Régions et solidarités européennes

Plus d’autonomie en Lombardie et Vénétie? Le score est soviétique, la participation très suisse…. plus d’autonomie par rapport à un État central assez inefficace, on peut comprendre. Mais les enjeux financiers ne sont pas très loin: le Nord ne veut plus payer pour le Sud.

J’observe que toutes les régions aux envies autonomistes ou indépendantistes veulent rester dans la maison UE. Se posera donc la question de la solidarité entre les régions européennes. Ma suggestion : transformer le Comité des régions en vraie seconde chambre, et inventer un système de péréquation européenne plus claire et compréhensible.

Ignazio Cassis: le candidat italophone qui renie ses origines italiennes

En annonçant qu’il avait rendu son passeport italien, Ignazio Cassis a-t-il commis la gaffe qui le privera du Conseil fédéral ? On ne prendra pas le pari tant le lobby des caisses-maladie qui souhaite le placer au gouvernement est puissant. Mais son attitude jette une lumière crue sur son tempérament.

Voilà un libéral qui revendique le dogme de la responsabilité individuelle et qui cède sans combattre à la moindre pression venant de l’UDC. On attend d’un conseiller fédéral qu’il démontre plus de force de caractère et de résistance lorsqu’il est face à la critique.

Voilà un candidat qui clame que le Conseil fédéral doit se montrer plus courageux, et qui commet une retentissante lâcheté à la première occasion.

Voilà un homme prêt à renier ses origines et sa famille pour servir sa carrière : Ignazio Cassis est né Italien, il s’est fait naturaliser à 15 ans, c’eut été un beau symbole qu’il se revendiqua comme premier conseiller fédéral né étranger.

La question des binationaux n’est pas un petit détail. Elle a pris de l’ampleur depuis la votation sur la naturalisation facilitée de la troisième génération, en février dernier, qui a vu l’UDC mordre la poussière. Depuis cet échec inattendu, le parti nationaliste a clairement décidé d’attaquer les détenteurs de plusieurs passeports. Une lubie ethnique malsaine, qui instille l’idée que certains Suisses le sont plus que d’autres, et qu’un binational ne saurait être vraiment loyal à nos institutions.

Première remarque : si notre pays est le mélange de trois grandes cultures européennes, force est de reconnaître que nous ne descendons pas tous en ligne directe des Waldstaetten ? Nos racines européennes mériteraient d’être mieux considérées. Deuxième remarques : la double-nationalité, reflet de notre histoire migratoire mais aussi de nos histoires d’amour, est beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit. Lors d’une discussion sur facebook, le géographe Pierre Dessemontet m’a aimablement fourni les chiffres suivants :

– 854’705 suisses sont doubles-nationaux en Suisse selon des estimations issues du Relevé Structurel (poolé 2011-2015) – auxquels if faut encore ajouter 559’542 suisses double-nationaux résidant à l’étranger (2015). Au total: 1’414’247 binationaux sur 6’855’248 citoyens suisses, ou plus de 20%.

– pour ce qui concerne les cantons, dans l’ordre Zurich en compte 177’504, Vaud 110’830, Genève 96’358, Berne 66’730, le Tessin 59’714, l’Argovie 53’196, Saint-Gall 37’538, le Valais 29’665, Bâle 27’470, Neuchâtel 26’799…

– pour ce qui concerne les nationalités, l’Italie arrive en tête avec 214’093, puis la France 97’089, l’Allemagne 66’389, la Turquie 40’281, la Serbie 35’281, l’Espagne 31’146, le Kosovo 25’753, le Portugal 24’727, la Grande-Bretagne 22’893, la Croatie 21’827, la Bosnie 21’265…

En renonçant à son passeport italien, Ignazio Cassis a raté l’occasion de rendre un formidable hommage aux capacités d’intégration de la Suisse. Ses réponses sur la question des « juges étrangers » montre qu’il préfère les mythes interprétés par l’UDC à la réalité de la Suisse telle qu’elle est. C’est décevant, c’est une faute morale.

Surtout, son attitude pointe toute l’ambiguïté de la relation que le Tessin entretient avec l’Italie. Voilà un canton qui revendique un siège au Conseil fédéral du fait de sa spécificité linguistique et culturelle, mais dont le candidat n’assume pas ses racines italiennes. C’est pour le moins paradoxal. Si on renie son italianité, comment prétendre la défendre au sein du gouvernement ?

Nombre de Tessinois soutiennent la candidature d’un des leurs en argumentant que la présence d’un italophone améliorera les relations avec l’Italie. On peut désormais douter que Rome soit favorablement impressionné par un ministre d’origine italienne qui lui a rendu son passeport avec tant d’ostentation et d’opportunisme.

La Suisse, créée en 1848 par le parti radical, est une nation de volonté, fondée sur le respect des différences et des minorités. Le 20 septembre prochain, l’Assemblée fédérale a pour mission d’élire un PLR digne de cet héritage, pas un troisième UDC.

Publié sur le site de Bon pour la tête le 26 août: 

https://bonpourlatete.com/actuel/ignazio-cassis-1

Ignazio Cassis: les 1,4 million de Suisses binationaux ne lui disent pas merci

En annonçant qu’il avait rendu son passeport italien, Ignazio Cassis a-t-il commis la gaffe qui le privera du Conseil fédéral? On ne prendra pas le pari tant le lobby des caisses-maladie qui souhaite le placer au gouvernement est puissant. Mais son attitude jette une lumière crue sur son tempérament.

Voilà un libéral qui revendique le dogme de la responsabilité individuelle et qui cède sans combattre à la moindre pression venant de l’UDC. On attend d’un conseiller fédéral qu’il démontre plus de force de caractère et de résistance lorsqu’il est face à la critique.

Voilà un candidat qui clame que le Conseil fédéral doit se montrer plus courageux, et qui commet une retentissante lâcheté à la première occasion.

Voilà un homme prêt à renier ses origines et sa famille pour servir sa carrière: Ignazio Cassis est né Italien, il s’est fait naturaliser à 15 ans, c’eut été un beau symbole qu’il se revendiqua comme premier conseiller fédéral né étranger.

La question des binationaux n’est pas un petit détail. Elle a pris de l’ampleur depuis la votation sur la naturalisation facilitée de la troisième génération, en février dernier, qui a vu l’UDC mordre la poussière. Depuis cet échec inattendu, le parti nationaliste a clairement décidé d’attaquer les détenteurs de plusieurs passeports. Une lubie ethnique malsaine, qui instille l’idée que certains Suisses le sont plus que d’autres et qu’un binational ne saurait être vraiment loyal à nos institutions.

Première remarque: si notre pays est le mélange de trois grandes cultures européennes, force est de reconnaître que nous ne descendons pas tous en ligne directe des Waldstaetten. Nos racines européennes mériteraient d’être mieux considérées.

Deuxième remarque: la double-nationalité, reflet de notre histoire migratoire mais aussi de nos histoires d’amour, est beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit. Lors d’une discussion sur facebook, le géographe Pierre Dessemontet m’a aimablement fourni les chiffres suivants:

  • 854 705 Suisses sont doubles-nationaux en Suisse, selon des estimations issues du Relevé Structurel (2011-2015), auxquels il faut encore ajouter 559 542 Suisses double-nationaux résidant à l’étranger (2015). 
    Au total: 1 414 247 binationaux sur 6 855 248 citoyens suisses, soit plus de 20%
    .
  • pour ce qui concerne les cantons, Zurich en compte 177 504, Vaud 110 830Genève
    96 358
    , Berne 66 730, Tessin 59 714, Argovie 53 196, Saint-Gall 37 538, Valais 29 665, Bâle 27 470, Neuchâtel 26 799
  • pour ce qui concerne les nationalités, l’Italie arrive en tête avec  214 093, puis la France 97 089, l’Allemagne 66 389, la Turquie 40 281, la Serbie 35 281, l’Espagne 31 146, le Kosovo 25 753, le Portugal 24 727, la Grande-Bretagne 22 893, la Croatie 21 827, la Bosnie 21 265…

Elire un PLR, pas un troisième UDC

En renonçant à son passeport italien, Ignazio Cassis a raté l’occasion de rendre un formidable hommage aux capacités d’intégration de la Suisse. Ses réponses sur la question des «juges étrangers» montre qu’il préfère les mythes interprétés par l’UDC à la réalité de la Suisse telle qu’elle est. C’est décevant.

Surtout, son attitude pointe toute l’ambiguïté de la relation que le Tessin entretient avec l’Italie. Voilà un canton qui revendique un siège au Conseil fédéral du fait de sa spécificité linguistique et culturelle, mais dont le candidat n’assume pas ses racines italiennes. C’est pour le moins paradoxal. Si on renie son italianité, comment prétendre la défendre au sein du gouvernement?

Nombre de Tessinois soutiennent la candidature d’un des leurs en argumentant que la présence d’un Italophone améliorera les relations avec l’Italie. On peut désormais douter que Rome soit favorablement impressionné par un ministre d’origine italienne qui lui a rendu son passeport avec tant d’ostentation et d’opportunisme.

La Suisse, créée en 1848 par le parti radical, est une nation de volonté, fondée sur le respect des différences et des minorités. Le 20 septembre prochain, l’Assemblée fédérale a pour mission d’élire un PLR digne de cet héritage, pas un troisième UDC.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/actuel/ignazio-cassis-1

Renzi – Macron: des similitudes?

Dans le flux sans cesse roulant de l’actualité, cette chronique souhaite établir des liens, tracer des perspectives, donner une profondeur historique, bref, abolir les frontières qui freinent la réflexion. L’auteure éprouvant une passion déraisonnable pour l’Europe (et même l’Union européenne), l’Italie et la Suisse, il y sera souvent question de politique mais pas que… à moins de considérer que tout est politique!

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot «rottamazione». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir «mettre à la casse» les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le «ventennio» de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus). Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’œil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis trente ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Le Wonder Boy qui aime mélanger Dante et twitter

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego («si ça ne passe pas, je démissionne»). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come-back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu «In cammino». Il a délaissé «l’Italia riparte» (l’Italie redémarre) et «la volta buona» (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

Chronique parue sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/renzi-macron-des-similitudes

Renzi – Macron: des similitudes ?

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot « rottamazione ». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir « mettre à la casse » les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le « ventennio » de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens  (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est  deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus).  Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’oeil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur  leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis 30 ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego (« si ça ne passe pas, je démissionne »). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu « In cammino ».  Il a délaissé « l’Italia riparte » (l’Italie redémarre) et  » la volta buona » (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

L’immunité ouvrière et la nuit du 4 août

La formidable sortie de Philippe Poutou à l’encontre de Marine Le Pen sur l’absence d' »immunité ouvrière » restera comme un temps fort de  cette délirante campagne présidentielle de 2017. Beaucoup se sont demandé si un grand débat avec onze candidats faisait sens. Rien que pour l' »immunité ouvrière », ça valait la peine.

En une formule cinglante était résumée la sourde colère populaire contre des élus qui abusent de leurs privilèges et ne se rendent même plus compte que cela choque la population.

En France, comme en Suisse d’ailleurs, on n’observe pas assez ce qui se passe en Italie. La révolte des Transalpins contre la « caste », c’est à dire les politiciens abusant de leurs privilèges de fonction, a commencé il y a une bonne décennie.

Exacerbé par l’ostentatoire spectacle berlusconien, le train de vie des élus italiens était réputé fastueux: voiture de fonction avec garde du corps, langouste la moins chère de Rome au restaurant du sénat, coiffeur à des prix défiants toute concurrence,… sans parler des indemnités les plus généreuses d’Europe. Tout cela fut dénoncé dans un livre justement intitulé « La Casta ».*

Depuis, la nécessité d’assainir des finances publiques calamiteuses a remis un peu d’ordre dans cette débauche de petits et grands avantages. Mais les privilèges de la « caste » ont durablement nourri les critiques anti-système et gonflé les résultats électoraux du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo.

En France aussi, suite à quelques affaires, le train de vie des politiques a été revu à la baisse. Mais le sentiment qu’une petite caste parisienne vit dans une bulle, entre bling-bling et bobo, ne s’est pas éteint. Les costumes offerts à François Fillon ne sont, à cet égard, que la pointe de l’iceberg. Quelqu’un se souvient-il encore de tous les petits arrangements mis au point par la Chiraquie pour assurer son rang dans la monarchie républicaine?

C’est peut-être le moment de se demander à quoi sert l’immunité parlementaire? Historiquement, elle doit garantir une certaine liberté de parole et d’action à l’élu, pendant son mandat. Cette couverture doit-elle s’étendre à la manière de s’organiser et d’utiliser les deniers publics mis à disposition d’une fonction et pas d’une personne? Rien n’est moins sûr. Les parlementaires peuvent d’ailleurs lever cette immunité lorsqu’ils considèrent qu’un collègue en a abusé.

En matière de privilèges, Jean-François Kahn proposait en 2013 dans « Comment s’en sortir » une mesure de salubrité publique: de procéder périodiquement à une nuit du 4 août 1789, c’est-à-dire à l’abolition de tous les privilèges, avantages de fonction et autres niches fiscales qui ruinent l’égalité entre citoyens (quitte à en repromulguer ensuite quelques uns permettant réellement de combler les inégalités). Une manière de remettre les compteurs à zéro, un exercice de transparence obligeant à expliquer le pourquoi du comment, une sorte de révolution démocratique refondant à intervalles réguliers le pacte républicain qui unit ceux qui élisent à ceux qui les représentent.

Un dernier point toutefois, deux contre-points plutôt: la dénonciation des privilèges relève de la salubrité démocratique, mais, s’il faut montrer du doigt certains élus politiques, que dire du train de vie de certaines élites économiques! Attention au miroir déformant… La pipolisation extrême et la personnalisation du débat politique n’arrangent évidemment rien à l’affaire, et nuisent à la perception des enjeux.

 

  • Sergio Rizzo e Gian Antonio Stella, Rizzoli, 2007

Un jour sans migrants: no pizza

Formidable Emma Bonino. Participant au Youth and leaders de SciencesPo Paris, l’ancienne ministre italienne des affaires étrangères  propose de tester « une semaine sans migrants » pour se rendre compte qu’ils ne prennent pas le travail de leurs pays d’accueil, mais accomplissent les jobs dont plus personne ne veut. « Il n’y aura plus de pizza », plaisante-t-elle car ce sont désormais les immigrés égyptiens qui les préparent en Italie.

On avait fait cela avec la grève des femmes en 1991 en Suisse, une journée pour montrer leur importance économique. Et attirer le respect.

Emma Bonnino a tenu un discours formidable sur la nécessité de considérer l’arrivée de migrants à la lumière de nos besoins démographiques.

le lien sur la conférence:

https://livestream.com/sciencespo/events/6871137/videos/146943413

Pourquoi ne se sont-ils pas déjà naturalisés?

Dans la campagne sur la naturalisation facilitée de la troisième génération, beaucoup objectent que les étrangers présents depuis plusieurs décennies ont déjà la possibilité de se naturaliser, et que s’ils ne l’ont pas fait, c’est que grosso modo ils ne se sentent pas très suisses, ou alors n’aiment pas vraiment notre pays.

Il vaut la peine de se pencher sur cet argument. Prenons l’exemple des Italiens, le groupe le plus concerné par la votation du 12 février.

La première génération d’immigrés,  ceux qui sont arrivés dans les années 1950 et 1960, s’est pris les initiatives Schwarzenbach dans les dents. Même si aucune n’a été acceptée par le peuple, cela a refroidi les ardeurs. Les débats virulents de l’époque avaient révélé une sombre hostilité à la présence des « ritals ».

Dans les familles, le choix de s’établir définitivement en Suisse n’était pas sûr (fluctuant au gré des conditions sévères de l’époque pour obtenir le permis d’établissement), le rêve de retourner au pays tenace. La première génération a donc souvent légué à la deuxième la responsabilité de trancher: rester en Suisse ou tornare in Italia. Eternel dilemme des immigrants. A l’époque la double nationalité n’était pas autorisée.

Beaucoup de secundo ont demandé le passeport rouge à croix blanche, mais pas tous. Nombre de naturalisations se sont réalisées aussi par mariage avec un Suisse ou une Suissesse. Mais il y a eu aussi énormément d’unions entre étrangers – un mariage sur trois.

Et finalement, 50 ans après le choix des grands-parents, on se retrouve avec une troisième génération sans passeport suisse, bien que née et éduquée ici. Des petits étrangers malgré eux, qui subissent les non choix ou les hésitations de leurs ascendants.

Le nombre de naissances d’étrangers en Suisse est considérable. Sur 86559 naissances recensées en 2015,  25215 bébés étaient étrangers dès leur premier cri.

L’initiative, lancée par Ada Marra et qui introduit un droit du sol sous condition, est donc une réponse pragmatique à cette absurdité statistique qui consiste à compter comme migrants étrangers des bébés nés chez nous. La procédure facilitée se veut un encouragement. Ni plus, ni moins.

L’époque est à la rigidité identitaire. Compte tenu de notre histoire migratoire (qui se confond avec celle de nos besoins économiques – donc de notre prospérité), nous Suisses devons admettre qu’une partie non négligeable de la population a des racines ici et ailleurs, et que cela n’est pas une tare, mais une richesse.

Il n’est pas facile pour un immigré de décider de se naturaliser. Les histoires familiales sont complexes, la peur de donner le sentiment de renier les parents ou les grands-parents est réelle, et peut parfois paralyser des gens parfaitement intégrés en Suisse. On se la joue « je suis rital et je le reste » (comme disait la chanson) par fidélité, nostalgie, même si la vie et l’avenir sont en Suisse.  Ces sentiments sont respectables, ils sont du même ordre que ceux qu’éprouvent un Valaisan établi à Genève par rapport à sa vallée d’origine, ou ceux d’un Vaudois domicilié à Zurich quand il pense à son canton d’origine.

J’ajoute un dernier point: voter oui le 12 février, c’est un signe d’amitié à nos camarades d’école, qui ont grandi avec nous, ou aux copains de nos enfants, bref la reconnaissance de la Suisse telle qu’elle est.

 

 

Matteo Renzi, rottomato par lui-même (suite)

 

Matteo Renzi rottomato par lui-même, mis à la casse pour avoir confondu referendum et plébiscite. Ironie du sort, sa réforme constitutionnelle a engrangé environ 10 points de plus que les intentions de vote du PD (parti démocrate) – qui reste le premier parti d’Italie.

Les causes de l’échec de Renzi sont multiples : la principale à mes yeux, son hyperpersonnalisation du pouvoir. Il a coalisé contre lui les partis de droite, mais aussi la gauche du PD. La rançon de son orgueil.

Une autre chose me frappe : malgré l’immense envie des Italiens de rompre avec la vieille manière de faire de la politique, malgré leur envie de destituer la « caste », d’en finir avec les privilèges, le train de vie dispendieux des élus, ils ont rejeté une texte qui réduisait drastiquement le Sénat. Pourquoi ? Comme Nicolas Sarkozy, comme François Hollande, Matteo Renzi n’a pas terrassé le chômage, et notamment le chômage des jeunes. Et ça, ça ne pardonne pas, quelle que soit la question. Les jeunes générations, privées d’avenir, lui font payer cash leur manque de perspectives hors l’exil…

Le Florentin voulait changer l’Italie en 100 jours, puis il a annoncé avoir besoin de 1000. Au bout de ces 1000 et quelques, il a déçu, même si le bilan de son gouvernement n’est pas mauvais. Mais il y a eu trop de promesses, trop d’effets d’annonce.

Comme les Français, les Italiens sont las des élus qui promettent la lune. Leur attachement aux « combinazione », favorisées par le système institutionnel, procède toutefois d’un certain aveuglement. Ce 4 décembre constitue un saut dans l’inconnu. Sergio Mattarella, le président de la République, pour qui la gestion de cette crise est le baptême du feu, ne voudra pas être l’homme qui donne les clés du palazzo Chigi au Mouvement Cinq étoiles. Il va étudier toutes les options.

Une inconnue de taille dans cette équation, Renzi va-t-il aussi démissionner de son poste de secrétaire du PD ? Sera-t-il une des pièces du grand jeu ou se retirera-t-il près de l’Arno ?

Renzi rottomato toi-même ?!

Monza #bastaunsì

A photo posted by Matteo Renzi (@matteorenzi) on

 

Il voulait réformer l’Italie en 100 jours, puis il indiqua qu’il lui en faudrait 1000. Arrivé au palazzo Chigi le 22 février 2014, Matteo Renzi a passé ce cap le 18 novembre dernier.

Dimanche prochain 4 décembre, le premier ministre italien, qui avait promis de mettre à la casse la vieille classe politique, sera peut-être « rottomato » par lui-même. Sombre ironie du destin pour cet ancien maire de Florence qui s’est hissé au sommet du pouvoir sans jamais avoir été élu au Parlement.

La réforme de la Constitution qu’il soumet à referendum est pourtant un bon projet. Pas un projet parfait, mais une tentative honorable de mettre fin à l’instabilité chronique des gouvernements italiens (60 en 70 ans d’existence). En abolissant le bicaméralisme parfait, en diminuant le nombre des sénateurs de 315 à 100, il veut réduire le coût de la politique et en accélérer le tempo. Les sénateurs seraient les élus des régions, une manière de rapprocher les fastueux palais romains de la réalité des territoires.

Le problème avec les gens aussi doués et insolents que Matteo Renzi, c’est qu’ils sont orgueilleux. Pressé d’engranger un résultat indiscutable – la reprise économique promise reste timide même si beaucoup de courbes de sont inversées à la hausse -, le président du Conseil a transformé le referendum en plébiscite, annonçant ce printemps qu’il démissionnerait en cas de refus (il s’est rétracté ensuite, mais trop tard, le mal était fait). Ses nombreux ennemis se sont engouffrés dans la brèche : les partis de droite laminés depuis l’éviction de Silvio Berlusconi du Sénat en 2013, le Mouvement Cinq étoiles, et de nombreux caciques de la gauche du Parti démocrate. Depuis des mois, les sondages donnent le non en tête, même si ces dernières semaines le camp des indécis semble se rétrécir au profit du oui.

Il suffit de suivre Matteo Renzi sur les réseaux sociaux qu’il affectionne tant pour constater que ce jeune quadragénaire se démène comme un diable aux quatre coins de la péninsule pour convaincre. Comme s’il cherchait à effacer son erreur initiale.

S’il réussit à faire accepter sa réforme, il pourra comme d’autres en cette année 2016 se gausser des professionnels de la prévision qui ne l’auront pas vu arriver. Il pourra alors préparer tranquillement la commémoration des 60 ans du Traité de Rome prévue en mars prochain, et à laquelle il entend donner du relief pour asseoir sa position dans le jeu européen.

Dans le cas contraire, c’est une pluie de calamités qui va s’abattre sur l’Italie convalescente.

Les marchés et les institutions européennes votent Renzi – ce que ses adversaires ne manquent pas d’exploiter. En cas de non, il faut s’attendre à une remontée des taux d’intérêt pour les emprunts italiens. Sur le plan politique, les scénarios catastrophe s’entre-choquent : démission du wonderboy humilié, élections anticipées, gouvernement technique.,…

Elu en 2015, Sergio Mattarella, le président de la République, n’a pas encore eu à gérer ce type de crise. Tout dépendra du caractère serré ou ample de la défaite, mais avant de décider d’élections anticipées, il ne voudra pas être l’homme qui a ouvert les portes du pouvoir au Mouvement Cinq étoiles, à la gestion plus qu’imprévisible si l’on en juge par celle erratique de la nouvelle maire de Rome…. Il étudiera toutes les autres options avant d’envoyer à la casse un Renzi, dont l’histoire retiendra alors qu’il aura gaspillé son talent par excès de confiance.

Dans un livre qu’il a écrit avant de devenir premier ministre, le florentin ne notait-il pas lui-même que la victoire appartient à tous, alors que la défaite est personnelle ?