Servir la Suisse

On votera en septembre sur l’abrogation de l’obligation de servir. Un beau débat en perspective. Personnellement, j’aime beaucoup l’obligation de servir, j’aime l’idée que notre état nous doit protection et assistance, mais que nous lui devons aussi respect, loyauté et participation.

Pour défendre l’obligation de servir, il sera abondamment dit que c’est un pilier de la société suisse, le décalque du système de milice. Cela a été peut-être vrai par le passé, mais cet argument souffre d’un gros défaut : la moitié de la population – les femmes comme moi – est exclue. Et transformer nos maternités et le temps que nous consacrons à l’éducation des enfants en équivalent de l’obligation de servir est une autre idée fallacieuse : il est loin le temps où il fallait produire de la chair à canon.

L’obligation de servir réduite à l’armée est très trompeuse. Si l’on prend en considération 100 jeunes de 20 ans vivant en Suisse, il y a 40% de femmes, 19% d’étrangers, 9% d’inaptes au service, 9% qui choisissent le service civil, 7% qui vont à la protection civile, et donc plus que 16% de recrues. Dans ces très maigres 16%, il faudrait encore savoir combien terminent leur école, et aussi quelle est la part des jeunes naturalisés.

L’obligation de servir est donc déjà morte, bien que la Constitution la stipule. Il faut donc réfléchir à une autre forme d’engagement pour le pays. Il y a tant à faire: des aides aux anciens ou aux populations fragilisées, des travaux d’utilité publique en faveur de l’environnement… Le service à la communauté pourrait se dérouler dans une autre région linguistique pour amener tous les jeunes, hommes et femmes, à pratiquer les autres langues nationales concrètement. Un investissement exceptionnel dans la cohésion nationale.

Un politicien, très prometteur, le jeune conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet, porte cette proposition depuis plusieurs années, mais il n’a pas été écouté. Jusqu’ici tous les débats bernois sur le sujet ont buté sur le mythe de l’obligation de servir l’armée seulement. L’instauration du service civil a certes ouvert le jeu, mais sans étendre la réflexion aux besoins de l’ensemble de la société, et bien sûr, sans englober les jeunes femmes.

Les sondages donnent le Groupement pour une Suisse sans armée, qui a lancé l’initiative, perdant. A quand un vrai lobby pour une Suisse au bien de laquelle tous les jeunes de 20 ans apportent leur contribution?

*texte paru en italien dans Il Caffé du 21 juillet

Vignette à 100 francs: pourquoi il faut suivre Doris Leuthard

C’est confirmé, on votera le 24 novembre sur le passage du prix de la vignette de 40 à 100 francs. Le référendum a été signé par plus de 100 000 mécontents. Cette colère impressionne. Elle témoigne du sentiment éprouvé par maints automobilistes d’être des «vaches à lait», toujours appelés à payer plus pour rouler moins bien, mais aussi d’une érosion du pouvoir d’achat des classes moyennes que la statistique et les doctes études d’Avenir Suisse ne captent guère.

Dès lors, la question fuse, un brin assassine: Doris Leuthard, la conseillère fédérale la plus populaire du pays, a-t-elle perdu d’avance cette votation? On ne prendra pas ce pari.

D’abord, la cheffe du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication est pugnace. C’est une ministre qui ne roule pas à l’économie lorsqu’il s’agit de faire campagne. Elle s’engage à fond, et dispose d’une réelle capacité de conviction. Ce printemps, la LAT (loi sur l’aménagement du territoire) a été approuvée par 63% des votants. Tous les cantons, sauf le Valais, ont dit oui à l’Argovienne.

Sur le fond, Doris Leuthard pourra pointer les incohérences du regroupement hétéroclite qui combat sa proposition. Face à elle, il y aura en effet les «docteurs Yaka», emmenés par l’UDC, qui veulent que chaque franc versé au compte routier retourne au bitume, et une autre sorte de «docteurs Yaka», fondamentalistes écologistes, qui contestent au contraire la nécessité d’investir le moindre centime supplémentaire pour les chaussées.

La conseillère fédérale pourra aligner maints arguments rationnels et raisonnables. La nécessité de dégager des moyens additionnels pour entretenir et développer les réseaux routiers et ferroviaires se fait chaque jour plus urgente.

Pour le rail, le besoin de financement, actuellement de 4 milliards de francs par an, va monter à 5 milliards jusqu’en 2030. Pour la route, le montant annuel des travaux d’entretien et d’extension du réseau national est de 3,8 milliards, mais le produit des taxes censé le couvrir

ne cesse de diminuer, d’où la nécessité de revoir le prix de la vignette, mais aussi la surtaxe sur les huiles minérales. Si rien n’est entrepris, les routes auront une lacune de financement estimée entre 1,1 et 1,2 milliard de francs par an pour la période 2016-2030.

Manifestement, les enveloppes budgétaires actuelles ne suffiront pas pour supprimer les bouchons routiers et les trains bondés.

La Suisse sort d’une décennie pendant laquelle non seulement ses collectivités publiques (Confédération et cantons) se sont désendettées, mais où les impôts ont été baissés. Il est donc assez logique que l’argent manque pour développer les infrastructures à la hauteur des

besoins d’une population et d’une économie en pleine croissance.

Soyons conséquents: préférons-nous relever les taxes ou les impôts?

L’augmentation de la vignette est certes spectaculaire, mais même au tarif de 100 francs, le coût journalier pour emprunter les autoroutes restera inférieur à 30 centimes. Alors que les péages aller et retour vers les plages italiennes ou françaises dépassent allégrement le montant contesté.

Enfin, la démocrate-chrétienne pourra jouer la carte romande. Les nouvelles recettes de la vignette seront notamment affectées à l’amélioration des tronçons suivants: Martigny-Expo – jonction du col du Grand-Saint-Bernard, Morat – Thielle, Delémont-Est – Hagnau, et Neuchâtel – Le Locle-Col des Roches. Auxquels est venu s’ajouter le contournement de Morges. Du très concret face aux référendaires qui prétendent raser gratis.

* Chronique parue dans L’Hebdo le 18 juillet 2013

Bébé royal: merci Victoria

Il est donc né, le bébé royal, troisième dans l’ordre de succession au trône d’Angleterre, et déjà le nourrisson jouit d’une célébrité planétaire (galerie images). Mais pourquoi au fait les Windsor captent-ils plus l’attention médiatique que les autres dynasties royales?

Ce doit être un héritage victorien. Le bébé royal, né le 22 juillet, est l’arrière-arrière-arrière-arrière-arrière petit fils de Victoria, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande de 1837 à 1901. Celle qui fut aussi impératrice des Indes (dès 1876) régna sur un cinquième des terres émergées, quand bien même son prédécesseur Georges III avait perdu les colonies anglaises devenues les Etats-Unis à la fin du siècle précédent. Cet empire, grignoté pendant tout le XXième siècle par la décolonisation, a gardé un héritage commun de la période la plus faste de la monarchie britannique: la langue, l’anglais, que l’on parle partout et même en Inde, le plus beau joyau de la couronne de Victoria. Et une langue, c’est aussi une identité que l’on entretient, une familiarité culturelle qui crée des liens.

Justement, il subsiste également de l’ère impériale britannique un lien institutionnel, le Commonwealth, qui fait que Canadiens, Australiens, Néo-zélandais et tant d’autres (54 états) se sentent en empathie avec la famille royale, leur dernier lien avec la lontaine et vieille Europe (un peu comme une vieille tante excentrique, qui serait la dernière à pourvoir évoquer la vie de vos grand-parents)… un brin d’histoire un peu désuet mais tellement glamour.

La monarchie puise ses racines dans les siècles, la notion de droit divin, et cela impressionne dans une société de l’immédiateté.

L’autre atout des Windsor dans la globalisation médiatique est aussi d’appartenir à une lignée royale qui a compris plus vite que les autres qu’il fallait céder l’essentiel du pouvoir à un parlement, et se contenter d’incarner le faste, l’apparat, la continuité nationale. L’origine du processus remonte au XIIIième siècle déjà: les rois d’Angleterre vont peu à peu céder des prérogatives toujours plus importantes au Parlement. Pour ne pas avoir compris cela, les descendants d’Hugues Capet, Roi de France, les Bourbon, finirent la tête tranchée. Depuis, la France a inventé la présidence monarchique, comme une nostalgie, mais c’est une autre histoire.

Les Windsor ont donc eu pour eux d’incarner du fons de leurs palais une extraordinaire longévité. A côté de la famille d’Elisabeth II tant d’autres clans royaux semblent à peine débarqués dans l’histoire contemporaine – comme la famille royale de Belgique qui est une création du XIXième siècle, pour ne pas parler de celle de Monaco, inventrice du genre people à petite couronne.

L’enfant de Kate et William est ainsi fêté comme fut pleurée par la planète entière sa grand-mère, Diana, qu’il ne connaîtra jamais.

A lire et à voir sur le site de nos collègues de l’Illustré

Quand les familles royales font des enfants, par Blaise Calame (16 juillet 2013)

Maurer et Tian’anmen

On peut reprocher beaucoup de choses à l’UDC (et nous ne manquons pas de le faire au risque de se faire taxer de « maniaque » ou d' »hystérique »), mais jusqu’ici on avait bêtement cru que ce parti était sincèrement du côté du peuple et de la liberté, contre la tyrannie (la définition de ce que recoupe vraiment ces trois mots pouvant varier). C’est pourquoi les propos de Ueli Maurer sur le massacre de la place Tian’anmen sont proprement scandaleux et indignes, de la part d’un président de la Confédération, et de la part d’un élu UDC.

Pour que chacun puisse se faire son opinion, ci-dessous la restranscription de ses propos à la radio alémanique:

Question du journaliste: «Vous avez rendu visite à une division blindée, ce qu’aucun chef d’État occidental n’a fait jusqu’ici. Êtes-vous conscient que la propagande chinoise pourrait l’interpréter comme une réhabilitation de son image? Ça serait mauvais, car l’armée a tiré sur le peuple et a réprimé le mouvement démocratique dans le sang».

Réponse du Président de la Confédération: «Je pense que nous pouvions tirer un trait sur cette affaire depuis longtemps. Le DDPS entretient des liens réguliers avec la Chine depuis 15 ans. C’était très intéressant de voir comment se passe l’instruction des troupes. J’ai beaucoup apprécié l’esprit d’ouverture de mes hôtes».

Désastre à l’italienne

C’est une statistique de l’OCDE qui fait froid dans le dos: en Italie, si l’on considère la classe d’âge entre 19 et 25 ans, un jeune sur deux est inoccupé: ni travail, ni étude. La proportion (52,9) a doublé depuis l’an 2000. Un désastre, pire qu’une génération sacrifiée, une génération oubliée.

Je me demande ce qu’attend l’Etat italien pour lancer de grands travaux d’utilité publique et citoyenne: maints bâtiments publics, comme des écoles, tombent en ruine et pourraient être rénovés par des équipes citoyennes encadrées par quelques professionnels; plages, berges de rivières et de fleuves, ou forêts, sont parfois atrocement polluées et pourraient être nettoyées utilement. Il y a aussi beaucoup d’emplois temporaires possibles dans la prise en charge des malades et des anciens.

Tout vaut mieux que l’inoccupation prolongée de dizaines de milliers de jeunes. D’autant que le risque existe plus en Italie qu’ailleurs que ces délaissés par l’Etat finissent dans les mains des mafias qui, elles, savent procurer du travail à qui en cherche.

Vignette à 100 francs: vous préférez une augmentation d’impôt?

Malgré le dépôt du referendum contre la vignette autoroutière à 100 francs, j’ai de la peine à m’indigner. Nos routes tout comme nos trains sont engorgés, c’est une évidence qu’il faut plus d’argent pour entretenir et développer le réseau routier comme celui des transports publics.

A partir de là, ceux qui ne veulent pas de la vignette à 100 francs devraient se montrer plus cohérents et exiger des hausses d’impôts massives pour trouver les milliards nécessaires – ce qu’évidemment ils ne feront pas, appartenant plutôt au camp de ceux qui revendiquent de manière pavolovienne des baisses d’impôts.

Une vignette à 100 francs, ce n’est jamais que le montant des péages autoroutiers d’un seul aller et retour dans le Centre de l’Italie, en Toscane ou en Ombrie. Comme les Suisses sont de grands voyageurs vers le Sud, je vous laisse caclculer que leur financement aux coûts des autoroutes étrangères, particulièrement françaises, italiennes et espagnoles, est très très supérieur à 100 francs par an.

Personnellement, je l’aurais mise à 200 ou même 500 francs, notre vignette. En comparaison internationale, elle reste bon marché!

Egypte: la démocratie et l’obligation de résultats

Les événements d’Egypte mais aussi les protestations des Brésiliens nous amèneront-ils à revoir la définition de ce qu’est une démocratie au XXIième siècle? L’expression de la volonté populaire, un état de droit, bien sûr, mais aussi désormais une obligation de résultats concrets pour tous les citoyens.

Traditionnellement, les peuples disposaient des élections tous les quatre ou cinq ans pour renvoyer les gouvernants incompétents qui n’améliorent pas leur niveau de vie. Maintenant ils n’attendent plus, ils descendent dans la rue pour exiger des résultats, c’est-à-dire des politiques publiques orientées sur les besoins (emploi, éducation, santé, transports, logement,…).

Désormais aussi, les révolutions se déroulent en direct sur les télévisions, même si certains commentateurs illustrent à la perfection la posture de Fabrice à Waterloo: ce n’est pas parce que l’on est au milieu de l’événement que l’on comprend ce qui se passe, que l’on sait ce qui se joue vraiment.

Il y a donc un effet d’entraînement, de mimétisme. Si les Tunisiens font tomber leur gouvernement, alors les Egyptiens le peuvent aussi. Et les Turcs mécontents ne sont assurément pas moins courageux que les précédents pour, eux aussi, contester un premier ministre qui n’écoute pas leurs aspirations profondes au bien-être. Même dans les pays émergents comme le Brésil, les classes sociales frustrées suivent le mouvement.

Pas de gouvernement légitime sans amélioration du niveau de vie des populations, c’est le nouveau paradigme (dont certains gouvernements européens et la Commission européenne feraient bien de prendre la mesure). L’idéologie et/ou la religion ne remplacent pas l’aspiration profonde de tout un chacun à vivre libre et dans de bonnes conditions.

A quand le tour des Chinois?

PS: Ne trouvez vous que ce qui se passe sur les places d’Egyptes est beaucoup plus formidable et impressionnant que l’affaire Snowden, renvoyée dans le flux de l’actualité, à son statut de scénario de sous James Bond?