Brexit: tant de questions mais aussi des espoirs

L’ « inenvisageable » va devoir être envisagé par Bruxelles et les 28, ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle.

L’UE a trop tergiversé dans la recherche de nouveaux équilibres économiques, politiques et sociaux.

Le risque de Brexit n’a pas rendu les leaders politiques de l’UE courageux. Peut-on espérer maintenant un saut qualitatif dans l’action?

Le Royaume-Uni avait adhéré au marché commun, il quitte l’Union européenne. Va-t-il vouloir rester dans le marché unique? Ou va-t-il se contenter d’une union douanière sur le modèle turc ? Cette question essentielle du « day after » n’a pas vraiment été discutée pendant la campagne : quel type de colocation institutionnelle entre les 27 et le Royaume-Uni va-t-on pouvoir instaurer? Cette question intéresse hautement la Suisse, qui a eu droit, depuis son refus de l’Espace économique européen en 1992, à du « sur-mesure ». Un « sur-mesure » très chronophage dont l’UE s’est lassée au point de demander un accord institutionnel permettant de régler de manière simple, sûr et prévisible, la gestion des différents dans l’interprétation des accords bilatéraux.

Vu de Suisse, ce vote du 23 juin 2016 a un furieux parfum de 9 février 2014. Bruxelles est devenue le bouc émissaire des impuissances des gouvernements nationaux. Quand Trump sera élu, on ne pourra pas dire que c’est à cause de Bruxelles ? On verra alors à quel point la mondialisation, mal gérée, a fait le lit du populisme. Le vrai problème est les inégalités, qui nourrissent les frustrations ! Sacré chantier.

La Suisse va-t-elle tomber dans un angle mort? Bruxelles peut-elle encore différer la négociation – gelée le temps de la campagne du Brexit – avec la Confédération? On peut le redouter. Mais, compte tenu des difficultés économlques et des pertes de croissance que le Brexit va générer, l’UE n’aura peut-être pas envie de fragiliser un autre pan de relations économiques sommes toutes profitables aux deux parties.

S’il est vrai que l’Europe unie est née des crises, et s’est développée grâce à elles, alors on va être servi ! Peut-on espérer être surpris en bien? Il est temps pour les leaders européistes inventifs de sortir du bois, avec humilité et créativité! 

Publié le 24 juin 2016

Et maintenant, quelles réformes en Europe?

Quelles réformes, alors ? Maintenant que le Brexit est avéré, il est temps de concevoir une Europe à plusieurs cercles, à géométrie variable.

J’avais développé quelques réflexions dans ce sens en novembre dernier lors d’un dialogue européen organisé à la Fondation Jean Monnet:

L’Union est une construction, mais comme la famille s’est agrandie, il faut peut-être envisager une refondation de la maison commune.

On parle beaucoup d’une Europe à deux vitesses. C’est certainement la solution la plus réaliste, la plus sage. Mais par deux vitesses, on entend la zone euro et les autres.

Si j’ose revenir sur le grand dessein de Jacques Delors en 1989, devant le président d’honneur de l’institut qui porte son nom (Pascal Lamy), il me semble que nous avons l’opportunité de corriger sur ce qui a tant posé problème aux Suisses : la satellisation, la nécessité de reprendre le droit du marché unique sans co-décision.

Les institutions européennes existent, elles sont fortes et évolutives : pourquoi le parlement, les conseils européens et même la commission ne pourraient elles pas sièger « à géométrie variable » avec des représentants de tous les pays concernés lorsqu’il s’agit du grand marché, puis en cercle plus restreint pour la zone euro, et encore dans une autre composition lorsqu’il s’agit de Schengen-Dublin.

Donc, ce que je propose, c’est la refondation d’un Espace économique européen avec co-décision. La Suisse y trouverait son compte, la Grande-Bretagne aussi, et l’Union dans son ensemble qui ne passerait plus pour un carcan d’obligation, mais un facteur de ralliement.

Le fédéralisme suisse, garant de diversité mais aussi d’identification à l’ensemble, est un bon exemple de développement à géométrie variable.

Quand on ne trouve pas une solution au plus haut niveau, que la volonté politique fait défaut, on laisse les cantons innover, aller de l’avant. En Suisse, les avancées sociales ont commencé dans les cantons, à Zurich notamment avant d’être reprise par d’autres. Des politiques communes sont coordonnées par des groupes de cantons.

Cette articulation grand marché pour tous – zone euro pour ceux qui le souhaitent devrait aussi offrir l’opportunité d’un réexamen des tâches.

La Confédération s’y est essayée sur le mode « qui paie commande ». Les cantons vis à vis des communes ont également fait le ménage.

L’UE devrait redonner des compétences aux Etats membres, une manière de faire la pédagogie de la subsidiarité, de faire mentir ceux qui la dépeignent en monstre bureaucratique. Une manière de réconcilier cadre européen et proximité des pouvoirs de décision, qui casserait la dynamique de scécession à l’oeuvre dans de grandes régions européennes comme la Catalogne ou l’Ecosse.

Il y a encore un autre outil suisse qui mériterait d’être mieux pris en compte par la construction européenne, c’est l’usage de la démocratie directe par le droit de referendum et d’initiative.

Là encore, la pédagogie serait utile, parce que la démocratie directe ne fabrique pas seulement une décision (bonne ou mauvaise), mais aussi du consensus. Elle oblige les politiciens à rendre compte, à justifier leurs actions, à convaincre. Le peuple ne décide pas toujours comme ses élites le souhaiteraient, mais gouverner sans le soutien de la population sur le long terme nuit aussi gravement à la pérennité des démocraties, et fait le lit du populisme.

** l’entier de mon intervention http://www.hebdo.ch/les-blogs/tauxe-chantal-pouvoir-et-pouvoirs/r%C3%A9former-leurope-quelques-pistes

et en vidéo https://www.youtube.com/watch?v=29buvB1fBVI

publié le 24 juin 2016 sur le site de L’Hebdo.

Le Brexit et nous

En Grande-Bretagne, les sondages se multiplient mais ne donnent pas de tendance claire : à dix jours du scrutin sur le Brexit, personne ne sait avec assurance ce qui va sortir des urnes.

En matière de libre-circulation des personnes, beaucoup d’Anglais pensent qu’elle ne leur bénéficie pas et qu’elle favorise au contraire l’invasion de leur île par toutes sortes d’immigrés qui eux profitent des largesses de l’Etat social. Un sentiment bien connu chez nous.

L’impression de ne plus être maître chez soi domine, surtout dans les petites villes, alors que Londres est de longue date, bien avant l’adhésion de la Grande-Bretagne à la communauté européenne, une ville-monde cosmopolite. Ainsi cet Anglais, réfugié dans une paisible bourgade proche de Birmingham, qui avoue qu’il est venu s’établir ici pour fuir les Pakistanais et les Bengladais, et qui va voter pour la sortie de l’Union européenne. On lui fait remarquer qu’un Brexit n’aura aucun impact sur ces flux extra-européens. Mais il n’en a cure. Tout comme il ne se laisse pas influencer par les conséquences économiques néfastes que le premier ministre met en avant.

En Suisse aussi, les arguments économiques ont perdu de leur magie et le pouvoir de vaincre les résistances. On l’a vu lors du vote du 9 février 2014.

De fait, on croit voter sur la libre-circulation ou le maintien dans l’Europe, mais beaucoup y voient l’occasion d’exprimer leur raz-le-bol des effets de la mondialisation.

Nous sommes entrés dans l’ère de  la démocratie signaux de fumée plutôt que arbitrage des intérêts.

Un Brexit aiderait-il la Suisse dans ses négociations avec l’UE ? La question est controversée. L’ancienne conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey a fait sensation cette semaine en soutenant que oui. Une remise à plat de tout l’édifice institutionnel européen pourrait à moyen terme faire le jeu de la Confédération, estime-t-elle. Si la Grande-Bretagne rejoignait l’Association européenne de libre-échange (qu’elle avait autrefois créé avec la Suisse pour riposter à l’émergence de le Communauté européenne), et ou l’Espace économique européen, son poids économique modifierait le rapport de forces et pourrait favoriser de nouvelles solutions pour garantir l’accès au grand marché européen sans s’encombrer de desseins plus politiques.

L’analyse est audacieuse, mais pas dénuée de pertinence. Sauf que un Brexit ouvrirait une période d’incertitude juridique sur les relations entre l’UE et la Grande-Bretagne. Toutes les forces diplomatiques seraient absorbées dans ce vortex. La renégociation de traités entre les deux prendra au minimum deux ans pendant lesquels la Suisse sera priée d’attendre qu’on ait à nouveaux le temps et les moyens de se pencher sur son cas particulier.

* article paru en italien dans Il caffè  http://www.caffe.ch/section/il_punto/

* publié le 12 juin 2016 sur le site de L’Hebdo 

Le goût de l’utopie en chute libre

Le vote de 1989 sur l’initiative « pour une Suisse sans armée » a établi une sorte de standard: on juge l’insuccès des initiatives à contenu utopiste à son aune.

L’initiative anti-militariste avait engrangé 35,6% de oui.

En 2013, l’initiative 1:12 avait réuni 34,7% de oui.

En 2014, l’instauration d’un salaire minimum n’a recueilli que 23,7% de oui.

Aujourd’hui, le revenu de base inconditionnel a rassemblé 23,1%.

Le goût des Suisses pour l’utopie est en chute libre. A moins que ce dernier résultat ne témoigne plutôt d’une immense lassitude des citoyens face à la multiplication d’initiatives qui mobilisent l’agenda politique mais sont très éloignées de leurs préoccupations concrètes quotidiennes. De plus, les aventures financières ne sont guère prisées.

Ce 5 juin, si l’on considère également le résultat sur l’asile, signale l’inclination des Suisses pour la Realpolitik.

* publié le 5 juin 2016 sur le site de L’Hebdo