Femmes: on double la mise

Ravie que la représentation féminine au Conseil d’Etat genevois double, et ravie que se soit une élue PLR, Nathalie Fontanet !  Elle rejoint Jacqueline De Quattro dans le club des conseillères d’Etat de droite romandes où là encore elle double la représentation. On a donc actuellement en Suisse romande dix conseillères d’Etat, 7 issues du PS, deux PLR et une Verte. J’espère que c’est de bon augure pour Karin Keller-Sutter.

Pour ceux qui souhaitent une vision nationale, le tableau de l’OFS: https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/politique/elections/gouvernement-cantonaux.assetdetail.5186041.html

 

Genève: j’y vis mais je n’y vote pas

Le taux de participation aux élections est calamiteux. C’est d’autant plus préoccupant dans un canton qui exclut 40% de ses résidents du droit de vote. Pour (ré)ouvrir le débat sur la citoyenneté, notre chroniqueuse envisage des mesures extrêmes: priver de futures manifestations les râleurs qui n’ont pas voté.

Pierre Maudet engrange un joli succès personnel: il est le seul élu du premier tour des élections genevoises. Avec 50’180 voix, il dépasse le seuil de la majorité de 1169 suffrages. En 2013, le libéral-radical s’était déjà placé en tête du premier tour. Il fut élu au second avec 59’057 voix, grâce à un taux de participation de 41,05%, il est vrai, alors que celui enregistré ce 15 avril 2018 est particulièrement calamiteux: 38,7%.

Hors la consécration de son champion, dont l’aura n’a en rien été flétrie par l’infructueuse candidature au Conseil fédéral, la performance du corps électoral genevois est décevante. On ne parle pas ici des résultats des partis mais des chiffres de l’engagement citoyen.

Le canton de Genève a entrepris pas mal d’efforts pour motiver les électeurs, notamment les jeunes avec le concours cinécivic. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’effet de mobilisation n’est pas retentissant. Il y avait pourtant 31 candidats au gouvernement, 13 listes pour le Grand Conseil, offrant 623 noms. Bref, il y en avait pour tous les goûts, mais cela ne suffit vraisemblablement pas à motiver les membres du plus grand parti du canton, celui des abstentionnistes.

Le phénomène est d’autant plus inquiétant, si on rapporte la base électorale à celle de la population, qui compte 40% d’étrangers. Genève est à deux doigts de compter un demi-million d’âmes sur son territoire (498 221 selon les dernières statistiques). Parmi elles, pas loin de 400’000 adultes, mais seuls 262’541 ont le droit de vote. Parmi eux, un peu plus de 101’000 ont voté, mais compte tenu des enveloppes vides ou des bulletins nuls, on arrive à 98’020 citoyens qui se sont valablement exprimés. Et, parmi eux, plus de la moitié ont inscrit le nom de Pierre Maudet.

Force est de constater que le meilleur élu de la République et canton de Genève l’a été par 12% des adultes y vivant. Si la légitimité de ce résultat ne saurait être remise en cause, on peut être interpellé par la portée de l’abstentionnisme sur la représentativité des élus, essentielle au bon jeu démocratique.

Devrait-on interdire de futures manifestations de contestation celles et ceux qui ne vont pas voter? Peut-on vraiment se plaindre des élites ou de l’existence d’une «caste de décideurs, coupés de la population», quand on n’use pas de son droit de vote? Les parfaits démocrates, que nous prétendons tous être en Suisse, peuvent-ils se satisfaire à long terme de ne pas respecter le principe républicain «pas de taxation sans représentation»? L’atrophie des débats publics ne tient-elle pas au fait que 40% des habitants en sont exclus ?

Ces questions sont récurrentes, même si Genève est un des cantons qui naturalisent et régularisent le plus d’étrangers. La décrue des mouvements populistes et antifrontaliers offre peut-être l’occasion de nouveaux débats sur le droit de vote des étrangers résidents de longue date, ou sur d’autres modes de participation aux décisions. Historiquement, les citoyens genevois se veulent des citoyens du monde, particulièrement ouverts. Depuis une bonne décennie, le MCG a confisqué l’appellation, «citoyens genevois» dans une perspective d’exclusion. Il est temps que les autres partis imaginent des stratégies plus englobantes pour qui vit sur le territoire de la République.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/geneve-j-y-vis-mais-je-n-y-vote-pas

Genève, l’art de la division

 

Genève vient de vivre sa première législature de cinq ans. * Cette plus longue durée a-t-elle permis à l’un des plus riches cantons de résoudre ses problèmes ? Pas vraiment : à 5,2%, le taux de chômage y reste le deuxième plus élevé du pays derrière Neuchâtel, la mobilité et le logement sont toujours des casse-tête.

Face à ses difficultés récurrentes, la République peine à jouer l’union sacrée. Le paysage politique est plus fractionné qu’ailleurs : cinq partis sont représentés au Conseil d’Etat, mais obtenir une majorité au Grand Conseil relève de la prouesse. Celui-ci est divisé en sept partis (et une poignée de hors-parti) qui constituent trois blocs de poids à peu près égal, gauche, droite et populiste.

Dès lors, un des principaux enjeux des élections du 15 avril est de savoir si l’organe délibérant demeurera indomptable. Trois listes se disputent le vote populiste et contestataire : l’UDC, le Mouvement citoyen genevois et une dissidence du MCG, lancée par son tonitruant fondateur Eric Stauffer, Genève en marche.

Paradoxalement, le MCG peut se targuer d’un beau succès : son conseiller d’Etat, élu il y a cinq ans, l’ancien conseiller national Mauro Poggia, est très estimé, notamment pour le combat contre le coût prohibitif des primes d’assurance-maladie, qu’il mène en tandem avec son collègue vaudois, et socialiste, Pierre-Yves Maillard. Son score pourrait toutefois pâtir des déboires de son parti, englué dans des problèmes de personnes.

C’est un trait de cette campagne, plutôt que de parler des problèmes de fond, et de leurs solutions, il fut beaucoup questions d’affaires. La conseillère d’Etat socialiste Anne-Emery-Torracinta, seule femme du gouvernement, est contestée, pour avoir mal géré les révélations de harcèlement suite à l’affaire Tarik Ramadan, naguère prof dans un collège genevois.  Et, c’est là, un autre enjeu des élections. Par le passé, les Genevois ne se sont pas privés de renvoyer à la maison des conseillères d’Etat au bilan respectable, mais à la communication maladroite. Dans un canton qui a offert deux conseillères fédérales, le risque existe qu’au soir du second tour, le 6 mai, il n’y ait qu’une seule élue au gouvernement.

En 2013, le PDC avait imposé à la surprise générale deux  des siens. Leur posture gouvernementale est diamétralement opposée : Luc Barthassat (ancien conseiller national) est hypercommuniquant mais peu efficace, alors que Serge Dal Busco est un chef du Département des finances discret mais respecté, d’autant qu’il a su réduire l’importante dette genevoise d’un bon milliard de francs.

Le PLR doit, lui, remplacer le président sortant, François Longchamp, qui quitte le gouvernement après trois législatures. La présidence est promise à Pierre Maudet, candidat malchanceux au Conseil fédéral contre Ignazio Cassis. Comme Pierre-Yves Maillard, qui avait concouru au gouvernement fédéral quelques mois avant les élections cantonales, le désormais quadragénaire Maudet devrait enregistrer un score canon et parvenir en tête des résultats.  A défaut d’être soudé pour gérer son insolente richesse, le canton tient au moins son champion.

* Texte paru dans l’hebdomadaire Il Caffè ce 8 avril 2018

http://caffe.ch/section/il_commento/

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Italie entre illusions perdues et désespoir européen

 

Il n’y a plus d’Europe des nations, quoi que prétendent les nationalistes. Il n’y a plus de petits espaces refermés sur eux-mêmes, imperméables à ce qui survient par delà leurs confins. L’abolition des frontières commerciales, la création du marché unique, l’instauration d’une monnaie commune ont liés les pays de l’UE entre eux dans une profonde interdépendance de faits, que les souverainistes refusent pathétiquement de considérer. Ce qui se passe chez les partenaires concerne tous les membres du club, a des effets sur leur propre capacité à agir ou avancer dans la résolution des problèmes. La construction européenne passe pour un chef d’œuvre de technocratie, mais c’est une vue très partielle et partiale des forces qui la travaillent: l’UE est chaque jour un peu plus un espace public, collectivement influencé par des échéances politiques nationales.

Ainsi, depuis septembre dernier, toute l’Europe a eu les yeux rivés sur Berlin et les incroyables difficultés endurées par Angela Merkel pour obtenir une coalition gouvernementale. Sa réussite ou son échec étaient jugés cruciaux pour tous les partenaires de l’Allemagne. Dimanche matin, lorsque la base du SPD a donné son feu vert à la GroKo (Grosse Koalition), des soupirs de soulagement ont dû se faire entendre à Bruxelles, à Paris et dans toutes les capitales.

Entre Mission Impossible et illusions perdues

Répit de courte durée. A peine une petite demi-journée. Sur le coup des 23 heures, les premiers sondages sortis des urnes donnaient le Mouvement 5 étoiles en tête des élections italiennes, scellant l’écroulement du Parti démocrate, leader de la coalition au pouvoir à Rome depuis 2013.

C’est comme si Angela Merkel avait filé la cassette de Mission impossible à Sergio Mattarella. Pour la première fois depuis sa propre très laborieuse élection en 2015, le président de la République italienne est en charge de gérer un imbroglio électoral inédit: un mouvement anti-système en tête, des partis traditionnels gouvernementaux de droite ou de gauche blackboulés, une extrême droite anti-immigrés en pleine forme, et quelques petites formations intransigeantes qui monnaieront cher le ralliement de leurs députés ou sénateurs à une coalition susceptible d’obtenir une majorité dans les deux Chambres.

On ne peut pas comprendre cet éparpillement des forces en trois blocs, dans une démocratie pourtant fortifiée par maintes crises passées, sans le situer dans une perspective européenne.

Les illusions perdues des Italiens, gavés de promesses électorales jamais vraiment tenues, marquent aussi une déception par rapport à une Europe protectrice, qu’ils ont longtemps considérée comme un rempart contre leur propre impuissance et leur propension séculaire pour les divisions. Roma ladra, Rome était une «voleuse», mais ce n’était pas si grave, puisque l’UE offrait d’une part un cadre législatif lointain, propice au dynamisme des régions du Nord et du Centre, et, d’autre part, tant de subventions au Sud, chroniquement malade.

La résurgence d’un fascisme décomplexé

Les membres de l’UE n’ont pas voulu/su aider les Italiens dans la gestion de la crise migratoire. A l’exception de l’Allemagne, ils ont refusé d’en partager le fardeau comme si la géographie pouvait justifier que la péninsule s’en charge seule et à perpétuité. Résultat, une explosion de discours et d’actes racistes, et même la résurgence d’un fascisme décomplexé («Casa Pound» met d’intimidants autocollants «Ici habite un antifasciste» sur la porte de ses adversaires). Les Européens après s’être bandé les yeux seront malvenus de se boucher le nez.

La migration est un de ces problèmes majeurs du XXIe siècle qui requière des solutions supranationales, c’est-à-dire, pour le Vieux Continent, imaginées et mises en œuvre à l’échelle européenne. Il devient urgent de changer les règles Dublin sur le premier pays d’accueil, et sur la possibilité de débarquer en avion pour déposer une demande d’asile ou de séjour plutôt que rançonnés par des passeurs sans scrupules. Si l’UE ne parvient pas à gérer collectivement la crise migratoire, le score canon des 5 étoiles ne fera que préfigurer celui des autres mouvements populistes dans maints pays membres. Trois blocs de poids électoral à peu près équivalent, c’est un défi pour les démocraties fondées sur la règle de la majorité (50+1). Il vaudrait mieux éviter la contamination de l’ingouvernabilité.

Dépression démographique

L’autre mamelle du chaos actuel est l’économie. Après une décennie de crise financière, l’UE se targue d’avoir globalement renoué depuis 2014 avec une croissance forte et durable, supérieure à celle du Japon ou des Etats-Unis. Le hic, c’est que la plupart des Italiens n’en ont pas vraiment vu la couleur. En dépression démographique, la péninsule tarde à «repartir», comme le promettait Matteo Renzi, lorsqu’il devint à la hussarde premier ministre. L’effet des réformes, comme celle du code du travail, reste ténu.

Les jeunes paient un lourd tribut: chômage, précarité ou exil. Or, dans un pays qui a peu d’enfants, leur sort importe plus aux aînés, à leur tour déprimés, et donc peu portés à dépenser leur épargne, et donc à vivifier la croissance. Au sentiment de ne pas profiter comme les autres pays de l’embellie s’ajoute, dans ces générations de seniors, le souvenir douloureux du passage à l’euro, qui avait déjà passablement rogné leur pouvoir d’achat.

A coup de dévaluations compétitives de la lire, l’Italie a longtemps vécu à crédit et entretenu le mythe du miracle économique de l’après-guerre. A cause du cadre européen, elle s’est forcée à plus de vertu, parce que, troisième économie du marché unique et puissance industrielle renommée, il était inenvisageable qu’elle n’entre pas dans la zone euro. Mais elle l’aura payé cher, depuis ses premiers efforts pour être qualifiée dans les années 1990 à aujourd’hui.

Mussolini précéda Hitler. Berlusconi annonçait Trump

Dans ce contexte, le bouc émissaire européen a bon dos, mais il ne peut ignorer que la persistance de la crise sociale en Italie signale un problème de fond qui mine toutes les démocraties: l’absence de mécanismes de redistribution solides qui empêchent les sans-emplois de sombrer dans la pauvreté. Contraints à l’austérité budgétaire pour rembourser leurs abyssales dettes, les gouvernements européens ont drastiquement réduit les dispositifs d’aide sociale. Il serait temps d’inverser la tendance. Le développement de l’Etat providence, après-guerre, se voulait un rempart contre la précarité qui avait fait le lit du fascisme et du nazisme. Toute préoccupée de plaire aux marchés et aux instituts de notation financière, l’UE aurait-elle oublié ce fondement de son histoire?

En matière de reconfiguration du paysage politique, l’Italie aura été souvent une pionnière, malgré elle. Mussolini précéda Hitler. Berlusconi annonçait Trump, et les sécessionnistes de la Lega Nord les autonomistes catalans.

Naguère, on disait le clientélisme roi dans la Péninsule, héritier laïc du népotisme papal. Le clientélisme avait été sérieusement ébranlé par «Mani Pulite», il y a 25 ans déjà, qui conduisit à la disparition de la démocratie-chrétienne et du parti communiste, piliers de la République depuis la fin de la guerre et du fascisme. Désormais, dans un pays nostalgique de son formidable essor économique des années 1960, c’est le consumérisme qui règne. Un consumérisme exalté, exacerbé par les litanies publicitaires des chaînes de télévisions privées, et qui s’étend au champ politique.

Anti-ceux-qui-ont-eu-l’occasion-de-faire-leurs-preuves-mais-ont-déçu

Dans les urnes, l’issue de ce week-end était attendue, agitée comme un avertissement depuis l’arrivée fracassante de Beppe Grillo et de ses invectives contre la caste politique. Après avoir voté massivement pour la droite, puis pour la gauche, les Italiens ont décidé d’essayer 5 étoiles, le mouvement anti-système, donc anti-ceux-qui-ont-eu-l’occasion-de-faire-leurs-preuves-mais-ont-déçu, ils votent pour un Di Maio qui n’a pas encore failli, après avoir cru à Berlusconi, puis à Renzi. Il y a dans ce choix du dépit, de la rage, et un faible espoir que, cette fois-ci, l’homme qui se dit providentiel le soit. Cela tient de la pensée magique, mais cela a l’air de marcher chez le voisin français.

La tentation du neuf par rapport aux anciens, cela rappelle en effet le succès du Mouvement en marche d’Emmanuel Macron, avec un horizon idéologique bien sûr très différent, mais une promesse identique: nous, nous n’allons pas gouverner comme les autres, nous, nous serons plus en phase avec les citoyens et leurs besoins réels. Sauf que c’était déjà une des postures de Matteo Renzi. Le wonderboy florentin s’est employé à mettre à la casse les vieux caciques de la classe politique, semant ainsi les germes de la division de la gauche, qui lui ont fait perdre ces élections 2018, malgré un bilan gouvernemental honorable.

Une improbable résilience

Il est trop tôt pour dire dans quels délai et configuration le président Sergio Mattarella réussira à introniser un nouveau gouvernement. Sachez qu’en italien la GroKo allemande se dit larghe intense (littéralement: larges ententes). Durant la législature 2013-2018, l’alliance forcée et contre-nature du parti démocrate et de «Forza Italia» a survécu à trois changements de premier ministre et au bannissement parlementaire de Silvio Berlusconi.

L’exemple de cette improbable résilience va guider Mattarella. Qui dispose toutefois d’autres cartes dans sa manche. La première est classique: la République a déjà connu maints gouvernements dits techniques, composé d’experts. Si les leaders des partis refusent de s’entendre, des technocrates seront provisoirement mis au pouvoir (en attendant des élections anticipées aux résultats encore plus aléatoires). La seconde est plus inattendue: le parti anti-système qui vient de se hisser en tête veut devenir le système. Contrairement à Beppe Grillo son créateur, son actuel leader Luigi Di Maio veut gouverner – une ambition qui devrait le rendre souple et raisonnable.

Austère et pragmatique

En sa qualité de «plus jeune vice-président de la Chambre des députés», ce trentenaire a accompli ses classes institutionnelles, lui qui n’a aucun diplôme et une expérience professionnelle limitée. Il a déjà mis de sérieux bémols au discours antieuropéen de Grillo. L’étalage des difficultés du Brexit a d’ailleurs vacciné beaucoup d’Italiens contre la perspective vengeresse d’une sortie de l’euro. Au surplus, dans son positionnement ni de gauche, ni de droite, le Mouvement 5 étoiles se targue d’être pragmatique.

Entré en politique à la suite de l’assassinat par la mafia de son frère, Mattarella est un homme austère, très soucieux de la dignité des institutions qui lui ont été confiées. Quoi de plus naturel pour un spécialiste de droit constitutionnel! Les Européens connaissent peu ce Sicilien de 76 ans. Mais dans le bruyant chaos romain qui va s’installer pour quelques semaines, il est leur plus sûr allié. Lui se fera un devoir de ne pas les décevoir.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/l-italie-entre-illusions-perdues-et-desespoir-europeen

L’Italie des illusions perdues

C’est un slogan trumpiste détourné qui témoigne du profond désarroi qui saisit les Italiens au moment de voter: « make Italia antifascista again ». Il figurait sur des pancartes de manifestants l’autre jour à Rome, effarés du climat raciste qui a marqué la campagne. Encore quelques jours et l’on connaîtra le verdict, on saura si l’Italie replonge dans une crise d' »ingouvernabilité » dont elle détient assurément le record au sein des démocraties européennes.

Vu de l’extérieur, l’issue des élections du 4 mars déconcerte d’avance. Les sondages annoncent pêle-mêle un haut taux d’abstention, le retour de l’honni Silvio Berlusconi aux affaires, un triomphe du Mouvement 5 étoiles,  une amère défaite pour le parti démocrate (qui vient pourtant de diriger le pays à la tête d’une coalition improbable pendant 5 ans avec un bilan somme toute respectable), et aucun parti assez fort pour pouvoir rafler la majorité et gouverner sans s’entendre avec quelques autres.

Comment appréhender cette chronique d’une confusion annoncée? Une analyse in anteprima ( en avant-première). 

Premier point: dans l’histoire, l’Italie a souvent été à l’avant-garde des évolutions politiques majeures, pour le meilleur ou pour le pire. Elle a subi le fascisme comme la télécratie et le dévoiement people de la politique ou le populisme antieuropéen avant d’autres. En matière d' »ingouvernabilité », on se gardera de juger trop péremptoirement de possibles difficultés à constituer un gouvernement détenant la majorité dans les deux chambres au vu de ce qui vient de se passer en Allemagne.

Deuxième point: le retour de Berlusconi et de Forza Italia signale que l’effondrement idéologique n’est pas seulement l’apanage des partis de gauche, mais que la droite libérale et républicaine est elle aussi laminée par le populisme. Contraint de quitter le gouvernement sous les huées,  condamné et inéligible, Berlusconi a réussi à revenir sous les projecteurs faute de mieux. Si Forza Italia gagne, ce sera par défaut.

Troisième point: l’Italie est en dépression démographique. C’est un pays de vieux, qui n’offre aux jeunes générations que trois possibilités, le chômage, la précarité ou l’exil. Allez bâtir un nouveau miracle italien sur de tels fondements!

Quatrième point: les partenaires européens seraient bien inspirés de ne pas trop critiquer les affres de la vie politique italienne, car ils se sont totalement désolidarisés de la gestion de la crise migratoire dont elle a hérité en première ligne du fait de sa géographie. Membres fondateurs de la communauté européenne, les Italiens ont longtemps comptés parmi ses plus fervents soutiens. L’introduction de l’euro et ses effets sur leur pouvoir d’achat avait commencé à doucher leur enthousiasme. Le poids de la crise migratoire a achevé de les faire douter.

Cinquième point: face aux rodomontades populistes  du mouvement 5 étoiles, une petite femme énergique s’est dressée et fait campagne sur les valeurs européennes avec la détermination de ceux qui n’ont jamais renié leurs convictions. Il s’agit d’Emma Bonino sur la liste « più Europa » (plus d’Europe).  Des sondages ont placé cette septuagénaire dans le trio de tête des personnalités les plus crédibles. Infatigable militante des droits de l’homme et de la femme, membre des Radicaux, députée à la Chambre, au Sénat, au parlement européen, elle a aussi été ministre des affaires étrangères et commissaire européenne. Dans ces élections si incertaines, elle est une figure morale de référence.  L’Italie attend toujours un homme providentiel qui la guérisse en quelques coups de baguette magique de ses maux. Il serait temps que ce pays veuille bien considérer que les femmes, comme Emma Bonino ou Laura Boldrini (présidente sortante de la Chambre) pourraient être « providentielles ». Peut-être pas magiciennes, mais plus intègres et déterminées  que ceux qui, comme Silvio Berlusconi ou Matteo Renzi, ont fait du pouvoir une affaire trop personnelle.

Sixième point:  à moins d’un miracle et de magistrales erreurs des instituts de sondage, les résultats des élections italiennes seront le fruit du profond désenchantement qui étreint un pays que l’on voudrait voir comme celui de la  dolce vita éternelle, tant il a nourri l’imaginaire européen depuis plus de deux millénaires. Pour capter les racines de cette lente descente aux enfers, je recommande deux lectures de romanciers chroniqueurs des illusions perdues. D’abord l’énigmatique Elena Ferrante dont la saga « L’amie prodigieuse » retrace les espoirs et les difficultés d’après-guerre, l’effervescence près et post-soixantehuitarde, la tentation de la violence terroriste, l’emprise mafieuse persistante, la dilution consumériste, en suivant les vies contrastées de Lenù et Lila.  Ensuite, moins connu, le roman de Francesco Pecoraro « La vie en temps de paix », paru en traduction française l’an dernier*. Un premier chapitre époustouflant pour nous introduire au près de l’ingénieur Ivo Brandani, des pages extraordinaires de férocité sur ce que les politiques attendent des ingénieurs, une chronique de l’universelle prétention des intellectuels à la distanciation « je ne suis pas comme eux ». Au total, une plongée dans l’Italie de la fin de la guerre à nos jours, un éclairage un rien désespéré sur les racines de sa décadence actuelle, les occasions manquées et les illusions perdues.

 

  • Editions JC Lattès

ça bouge à Bruxelles… et à Berne?

Grand chambardement aujourd’hui au sommet de l’UE    https://www.rtbf.be/info/monde/detail_l-allemand-martin-selmayr-devient-secretaire-general-de-la-commission-europeenne?id=9846412. Conséquence inédite: trois Allemands sont désormais placés aux  postes-clé de secrétaire général des institutions européennes: Martin Selmayr pour la Commission, Helga Schmid (une très bonne connaisseuse du dossier suisse) au Service européen pour l’action extérieure (SEAE), et Klaus Welle au Parlement européen.

N’allons pas nous imaginer, nous autres Suisses, que cela ne nous concerne pas. L’an prochain, il n’y aura pas que NOS élections fédérales, il y aura aussi les élections européennes. Jean-Claude Juncker va céder sa place à un nouveau président de la Commission.

Le Conseil fédéral serait bien inspiré de mettre rapidement sous toit un accord de sécurisation de la voie bilatérale pendant que Juncker est encore là. Le Luxembourgeois est bien mieux disposé à notre égard qu’on ne le perçoit généralement ici.

Le nouveau Secrétaire d’Etat Balzaretti a quelques semaines (grosso modo jusqu’à l’été)  pour réaliser une percée décisive. Pour autant qu’on lui laisse les coudées franches pour travailler. Et pour autant qu’un départ de Doris Leuthard ne vienne pas distraire l’attention…. La Suisse a déjà perdu trop de temps avec le retrait de Didier Burkhalter. 

Le risque de la procrastination à laquelle la Berne fédérale, présidents de parti en tête, aime tant s’adonner?  Que les négociations du Brexit ne viennent tout brouiller pour longtemps. 

La politique fédérale en 2018: une année de stress test

 

«Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout.» Cette citation parfaite pour nos démocraties aux majorités improbables, écartelées entre les partis classiques de gauche et de droite et les mouvements populistes, on la doit à Henri Queuille, ministre de la III ème et de la IV ème République en France. Ce constat cynique pourrait être l’épitaphe de 2017. Sur beaucoup de sujets, la politique fédérale n’est guère parvenue à avancer.

Alors, pour 2018, on prend les mêmes et on recommence. N’en déplaise à Monsieur Queille ! Ainsi va la politique: aussi longtemps que l’on n’a pas trouvé de solution, il faut remettre l’ouvrage sur le métier. En Suisse, la tentation est toujours grande de procrastiner, de remettre à beaucoup beaucoup plus tard ce qui semble trop compliqué à résoudre. Mais là, on a trop attendu: l’effet boomerang menace. Les psychanalystes appellent aussi cela le retour du refoulé.

Vous n’avez pas voulu trouver une solution viable et consensuelle sur les relations avec l’Union européenne ou l’avenir de nos retraites ? Vous n’avez pas su adopter une fiscalité conforme aux nouveaux standards internationaux ? Comme à l’école, les mauvais élèves vont devoir reprendre leur copie!

Le problème en Suisse est qu’il est difficile de désigner les mauvais élèves. Le peuple qui n’a pas entériné les réformes proposées ? Impensable de formuler les choses de cette manière. Alors le Conseil fédéral et les Chambres? Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. S’il faut désigner des coupables, la responsabilité des réformes avortées revient plutôt, à mon sens, aux partis et aux chefs de partis : incapables de s’entendre, incapables de trouver des consensus. Depuis 25 ans, la culture du compromis, c’est-à-dire d’une entente entre les forces de droite et de gauche qui toutes doivent accepter des concessions, a été vilipendée. On lui a préféré la polarisation, la confrontation stérile. Nous en payons le prix, une léthargie réformatrice (qui contraste avec une économie encore résiliente malgré les chocs de la révolution digitale).

L’année 2017 s’annonçait faste: le Parlement venait d’accoucher d’une solution de mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, agrée par l’UE. Pour bien se défendre à l’extérieur, il faut être unis à l’interne. Mais l’année s’est mal terminée comme on sait. Dans le dossier européen, il y a eu festival de rodomontades : de la part de la présidente du PLR et, comme d’habitude, de la part de l’UDC. Tout est à refaire.

Un an avant le rush des élections fédérales, les douze mois de 2018 offrent de dernières opportunités pour trouver des solutions, afficher un bilan. Ce sera également un camp d’entraînement: comment le nouveau collège, présidé par Alain Berset, qui vient d’accueillir Ignazio Cassis mais qui pourrait perdre sa pierre angulaire en la personne de Doris Leuthard, va-t-il fonctionner ?  Va-t-il administrer les affaires courantes ou se montrer audacieux ? La formule 4 Alémaniques, 2 Romands, 1 Tessinois offre au gouvernement une légitimité rare. Elle devrait permettre d’avancer. Tout comme la présence de deux UDC devrait apparaître comme une force de proposition et non d’obstruction.  Sinon à quoi bon, lors des élections au Conseil fédérale, se soucier autant de la représentativité des forces et des sensibilités ? 2018 sera une année de stress test pour nos institutions.

Six noeuds à trancher: 

No Billag : grounding pour la SSR ? 

En temps normal, l’initiative extrémiste « Oui à la suppression des redevances radio et télévision » aurait dû être balayée d’avance, promise à un croupion de 25% de oui.  Les initiants s’y sont repris à trois fois pour récolter les 100 000 signatures valables. Mais nous ne vivons plus en des temps normaux, nous ne sommes plus naturellement vaccinés contre la démagogie et le populisme. De premiers sondages ont dessiné la possibilité d’une acceptation d’un texte destructeur pour la solidarité confédérale. Le 4 mars, il ne s’agira pas de supprimer une taxe : si No Billag passe, la SSR perdra ¾ de son financement et n’aura donc plus les moyens d’exercer sa mission. Elle devra mettre la clé sous la porte, licencier en masse ses employés, et se muer peut-être en chaîne d’informations en continu sur le web.  Avec elle, 60 radios et télévisions privées, qui bénéficient de la redevance, perdront une source de financement essentielle.

La SSR est la seule institution suisse linguistiquement décentralisée. Son abolition serait un séisme dans un paysage médiatique déjà ravagé par la baisse des recettes publicitaires. Elle signifierait la fin d’une certaine idée de la Suisse, solidaire grâce à un système bhdbdhbak marché audiovisuel mmmsuel aire gre dans un paysage médiatique déjà ravagé par la baisse des recettes publicitaires. Epéréquatif particlièrement favorable aux minorités latines. Question subsidiare : un oui précipitera-t-il le départ de Doris Leuthard, ou au contraire la motivera à rester pour gérer le chaos du grounding de la SSR et poser les bases d’une reconstruction ?

Projet fiscal 2017 : une nouvelle bataille de chiffres ?

Si Ueli Maurer veut réussir son coup, il devrait peut-être envisager de trouver un autre nom pour le projet de réforme fiscale des entreprises qui doit mettre la Suisse en conformité avec les standards internationaux prônés par l’OCDE et l’UE : « PF17 » donne un sentiment de « Retour vers le futur ». La Réforme des entreprises 3 (RIE3) a été refusée l’an dernier. Le Chef du Département des finances en proposera aux Chambres d’ici le printemps une version simplifiée. La procédure de consultation a montré un certain désappointement des cantons. La part des recettes de l’impôt fédéral direct, qu’ils devraient toucher comme compenser les pertes, a été abaissée à 20,5% alors qu’elle était de 21,2% dans RIE3.

Autre motif de discorde, la mise en œuvre de PF17 est prévue au plus tôt pour 2020 – ce qui va perpétuer l’agacement de nos partenaires européens. La Conférence latine des chefs des départements cantonaux des finances prie le Conseil fédéral d’accélérer le tempo et de viser 2019. Dans une conjoncture de reprise économique, alors que l’administration Trump vient d’annoncer de spectaculaires baisses d’impôts, il serait téméraire de laisser les entreprises établies en Suisse trop longtemps dans l’incertitude sur leurs perspectives fiscales. La fiscalité est traditionnellement une arme de la souveraineté nationale. Mais dans ce dossier comme dans tant d’autres, la Suisse ne peut s’abstraire de l’environnement international.

L’Europe : jusqu’où appuyer sur le « reset » ?

On fêtera en 2019 les 30 ans du discours de Jacques Delors appelant à créer un Espace économique européen pour gérer les relations entre les pays de l’Union et les autres occupants du Vieux Continent. Depuis ce big bang, les Suisses se sont habitués aux rounds de négociation avec la Commission, aux phases de gel et de dégel, aux crispations, aux crises de nerfs et aux embrassades conviviales. Réglées les modalités techniques d’accès réciproques aux marchés, la question de fond reste toujours la même : comment gérer les différends, quand ils surviennent, en ménageant la susceptibilité et le souverainisme des partenaires concernés ? La solution EEE a été refusée par les Suisses en 1992. Le modus vivendi des bilatérales, établi dès 1999, est jugé trop lourd depuis 2008 par l’UE qui réclame une solution institutionnelle plus simple. Didier Burkhalter a démissionné faute de soutien de ses collègues à sa proposition d’accord-cadre (même s’il s’est collégialement refusé à l’admettre aussi clairement), Ignazio Cassis hérite de ce sac de nœuds. On attend de lui qu’il donne un nouvel élan, tout en sachant que, sauf la cosmétique lexicale ou la rupture, il n’y a guère d’autre solution praticable que la voie bilatérale et la reprise quasi automatique du droit européen. A moins que par « reset », le nouveau chef du Département des affaires étrangères ait imaginé remettre l’adhésion à l’UE à l’ordre du jour ?

Sauvetage de l’AVS:  vers l’union sacrée ?

C’est LA question qui angoisse le plus les Suisses : de quoi leur retraite sera-t-elle faite ? Pour rassurer et avancer, le réputé tacticien Alain Berset avait lié le sort du premier et du deuxième pilier dans son paquet Prévoyance 2020. Ce petit chef d’œuvre de tractations parlementaires n’a pas convaincu le peuple. On recommence donc en ne s’occupant que de l’AVS, et en partant du principe que le relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans est inéluctable.

Le Chef du Département de l’Intérieur est aussi en charge d’un autre casse-tête, la LaMal : avec des primes mensuelles moyennes de 460 francs par mois, le système atteint la limite du supportable, plus d’un assuré sur quatre déclare avoir des difficultés à s’en acquitter. Le vieillissement de la population et la sophistication grandissante de la médecine ne vont pas arranger la facture. Les dossiers sont plus liés qu’on ne le perçoit : quels montants de retraite digne permettront à l’avenir de se payer des soins de santé ? Le manque de terrain d’entente sur ces points cruciaux entre les principaux partis gouvernementaux est un handicap sérieux pour Alain Berset : l’alliance PS-PDC n’a plus assez de poids, il faudrait que le PLR joue à leurs côtés un rôle plus constructif.  Une sorte d’union sacrée pour assurer à long terme l’avenir de l’institution sociale la plus prisée des Suisses, qui fête cette année ces 70 ans d’existence.

 

Juges étrangers : en finir avec le mythe ?  

Que faire des textes d’initiatives en contradiction avec des engagements pris dans des traités internationaux ? Depuis un bon quart de siècle, les Suisses se torturent avec cette question. Toutes sortes de révisions des droits populaires ont été discutées, en vain. Dans le doute, il appartient au peuple de trancher. En 2018, les deux Chambres vont examiner l’initiative intitulée « Le droit suisse au lieu de juges étrangers » dite initiative pour l’autodétermination, lancée par l’UDC. Notez le marketing politique qui convoque un des éléments les plus lourds de la mythologie nationale: «les juges étrangers».

Il y a peu de doutes sur l’issue du débat:  le National les Etats vont recommander de rejeter ce texte qui mettrait la Suisse au banc des nations civilisées. Leurs discussions permettront de peaufiner les arguments en vue de la votation populaire (en 2019). Les fameux « juges étrangers » ne sont mentionnés nulle part dans la Constitution de 1848, ni dans sa dernière révision totale de 1999, ni même dans le texte de l’initiative.  Dans le concert des nations, un pays petit comme le nôtre ne peut qu’invoquer le droit international pour défendre ses intérêts :  il serait pour le moins périlleux de s’en abstraire. Les juges disent le droit. Plus que leur nationalité comptent leur intégrité et leurs compétences. Au fait, combien de médecins étrangers en Suisse, à qui nous confions nos vies ou celles de nos proches ?

Egalité : des paroles aux actes, enfin ?

L’année 2017 avait bien commencé pour les femmes avec le succès public du film «L’ordre divin» qui rappelait combien les Suissesses ont dû lutter pour obtenir le droit de vote. Elle s’est mal terminée avec, dans la foulée du scandale Weinstein, l’affaire Buttet révélatrice du peu de respect que certains élus sous la Coupole ont pour leurs consoeurs parlementaires. Le combat pour l’égalité reste un travail de Sisyphe. Cette prise de conscience encouragera peut-être les deux Chambres du Parlement à accepter le projet de Simonetta Sommaruga visant à obtenir au minimum 30% de femmes dans les Conseils d’administration. La Cheffe du Département de justice et police veut inciter les entreprises cotées en bourse à se montrer plus vertueuses : au bout de cinq ans, elles devront expliquer dans un rapport pourquoi elles ne sont pas parvenues à remplir cet objectif raisonnable. Pas de quotas contraignants, mais un enjeu de bonne réputation et d’image. Même méthode douce avec l’égalité salariale: les sociétés enployant plus de 50 personnes devront contrôler tous les quatre ans si elles respectent ce principe constututionnel et rendre les résultats publics.

On ne peut pas fustiger les discriminations dont les femmes sont encore victimes et rester les bras croisés. Hasard du calendrier législatif, les majorités masculines du Parlement auront en 2018 l’occasion de passer de la parole aux actes.

  • Article paru dans Il caffè du 14 janvier 2018: 

http://caffe.ch/stories/politica/59500_sei_nodi_da_sciogliere_nella_berna_federale/

 

 

La Suisse penche déjà à droite

Ignazio Cassis s’est moqué mercredi d’un journaliste de la RTS qui insistait sur le positionnement désormais plus à droite du Conseil fédéral : « J’ai l’impression que vous avez un problème avec la droite ».

Le « Rechtsruck », comme disent les politologues, est un fait. Sauf qu’il ne commence pas le 20 septembre 2017, mais remonte aux élections fédérales de 2015. Avec le  départ de Eveline Widmer-Schlumpf et l’arrivée de Guy Parmelin, il était déjà effectif.

Cette crainte présume que Didier Burkhalter aurait été un ministre plus à gauche. Rien n’est moins sûr. A la tête du Département fédéral de l’Intérieur, le Neuchâtelois n’a pas proposé la caisse-maladie unique, ni ne s’est lancé dans une augmentation générale de l’AVS. Dès lors, le passage au Département des affaires étrangères serait-il un signe de gauchisation ?

Il est vrai qu’à Berne, pour certains, le simple fait de défendre les droits humains sur la scène internationale vous classe à gauche. Ce n’est pas sérieux.

Dans le dossier européen, l’autre grand pilier de la politique étrangère de la Suisse, il suffit également de vouloir une entente raisonnable avec l’UE pour être taxé de gauchiste. On est là dans la rhétorique politicienne la plus émotionnelle qui soit. L’accord institutionnel, proposé par Burkhalter, a été conçu comme un moyen de consolider la voie bilatérale, afin d’éviter de se poser la question d’une adhésion à l’Union européenne. Le prochain chef du DFAE devra inventer autre chose ou l’appeler autrement, mais demeure l’impératif de trouver un moyen de gérer les accords bilatéraux en concertation avec l’UE pour éviter toute marginalisation ou pénalisation de l’économie suisse. S’atteler à résoudre ce problème n’est pas du gauchisme, c’est du pragmatisme.

Le fantasme du glissement à droite tient aussi aux politologues qui modélisent les votes des parlementaires. Ce travail scientifique d’analyse des positionnements est intéressant, mais il fige les nuances, et ne doit pas être surinterprété, surtout lorsqu’il s’agit de préjuger de l’avenir.

Le résultat du vote sur PV2020 sera un meilleur indice du rapport de forces actuel entre la gauche et la droite : deux ans après les élections fédérales, le peuple aura-t-il voulu d’un compromis forgé par le PS et le PDC, combattu par l’UDC et le PLR ? Le ton sera donné pour la deuxième partie de la législature. Si la tendance droitière devait se confirmer, la gauche a déjà promis de recourir aux referendums pour stopper ce qu’elle considérerait comme une dérive.

Mais revenons à l’acteur de la semaine. Cassis dit s’être découvert plus libéral à la faveur de son parcours parlementaire qu’il ne l’était avant son entrée en politique. Il n’en reste pas moins un minoritaire, d’ailleurs élu à ce titre, sensible à l’égalité de traitement.  Il a également choisi de devenir médecin. Un médecin écoute, pose un diagnostic et tente d’agir efficacement pour guérir son patient.

 

Le néo-élu a déclaré vouloir être un interlocuteur pour ceux qui n’ont pas voté pour lui. Un signe d’ouverture qui démontre qu’il n’a pas l’intention de rester enfermé dans des catégories. A ce stade, le glissement à droite est une spéculation. A gauche, il est vu comme une catastrophe programmée. Il faut peut-être y voir la chance d’une clarification.

Publié en italien dans Il Caffè ce 24 septembre: http://www.caffe.ch/stories/societa/58681_la_scivolata_a_destra__iniziata_gi_nel_2015/

 

Cela tient d’abord au mode d’élection: ce n’est pas le peuple qui choisit les conseillers fédéraux (et encore moins les journalistes tous «baba» devant le prodige lémanique), mais les 246 grands électeurs de l’Assemblée fédérale. Ceux-ci sont très jaloux de leur prérogative suprême. En général, ils cooptent l’un d’entre eux (ce qui leur permet de continuer à rêver qu’un jour peut-être leur tour viendra). Parfois, ils rejettent les candidats officiellement désignés par leur groupe parlementaire afin de montrer «qui commande ici». Les Suisses se moquent de l’«entre-soi» des élites parisiennes, mais l’«entre-soi» du Palais fédéral n’est pas triste non plus.

Il arrive toutefois aux parlementaires de porter leurs suffrages sur les meilleurs – ce fut le cas, par exemple, lors de l’élection de Doris Leuthard. Auparavant, les députés avaient beaucoup maltraité son parti, les démocrates-chrétiens, et ce fut une manière de se racheter, d’enterrer la hache de guerre. Oui, il arrive encore aux parlementaires d’être à la hauteur de la lourde responsabilité qui est la leur, mais c’est devenu rare.

Souvent les députés, par accident ou par combine, intronisent un à peine connu (Hans- Rudolf Merz ou Otto Stich, par exemple), un faux dur vrai mou (Johann Schneider- Ammann), des braves types dont on se demandera pendant des années comment ils se sont retrouvés là (genre Joseph Deiss). Ils ont le don d’écarter les femmes brillantes (Christine Beerli, Karin Keller-Sutter).

Plutôt que de confier un septième du pouvoir exécutif à une personnalité énergique qui fera de belles étincelles au sein du collège, les parlementaires ont tendance depuis quelques années à y placer une sympathique souris grise qui ne fera d’ombre à personne, et dont l’aura –inexistant – n’aura aucun impact électoral préjudiciable pour leurs propres partis…

Ainsi s’installe peu à peu le règne de la médiocrité tranquille. En l’absence de sparring partners à leur hauteur, même les bons du Conseil fédéral s’affadissent et plongent dans le train-train quotidien de la gestion courante des dossiers, à peine agité par quelques votations populaires…

Cette manœuvre de dévaluation du politique est si courante qu’on la camoufle derrière une explication mythologique rassurante: les Suisses, qui n’ont jamais eu de roi, n’aimeraient pas les têtes qui dépassent.

Quelle bonne blague: tous les Suisses aiment Federer et sont fiers qu’il soit le meilleur joueur de tennis de tous les temps; tous les Suisses hurlent de joie quand un des joueurs de la Nati hisse sa tête au-dessus de celles de autres et plante un but. Pourquoi devrions-nous être un petit peuple d’imbéciles heureux qui n’aspirent à rien d’autre que le maintien de son confort? Les citoyens ne demandent pas à être fiers

de leurs élus ni à les adorer comme des pop stars, ils souhaiteraient juste disposer au gouvernement de gens compétents et convaincants qui résolvent les problèmes du pays plutôt que de procrastiner d’un air profondément absorbé.

Mais, il y a peut-être une autre explication moins avouable: placer des mous au sein du pouvoir exécutif, cela arrange bien le pouvoir économique (le seul, le vrai qui compte en Suisse) afin que celui-ci puisse mener ses affaires à sa guise sans que l’Etat ne joue excessivement son rôle de régulateur ou de garde-fous.

Les grandes gueules au Conseil fédéral (oui, il y en a eues jusqu’à récemment), ce n’est pas commode, ça tape sur la table. Ainsi le radical Jean-Pascal Delamuraz, en charge du Département de l’Economie, osant dire aux banquiers zurichois qu’ils exagéraient avec leurs hausses des taux hypothécaires, lesquelles étranglaient alors les locataires de tout le pays.

Le pire dans cette tâcheronne course au plus petit dénominateur commun, c’est que l’on vend aux Suisses l’idée que la composition de leur gouvernement tient de la «formule magique». Les fauteuils de ministres sont en effet répartis selon le poids électoral obtenu par les partis lors des dernières élections fédérales: les trois premiers ont droit à 2 sièges, le quatrième à 1.

Cette règle date de 1959, mais elle a mal résisté aux assauts hégémoniques de l’UDC sur la vie politique suisse, et a rendu difficile l’accession des femmes aux plus hautes responsabilités. Car, en plus, la Constitution prescrit que «les diverses régions et les communautés linguistiques doivent être équitablement représentées au Conseil fédéral».

Dès lors, au lieu de s’efforcer de choisir le ou la meilleur-e, les 246 grands électeurs s’écharpent sur des quotas linguistiques ou de genre. Les compétences passent au second plan.

La formule magique ne produit plus rien de magique, mais une salade russe insipide. Pour maintenir une représentation politique équilibrée, et satisfaire les revendications des régions et des femmes, il aurait fallu augmenter le nombre de conseillers fédéraux à 9, comme le demandait le canton du Tessin. Mais là encore, la Berne fédérale refuse obstinément, dans sa majorité, de remettre en question ses habitudes et ses certitudes.

Bon, à ce stade de l’explication, on espère juste avoir tout faux et être invités bientôt à Genève…

Article publié sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/actuel/pourquoi-n-e-lit-on-pas-toujours-les-meilleurs-au-conseil-fe-de-ral

Les conséquences du coup de force tessinois

Depuis que Flavio Cotti a quitté le Conseil fédéral en 1999, les Chambres ont eu en théorie 14 occasions d’élire un Tessinois. Elles ne l’ont pas fait pour toutes sortes de raisons, des tordues ou des honorables.

Fort de cette revendication légitime de tout un canton, voire de tous les italophones, le parti-libéral radical tessinois a imposé la candidature unique d’Ignazio Cassis. Ce faisant, il a méprisé l’aspiration des femmes à une représentation plus paritaire au gouvernement.

Dans un pays fédéraliste, ce coup de force est un drôle de signal envoyé aux autres minorités ou sensibilités: notre revendication est prioritaire, taisez-vous punto, basta, finito !

Pourquoi le 20 septembre prochain, cet impératif devrait-il s’imposer au détriment de tout autre ? Pourquoi l’Assemblée fédérale devrait-elle céder sans réfléchir comme un parent cède à un enfant qui crie trop fort?

En proposant les candidatures d’Ignazio Cassis et de Laura Sadis au groupe PLR, la section tessinoise aurait offert à l’Assemblée un choix et permis à celle-ci de résoudre deux problèmes d’un coup.

Cette piètre compréhension de l’intérêt général national a légitimé les prétentions romandes. Dès lors, l’invocation de la clause régionale pour éliminer les concurrents d’Ignazio Cassis sans considération de leurs compétences relève autant de la faiblesse que de l’arrogance.

Le match pour départager Cassis, Moret et Maudet devrait se faire désormais sur leur profil politique et non plus sur leur origine cantonale. Un coup de force ne reste jamais sans conséquence.