Le ciment de la Willensnation

C’est une des leçons les plus puissantes du Brexit : les nations, même les plus établies historiquement (le Royaume-Uni a trois siècles), même les plus puissantes économiquement sont fragiles. L’unité ne va pas de soi. Elle est à la merci d’une mauvaise décision. *

L’envie écossaise de faire sécession, les craintes nord-irlandaises de retomber dans la guerre civile, les manifestations londoniennes contestant le vote du 23 juin sont autant de signes d’une mésentente profonde entre régions constitutives du Royaume. Une désunion qui n’a pas été perçue.

On le voit dans d’autres pays, les grands ensembles centralisés sont à la peine. A côté des zones densément urbaines, cosmopolites, pôles économiques qui créent des richesses et en jouissent, nombre de  territoires subissent une forme de stagnation, voire de sous-développement, ils sont en marge de la mondialisation.

La Suisse connaît bien ce fossé villes-campagnes, mais elle dispose d’un antidote.Le fédéralisme, les pouvoirs de proximité, les marges de manœuvre fiscales permettent une gestion calibrée sur les particularismes et les besoins des régions.

Mais un pays aux structures de gouvernance décentralisées a besoin d’un ciment. Il faut un minimum de respect, des marques d’intérêt et de gages de bonne volonté  entre les parties.

En lançant cette semaine une procédure de consultation sur l’enseignement d’une autre langue  nationale au degré primaire, le conseiller fédéral Alain Berset a rappelé l’importance de ce ciment minimal.

Le chef du Département de l’intérieur a été très précautionneux – il a répété que le gouvernement préférerait que les cantons s’entendent entre eux et que la Confédération ne soit pas contrainte de s’en mêler. Mais il a non moins fermement rappelé que l’harmonisation des programmes scolaires a été voulue en 2006 par 85% des votants. Le socialiste récuse d’emblée toute entorse au fédéralisme : certes les cantons sont compétents pour ce qui concerne la scolarité obligatoire, mais l’intervention subsidiaire de la Confédération est explicitement prévue par la Constitution.

Le Conseil fédéral n’entrera pas non plus, a-t-il prévenu, dans un débat pédagogique sur la surcharge des élèves. Il se borne à affirmer un principe, une direction.

La cohésion nationale d’une Willensnation comme la nôtre est fragile. Le chantage à la peur d’une votation populaire, que certains agitent pour décourager le Conseil fédéral, qui verrait une majorité préférer l’enseignement  prioritaire de l’anglais à celui d’une langue nationale, n’est pas digne de nous !

Si les Suisses ne peuvent plus consentir l’effort d’apprendre une autre langue nationale plutôt que le langage de la mondialisation, quelle est encore notre raison de former ensemble un pays? 

 

* texte en italien paru dans Il Caffé le 10 juillet 2016