Attentats de Paris: est-ce une guerre ?

Discussion avec des amis : Est-ce une guerre, est-ce que François Hollande n’a pas eu tort d’employer ce mot ? Est-ce qu’il ne dramatise pas ?

Je trouve que, de Suisse, on est mal placé pour critiquer, ou formuler ce genre de remarques.  Que dirait on ici, entre Lac Léman et Bodensee, si des attentats faisaient 128 morts et 257 blessés, dont 80 très grièvement ?

Je repense au mois de janvier, à la même mine grave et solennelle de François Hollande ou de Manuel Valls. Eux possèdent toutes sortes d’autres renseignements sur l’état réel de la menace, qu’ils ne communiquent pas pour éviter de décupler la psychose. S’ils décident de l’  « état d’urgence », c’est en connaissance de cause. Après Charlie Hebdo le mercredi, il a encore eu l’Hypercasher le vendredi. Eux savent ce qui nous attend, ce qu’ils espèrent déjouer en mobilisant les forces de sécurité au plus haut niveau, ce qu’ils ont aussi empêché d’advenir.

Je lis dans les réactions rapides des autres chefs d’Etat la même conscience du danger.

Est-ce une guerre ? Sur une barbarie semblable, il est difficile de mettre des mots.

Il me semble que oui : l’ennemi est impitoyable, il frappe sans pitié, ne respecte plus aucune règle à l’égard des populations civiles, c’est même elles qu’il cible en priorité.

Simplement, il n’y a pas de ligne de front.

Le front est partout.

Au bas de la rue.

A la terrasse d’un bistro.

Dans une salle de spectacle.

Dans un métro.

Dans un train.

Dans un avion.

Cet ennemi tue à l’aveugle, mais il veut aussi anéantir nos modes de vie, notre art de vivre l’âme légère et le cœur curieux des autres. Il exècre nos libertés. Cet ennemi nous déteste tellement, qu’il est prêt à mourir, à s’ôter la vie, pour faucher les nôtres. Sa détestation de ce que nous sommes, des foules anonymes et joyeuses qui sortent un vendredi soir,  est telle qu’elle l’amène  à se nier tout droit à un avenir, à la vie.

L’Europe s’était débarrassée de la guerre, après en avoir traversé deux d’une intense barbarie. Les guerres d’ailleurs reviennent en son cœur.

Ces terroristes fous de haine sont des fascistes. L’Europe a déjà vaincu le fascisme. Les terroristes ne gagneront pas. Nous serons plus forts. Nos libertés sont plus fortes que leur haine. Notre tolérance plus forte que leur aveuglement.

C’est une guerre, le front est partout, mais nos meilleures armes sont nos valeurs. Elles se dressent comme le plus efficace des remparts.

Charlie Hebdo: vive la liberté des insolents

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N’importe qui peut écrire n’importe quoi sur les réseaux sociaux, mais les journalistes et les dessinateurs devraient payer de leur vie leur insolence?

C’est la première réflexion qui m’est venue à l’esprit : dans quel monde vit-on ? La toile est submergée d’avis et d’analyses débiles, sans queue ni tête, et on voudrait supprimer des journalistes, des dessinateurs, qui font métier d’opinion ?

Pourquoi tant d’intolérance, de lâcheté, de stupidité ? Au nom de quoi des salauds décident d’attaquer une rédaction à la roquette ?

Ensuite, l’émotion m’envahit. Quelque chose du même ordre que le 11 septembre 2001. Choc, stupeur. Un collègue a ce mot un peu plus tard : « C’est notre 11 septembre des journalistes. »

Mais, je suis journaliste, alors j’essaie de mettre mes émotions en veilleuse, de prendre de la distance, de réagir en professionnelle de l’information.

C’est un attentat au coeur de Paris, un attentat contre la démocratie, un attentat au pays qui a inventé les droits de l’homme. C’est un attentat au coeur de l’Europe et de ce qui fait sa précieuse singularité : un espace de liberté sans précédent dans l’histoire.

L’Europe a mis des siècles à sortir de la censure et de l’arbitraire. La liberté d’opinion, la liberté de la presse sont des conquêtes fragiles.

Je suis choquée, indignée, mais rien n’ébranlera ma conviction : nos démocraties seront plus fortes que tous les intolérants et les fanatiques qui tentent de l’abattre. C’est prouvé scientifiquement, historiquement* : à la fin, les démocraties gagnent toujours. Parce qu’elles sont plus fortes. Parce ceux qui n’ont pas peur des critiques, des remises en question, fussent-elles cinglantes, décident mieux, s’appuyent sur plus de légitimité, forcent l’admiration et la loyauté des citoyens.

Sur twitter un correspondant anonyme réagit à ma réflexion : « n’écrivez pas n’importe quoi écrivez en disant vrai sans le politique »ment » correcte ». J’hésite à répondre comme toujours aux apostrophes anonymes. En fait, Messieurs les censeurs, je m’en fiche de savoir si je suis « politiquement correcte » ou pas. Ce que je veux, c’est être libre, et libre de mes opinions. La Vérité avec un grand V, c’est comme la Pureté avec un grand P, l’Absolu avec un grand A, je m’en méfie, je sens le danger. Je préfère l’honnêteté intellectuelle et la tolérance.

Cette liberté de s’en prendre aux puissants en riant, en caricaturant à outrance, en frappant trash comme le faisaient nos collègues assassinés de Charlie Hebdo avec un culot monstueux, je la revendique pour moi, pour tous, pour le monde entier.

Vive la liberté des insolents, hommage à Cabu, Charb, Wolinski et Tignous et à toutes les victimes de bourreaux imbéciles .

* Lisez Ian Kershaw: Choix fatidiques: Dix décisions qui ont changé le monde (1940-1941), qui compare les décisions de Churchill, Staline, Hitler, Mussolini,…  Le meilleur plaidoyer pour les contradicteurs

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