Les jeunes ne sont pas les seuls à bouder les urnes

Le chiffre a sonné comme une claque.  * Selon l’analyse Vox, publiée le 3 avril, seuls 17 % des jeunes Suisses auraient pris part au scrutin du 9 février. Dans la classe d’âge des moins de trente ans, donc même pas 1 sur 5. Nous aimons notre démocratie directe, nous la révérons comme une partie de notre identité, mais les nouvelles générations lui sont indifférentes. Quel désaveu.

L’histoire était pénible, la classe politique s’est beaucoup désolée. Mais à peine une semaine plus tard, dès le 10 avril, les chercheurs ont fait état de problèmes méthodologiques tendant à sous-estimer le taux de participation des jeunes.

Que des chercheurs affinent leurs résultats quelques mois après une première publication, rien que de très normal. Mais à quelques jours de distance, ce n’est pas sérieux.

Les problèmes de méthodologie sont connus. Naguère les sondages se fondaient sur des appels par téléphones fixes, quand les natels n’existaient pas, on pouvait donc trouver sans trop de peine les quotas représentatifs de jeunes, de vieux, de femmes, d’hommes, de citadins, de paysans, de gauche, de droite, d’apolitiques,…

Mais maintenant que les jeunes sont pendus à leur natel, dont les numéros ne sont référencés nulle part, les instituts ont beaucoup de difficultés à les identifier et à les interroger en nombre suffisants.

Les instituts cherchent des parades, mais la consultation par e-mail ou par facebook n’ira pas sans susciter de nouveaux problèmes méthodologiques….

Comment dès lors mesurer les classes d’âge où l’abstentionnisme fait le plus de ravage ? Présidente de la Commission des institutions politiques du Conseil national, Cesla Amarelle (PS/VD) suggère que les citoyens inscrivent sur le bulletin de vote leur âge.

Les commentaires générés par le manque d’engagement citoyens des jeunes et la légéreté des scientifiques masquent toutefois un problème réel, que la classe politique se refuse à aborder frontalement : l’abstentionnisme.

Peut-être que les vieux remplissent plus volontiers les urnes, mais le taux moyen de participation aux votations fédérales ne dépasse guère les 60 %. Comprenez que 4 Suisses sur 10 ne s’expriment pas. Les abstentionnistes n’ont pas tous moins de 30 ans. Il est urgent de redonner le goût du vote à toutes les couches de la population, de rendre obligatoire les cours d’instruction civique durant l’école obligatoire. Le dépouillement des résultats devrait être considéré comme un service obligatoire assuré par chacun, histoire de s’initier concrètement au système.

Maintenir une démocratie vivante, assurer la légitimité des décisions, n’est pas moins important que les mathématiques ou la maîtrise d’une autre langue nationale !

* Chronique parue en italien dans il caffè: http://www.caffe.ch/stories/il_punto/46681_i_giovani_non_sono_soli_a_disertare_le_votazioni/

Lausanne, quel avenir pour le no man’s land de Beaulieu ?

Les Lausannois ont refusé l’édification de la tour Taoua sur le site de congrès de Beaulieu. Un score serré de 51,9% de non, avec une participation de 37,4%.

La Municipalité s’attendait à ce résultat, elle a senti le vent tourner il y a quinze jours déjà dans les séances d’information qu’elle a organisées. La pédagogie a butté sur l’esthétique, comme si la vue et la joliesse devaient toujours plus compter que les impératifs d’économie, de logement, de formation. Ce vote a quelque chose du caprice d’enfants gâtés, de Peter Pan qui ne ne veulent pas grandir.

C’est un revers, moins pour les politiciens socialistes et radicaux qui se sont engagés en faveur du projet que pour Beaulieu. Le centre de congrès va subir de plein fouet la concurrence du Swiss Tech Convention Center, qui vient d’ouvrir. Les organisateurs d’événements seront séduits par la modernité des installations de l’EPFL, sans que Beaulieu puisse s’appuyer sur la tour Taoua et sa multfonctionnalité pour acroître son dynamisme et son attractivité.

Porte d’entrée Sud des quartiers renouvelés par Métamorphose, Beaulieu risque de rester ce no man’s land qu’il est en dehors des semaines de foires et de quelques soirées culturelles. Une sorte de grand trou noir dans la Ville, comme le fut longtemps le quartier du Flon.

Pour Lausanne, c’est clairement une occasion manquée, alors que la cité et toute l’agglomération sont saisies par une frénésie de densification mais aussi de meilleure structuration de l’espace public.

L’exemple du Flon permet une once d’optimisme. Le quartier a fini par se replacer au centre de Lausanne et des déplacements de ses habitants, après des décennies de palabres, de controverses, et de plans architecturaux audacieux refusés.

Le site de Beaulieu mérite d’être redynamisé à l’avantage de la population. L’arivée du M3 donne l’occasion de chercher une solution mieux négociée avec les habitants, mais peut-être aussi plus ambitieuse architecturalement.

Lausanne n’est pas qu’une petite cité lovée au pied de sa cathédrale du XIIIème siècle. Pourquoi serait-elle condamnée à ne pas rêver à une des ces nouvelles cathédrales du XXIème siècle que sont les tours fières de filer vers les cieux et de signer l’identité d’une communauté?

Un plan B pour le Gripen?

C’est une curieuse habitude qui s’est invitée dans nos votations.* Nous sommes amenés à trancher des questions précises, mais quand celles-ci s’avèrent délicates, émotionnelles, pas «gagnées d’avance», la question fuse, exigeante: quel est le plan B?

Notre démocratie et nos institutions ne sont pas optionnelles, elles ne resposent pas sur des variantes, elles obligent à décider, et en cas de verdict négatif, mais de nécessité persistante de légiférer, de remettre l’ouvrage sur le métier. Ainsi fut-il fait pour l’assurance-maternité, inscrite dans la Constitution en 1945, mais dont la loi d’application n’a trouvé une majorité populaire qu’en 2004, après maints essais de concrétisation.

La votation du 18 mai sur l’achat de 22 avions de combat Gripen est l’épilogue d’une grande saga, comme seul le Département militaire sait les alimenter. On ne se souvient pas que notre armée ait pu acquérir des avions sans controverses publiques, la pire, celle des Mirages, ayant débouché sur la démission du conseiller fédéral Paul Chaudet en 1966.

Les 22 Gripen suèdois sont loin d’avoir séduit. Selon les sondages, le non recueille 62 %. Aux traditionnels pacifistes qui rêvent d’une Suisse sans armée s’ajoutent les sceptiques sur les priorités de la défense, ou ceux encore qui auraient préféré un autre appareil. Ueli Maurer, en charge du dossier, peine à convaincre.

C’est dans ce contexte difficile que sont venues semer la pagaille les déclarations du conseiller national Thomas Hurter (UDC/SH). Cet ancien pilote suggère ouvertement un plan B: acquérir les avions via le budget courant de l’armée.

La proposition énerve passablement et pas seulement dans son parti. Avouer que l’on n’est prêt à contourner la volonté populaire avant même que celle-ci ne se soit exprimée n’est pas très habile. C’est surtout peu démocrate, et venant d’un élu dont le parti sanctifie le respect de la volonté populaire, c’est problématique. La preuve d’une éthique politique à géométrie très très variable.

Une autre solution de rechange a souvent été évoquée: acheter des Rafale et se concilier ainsi les bonnes grâces de la France dans les contentieux fiscaux en cours.

Là aussi, les espoirs ont été douchés par Paris. La France de Manuel Valls et d’Arnaud de Montebourg ne transigera pas sur la morale fiscale pour quelques avions. Nous ne sommes plus dans l’ère des bonnes combines entre amis, plutôt celle des règlements de compte. Si les Suisses crashent les Gripen, ils devront en assumer les conséquences. Mais il est vrai que nous sous-traitons déjà une partie de notre police du ciel à nos voisins en dehors des heures de bureau…

*Chronique parue en italien dans le Caffè. http://www.caffe.ch/stories/il_punto/46609_ad_ogni_voto_popolare_serve_un_piano_b/

9 février: 1,5 million de Suisses ont décidé pour 5,2 millions d’adultes

En démocratie, la majorité + 1 décide.

Je ne le conteste pas, c’est une bonne règle.

Mais il me semble que depuis le 9 février, on a un léger problème de légitimité du fait de l’abstentionnisme et de la définition du corps électoral:

– ceux qui ont voté oui à l’initiative contre l’immigration de masse sont 1 463 954 citoyens

– ceux qui ont voté non  sont 1 444 428

– le nombre d’électeurs inscrits est de 5 189 562 hommes et femmes

– la participation n’a été que de 55,8%, ce qui veut dire que 4 Suisses sur dix n’avaient pas d’avis sur cet enjeu, présenté comme LE scrutin de la législature
– on sait depuis l’analyse Vox, dévoilée la semaine dernière, que seuls 17% des 18-29 ans sont allés voter
– on sait par ailleurs que la Suisse compte environ 1,4 million d’étrangers âgés de plus de 18 ans
– donc environ 2 281 180 Suisses n’ont pas voté, si on ajoute les étrangers qui ne peuvent pas voter, cela fait 3 767 980 adultes, et si on ajoute ceux qui ont voté non, cela fait  5 212 408 adultes pris en otage par 1 463 954 oui…
– cqfd, on a un sacré problème de légitimité……..
De ce point de vue là, le vote du 6 décembre 1992, qui avait également divisé la Suisse en un camp de 49,7% et un autre de 50,3%, était beaucoup moins contestable car le taux de participation s’élevait à 78,7%.
Je dis ça, je ne dis rien, comme disent les jeunes. Mais n’est-ce pas préoccupant pour une démocratie dite modèle?

Suisse-UE: divorce assumé

Joachim Gauck a osé. * Lors de sa visite officielle du 1er avril, visant explicitement la votation sur l’immigration, le président allemand a osé dire que la démocratie directe a parfois des « désavantages », et qu’elle peut représenter un « grand danger » lorsque les citoyens ont à se prononcer sur des objets complexes dont il est difficile de saisir toutes les implications.

Cette franchise amicale a mal passé. Notre démocratie directe serait si parfaite qu’elle ne supporterait pas la moindre critique. Ceux qui s’offusquent devraient savoir que la noblesse du système démocratique par rapport aux dictatures ou aux royautés c’est d’admettre avec bonheur la critique, de favoriser même l’objection constructive, et surtout de se sentir assez légitime pour ne pas craindre la remise en cause.

Les Suisses feraient bien d’entendre la réflexion de Joachim Gauck, car celui-ci est le président d’un pays qui a sombré dans la barbarie la plus absolue en sanctifiant les émotions populaires. L’Allemagne, qui a surmonté son passé nazi mais aussi la parenthèse communiste à l’Est, est durablement vaccinée contre l’exploitation de la volonté populaire. Son édifice constitutionnel prévoit toutes sortes de garde-fous pour éviter les dérives.

Joachim Gauck n’est pas un cas isolé. La nomination cette semaine d’Arnaud Montebourg comme ministre de l’économie du nouveau gouvernement français a donné une résonance particulière aux déclarations de celui-ci sur la « lepénisation » de la Suisse et le « suicide collectif » que constituerait le vote du 9 février. Décidément, les dirigeants des pays voisins ont perdu leur mansuétude d’antan à notre égard.

L’indignation est malvenue. L’analyse Vox qui vient de sortir nous renseigne sur les motivations des votants le 9 février. C’est une vraie bombe. Elle signale une profonde défiance envers le Conseil fédéral et envers l’Union européenne, surtout parmi les sympathisants des partis de droite. Encore plus dérangeant pour les partis scotchés à la poursuite de la voie bilatérale, comme les libéraux-radicaux et les démocrates-chrétiens, elle indique que 90% de ceux qui ont voté oui à l’initiative de l’UDC se sont dit prêts à assumer la résiliation des accords bilatéraux qui pourrait en être la conséquence.

Donc, les Européens ne comprennent ni nos fonctionnements ni nos objectifs, et nous nous en fichons complétement. Une majorité de Suisses pense sérieusement que l’accès aux marchés européens pourrait être limité, afin que moins d’étrangers affluent chez nous, et que cela serait vraiment mieux ainsi.

Cela s’appelle un divorce. Sec et net. On peut sérieusement douter que le processus de conciliation que tente actuellement le Conseil fédéral aboutisse jamais.

* Cronique parue en italien dans le Caffè: http://www.caffe.ch/stories/il_punto/46506_un_divorzio_consumato_sullaltare_democratico/

Démocratie directe: Joachim Gauck a osé

Joachim Gauck a osé. Lors de sa visite officielle ce 1er avril, le président allemand a osé dire que la démocratie directe a parfois des « désavantages », et qu’elle peut représenter un « grand danger » dans des thèmes complexes sur lesquels il est difficile pour les citoyens de saisir toutes les implications.

Je redoute que cette franchise inquiète surchauffe nos réseaux sociaux, et excite plus que de raisons nos esprits nationalistes, qui révèrent tant « notre démocratie » qu’ils en oublient que la dimension critique en est toujours un salutaire pilier.

J’espère que notre fougue à nous sentir « attaqués » par nos voisins (comme si nous étions en guerre) sera pour une fois domptée.

Après tout, l’Allemagne est un de nos plus sûrs alliés en Europe pour nous aider à faire face aux conséquences du vote de repli du 9 février.