Plutôt qu’un conseiller fédéral vert, un Secrétaire d’Etat

D‘ici au 11 décembre, on va avoir droit à un grand théâtre pour ou contre l’élection d’un Vert au gouvernement. Il y a d’autres pistes à explorer pour traduire l’urgence climatique dans les institutions. Chantal Tauxe propose deux pistes.

La Suisse est décidément un curieux pays. Le gagnant des élections fédérales n’est pas le parti qui totalise le plus de suffrages ou de sièges, mais celui qui en gagne le plus par rapport à son score d’il y a 4 ans… Les Verts et leurs cousins Vert’libéraux sont ainsi désignés gagnants, alors que l’UDC demeure le premier parti de Suisse avec près de 9 points d’avance sur  plus le second! En conséquence, jusqu’au 11 décembre, jour de réélection du Conseil fédéral, on va beaucoup parler de la probabilité de donner un fauteuil gouvernemental aux Verts.

Ce sera un beau théâtre, le casting est nouveau: cette fois-ci, il n’est pas question du genre de l’élu-e potentiel-le, ni de son appartenance régionale, mais de l’opportunité de rebrasser la formule dite «magique» qui détermine la composition du gouvernement.

Dans l’absolu, la revendication des Verts n’est pas illégitime: socialistes, libéraux-radicaux, verts et démocrates-chrétiens se tiennent dans un mouchoir de poche – un arc de 5,2 points – qui va doper une course à la visibilité contraire à l’esprit de gentille concordance que l’on prête à nos institutions. Si l’on s’en tient à la pure arithmétique, il est difficile de justifier autrement que par l’histoire et l’habitude que PS et PLR aient droit à deux sièges, le PDC à un, et les Verts à rien.

Mais un gouvernement n’est pas qu’une pure question arithmétique. Il devrait entrer dans la réflexion sur sa composition des considérations programmatiques. Surtout après une législature marquée par les blocages et une claire impuissance à trouver des solutions aux problèmes les plus urgents.

Il est à craindre que jusqu’au 11 décembre le théâtre «un vert ou pas, qui propulser, qui chasser?» retarde les discussions de fond: comme d’habitude sous la Coupole bernoise la personnalisation prendra le dessus sur les enjeux.

A la fin, le soufflé retombera, même si sur le papier, avant même le deuxième tour du Conseil des Etats le 10 novembre, verts, vert’libéraux, démocrates-chrétiens et socialistes, totalement soudés, disposent déjà d’une majorité théorique pour attaquer un siège PLR.

Dans ce contexte, il y a peut-être mieux à faire que d’alimenter le théâtre. Si on veut mieux intégrer la préoccupation climatique dans la manière de gouverner, d’autres pistes pourraient être explorées.

Par exemple, le Conseil fédéral pourrait nommer un Secrétaire d’Etat à la transition énergétique pour mettre le turbo (si on ose encore cette métaphore) dans les mesures à prendre pour parvenir à la neutralité carbone au plus vite. Une décision qui peut être prise rapidement. Un homme paraît tout désigné pour cela: Roger Nordmann, le conseiller national socialiste auteur d’un récent «Plan solaire et climat1» aussi précis que raisonnablement volontariste.  Ou alors une personnalité verte du même calibre.

Le Conseil fédéral pourrait aussi réfléchir à des moyens de mieux écouter et associer les jeunes – engagés dans les partis ou pas – qui ont manifesté pour le climat et vont continuer à le faire. Sur le modèle des parlements des jeunes, pourquoi ne pas organiser des sessions spéciales qui instaurant un dialogue entre le Conseil fédéral et cette génération d’activistes du climat?

Ce qu’appelle l’urgence climatique – chacun en conviendra – c’est une capacité d’innovation décuplée. Ce qui est vrai pour l’économie ou la politique devrait l’être aussi pour les institutions. Acter cette exigence passe par de nouvelles idées et beaucoup de créativité.

Article paru sur le site Bonpourlatête du 31 octobre 2019:   https://bonpourlatete.com/analyses/plutot-qu-un-conseiller-federal-vert-un-secretaire-d-etat

 


1Roger Nordmann, Le Plan solaire et climat, Comment passer de 2 à 50 GW photovoltaïque pour remplacer le nucléaire, électrifier la mobilité et assainir les bâtiments,  Editions Favre / Swissolar, 2019

Être à la hauteur, nouveau défi écologiste

La plus grande progression en sièges pour un parti, les Verts, depuis l’introduction de la proportionnelle en 1919. Et la plus grande perte aussi, pour l’UDC. Les résultats des élections fédérales ont surpris plus d’un commentateur. En Suisse, en général, les gains électoraux se comptent sur les doigts des deux mains. Cette fois-ci, les Verts ont fait exploser le compteur : 17 sièges supplémentaires, c’est du jamais vu, et 9 de plus également pour les Vert’libéraux. Cela rebrasse les cartes.

Au parlement, les deux groupes écologistes de gauche et de droite vont créer un vrai débat sur les moyens à adopter pour enrayer le changement climatique et gérer la transition énergétique. La préoccupation environnementale ne pourra pas être étiquetée « de gauche ». C’est une des meilleures nouvelles qui soit pour qui veut trouver des solutions.

Le slogan choisi par operation libero « les élections du changement » se trouve ainsi admirablement incarné. Le mouvement totalise une dizaine d’élus qui incarnent cette Suisse progressiste, ouverte, humaniste qui veut aller de l’avant et en finir avec le blochérisme inquiet et déprimant.

Il faut regarder le taux de participation pour comprendre ce qui est arrivé ce 20 octobre : 46% des citoyens se sont exprimés, c’est moins qu’en 2015. Compte tenu de la poussée verte, cela signifie qu’il y a eu une démobilisation à droite, surtout parmi les électeurs UDC. Fatalisme devant la vague verte annoncée, ou désarroi voire dégagisme devant le peu de résultats concrets obtenus après le Rechtsrutsch de 2015 ? Indéniablement la vague verte s’incarne dans l’élection de jeunes femmes, alors que la défaite de l’UDC fait rentrer à la maison des hommes de plus de soixante ans.

L’UDC perd 12 sièges, c’est colossal, mais elle reste le premier parti de Suisse en suffrages. Le camp souverainiste est affaibli, comme en témoigne la non-réélection de deux figures de l’USAM, l’UDC fribourgeois Jean-François Rime, et le PLR zurichois Hans-Ulrich Bigler. Cela va laisser de l’air à économiesuisse et à AvenirSuisse pour faire émerger des idées moins conservatrices, plus en phase avec les besoins réels des entreprises.

Une question va occuper le devant de la scène jusqu’au 11 décembre : faut-il traduire la vague verte dans la composition du Conseil fédéral ? Sur le papier, une alliance compacte PS-PDC-Verts et Vert’libéraux devrait être en mesure de déloger un PLR. Mais se pose la question du casting : quel candidat contre quel élu ? Le siège de Cassis apparaît le plus menacé. Comme si la durabilité à la mode n’avait que faire de la pluralité linguistique…

Pour les écologistes, le succès s’accompagne désormais d’un surcroît de responsabilités. Ils doivent donner une traduction législative rapide à la colère et l’impatience de la rue. Sauront-ils se dégager d’un certain fondamentalisme et jouer le jeu des institutions, c’est-à-dire proposer, convaincre mais aussi transiger ? Sauront-ils expliquer leurs nécessaires compromis et se montrer loyaux ? L’enjeu est d’importance face à des jeunes prêts à la désobéissance civile, mais aussi, comme on le voit à l’étranger, à des confrontations plus violentes. Pour les vainqueurs du 20 octobre, l’enjeu le plus important n’est pas d’accéder au Conseil fédéral mais d’être à la hauteur des espoirs qu’ils ont soulevés.

Texte paru dans l’hebdomadaire dominical Il Caffè le 27 octobre 2019: http://www.caffe.ch/stories/le_analisi_di_tauxe/64119_timori_ambientalisti_non_solo_a_sinistra/

 

 

 

 

La section vaudoise du NOMES, un terreau fertile

Commémorera-t-on l’an prochain le centenaire du vote d’adhésion de la Suisse à la Société des Nations (SDN), le 16 mai 1920? Le scrutin est fondateur, il permet de comprendre pourquoi la Suisse romande livre des résultats plus favorables à l’intégration européenne. Dans ce premier après-guerre mondiale, perçue alors comme la «der des ders», on s’enthousiasme pour le projet de paix universelle, articulé en quatorze points par le président américain Wilson. Les cantons romands plébiscitent l’adhésion à la SDN: 76% de oui en Valais, 76,7% dans le canton de Fribourg, 83% pour Genève, 84,8% pour Neuchâtel et même 93,2% dans le canton de Vaud! Sur le plan national, l’acceptation est plus mesurée à 56,3%. Le Tessin, Berne et les Grisons jouent un rôle décisif.*

En concurrence avec Bruxelles, Genève obtient le siège de la nouvelle organisation internationale, grâce aux bonnes relations personnelles entre le président Wilson et Gustave Ador, président du Comité international de la Croix-Rouge et conseiller fédéral. L’ancrage multilatéral de la Suisse, malgré sa neutralité, et malgré les vicissitudes que connaîtra ensuite la SDN, vient de là, tout comme la vocation de havre diplomatique de l’arc lémanique.

D’autres facteurs expliquent bien sûr les votes plus «ouverts sur le monde» des Romand·es: la tradition protestante, le souvenir du refuge, la francophilie, l’influence de certains conseillers fédéraux, une attitude décomplexée de minoritaire face au pouvoir.

Pour le canton de Vaud, mentionnons la présence à Lausanne de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, depuis 1978, qui promeut les valeurs de l’intégration européenne, indépendamment des échéances de la politique extérieure de la Suisse.

Sur la longue durée, le terreau romand, et vaudois en particulier, reste ainsi fertile pour les pro-européen·nes. A cet égard, on peut estimer que les sondages sont un trompe-l’œil: focalisés sur la question des bilatérales, ils font de l’adhésion à l’Union européenne (UE) une option en soi qui exclurait le ralliement à l’accord institutionnel. Gageons que si celui-ci devait capoter, et que de facto l’adhésion redevienne la seule alternative au repli nationaliste prôné par l’UDC, la flamme des Romand·es pour l’adhésion, endormie par le feuilleton des bilatérales, ressurgirait rapidement.

C’est consciente de cette histoire longue qu’œuvre la section vaudoise du Nomes. Elle privilégie un travail de sensibilisation en réseau. Elle organise quatre à six fois par année des déjeuners, lors desquels des personnalités vaudoises ou suisses sont interpellées sur leurs convictions européennes et/ou leurs connaissances d’une thématique liée à l’UE.

Les quelque 300 membres de la section sont naturellement conviés à ces rencontres, également ouvertes aux non-membres. Une collaboration s’est instaurée avec la Fondation Jean Monnet qui diffuse l’invitation à son propre réseau. Parmi les récent·es oratrices et orateurs, citons la rectrice de l’Université de Lausanne Nouria Hernandez, le professeur Etienne Piguet, spécialiste des migrations, ou Christophe Reymond, directeur du Centre patronal. Enfin, une fois l’an, le Nomes Vaud organise un forum qui offre l’occasion aux militant·es d’approfondir un thème complexe, de se forger des arguments afin de prendre part au débat public avec force.

Ce printemps, deux experts du populisme ont analysé le phénomène qui aura marqué l’année électorale, tant au niveau européen que national.

*Article paru dans le magazine europa.ch 2/2019

Elections fédérales: la grande bousculade

Il n’y a que 200 places au Conseil national, le nombre a été bloqué en 1962!  Mais la hausse du nombre de candidatures en 2019 est spectaculaire : 857 de plus qu’il y a quatre ans, au total 4645 personnes. Le nombre de listes enregistre un nouveau record : 511. *

Au mieux cette grande bousculade est le signe d’un regain d’intérêt pour la vie publique. Au pire, un truc électoraliste. Depuis 1975, le taux de participation aux élections fédérales n’a plus dépassé les 50%. On verra le soir du 20 octobre si la hausse des candidatures a débouché sur une meilleure mobilisation des électeurs.

Cet engouement est un signe de fébrilité : avec 101 voix le bloc UDC-PLR dominant au Conseil national a frustré les autres groupes pendant quatre ans. Les partis jettent toutes leurs forces dans la bataille pour augmenter ou conserver leur part du gâteau électoral. Ils auraient tort de se priver, le système suisse autorise les produits dopants: on peut voter deux fois pour la même personne, on peut créer des listes-cousines grâce aux apparentements et même aux sous-apparentements.

Ce n’est pas un hasard si le parti gouvernemental qui est le plus menacé, le PDC, est celui qui a déposé le plus de listes : 77.

L’analyse des résultats précédents est implacable : dans la plupart des cantons, il est difficile de gagner un siège supplémentaire. Alors, ajouter à la liste principale une liste de jeunes, de femmes, d’aînés, ou déclinant un thème tel l’innovation, c’est un moyen de maximiser les chances de faire bouger les lignes.

Les petits ruisseaux font les grandes rivières: avec cette stratégie, un parti gagne de précieux suffrages additionnels, d’autant que les Suisses aiment bien panacher leur bulletin, c’est-à-dire voter pour un parti tout en traçant des noms et en rajoutant d’autres de la concurrence.

Cette inflation de listes tient du marketing : en cette année féministe, si tu n’as pas de liste-femmes, cela dénote d’un manque de sensibilité qui va éloigner les électrices de ta couleur politique. La liste femmes ou jeunes est un produit d’appel, comme au supermarché. Il est rarissime que l’une ou l’un d’entre eux soit élu. Mais les suffrages ainsi engrangés boostent la performance de la liste principale.

Ces tours de piste électorale permettent de tester le potentiel d’un candidat au niveau local ou cantonal, de se former à l’art de faire campagne et d’attirer l’attention sur soi. Une sorte d’examen. Certains novices ressortiront de l’expérience motivés pour s’investir encore plus dans la vie de leur parti, et d’autres écoeurés par leur score final : trois mois de campagne pour quelques petites centaines de voix ?

Le soin mis à ne pas perdre le moindre petit suffrage contraste avec le vide programmatique sidéral. Certes, les partis s’allient entre eux, à droite, au centre et à gauche, pour que les voix qui ne leurs sont pas utiles bénéficient à des adversaires le moins éloignés possible de leurs positions idéologiques. Mais l’exercice ne va pas jusqu’à s’entendre sur un véritable programme pour la législature. En Suisse, on compte d’abord, et ensuite seulement on réfléchit à ce que l’on pourra réaliser ensemble. Paradoxalement, le débat d’idées, propre aux élections nationales, n’en sort, lui, pas grandi.

*article paru le 6 octobre 2019 en italien dans l’hebdomadaire il caffè:

http://www.caffe.ch/section/il_commento/