,…. La question des réfugiés constitue parmi tous ses casse-tête le seul où la Suisse peut démontrer concrètement sa bonne volonté et son souci de coopérer à une solution commune. Cela est dû à notre appartenance aux accords de Schengen-Dublin.Surtout, l’UE attend nos propositions, et le Conseil fédéral attend lui la fin de la procédure de consultation sur son projet de mise en œuvre.Que faire en attendant ?Les partis doivent débattre de leurs visions de l’intégration de la Suisse en Europe.  Pourquoi notre pays serait-il le seul dans lequel les élections nationales ne servent pas à débattre de politique, c’est-à-dire des solutions que proposent les partis sur les enjeux les plus cruciaux ?Il faut aussi que le gouvernement et les décideurs économiques et académiques commencent à dire la vérité : s’ils souhaitent maintenir nos relations bilatérales, les Suisses devront se résoudre à des nouveaux pas d’intégration en direction de l’UE. Car quelle que soit la solution retenue, nous devrons revoter. Il faut donc en finir avec l’UE-bashing et soigner la pédagogie.

* Texte paru dans Il Caffè le 17 mai 2015

Suisse-UE: fausse convivialité

Sur ce cliché où Jean-Claude Juncker mange sa joue avec un gros bec, elle a l’air gêné, Simonetta Sommaruga *. La Présidente de la Confédération ne s’attendait pas visiblement à une pareille effusion de la part du Président de la Commission européenne.

Mais c’est ainsi désormais, dans la grande famille des dirigeants politiques, on s’embrasse, on s’étreint, on se touche le bras, on se tappe sur l’épaule, comme des cousins qui ont plaisir à se retrouver.

C’est une sorte de convivialité 2.0, favorisée par le fait que ministres et chefs d’État échangent aussi de plus en plus souvent entre eux par sms, sans passer par le protocole, les conseillers, les traducteurs.

Les observateurs attentifs auront noté que dans les jours qui ont suivi l’accolade europeo-suisse, le nouveau premier ministre grec Tsipras a eu droit à un accueil tout aussi chaleureux de la part de Juncker que notre Présidente. Mais, comme elle, il n’a rien obtenu. Ou alors, comme elle, seulement de bonnes paroles : «  on reste en contact », comme on dit à l’issue de retrouvailles familiales ou amicales. Sur le fond, l’UE n’est pas disposée à entrer en matière sur les demandes des Grecs et des Suisses. C’est à eux qu’il appartient de résoudre les problèmes qu’ils ont soulevé. Un comportement fiscal et économique trop dispendieux pour les uns, une phobie des étrangers pour les autres.

Concentrons nous sur le cas suisse. D’où vient que Bruxelles se montre si intransigeant avec nous, alors que le 9 février 2014 est une décision démocratique qui devrait être respectée ? D’abord avant le vote, les 28 avaient largement prévenu sur tous les tons que la libre-circulation des personnes n’était pas un principe négociable. Des commissaires européens l’ont dit clairement, l’ambassadeur de l’UE à Berne l’a répété, mais une majorité de Suisses s’est fiée à l’avis de l’UDC, qui a des institutions bruxelloises une connaissance et une fréquentation pour le moins lacunaire et approximative.

Bien entendu, le Conseil fédéral avait relevé cette obstacle, tout en concédant qu’en cas de oui à l’initiative « contre l’immigration de masse », il irait négocier. Il paie désormais chèrement cette rhétorique de soumission.

Mais si les 28 se montrent inflexibles, c’est également parce qu’ils sont déçus. Après avoir accepté les accords bilatéraux, nos partenaires européens ont fini par être impressionnés par tous les votes de confirmation que nous leur avons donné (élargissement aux nouveaux membres, contribution de solidarité, Schengen-Dublin,…). Certes, ces sacrés Suisses ne voulaient rien faire exactement comme eux, mais ils se montraient loyaux, et scellaient d’un sceau démocratique leurs prudents choix européens. La bonne volonté dont avaient fait preuve les pays de l’Union était récompensée.

Patatras, le 9 février a cassé cette belle dynamique.

Pour reprendre la main, le Conseil fédéral a misé sur les soutiens des capitales contre Bruxelles. Mais là aussi, la fausse convivialité règne. L’amitié s’efface devant les intérêts et le souci de cohésion des 28. La Suisse saura-t-elle en tirer quelques leçons ?

* Chronique parue en italien dans Il Caffè de ce 8 février 2015

Tous contre l’initiative « contre l’immigration de masse »

Il est tout à fait inhabituel que le gouvernement vaudois se présente in corpore à une conférence de presse. Mais la solennité et l’importance de l’enjeu valait bien que les sept soient présents, a expliqué son président Pierre-Yves Maillard.

Au moment où les citoyens recoivent leur enveloppe de vote, le Conseil d’Etat leur recommande de:

– refuser l’initiative contre l’immigration de masse et l’initiative « financer l’avortement est une affaire privée »

– d’accepter FAIF, le fond de financement de l’aménagement de l’infastructure ferroviaire.

En cas d’acceptation du texte de l’UDC sur la réintroduction des contingents, le gouvernement vaudois redoute un retour des temps difficiles comme ceux que le canton a traversés dans les années 1990: chute de l’immigration, hausse du chômage, crise des finances publiques. Une période dépressive dont il est sorti à partir de 2002, date de l’entrée en vigueur de la libre-circulation des personnes.

Pierre-Yves Maillard a noté la conjnction de forces qui proposent, lors des votations du 9 février, des retours en arrière en refusant le développement des tansports publics, en voulant stopper l’immigration, ou en voulant pénaliser les femmes qui souhaitent avorter.

Historien de formation, le président du Conseil d’Etat souligne que les courbes de croissance comme celle de l’immigration ne montent jamais indéfiniment vers le haut, il arrive toujours un moment où elles se retournent. C’est pourquoi il faut profiter des périodes fastes comme celle que connaît le canton de Vaud pour investir dans les infrastructures, renforcer la protection des travailleurs et raffermir la cohésion sociale, cela permettra d’affronter les crises lorsqu’elles surviendront.

Depuis l’entrée en vigueur de la libre-circulation des personnes, Vaud a fait fondre sa dette iniatialement de 9 milliards de francs, il a doublé les subsides à l’assurance-maladie, et enregistré la création de 5500 emplois nouveaux par an.

Pourquoi prendre position sur des objets fédéraux? Les conseillers d’Etat notent qu’une fois les résultats et les conséquences concrètes de certains votes connus, des citoyens se plaignent parfois de ne pas avoir été suffisamment renseignés. Les Vaudois, qui ont toujours largement vité en faveur de la libre-circulation des personnes jusqu’ici, ne pourront pas dire qu’ils n’avaient pas été avertis.

Trois socialistes, trois libéraux-radicaux, une Verte, tous se sont exprimés sur les trois objets soumis au vote le 9 février, et sont sur la même longueur d’onde. Ils en ont profité pour détaillé  des mesures d’accompagnement « cantonales » comme un meilleur contrôle des sous-traitants notamment, et ont annoncé pour le premier trimestre un plan des mesures pour accroître le nombre de logements.

Sur le même sujet, dans L’Hebdo

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