Le respect de la « Willensnation » se perd

La Suisse est une nation de volonté. Nous ne sommes pas unis par une seule langue, une seule religion ou une géographie
particulière, mais par l’envie et l’intérêt de vivre avec des Confédérés différents de nous-mêmes.
S’agglomérer tout en se respectant est une belle idée. D’autres que nous, les 27 membres de l’Union européenne, ont décidé de la pratiquer à l’échelle continentale. Les Suisses devraient être fiers de leur savoir-faire, de ce vivre ensemble sans tensions trop exacerbées. Mais, hélas, la déférence portée à ce trésor national se perd. Voyez les CFF, au service de la mobilité des habitants, et maintes fois soutenus par les citoyens-contribuables. Ils se sont crus autorisés à faire payer l’usage des gares par les partis politiques qui voudraient y faire campagne. Scandale. Protestations. Depuis, les CFF ont fait marche arrière. Ils n’exigeront qu’un montant forfaitaire. Mais ce mépris bureaucratique pour le jeu démocratique est inquiétant.
Autre signal d’alarme, il n’y a aucun officier romand parmi la dernière promotion de l’Académie militaire de l’Ecole polytechnique de Zurich. «L’armée suisse se transforme en armée suisse allemande», titre 24heures. Le principe selon lequel le soldat doit pouvoir faire son service dans sa langue est désormais remis en cause, prévient Denis Froidevaux, président de la Société suisse des officiers. La langue de commandement est l’allemand, le plurilinguisme coûte trop cher.
Une molle résignation s’installe. L’alémanisation outrancière du Département de la sécurité d’Ueli Maurer, maintes fois dénoncée dans nos colonnes, ne fait guère débat. Le conseiller fédéral, issu du parti qui se veut le protecteur de la «maison suisse», se fiche complètement de l’exclusion des Romands des sphères de décision. Combien de parlementaires romands le sanctionneront-ils pour ce dédain le 5 décembre prochain, lors de l’élection à la présidence de la Confédération?
Croire que le génie de la Suisse se réduit à Zurich et sa périphérie est une insulte à l’histoire nationale. Swiss vient de s’en apercevoir, plus de seize ans après la fâcheuse décision de Swissair de se retirer de l’aéroport de Cointrin. L’arrogance a été mauvaise conseillère. La Suisse romande a retiré de cet épisode douloureux (et de quelques autres déboires) une énergie à se reconstruire qui l’a vaccinée contre tout sentiment de supériorité. Le marché romand est redevenu terriblement attractif.
Consentir à des efforts, voire à quelques gaspillages, par respect des minorités, à long terme, l’attitude n’est pas seulement
noble, elle s’avère gagnante. Puissent les dirigeants de notre armée le comprendre avant qu’il ne soit trop tard.

Conseil d’Etat: le tournis neuchâtelois

Les Neuchâtelois repensent-ils parfois avec nostalgie à Pierre Dubois? Le socialiste est resté dix-sept ans conseiller d’Etat, de
1980 à 1997. A droite, le libéral Pierre Hirschy a pu afficher 13 ans au compteur. Tempi passati! Depuis une décennie, le ministre neuchâtelois qui tient deux législatures peut s’estimer fortuné. Le carrousel coupe-têtes a commencé en 1993 avec l’indépendant Michel von Wyss, quatre petites années avant d’être remercié par les électeurs.
A la législature suivante, le radical Maurice Jacot s’empêtre dans une affaire, il ne se représente pas en 1997. Dès sa deuxième
législature, la libérale Sylvie Perrinjaquet est priée par son propre camp d’aller se faire voir ailleurs, elle se dirige vers Berne, mais n’y sera pas réélue en 2011. Comme c’est une femme, personne ne s’indigne qu’on gaspille ainsi le personnel politique.
La machine à jeter continue à tourner: en 2009, c’est le Vert Fernand Cuche que les électeurs contraignent à une retraite anticipée.
Le radical Roland Debély déclare aussi forfait. Le parti libéralradical n’en a cure, il aligne trois caïds dont Frédéric Hainard. Le
shérif est vite contraint à la démission, Claude Nicati est mobbé par les siens avec une âpreté inouïe, Philippe Gnaegi apparaissant désormais comme un rescapé. On peut pour chaque épisode argumenter sur des difficultés personnelles de chacun. Il n’empêche que la responsabilité du PLR neuchâtelois, qui accumule les problèmes de casting, est engagée.
Le conseiller national Alain Ribaux est désormais candidat à la candidature pour les élections générales du printemps prochain.
On espère que le soutien de sa formation lui sera acquis de manière plus durable que pour ses prédécesseurs.
A gauche, la manoeuvre sera délicate. Les socialistes se réunissent ce samedi pour arrêter leur stratégie. Les candidats seront choisis en janvier. Le défi pour les roses est d’afficher une liste solide pour reconquérir la majorité au gouvernement. Deux candidats compliquent les calculs: le popiste et maire du Locle Denis de la Reussille et l’UDC Yvan Perrin. Le sentiment que la classe politique cantonale traditionnelle a gravement failli pourrait offrir au conseiller national de la Côte-aux-Fées les portes du château.
Deux remarques. Si personne ne l’érige en enjeu, le gouvernement 2013-2017 pourrait ne compter aucune femme. Enfin, si Neuchâtel est une vraie machine à produire des conseillers fédéraux, celle à fabriquer des ministres cantonaux est en revanche bien en panne sur la durée. La faute à des partis étourdis ou aux électeurs capricieux?

La nouvelle gaffe de Schneider-Ammann

Une journée noire pour la Suisse et la jeunesse de notre pays. Le 29 juin 2011 vient d’entrer dans la liste des décisions funestes. Ce mercredi-là, sous la présidence de Micheline Calmy-Rey, le Conseil fédéral, après moult tergiversations, procéda à une petite réforme des départements. Foin d’un Ministère de l’intelligence un temps évoqué, le gouvernement se contenta de jouer au Lego, distraitement. Il fut ainsi établi que le Secrétariat d’Etat à la formation, la recherche et l’innovation (SEFRI) serait coiffé dès le 1er janvier 2013 par le Département de l’économie. On commence à peine à mesurer l’ampleur des dégâts.

Marri de perdre un secteur qu’il choyait, Didier Burkhalter a fui le Département fédéral de l’intérieur pour les Affaires étrangères à la première occasion. Pire, depuis des mois, les gaffes à répétition de Johann Schneider-Ammann, futur ministre de tutelle du nouveau SEFRI, le révèlent inadéquat pour le rôle. Il y eut sa tentative de nommer un proche, désavouée, fait rarissime, par ses collègues.

Le radical bernois aurait pu se racheter en nommant une personnalité forte pour le seconder. Il a bricolé un arbitrage maison. Avec la même coupable légèreté, il a, dimanche dernier dans la NZZ, critiqué la propension trop élevée des jeunes, selon lui, à choisir la voie des études gymnasiales plutôt que la filière de l’apprentissage. Dans le meilleur des cas, il a voulu donner des gages aux fonctionnaires déstabilisés de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie, un souci paternaliste gentillet, bien dans le genre de l’ex-entrepreneur, mais qui n’excuse pas de dire de grosses bêtises.

Le lien entre chômage et maturités académiques est dans nos contrées un mythe, aucune étude ne l’atteste, et encore moins l’expérience des bureaux de chômage. Tout au contraire: la Suisse manque cruellement de cerveaux. Elle est contrainte d’en importer. Notamment d’origine allemande, non sans créer le malaise que l’on sait en Suisse alémanique.

Parmi les conseillers d’Etat en charge de la formation, l’inquiétude le dispute désormais à la consternation. Le chef du DFE affiche une maîtrise très faible du dossier. Il ignore manifestement la subtilité du système et notamment le poids pris depuis une dizaine d’années par les maturités techniques délivrées par les hautes écoles spécialisées, inventées justement pour pallier le manque chronique d’universitaires.

Il est sain de questionner le niveau atteint par les détenteurs de maturité, on pourrait certes mieux les préparer aux cursus universitaires. De Johann Schneider-Ammann, on est en droit d’attendre mieux que des préjugés éculés. Les autres membres du collège feraient bien d’y veiller. La formation est un domaine trop crucial pour être pilotée par un ministre naïf et gaffeur.