Depuis 30 ans, la Suisse est bousculée par une construction européenne toujours plus structurée. Alors que notre petit pays neutre devrait se réjouir que l’Union soit un facteur de paix et de prospérité partagées entre 27 états, il a développé une méfiance irrationnelle : cette chose qui a grandi à nos frontières, cette Union européenne, menacerait notre indépendance et notre souveraineté.
L’abandon de l’accord-cadre ce 26 mai est l’aboutissement de cette lente montée de la paranoïa. Il est une suite logique de l’hégémonie de l’UDC sur les autres partis gouvernementaux. Dans la conception de sa politique européenne, le Conseil fédéral a longtemps cherché à interpréter, voire à tordre, les diktats de l’UDC. L’élection de deux ministres au sein du collège, obtenue de haute lutte par les Blochériens, devait tôt ou tard se solder par une rupture avec Bruxelles. L’enterrement de l’accord institutionnel est aussi celui du système de concordance.
Du coup, le poids de la responsabilité de toutes les conséquences négatives qui vont émerger peu à peu, ne va plus reposer sur les épaules des partisans pragmatiques du compromis, mais sur celles des nationalistes populistes et des syndicalistes qui les ont appuyés. C’est un changement majeur.
Pour minimiser la portée de son choix, le Conseil fédéral revendique la négociation d’accords sectoriels au cas par cas et promet de reprendre unilatéralement du droit européen – sans la moindre garantie de réciprocité ! Cassis, Parmelin et Keller-Sutter inventent la voie bilatérale unilatérale. Berne va désormais mendier un peu d’attention de la Commission pour résoudre les problèmes. Pour un pays qui prétend à un respect de sa souveraineté supérieur à celle des autres, cela manque singulièrement de dignité.
Nous en sommes là : à espérer que les Européens seront gentils avec nous. Il est à craindre que ceux-ci ne nous traitent plus que comme un banal état tiers. En jetant sept ans de discussions à la poubelle, nous avons perdu à leurs yeux notre crédibilité et notre fiabilité.
Forte de son succès économique, l’UE avance peu à peu vers une plus grande intégration politique. La mutualisation des dettes pour financer les plans de relance constitue un coup d’accélérateur. Cette dimension politique de l’UE, la Suisse ne la comprend pas. Il est déroutant qu’un pays pétri de fédéralisme et du principe de subsidiarité s’imagine mieux défendre sa souveraineté en boudant les institutions supérieures où se prennent les décisions qui l’influencent quotidiennement. Est-ce que, depuis 1848, un seul canton a jamais envisagé de ne plus envoyer de représentants à Berne pour y faire valoir son point de vue et ses intérêts ? Nous devrions participer aux institutions européennes de plein droit. Notre histoire nous conduisait naturellement à devenir membre de l’UE Depuis 30 ans, nous faisons fausse route, et inventons des chemins de traverse. Gare à la chute. Car, comme nous sommes, grâce à notre accès au marché unique, une des régions les plus prospères d’Europe, nous risquons de tomber de haut.
*Texte paru en italien dans Il Caffè le 29 mai 2021