Elections fédérales: la grande bousculade

Il n’y a que 200 places au Conseil national, le nombre a été bloqué en 1962!  Mais la hausse du nombre de candidatures en 2019 est spectaculaire : 857 de plus qu’il y a quatre ans, au total 4645 personnes. Le nombre de listes enregistre un nouveau record : 511. *

Au mieux cette grande bousculade est le signe d’un regain d’intérêt pour la vie publique. Au pire, un truc électoraliste. Depuis 1975, le taux de participation aux élections fédérales n’a plus dépassé les 50%. On verra le soir du 20 octobre si la hausse des candidatures a débouché sur une meilleure mobilisation des électeurs.

Cet engouement est un signe de fébrilité : avec 101 voix le bloc UDC-PLR dominant au Conseil national a frustré les autres groupes pendant quatre ans. Les partis jettent toutes leurs forces dans la bataille pour augmenter ou conserver leur part du gâteau électoral. Ils auraient tort de se priver, le système suisse autorise les produits dopants: on peut voter deux fois pour la même personne, on peut créer des listes-cousines grâce aux apparentements et même aux sous-apparentements.

Ce n’est pas un hasard si le parti gouvernemental qui est le plus menacé, le PDC, est celui qui a déposé le plus de listes : 77.

L’analyse des résultats précédents est implacable : dans la plupart des cantons, il est difficile de gagner un siège supplémentaire. Alors, ajouter à la liste principale une liste de jeunes, de femmes, d’aînés, ou déclinant un thème tel l’innovation, c’est un moyen de maximiser les chances de faire bouger les lignes.

Les petits ruisseaux font les grandes rivières: avec cette stratégie, un parti gagne de précieux suffrages additionnels, d’autant que les Suisses aiment bien panacher leur bulletin, c’est-à-dire voter pour un parti tout en traçant des noms et en rajoutant d’autres de la concurrence.

Cette inflation de listes tient du marketing : en cette année féministe, si tu n’as pas de liste-femmes, cela dénote d’un manque de sensibilité qui va éloigner les électrices de ta couleur politique. La liste femmes ou jeunes est un produit d’appel, comme au supermarché. Il est rarissime que l’une ou l’un d’entre eux soit élu. Mais les suffrages ainsi engrangés boostent la performance de la liste principale.

Ces tours de piste électorale permettent de tester le potentiel d’un candidat au niveau local ou cantonal, de se former à l’art de faire campagne et d’attirer l’attention sur soi. Une sorte d’examen. Certains novices ressortiront de l’expérience motivés pour s’investir encore plus dans la vie de leur parti, et d’autres écoeurés par leur score final : trois mois de campagne pour quelques petites centaines de voix ?

Le soin mis à ne pas perdre le moindre petit suffrage contraste avec le vide programmatique sidéral. Certes, les partis s’allient entre eux, à droite, au centre et à gauche, pour que les voix qui ne leurs sont pas utiles bénéficient à des adversaires le moins éloignés possible de leurs positions idéologiques. Mais l’exercice ne va pas jusqu’à s’entendre sur un véritable programme pour la législature. En Suisse, on compte d’abord, et ensuite seulement on réfléchit à ce que l’on pourra réaliser ensemble. Paradoxalement, le débat d’idées, propre aux élections nationales, n’en sort, lui, pas grandi.

*article paru le 6 octobre 2019 en italien dans l’hebdomadaire il caffè:

http://www.caffe.ch/section/il_commento/

 

 

 

 

 

Climat : de la rue aux urnes

Qui entre pape au conclave en ressort cardinal. Le constat des vaticanistes vaut-il pour les sondages qui annoncent les Verts gagnants des prochaines élections fédérales ? En 2011, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, les écologistes étaient donnés en tête des intentions de vote. A la fin, ils perdirent 5 de leurs 20 sièges au Conseil national.

Ce n’est pas parce que un thème est populaire qu’il détermine mécaniquement le résultat des urnes, même si cette croyance entretient le suspense. Aux tocades de l’opinion, le système suisse oppose deux puissants amortisseurs : le fédéralisme et la proportionnelle. 13 cercles électoraux (cantons ou demi-cantons) comptent moins de cinq sièges : difficile pour un parti comme les Verts ou les Vert-libéraux d’y conquérir un siège de plus. De grosses modifications dans la répartition des sièges peuvent se produire surtout dans les grands cantons.

Depuis 1975, la participation aux élections n’a plus dépassé les 50%. Plus d’un citoyen sur deux est indifférent aux convictions que vont défendre les parlementaires. Pour que les préoccupations environnementales aient un effet spectaculaire sous la Coupole fédérale dans la prochaine législature, il faudrait que les milliers de gens, et spécialement les jeunes, qui ont manifesté aillent voter en masse. La mobilisation doit passer de la rue au bulletin de vote.

Le climat change et il devient difficile de le nier tant les catastrophes naturelles se multiplient. Mais l’idée que les politiciens n’ont rien fait jusqu’ici pour « sauver la planète » est fausse. Dès les années 1970, les partis suisses ont inscrit dans leurs programmes des mesures de protection de l’environnement. Le premier élu vert dans un parlement national fut le Vaudois Daniel Brélaz en 1979 (il est d’ailleurs toujours candidat cette fois-ci). Au moment de son élection au Conseil fédéral en 1984, Elisabeth Kopp fut décrite comme une radicale à la fibre écologiste. En 1985, les chambres débattirent de la mort des forêts.

En matière environnementale, la Suisse a été pionnière, même si cela n’a pas suffi à faire du pays de Heidi la nation la plus vertueuse ou la plus exemplaire. L’envie de préserver nos paysages, nos montagnes, la qualité de l’air, de l’eau ou de la nourriture se heurte à une obsession nationale : ne pas désavantager l’économie, ne pas imposer aux entreprises des normes qui les défavoriseraient par rapport aux concurrents étrangers. Et comme, en plus, la Confédération peine depuis quelques années à agir dans le contexte européen ou multilatéral, les effets de nos législations internes restent limités sur le réchauffement planétaire global comme sur le permafrost de nos sommets.

Ainsi, les Verts et les Vert’libéraux n’ont pas le monopole des idées écologistes. Sans les socialistes et les démocrates-chrétiens, notre stratégie de transition énergétique 2050 n’existerait pas. Tous les partis, même l’UDC qui est celui des paysans nourriciers, ont des propositions valables. Il faudra juste qu’ils se montrent capables de les faire converger. Plus que le poids des partis comptera la détermination des élus, quelle que soit leur étiquette partisane, à agir pour sauver la planète.

Reste que un autre thème pourrait bousculer les pronostics d’ici fin octobre: les nuages noirs qui s’accumulent sur le plan économique. Les électeurs veulent bien passer au bio mais à condition que leur pouvoir d’achat soit garanti.

Article paru en italien le dimanche 8 septembre 2019 dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè: http://www.caffe.ch/publisher/epaper/section/