La mobilisation des humanistes

Dans un an se tiendront les élections européennes. Au vu des résultats de maints scrutins nationaux, une grosse crainte émerge : que le parlement européen soit composé pour la première fois d’une majorité d’eurosceptiques, qui gripperaient irrémédiablement la machine communautaire.  1).

La situation est paradoxale. Le Brexit n’a suscité aucune vocation parmi les 27 autres membres de l’Union. Aucun état n’a exprimé l’envie de suivre les Britanniques et d’organiser un vote pour sortir du club. Mais l’aspiration à d’autres politiques et à des fonctionnements plus démocratiques est immense. Face à l’instable Trump, au quérulent Poutine, et au tout puissant Xi Jinping, le besoin d’union entre Européens est plus vif que jamais. Une conviction s’impose même parmi ceux qui utilisent « Bruxelles » comme un punching ball : un cavalier seul ne permettra pas de mieux faire face aux défis du XXI ième siècle que sont le changement climatique, les flux migratoires, le terrorisme, l’affaiblissement géopolitique et démographique du Vieux continent.

Invité par le Nomes le 5 mai dernier, l’Italien Sandro Gozi a appelé à une mobilisation humaniste en vue de l’échéance du 26 mai 2019: « il faut construire de nouvelles alliances entre celles et ceux qui sont favorables à l’Europe des valeurs. Il est temps de dépasser les clivages politiques traditionnels, les pro-européens ne doivent pas aller en ordre dispersé ».

La Suisse semble s’interdire de participer à cette grande réflexion continentale. Seul le Nomes revendique le droit de vote européen pour les citoyens suisses. Dans un pays qui érige la démocratie directe en facteur identitaire, il y a là une profonde absurdité : les Suisses renoncent à influencer la législation du marché intérieur auquel ils participent, alors qu’ils s’enorgueillissent de pouvoir se prononcer sur un plan de quartier, l’apprentissage d’une autre langue nationale, l’achat d’avions de combat,… Ils se privent du droit de co-décider avec les Européens et mettent une énergie considérable à inventer des solutions qui préservent une indépendance de façade.

Il faut souhaiter à la Suisse, qui connaîtra sa propre année électorale à l’horizon d’octobre 2019, le courage de dégonfler les postures souverainistes, et d’engager un vrai débat sur la souveraineté. Dans un récent et brillant essai, Gret Haller rappelle opportunément un précepte mis en avant par Denis de Rougemont : le partage de souveraineté accroît la souveraineté*.

 

* Gret Haller, L’Europe un espace de liberté. Le rôle politique de l’individu en des temps de nationalisme, récemment publié dans les Cahiers rouges de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Economica, 110 p.

1). texte paru dans la newsletter du NOMES le 24 mai 2018

Lega et 5 étoiles – 5 raisons d’y croire, 5 raisons de ne pas y croire

Le feuilleton politique romain touche-t-il à sa fin? Le président Sergio Mattarella va-t-il introniser le gouvernement que Luigi Di Maio et Matteo Salvini lui ont proposé? En attendant son verdict, analysons les chances de survie d’une coalition populiste qui affole les partenaires européens et les marchés financiers.

Giuseppe Conte. Après 77 jours de palabres, les deux vainqueurs des élections du 4 mars, Luigi Di Maio et Matteo Salvini sont «montés» lundi en fin d’après-midi au Palais du Quirinale – selon le jargon romain – proposer le nom d’un parfait inconnu, professeur de droit civil et administratif, jamais élu, comme premier ministre.

Que va faire Sergio Mattarella, le président de la République? Valider le choix des leaders du Mouvement 5 étoiles et de la Lega? Recadrer leur feuille de route? Vraisemblablement les deux. Sa marge de manœuvre n’est pas immense. L’option d’un exécutif technique paraît à ce stade irréalisable, compte tenu des rapports de forces au Parlement. Les deux partis représentent 51% des voix, donc une courte majorité des Italiens. La prétention de cette coalition à diriger l’Italie est parfaitement légitime.

L’affaire ne va pas sans un zeste de cynisme. Pour vacciner les Italiens contre les dérives populistes, il faut que leur échec soit imputable aux agissements des deux partis vainqueurs, pas à des manœuvres politiciennes. L’expérience se doit d’être tentée. Mais Mattarella entend faire respecter la Constitution: c’est à lui qu’il incombe de nommer le président du conseil et les autres ministres. Pas question de jouer les notaires avalisant sans retouches le contrat contraignant et la liste de papables que les deux compères ont élaborée. En attendant ses décisions, évaluons les chances de ce gouvernement inédit de durer… ou pas.

Pourquoi ça va durer

Bonne volonté.Tant Di Maio que Salvini ont fait preuve de bonne volonté. Tous deux se rêvaient premier ministre, aucun ne le sera. Les deux jurent avoir pour seule préoccupation «l’intérêt des Italiens», ils ont l’occasion de le prouver. C’est leur moment: l’histoire ne leur donnera pas d’autres occasions d’exercer leurs responsabilités s’ils ratent ce coup. Le Mouvement 5 étoiles a certes peu d’expérience dans la conduite du pays, mais la Lega est moins novice: elle a participé aux exécutifs dirigés par Silvio Berlusconi. Enfin, que la Lega, profondément nordiste et sécessionniste, ait avalisé comme premier ministre Giuseppe Conte, un homme du Sud (il est né près de Foggia dans les Pouilles), démontre un esprit constructif.

Européens magnanimes. Les partenaires européens sont inquiets, mais ils ont intérêt à se montrer magnanimes avec un pays fondateur de l’UE. Emmanuel Macron pourrait utiliser la situation pour obtenir un peu de souplesse de la part d’Angela Merkel afin de relancer ses projets de réforme de la zone euro. Les Italiens disposent en outre d’un levier pour se faire un tant soit peu respecter par l’UE. En matière de flux migratoires, s’ils décident de ne plus rien stopper, ce sera le chaos plus au Nord (et donc en Suisse aussi).
L’atout Draghi. Sur le plan économique, les buts du nouveau gouvernement sont nobles: il veut combattre le chômage et redonner du pouvoir d’achat aux Italiens. Les marchés financiers pourraient être tentés de spéculer sur la dette italienne et tester la solidité de la zone euro. Mais un autre Transalpin va veiller au grain, en tout cas jusqu’en novembre 2019, c’est Mario Draghi, à la tête de la BCE.
Il faut changer la loi électorale. Lors de la précédente législature, il avait déjà été diablement compliqué de former un gouvernement. L’alliage Parti Démocrate et Forza Italia semblait aussi contre nature et voué à l’échec, il a pourtant duré cinq ans, non sans quelques vicissitudes. Une bonne partie de la classe politique estime qu’il faut modifier la loi électorale. Matteo Renzi s’était même piqué de modifier la Constitution pour cela, en vain. Réécrire une loi électorale demande du temps… autant que cet exécutif-là se colle cet ingrat travail.

Il n’y a pas d’alternative. On ne peut pas vraiment dire que le Parti Démocrate et Forza Italia sont des partis gouvernementaux traditionnels tant l’histoire politique italienne récente a connu d’implosions et de recompositions. Mais ce qui est sûr, à ce stade, c’est qu’ils sont sortis tous deux laminés des élections du 4 mars. Avant de prétendre incarner une alternative, ils doivent se repositionner et se doter de leaders crédibles. Pas sûr que Matteo Renzi et Silvio Berlusconi souscrivent sans heurts à cette nécessité. La reconstruction risque d’être longue. Les élections européennes en mai de l’année prochaine serviront de premier baromètre.

Pourquoi ça ne va pas durer

Tout et son contraire. Le programme de gouvernement fabriqué par Di Maio et Salvini n’est ni cohérent, ni finançable. Il contient des baisses d’impôts et de nouvelles prestations sociales alors que l’Italie reste le pays le plus endetté de la zone euro. A l’annonce d’un tel menu, le spread (le différentiel des taux d’intérêts entre les bons du trésor allemands et italiens) a pris 30%. En 2011, c’est déjà l’envol du spread qui avait eu la peau de Silvio Berlusconi, auquel avait succédé le gouvernement technique du professeur Monti, chargé de remettre la péninsule dans les clous budgétaires euro-orthodoxes.
La révolte des adhérents. Le Mouvement 5 étoiles n’a pas de culture de gouvernement. Au moindre renoncement sur l’autel du réalisme, la base va se révolter et hurler à la trahison via les réseaux sociaux – on l’a vue tonner quand Di Maio a essayé de s’entendre avec le PD. Et que dira Beppe Grillo, créateur du Mouvement, resté étrangement muet depuis les élections, lui qui a l’imprécation et l’excommunication si faciles?

Qui sera le patron? Beaucoup d’experts expriment de gros doutes sur la manière dont peut fonctionner le gouvernement: le premier ministre Conte, sans expérience politique, aura-t-il l’autorité pour s’affranchir de la double tutelle de Luigi Di Maio et de Matteo Salvini, à qui il doit tout? Où se feront les arbitrages? Au Conseil des ministres – où les deux leaders – siègeront ou en marge? Le contrat de gouvernement prévoit également des limitations à la liberté de vote des parlementaires des deux groupes. Les clashs sont programmés.
Recadrage européen. La zone euro est sortie à grand peine d’une décennie de crise. Si les marchés financiers continuent à s’emballer, comme ils l’ont fait à l’annonce du programme négocié par le duo, les partenaires européens ne voudront pas étouffer la reprise économique qui s’est tant fait attendre et siffleront la fin de la partie (voir ci-dessus).
Le sursaut de l’opposition. Le 4 mars dernier, les électeurs ont surtout sanctionné Matteo Renzi et Silvio Berlusconi, qui leur avaient tant promis et qui les ont tant déçus. Mais le centre gauche comme le centre droite ne se réduisent pas à ces deux titans à l’égo surdimensionné. D’autres forces vives existent. Face à l’émergence d’un gouvernement populiste, eurosceptique et prêt à bafouer les droits humains, le sursaut du PD pourrait advenir rapidement. Quant aux milieux économiques, ils vont désormais peser de tout leur poids pour que se reconstitue un parti de droite sérieux. Au parlement, le PD et Forza Italia promettent de pratiquer une opposition républicaine sans concession. L’attelage 5 étoiles-léghiste ne devrait pas résister longtemps à un double pilonnage.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/actuel/lega-et-5-etoiles-5-raisons-d-y-croire-5-raisons-de-ne-pas-y-croire

Affaires Broulis, Maudet… De l’exemplarité des politiciens

Système de milice oblige, la Suisse n’aime pas se pencher sur les conflits d’intérêts. Notre chroniqueuse se demande jusqu’où doit aller l’exigence de transparence sur le train de vie des élus.

Y aura-t-il à l’avenir des services de «compliance» dans les partis ou les administrations publiques, comme c’est désormais le cas dans les banques? Vérifiera-t-on systématiquement la conformité aux règlements et à l’éthique des décisions et des comportements de nos élus?

Sommes-nous certains de vouloir vivre dans une société du soupçon permanent et du contrôle obsessionnel?

De plus en plus de polémiques naissent d’une question légitime, quoique dopée par le populisme anti-élites  ambiant: qu’est-ce qui est permis à nos politiciens dans leur train de vie, qu’est-ce qui ne l’est pas? Qu’est-ce qui procède de relations conviviales ou de petits arrangements obscurs? Ainsi, Pascal Broulis a-t-il correctement déclaré ses revenus là où il le devait? Ou, Pierre Maudet a-t-il voyagé avec sa famille gratis à titre privé ou officieux? Ou encore, un parlementaire peut-il faire un tour en hélico pour contempler la Patrouille des Glaciers, invité par la Loterie romande?

Les polémiques enflent – et elles finiront peut-être par faire pschittt – parce que nos règles sont floues. En matière d’exemplarité des élus, la Suisse est un cas à part. Tout son édifice politique repose sur le principe de milice: la tradition veut que les politiciens travaillent pour gagner leur vie et n’exercent que par devoir citoyen un mandat pour lequel ils sont modestement défrayés.

Que ce service patriotique accessoire soit devenu une fiction – surtout au niveau fédéral où nombre de parlementaires sont professionnels – n’a guère modifié les mentalités: la Suisse reste terriblement peu sensible aux conflits d’intérêts. Le mélange des genres et le sentiment que le politique doit toujours s’effacer dévotement devant les impératifs économiques s’imposent, sans grande contestation.

Les remarques des instances internationales, tel le Greco (Groupe d’Etats contre la corruption), sur l’absence de transparence du financement des partis et des campagnes, se heurtent à une indifférence granitique. Tout se passe comme si notre démocratie directe était si parfaite que tout questionnement sur les flux d’argent qui l’irriguent relèverait du crime de lèse-majesté.

Les affaires Broulis et Maudet ont atteint l’image de deux politiciens qui passaient jusque-là pour des exemples d’intégrité et d’efficacité. On verra si leurs fautes sont avérées ou si elles n’ont tenu le haut du pavé qu’à cause de leurs maladresses de communication. Quoi qu’il en soit, il reste sain en démocratie de débattre périodiquement de l’éthique des élus, et il est certain que notre vie politique ne serait pas altérée par des règles de transparence accrue, et l’instauration de contrôles plus sourcilleux par les commissions de gestion ou de surveillance. Tous les citoyens seront d’ailleurs appelés à voter sur une initiative «pour plus de transparence dans le financement de la vie politique», qui a abouti l’an dernier, et qui permettra de mesurer la réelle sensibilité populaire en la matière.

On se gardera toutefois de promouvoir l’avènement de politiciens plus blancs que blancs devant se soumettre à un strip-tease patrimonial ou fiscal complet, public et permanent. Les élus sont des citoyens comme les autres, ils ont aussi droit à leur sphère privée. Aucune loi, aucun code de conduite, aussi tatillons soient-ils, ne remplacera l’éthique personnelle.

Souvenons-nous de l’affaire Cahuzac: le ministre français, qui détenait un compte bancaire en Suisse, a menti «les yeux dans les jeux» au président de la République François Hollande, et devant l’Assemblée nationale. Non, rien ne pourra jamais remplacer l’éthique personnelle. En démocratie, la confiance ne s’ordonne pas, elle se délègue autant qu’elle se mérite.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/de-l-exemplarite-des-politiciens

Femmes: on double la mise

Ravie que la représentation féminine au Conseil d’Etat genevois double, et ravie que se soit une élue PLR, Nathalie Fontanet !  Elle rejoint Jacqueline De Quattro dans le club des conseillères d’Etat de droite romandes où là encore elle double la représentation. On a donc actuellement en Suisse romande dix conseillères d’Etat, 7 issues du PS, deux PLR et une Verte. J’espère que c’est de bon augure pour Karin Keller-Sutter.

Pour ceux qui souhaitent une vision nationale, le tableau de l’OFS: https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/politique/elections/gouvernement-cantonaux.assetdetail.5186041.html