Le discours de Jacques Delors qui fit rêver les Suisses

Salué comme un géant de la construction européenne, Jacques Delors, décédé mercredi à Paris, fut également l’homme qui bouscula la politique européenne de la Suisse et l’obligea à se projeter dans une nouvelle dimension. Pas de plan machiavélique de la part de ce social-démocrate français, promu à la tête de la Commission européenne en 1985, pour faire adhérer la petite nation encastrée au milieu d’une Communauté qui comptait alors douze membres, mais une vision et une manière d’édifier la maison Europe qui interpella tous ceux qui comme la Suisse n’avait pas songé jusque là à y entrer.

On se figure mal aujourd’hui l’effervescence des années 1980 qui conduisit à la création du marché et de la monnaie uniques, une sorte de big bang dans l’intégration européenne, dont Jacques Delors fut, selon l’expression mercredi soir à Forum de Pascal Lamy, alors chef de son cabinet, «l’architecte et l’ingénieur».

Pour comprendre l’effet de cette stimulation sur la torpeur bernoise, il faut se reporter au discours que le président de la Commission prononce le 17 janvier 1989 devant le parlement à Strasbourg. En janvier 1989, le mur de Berlin n’est pas encore tombé et les états membres de la Communauté européenne (CE) marchent vers l’échéance de 1992 pour concrétiser l’achèvement de leur marché intérieur par la réalisation de la libre-circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services. Membre de l’AELE (Association européenne de libre-échange), la Suisse observe inquiète ce remue-ménage. Depuis le traité de Rome en 1957, elle a une idée fixe : faire en sorte que son économie maintienne sa position concurrentielle sur les marchés extérieurs et qu’elle ne soit pas marginalisée par les progrès de la construction européenne. Lors d’une réunion à Luxembourg en 1984, les ministres de la CE et de l’AELE ont convenu de développer de façon «pragmatique» leurs relations commerciales dans le contexte nouveau qui s’annonce.

Lorsque le 17 janvier 1989, le président Delors se présente devant le Parlement européen, quatre ans après son investiture, pour faire le point sur les travaux en cours, quelques phrases à la fin de son discours-fleuve attirent l’attention au point que la presse helvétique du lendemain y consacre des dépêches. Il vaut la peine de les citer (nous soulignons en gras le passage le plus marquant):

« (…) Il me semble qu’au début de cette réflexion deux voies s’ouvrent à nous: ou bien continuer dans le cadre des rapports actuels, en fait essentiellement bilatéraux, pour aboutir finalement à une zone de libre-échange englobant la Communauté et les pays appartenant à l’AELE. Ou bien rechercher une nouvelle forme d’association, qui serait plus structurée sur le plan institutionnel, avec des organes communs et de décision et de gestion et ce, afin d’accroître l’efficacité de notre action. Ce serait souligner la dimension politique de notre coopération dans les domaines de l’économique, du social, du financier, voire du culturel. (…) »

La déclaration est imprécise, mais comme en témoignent les archives des documents diplomatiques suisses, le Conseil fédéral va vite chercher à en saisir la portée en termes de codécision. La main tendue aux pays de l’AELE débouche en tout cas dès décembre 1989 sur l’ouverture de négociations sur l’Espace économique européen (EEE). Pendant toute leur durée jusqu’en mai 1992, la Suisse bataille pour obtenir le droit de codécider dans le nouvel ensemble.

Cet espoir est pourtant vite douché: en janvier 1990 déjà, lors d’une nouvelle intervention devant le Parlement, Delors précise: «il n’est pas concevable d’aller jusqu’à une codécision qui ne peut résulter que de l’adhésion». Le Conseil fédéral et les diplomates persistent à s’accrocher à cette chimère. Face à l’opinion publique, ils rechignent à prononcer le mot «adhésion» et laissent accroire qu’ils obtiendront in fine une solution satisfaisante en termes de souveraineté. D’autres partenaires de l’AELE, comme la Suède et l’Autriche et la Finlande, captent le message delorien cinq sur cinq et annoncent leur volonté d’adhérer – ce qu’ils feront en 1995.  

Volte-face en mai 1992, après la signature du traité sur l’EEE à Porto, le gouvernement procède à une nouvelle évaluation des avantages de l’adhésion. Il annonce que l’EEE ne sera qu’une étape et il dépose une demande d’adhésion à la Communauté européenne, seule voie qui permet d’être vraiment partie prenante de décisions que la Suisse devra appliquer. On connaît la suite, le refus de l’EEE en votation populaire le 6 décembre 1992, puis la laborieuse mise en œuvre d’un plan B comme bilatérales, qui se révéleront toutefois être très profitables pour la Confédération.  

Près de 35 ans après le discours d’ouverture de janvier 1989 qui suscita tant d’espoirs, c’est peu dire que les Suisses restent embarrassés par la dynamique de la construction européenne enclenchée par Delors : ils sont toujours soucieux d’avoir accès à son marché intérieur et à ses réussites (comme les programmes de recherche et Erasmus), mais la reprise du droit communautaire qui garantit cet accès demeure un épouvantail. Par rapport aux années 1980-1990, la régression de la réflexion européenne helvétique est spectaculaire.

Auteur de la fameuse phrase «on ne tombe pas amoureux d’un marché unique», Delors avait néanmoins su rendre au cours de ses dix années à la tête de la Commission l’appartenance à l’Union européenne (UE) désirable. Malgré le revers de 1992, l’adhésion de la Suisse à l’UE recueillait en 1999, peu avant l’entrée en vigueur des accords bilatéraux, 57% d’opinions favorables dans les sondages, un score que l’on n’a plus enregistré depuis.

À tous les sceptiques qui doutent encore de la pertinence d’approfondir nos liens avec l’UE, on conseillera donc vivement de lire les interviews et les discours de Jacques Delors, publiés en hommage depuis mercredi. Ils y trouveront une vision et une ambition pour une Europe compétitive, sociale et solidaire plus que jamais actuelle.

Article paru dans Le Temps, le 28 décembre 2023

et cité par Sylvain Kahn, professeur agrégé et chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po

https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/disparition-de-jacques-delors-hommage-a-l-homme-qui-transforma-l-europe/

La voie bilatérale unilatérale

Depuis 30 ans, la Suisse est bousculée par une construction européenne toujours plus structurée. Alors que notre petit pays neutre devrait se réjouir que l’Union soit un facteur de paix et de prospérité partagées entre 27 états, il a développé une méfiance irrationnelle : cette chose qui a grandi à nos frontières, cette Union européenne, menacerait notre indépendance et notre souveraineté.

L’abandon de l’accord-cadre ce 26 mai est l’aboutissement de cette lente montée de la paranoïa. Il est une suite logique de l’hégémonie de l’UDC sur les autres partis gouvernementaux. Dans la conception de sa politique européenne, le Conseil fédéral a longtemps cherché à interpréter, voire à tordre, les diktats de l’UDC. L’élection de deux ministres au sein du collège, obtenue de haute lutte par les Blochériens, devait tôt ou tard se solder par une rupture avec Bruxelles. L’enterrement de l’accord institutionnel est aussi celui du système de concordance.

Du coup, le poids de la responsabilité de toutes les conséquences négatives qui vont émerger peu à peu, ne va plus reposer sur les épaules des partisans pragmatiques du compromis, mais sur celles des nationalistes populistes et des syndicalistes qui les ont appuyés. C’est un changement majeur.

Pour minimiser la portée de son choix, le Conseil fédéral revendique la négociation d’accords sectoriels au cas par cas et promet de reprendre unilatéralement du droit européen – sans la moindre garantie de réciprocité ! Cassis, Parmelin et Keller-Sutter inventent la voie bilatérale unilatérale. Berne va désormais mendier un peu d’attention de la Commission pour résoudre les problèmes. Pour un pays qui prétend à un respect de sa souveraineté supérieur à celle des autres, cela manque singulièrement de dignité.

Nous en sommes là : à espérer que les Européens seront gentils avec nous. Il est à craindre que ceux-ci ne nous traitent plus que comme un banal état tiers. En jetant sept ans de discussions à la poubelle, nous avons perdu à leurs yeux notre crédibilité et notre fiabilité.

Forte de son succès économique, l’UE avance peu à peu vers une plus grande intégration politique. La mutualisation des dettes pour financer les plans de relance constitue un coup d’accélérateur. Cette dimension politique de l’UE, la Suisse ne la comprend pas. Il est déroutant qu’un pays pétri de fédéralisme et du principe de subsidiarité s’imagine mieux défendre sa souveraineté en boudant les institutions supérieures où se prennent les décisions qui l’influencent quotidiennement. Est-ce que, depuis 1848, un seul canton a jamais envisagé de ne plus envoyer de représentants à Berne pour y faire valoir son point de vue et ses intérêts ? Nous devrions participer aux institutions européennes de plein droit. Notre histoire nous conduisait naturellement à devenir membre de l’UE Depuis 30 ans, nous faisons fausse route, et inventons des chemins de traverse. Gare à la chute.  Car, comme nous sommes, grâce à notre accès au marché unique, une des régions les plus prospères d’Europe, nous risquons de tomber de haut.

*Texte paru en italien dans Il Caffè le 29 mai 2021

Débat sur la souveraineté de la Suisse

Le 10 mars 2021, la Fondation Jean Monnet pour l’Europe a organisé un dialogue ayant pour titre « Quelle souveraineté suisse ? ». Kevin Grangier, président de l’UDC Vaud et membre du comité de l’ASIN, et Chantal Tauxe, vice-présidente du NOMES Suisse, ont ainsi pu débattre de leur vision de la souveraineté et des défis qui y sont liés.

La vague verte emportera-t-elle les bilatérales ?


Le 17 mai, nous votons sur une nouvelle initiative de l’UDC dont l’acceptation aurait pour conséquence la fin des accords bilatéraux qui, depuis bientôt vingt ans, ont assuré à la Suisse croissance et prospérité. Quel sera l’impact de la mobilisation contre le réchauffement climatique sur cet enjeu? L’histoire de nos relations avec l’UE invite à la prudence: en 1992, le choix des écologistes de ne pas soutenir l’Espace économique européen a été lourd de conséquences. Analyse.

Depuis le premier vote sur les accords bilatéraux en 2000, à la faveur de referendums ou d’initiatives, c’est la dixième fois que nous allons nous exprimer sur la poursuite de la voie bilatérale le 17 mai prochain.
Il vaut la peine de retracer l’histoire de cette option, proposée le 6 décembre 1992 par Christoph Blocher lui-même au soir du refus de l’Espace économique européen (EEE). Les nouvelles générations de grévistes du climat qui sont descendues l’an dernier dans la rue la connaissent mal. Sommé d’indiquer ce que le Conseil fédéral devrait faire pour aménager nos relations avec l’Union européenne (UE), le tribun UDC avait alors recommandé la négociation «d’accords bilatéraux».

Convaincre l’UE de discuter avec nous seulement – et pas via l’Association européenne de libre-échange (AELE) comme cela avait été le cas pour l’EEE – ne fut pas une mince affaire. L’UE finit par y consentir en imaginant que cette phase «sur mesure» avec les Helvètes constituerait une préparation à l’adhésion. Signés en 1999, les accords bilatéraux I furent acceptés le 21 mai 2000 par 67% des votants. Cette large approbation mettait fin à la période de stagnation de l’économie suisse, qui avait suivi le refus de l’EEE.

Par la suite, l’amplitude du soutien à la voie bilatérale a varié de 53% (scrutin sur les fonds de cohésion pour les pays de l’Est, en novembre 2006) à 74 % (refus de l’initiative Ecopop, en novembre 2014). De manière récurrente, les sondages mesurant l’envie des Suisses d’en finir avec la libre-circulation des personnes, comme le propose l’initiative de l’UDC appelée cette fois-ci «de limitation» par ses partisans mais «de résiliation» par ses opposants, suscite le rejet à hauteur de plus de 60%.

Le couac de 2014

Seul couac dans cette succession de confirmation de la voie bilatérale, le 9 février 2014, une courte majorité du peuple, 50,3% des votants (comme en 1992) disaient oui à l’initiative dite «contre l’immigration de masse».

Morale de cette histoire, les Suisses sont attachés à la voie bilatérale (qui leur évite de se poser la question de l’adhésion à l’UE), mais un accident reste toujours possible. Différents facteurs peuvent faire basculer une votation: un engagement mollasson du Conseil fédéral ou des partis, un contexte géopolitique particulier, les millions de francs investis dans la propagande de l’UDC par le clan Blocher (dans une totale opacité), une mobilisation faible et pavlovienne des partisans des accords bilatéraux.

Karin Keller-Sutter bien seule

Qu’en est-il en ce début 2020? En charge du dossier de la migration comme cheffe du Département de justice et police, Karin Keller-Sutter (PLR) est montée au front, avec la détermination qu’on lui connaît, mais bien seule. A la tête du Département de l’économie, de la formation et de la recherche, Guy Parmelin ne semble pas prêt à mouiller collégialement le maillot, et à affronter son parti qui a lancé cet énième texte attaquant la voie bilatérale que les milieux économiques veulent quasi unanimement préserver.

Troisième ministre théoriquement en première ligne comme chef du Département des affaires étrangères, Ignazio Cassis, lui aussi PLR, peine à plaider la cause européenne avec conviction. KKS peut toutefois compter sur la présidente de la Confédération. Simonetta Sommarugua a vécu la débâcle de 2014, et en a tiré les leçons: il n’y aura pas de plan B, une acceptation de l’initiative serait un saut dans l’inconnu, elle obligerait le gouvernement à repartir de zéro pour négocier avec l’UE. La socialiste n’a aucune envie de gérer le chaos qu’entraînerait un Swissxit.

Pour ce qui est du contexte qui va influencer la campagne, il n’augure pas d’une promenade de santé. Une grosse couche de paranoïa entourant l’épidémie de coronavirus pourrait accréditer l’idée que la fermeture des frontières est la panacée universelle.

La mondialisation, c’est mal 

Et puis, il y a les inconnues de la vague verte, qui a tellement influencé le résultat des élections fédérales l’automne dernier. Qu’a-t-on entendu depuis une année? Une légitime préoccupation sur les effets du réchauffement climatique, mais aussi une vision parfois simpliste des causes qui l’ont provoqué. Pour beaucoup d’activistes, la mondialisation, c’est mal, et le libre-échange (c’est-à-dire la circulation facilitée des marchandises entre les différentes régions de la planète), c’est le mal absolu. Circuits courts et produits de proximité sont érigés en vertueux impératifs. A cette aune-là, la libre-circulation des personnes se voit assimilée à un dérivé de la mondialisation honnie, une sorte de synonyme européen des comportements à combattre.

En 1992 ou en 2014, le résultat s’était joué dans un mouchoir de poche. A 10 000 voix près, la majorité du peuple basculait du côté de l’EEE ou rejetait l’initiative contre l’immigration de masse. En 1992, la majorité des cantons aurait peut-être manqué, mais la dynamique politico-diplomatique aurait été tout autre. Après le 9 février 2014, la Suisse se serait évité retard et complications dans les négociations de l’accord-cadre avec l’UE.

En 1992, les Verts étaient anti-européens

Or, en 1992, les écologistes suisses avaient préconisé le refus de l’EEE (les sections romandes et bâloises recommandant le oui). Depuis, le parti s’est clairement rallié aux Verts européens et à leurs idéaux. Mais, les grévistes du climat, les jeunes rebelles qui pensent que nous courons tout droit et sans alternative vers l’extinction de la vie sur terre, que pensent-ils des accords bilatéraux, cet édifice complexe et terriblement institutionnel? Sont-ils attachés aux libertés de mouvement et d’établissement que ces textes garantissent aux Suisses et aux Européens? Ou bien cette cause leur est-elle indifférente? Le pacte vert européen, proposé par la nouvelle commission von der Leyen, les fait-il bailler ou suscite-t-il en eux l’espoir d’une coordination continentale efficace contre les effets du réchauffement? Vont-ils se mobiliser pour la libre-circulation des personnes qui a permis aux jeunes générations de profiter des programmes Erasmus et de disposer d’amis aux quatre coins du continent? Ou vont-ils renforcer le camp national-populiste de l’UDC?

L’emprise étrangère sur notre sol et nos paysages

Chaque fois que la voie bilatérale a été attaquée, les milieux économiques ont fait campagne sur les conséquences dommageables sur l’emploi et la prospérité. Cet argumentaire rationnel peut-il convaincre celles et ceux qui remettent en question la croissance et les dérives de la mondialisation? La libre-circulation des personnes a aussi une dimension humaniste, c’est une liberté fondamentale que les membres de l’UE partagent avec nous, et qui nous offre de réelles facilités de déplacement et d’établissement. Encore faut-il considérer ces perspectives comme une chance et un progrès dans l’histoire des humains.

Car, il faut s’en souvenir, à chaque fois que les Suisses ont eu à se prononcer sur l’immigration, des initiatives Schwarzenbach à celles de l’UDC, le discours sur le péril que ferait courir «l’emprise étrangère» sur notre environnement, notre sol et nos paysages, a gagné en vigueur. Ce cocktail est vénéneux qui nourrit l’illusion que la Suisse se porterait mieux en se coupant du monde. Il a un potentiel pouvoir de séduction sur celles et ceux que les dérèglements actuels font paniquer.

Pour les tenants de la voie bilatérale, malgré l’expérience engrangée depuis vingt ans, l’échéance du 17 mai n’est vraiment pas gagnée d’avance.

Article paru le 10 mars sur le site Bon pour la tête

Accord-cadre: 60% des Suisses le soutiennent

Les Suisses semblent plus clairvoyants et courageux que le Conseil fédéral et les partis sur le fameux accord cadre ? 60% de soutien (selon un sondage gfs)  à un texte complexe – dont les désavantages ont été plus débattus que les avantages – cela signifie que les Suisses veulent une solution et pas un marécage genre Brexit. Le sondage du jour va dans le même sens que les enquêtes d’opinion plaçant les relations Suisse-UE au deuxième rang des préoccupations des citoyens en cette année électorale. Avis aux partis: les Suisses veulent des solutions, pas des postures irréalistes.

Suisse-UE: des syndicats irresponsables

Trouver une solution favorable avec l’UE n’incombe pas aux seuls conseillers fédéraux. L’attitude des syndicats est incroyablement irresponsable. Qu’adviendra-t-il des salaires et du marché du travail en cas de dénonciation des accords bilatéraux ?

Paul Rechsteiner est parlementaire fédéral depuis 1986. Le syndicaliste saint-gallois, même s’il n’a jamais appartenu à la Commission des affaires étrangères, a suivi tous les débats de politique européenne, il connaît toutes les étapes de nos relations avec l’UE, qui nous ont amenés à la phase de négociation actuelle.

Son refus de discuter avec le chef du Département de l’Economie est particulièrement grotesque. Paul Rechsteiner sait qu’il faut renouveler la voie bilatérale par un accord institutionnel. Et, il appartient au parti socialiste, seul parti gouvernemental qui demande encore dans son programme l’adhésion à l’UE. Sa posture est incohérente !

Les syndicats oublient la portée pratique des mesures d’accompagnement. Elaborées à la fin des années 1990, au moment où la Suisse a réussi à se rabibocher avec l’UE grâce aux accords bilatéraux, celles-ci ont été introduites pour protéger le marché du travail tel qu’il était. Près de deux décennies plus tard, la révolution numérique a changé la donne. Là où il fallait huit jours pour organiser des contrôles, on pourrait s’y prendre autrement, en poursuivant le même but.

Surtout, le dumping salarial n’existe pas qu’en Suisse. Le Parlement européen a renforcé ce printemps les mesures de lutte contre la concurrence des travailleurs détachés. Les syndicats et le Conseil fédéral devraient informent plus en profondeur la population sur ce qui se passe au niveau européen.

Il faudrait aussi se souvenir que sans accord cadre renouvelant la voie bilatérale d’ici la fin de l’année, le maintien de l’équivalence boursière est compromis. Veut-on porter ce coup à notre place financière ?

La diabolisation de l’UE atteint chez nous des proportions hallucinantes. La question qui est devant nous est pourtant simple : au XXIième siècle voulons-nous vivre et prospérer selon les normes européennes, chinoises ou américaines ? En matière de droits humains et de climat, la réponse est évidente. En matière commerciale et économique, elle l’est tout autant. Les accords bilatéraux qui nous donnent accès au grand marché européen sont fondés sur une concurrence respectueuse de tous les partenaires. Un peu comme la paix du travail en Suisse, avant que droite et gauche ne se mettent à brader ce précieux outil. La paix du travail comme les accords bilatéraux permettent d’avancer ensemble, même quand on n’est pas d’accord sur tous les points.

On n’obtient aucune avancée en boudant ou en érigeant des lignes rouges infranchissables. Puisse les conseillers fédéraux et Paul Rechsteiner s’en souvenir avant qu’il ne soit trop tard. La Suisse perd son temps en s’inventant des psychodrames : Didier Burkhalter a démissionné faute de soutien du gouvernement ; le franc-parler d’Ignazio Cassis est devenu un bouc émissaire ; et maintenant c’est Johann Schneider-Ammann qui s’y prendrait mal. L’irresponsabilité devient collective.

Paru en italien dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè le 12 août 2018

http://www.caffe.ch/section/il_commento/

 

Sombre prédiction de Cassis dans la presse italienne

«Bruxelles a centralisé trop de pouvoirs, et l’Union européenne risque d’exploser.» «Les partis traditionnels, malades de présomption, n’ont pas compris l’humeur des citoyens.» «La plus belle chose? Être maître chez soi.» «Les requérants d’asile? 140 jours pour examiner leur demande et s’ils ne remplissent pas les critères, ils seront renvoyés chez eux.»

A ce stade de l’article, le journaliste du Corriere della Sera interpelle son lecteur: qui parle? Matteo Salvini, le nouveau ministre de l’Intérieur italien? Non, Ignazio Cassis, ministre suisse des affaires étrangères, devenu en novembre dernier un des sept «sages» qui gouvernent la Confédération. Conclusion de cette entrée en matière avant de passer à l’interview: «Avec lui, le vent populiste, souverainiste, identitaire qui souffle à l’Est est aussi arrivé à Berne». 

L’entretien se déroule. Avec les Britanniques hors de l’UE, vous cous sentirez moins seuls? Réponse d’Ignazio Cassis: «Alors que nous perfectionnons notre concubinage avec l’Union, Londre divorce. Ce sont deux expériences divergentes.» Plus loin, il précise «non tifiamo contro l’UE». Nous ne prenons pas parti contre l’UE, Ouf on respire! Et d’énumérer tout ce que la Suisse fait pour l’UE : des autoroutes, des tunnels, l’accueil de 1,5 millions de citoyens de l’UE et de 230 000 frontaliers.

Ensuite, Ignazio Cassis évoque le vote du 6 décembre 1992 sur l’Espace économique européen et la défaite de Marignan pour expliquer pourquoi la Suisse ne veut pas s’intégrer politiquement dans l’UE. «Adhérer à l’UE aurait interrompu notre indépendance et notre neutralité»), dit-il.

Le journaliste lui fait observer que l’UE a garanti 70 ans de paix à la Suisse aussi. Ignazio Cassis remercie, mais note que «la construction européenne est faite de matériaux politiques qui ne sont pas les nôtres. La France, l’Italie et l’Allemagne s’affranchissent d’une monarchie dont elles ont gardé le caractère centralisateur. Aujourd’hui encore en considérant quelque président français, on observe ce vieil esprit impérial.»

«Parfois nous sommes doués pour baisser la tête quand c’est nécessaire. Comme dans tous les rapports bilatéraux, on perd un peu et on gagne un peu.»

Le problème, c’est donc le moloch de Bruxelles? s’enquiert le rédacteur. Réponse du chef du DFAE: «L’UE est née récemment, et plus une démocratie est jeune, pus forte est le pouvoir central. La Commission européenne est un organisme très fort. Pour nous ce serait un choc. Compte tenu du climat continental ces dernières années, je crois que si l’UE ne saura pas se décentraliser, l’Europe risque d’imploser.» La fin de l’article nous réserve encore une surprise de taille. Le journaliste note que la Suisse n’a réussi à se défendre contre les Etats-Unis qui lui ont imposé la transparence bancaire. Réponse de notre ministre: «C’est vrai, parfois nous sommes doués pour baisser la tête quand c’est nécessaire. Comme dans tous les rapports bilatéraux, on perd un peu et on gagne un peu. Pour nous, il valait mieux abolir le secret bancaire et continuer à offrir nos services financiers, plutôt que périr.»

Nous nous sommes félicités il y a quelques semaines qu’Ignazio Cassis parle plus cash que son prédécesseur et soit prêt à faire bouger les lignes du mandat de négociations. On peut tout de même se demander si la franchise dont il fait preuve dans cette interview au Corriere della sera est bien opportune. Un pays souverainiste et populiste, est-ce bien cette image-là que la Suisse veut donner à son principal partenaire économique, avec lequel elle conduit actuellement des négociations complexes?

N’est-il pas un peu grotesque d’évoquer la bataille de Marignan, qui a eu lieu il y a plus de 500 ans pour expliquer le rapport de la Suisse avec ses voisins? Les commémorations d’il y a trois ans ont permis aux historiens de montrer que le mythe de la neutralité remontant à Marignan est une construction qui remonte au XXe siècle? Peut-on vraiment conduire une bonne politique étrangère au XXIe siècle sur des bases aussi fumeuses?

Enfin, l’incompatibilité supposée entre la Suisse et la construction européenne est traitée à la légère. Les deux architectures institutionnels s’appuient sur le principe de subsidiarité, ce n’est pas un mince trait commun. Le Tessinois devrait aussi savoir que si l’UE n’est pas très efficace dans la crise des migrants, par exemple, c’est parce que ce sont les chefs de gouvernements qui décident – de ne rien faire ou de ne pas tenir leurs engagements; la Commission n’est pas en mesure d’imposer quoi que ce soit à des Etats récalcitrants. Ignazio Cassis devrait donc éviter ce jugement à l’emporte-pièce.

Quand au risque d’implosion de l’UE, il est très irrespectueux dans la bouche d’un ministre des affaires étrangères. Imaginez l’indignation en Suisse si un ministre des affaires étrangères d’un pays européen se permettait de dire que la Confédération va imploser si elle ne fait pas ceci ou cela?

Suisse-UE: cessons de procrastiner

Notre classe politique semble l’avoir oublié: dans l’ordre politico-juridique européen l’édifice des accords bilatéraux tient de l’exceptionnel. Le Brexit a changé la donne. La Suisse va devoir choisir son camp, qu’elle le veuille ou non.

On va profiter de l’été pour consulter. Tel était le message de la dernière conférence de presse d’Ignazio Cassis sur la politique européenne. Ensuite, ce fut meringues, double-crème et course d’école dans le canton de Fribourg.

Ainsi va la Suisse: quoi qu’il arrive son gouvernement se promène comme les écoliers pour «finir l’année», et ne siège plus pendant les six semaines suivantes. Il faut respecter les traditions, car elles nous font croire que tout est immuable et que rien n’est urgent. Et dans nos traditions bien helvétiques figurent en bonne place les procédures de consultation, formelles ou informelles, qui nous permettent d’identifier le plus petit dénominateur commun qui ne sera contesté ni au Parlement, ni dans les urnes. La procédure de consultation, c’est l’art de lister les obstacles potentiels et de se dégager une marge de manœuvre millimétrée. C’est aussi une façon magnifique de procrastiner en ayant l’air d’être terriblement à l’écoute des sensibilités politiques forcément diverses. C’est un anti-art de gouverner, au sens où gouverner signifierait décider.

Et décider dans le dossier européen, tant pour Ignazio Cassis qui en a hérité que pour le Conseil fédéral qui en a la responsabilité collective, est manifestement une exigence inatteignable. On va donc passer l’été à causer avec les cantons, les syndicats, le patronat pour voir si, malgré les fameuses lignes rouges qui définissent le mandat de négociation avec l’UE, on ne peut pas en franchir une ou deux subrepticement, en ne remettant pas en cause le fond, mais légèrement la forme. On va examiner la possibilité d’appliquer la règle des 8 jours, qui oblige les travailleurs indépendants à s’annoncer à l’avance aux autorités suisses, d’une manière plus moderne et plus rapide.

Crise de nerfs à gauche

Ce point est un point de détail, mais c’est le destin des points de détail des négociations entre la Suisse et l’UE que d’être érigés en totems un certain temps, pour monter que l’on ne se soumet pas aux «diktats» européens. Pourtant le temps presse, et nous ferions bien d’éviter de multiplier les crises de nerfs comme celles que vient de nous faire la gauche sur les mesures d’accompagnement.

Tous les experts en Suisse ou à Bruxelles vous diront la même chose: la Confédération et les 28 (bientôt 27) doivent conclure cette année encore un accord assurant un fonctionnement fluide et efficace de leurs intenses relations bilatérales. On parla d’abord du printemps comme échéance, puis de l’été. Et maintenant, on a tout reporté à l’automne.

Pourquoi cette échéance de 2018? Parce qu’en 2019, les deux partenaires seront occupés par les élections. Les européennes sont en mai, nos fédérales en octobre. Après la désignation du Parlement européen, il faut aux Européens quelques mois supplémentaires, jusqu’à l’automne, pour introniser une nouvelle commission, et relancer la machine à gérer et harmoniser les volontés des 27. Difficile donc de conclure un accord avec les Suisses pendant cette période de flottement du pouvoir exécutif de l’UE. De notre côté, la classe politique répugne à parler d’enjeux européens pendant les campagnes électorales, par peur panique de gonfler les scores de l’UDC plus encore.

Au lieu de procrastiner comme des malades, il faudrait donc accélérer le tempo. Car, nous sommes deux ans après le Brexit, et nous Suisses n’avons toujours pas pris la mesure de ce que cette sortie de l’UE signifie pour nous.

Jusqu’au Brexit, la Suisse a bénéficié dans ses relations avec l’UE d’une zone grise, d’une certaine tolérance pour son positionnement politique particulier, malgré un agacement croissant. La Suisse n’ayant pas voulu adhérer ni à l’Espace économique européen, ni à l’UE, celle-ci lui avait concédé un arrangement bâtard mais profitable, les accords bilatéraux.

Le Brexit oblige désormais l’UE à plus de clarté dans ses relations politico-commerciales: un pays est dans l’UE, ou dans l’EEE, ou il s’agit d’un pays tiers. C’est le moment de rappeler que l’UE n’avait approuvé les accords bilatéraux avec la Suisse que parce que nous avions laissée ouverte la possibilité d’y adhérer un jour. Option à laquelle le Conseil fédéral a renoncé, lorsqu’il comptait Christoph Blocher en son sein. L’UE a reçu le message cinq sur cinq, et c’est depuis ce renoncement qu’elle a indiqué vouloir conclure avec nous un accord-cadre, avant tout nouvel autre accord sectoriel.

Une question de principe

Bien que cette évolution soit niée par notre classe politique, l’exceptionnalité des accords bilatéraux touche à sa fin. Pour l’UE, c’est une question de principe, et les principes sont ce qui tient l’UE debout et unie face aux incertitudes et aux crises de l’époque. Pourquoi accorder à la Suisse ce que l’on n’est pas prêt à concéder à la Grande-Bretagne? L’expression «Rosinenpickerei» que les Européens collent depuis des années aux Suisses apparaît de plus en plus fréquemment dans les articles relatant le feuilleton du Brexit, et les stratégies erratiques du gouvernement May.

La Confédération aurait tout intérêt à solidifier la voie bilatérale avec un accord institutionnel maintenant. C’est-à-dire avant que les modalités du Brexit ne soient coulées dans le bronze, et ferment encore plus la possibilité d’arracher des concessions à Bruxelles.

Si la Suisse rate la fenêtre de cet automne, si elle attend et attend encore – par exemple le résultat de la votation sur l’initiative dite d’autodétermination en novembre – avant de parapher les résultats de ses négociations avec l’UE, elle risque de multiplier les casus belli, et les nouveaux problèmes qui, telle l’indemnisation du chômage des frontaliers, brouillent la vision d’ensemble.

Les efforts de classification que l’UE applique à ses partenaires pourraient léser les intérêts suisses dans les programmes de recherche, mais aussi nous faire tomber dans une sorte d’angle mort. Dans sa guerre commerciale avec les Etats-Unis, l’UE pourrait décider de mesures de rétorsion sur l’acier qui éclabousse la Suisse, sans le vouloir vraiment, mais parce que juridiquement il n’y a pas d’autres possibilités.

Choisir son camp

C’est dire si la Suisse va devoir choisir son camp. La remise en question du multilatéralisme, organisé autour de l’OMC, va profondément impacter la Suisse, qui a beaucoup profité de l’ordre commercial international d’avant Trump.

Le Conseil fédéral, qui a décidé qu’il était urgent d’attendre les résultats de nouvelles consultations pour conclure les discussions avec l’UE est-il conscient de ce bouleversement? Sans doute, mais il n’en dit rien aux Suisses.

Avenir Suisse rompt deux lances en faveur de l’adhésion

Le lobby économiesuisse récite soudain avec une conviction retrouvée le mantra des accords bilatéraux. Le think tank Avenir Suisse essaie lui d’anticiper. Il vient de publier dans un livre blanc six scénarios dont deux évoquent la nécessité d’adhérer à l’UE, pour maintenir notre prospérité. Rien de très provoquant dans ces analyses, mais la volonté d’inventorier tous les possibles, et de rappeler cette évidence: face à une planète globalisée, mais où les équilibres géo-politiques sont remis en cause, il faut savoir s’adapter. Le statu quo et la procrastination ne sont pas de bonnes options.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/cessons-de-procrastiner

La mobilisation des humanistes

Dans un an se tiendront les élections européennes. Au vu des résultats de maints scrutins nationaux, une grosse crainte émerge : que le parlement européen soit composé pour la première fois d’une majorité d’eurosceptiques, qui gripperaient irrémédiablement la machine communautaire.  1).

La situation est paradoxale. Le Brexit n’a suscité aucune vocation parmi les 27 autres membres de l’Union. Aucun état n’a exprimé l’envie de suivre les Britanniques et d’organiser un vote pour sortir du club. Mais l’aspiration à d’autres politiques et à des fonctionnements plus démocratiques est immense. Face à l’instable Trump, au quérulent Poutine, et au tout puissant Xi Jinping, le besoin d’union entre Européens est plus vif que jamais. Une conviction s’impose même parmi ceux qui utilisent « Bruxelles » comme un punching ball : un cavalier seul ne permettra pas de mieux faire face aux défis du XXI ième siècle que sont le changement climatique, les flux migratoires, le terrorisme, l’affaiblissement géopolitique et démographique du Vieux continent.

Invité par le Nomes le 5 mai dernier, l’Italien Sandro Gozi a appelé à une mobilisation humaniste en vue de l’échéance du 26 mai 2019: « il faut construire de nouvelles alliances entre celles et ceux qui sont favorables à l’Europe des valeurs. Il est temps de dépasser les clivages politiques traditionnels, les pro-européens ne doivent pas aller en ordre dispersé ».

La Suisse semble s’interdire de participer à cette grande réflexion continentale. Seul le Nomes revendique le droit de vote européen pour les citoyens suisses. Dans un pays qui érige la démocratie directe en facteur identitaire, il y a là une profonde absurdité : les Suisses renoncent à influencer la législation du marché intérieur auquel ils participent, alors qu’ils s’enorgueillissent de pouvoir se prononcer sur un plan de quartier, l’apprentissage d’une autre langue nationale, l’achat d’avions de combat,… Ils se privent du droit de co-décider avec les Européens et mettent une énergie considérable à inventer des solutions qui préservent une indépendance de façade.

Il faut souhaiter à la Suisse, qui connaîtra sa propre année électorale à l’horizon d’octobre 2019, le courage de dégonfler les postures souverainistes, et d’engager un vrai débat sur la souveraineté. Dans un récent et brillant essai, Gret Haller rappelle opportunément un précepte mis en avant par Denis de Rougemont : le partage de souveraineté accroît la souveraineté*.

 

* Gret Haller, L’Europe un espace de liberté. Le rôle politique de l’individu en des temps de nationalisme, récemment publié dans les Cahiers rouges de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Economica, 110 p.

1). texte paru dans la newsletter du NOMES le 24 mai 2018

La Suisse au coeur de la construction européenne: une perspective dans la longue durée

La Maison de l’Europe transjurassienne m’a invitée à donner une conférence sur « La Suisse au coeur de la construction européenne ». C’était le jeudi 15 mars à Neuchâtel. Voici le texte de cette conférence.

Mesdames, Messieurs,

Grand merci pour votre invitation et votre accueil.

Récemment, j’ai partagé sur les réseaux sociaux une carte de l’Union Européenne (UE)  annonçant la fin du roaming en indiquant que la Suisse faisait tache. Nous n’allons en effet pas profiter de cette décision de l’UE favorable aux consommateurs.

Patatras, un Monsieur fâché mais anonyme m’a accusé d’être une mauvaise Suissesse pour oser qualifier mon pays de tache.

Une tache, c’est un petit espace qui diffère de son environnement immédiat.

Cette tache, cette petite enclave qui échappe à la couleur alentour, je l’ai aussi vue à Londres, au musée dédié à Winston Churchill dans le bunker sous l’immeuble du Foreign Office.

Il y avait une carte du continent avec tous les pays dominés par les puissances de l’Axe, l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste.

Et au milieu ce petit pays qui par une sorte de miracle, la providence, dira l’historien et conseiller fédéral Georges-André Chevallaz, échappa à la guerre.

Vous savez qu’après guerre Churchill a pris la défense de la Suisse, il a dit à quel point cela avait été encourageant pour les Britanniques de voir qu’un petit ilôt démocratique subsistait au milieu de la barbarie.

Face aux Américains et aux Soviétiques qui n’avaient pas beaucoup d’estime pour notre neutralité, sachant qu’elle n’avait pas été aussi étanche qu’on a bien voulu le prétendre par la suite, Churchill nous a défendus.

Pourquoi cette introduction historique ?

Parce que je suis historienne de formation, universités de Lausanne mais aussi de Neuchâtel  – je crois que c’est le moment de le souligner…

Mais surtout parce que je crois que l’on ne comprend rien au dossier Suisse-Europe si on ne le considère pas dans la longue durée.

Avant d’être une donnée historique ou politique, c’est un fait géographique, les territoires des Confédérés, en 1291 comme en 1848, sont au cœur du continent.

Jusqu’à l’invention des avions, mais même après, notre vocation est de faire passer les cols alpins aux marchandises dans le flux Nord-Sud ou Sud/Nord, dans cet arc de création de richesse qui part de l’Italie et s’étend jusqu’à Londres, Amsterdam, le long du Rhin, un arc de villes marchandes qui a constitué un des vecteurs de prospérité sur la longue durée parmi les plus remarquables de l’histoire humaine.

Le point que je veux souligner? En s’émancipant de la tutelle des empereurs Habsbourg, les premiers Suisses ne se referment pas sur eux-mêmes, ils veulent au contraire tirer parti de leur situation et en encaisser les bénéfices, c’est-à-dire à cette époque les péages et tous les coûts liés au trafic des marchandises, aux transbordements nombreux.

Les Suisses ne sont pas devenus riches tous seuls.

Ils ont d’ailleurs mis du temps à le devenir vraiment.

Les Suisses se sont enrichis en vendant leurs services, leurs marchandises, et leurs mercenaires.

Sans les autres pays européens, il n’y a pas de Suisse viable.

Ce qui est vrai du commerce et de l’économie, l’est aussi de la formation, de l’éducation.

Longtemps les Suisses qui voulaient apprendre, se former au plus haut niveau, ont dû s’expatrier, les Alémaniques se formaient dans les universités allemandes, et même un patriote vaudois comme Frédéric-César de la Harpe se forma dans une université allemande.

Et l’on sait bien aussi, sur le plan culturel, à quel point nos artistes ont cherché la reconnaissance à l’étranger.

Depuis 25 ans, un parti suisse, un parti gouvernemental,  nous dit que la Suisse se fourvoie en voulant approfondir et institutionnaliser les liens avec nos voisins.

Et si c’était lui, et si c’était l’UDC qui se trompait ?

Une remarque sur nos voisins, sur nos partenaires européens, à quelques petites exceptions près, ils ont tous décidé de se lier au sein de l’Union européenne. Ils ont constitué depuis 60 ans une communauté de destin. L’Europe est ainsi devenue la principale puissance mondiale, en termes de prospérité partagée et d’innovation.

On peut porter sur l’UE un regard critique, cet objet politique à nul autre pareil a engrangé beaucoup de succès, mais beaucoup de ratés aussi. L’UE, c’est l’histoire du verre à moitié vide, ou à moitié plein.

Mais comme disait Galilée de la terre alors que d’aucuns ne voulaient pas admettre qu’elle est/  était ronde et tournait sur elle-même : e pur si muove. Et pourtant elle tourne.

L’UE est très perfectible, mais elle fonctionne, contre vents et marées (titre du dernier essai d’Enrico Letta, ancien président du Conseil italien).

L’UE, c’est un fait. Et dans notre époque de fake news, il faut le reconnaître. Je m’émerveille parfois qu’un pays pétri de pragmatisme comme le nôtre se soit persuadé qu’elle est un diable oppresseur, qui veut notre perte.

Mais, reprenons notre histoire de longue durée.

La Suisse s’est toujours développée en interaction avec ses voisins.

J’ai dit les motivations des premiers Confédérés.

Il faut ensuite considérer le fameux épisode de Marignan.

Ceux qui pensent que l’on devrait se mouvoir au XXI ième siècle selon le comportement de nos lointains ancêtres du Moyen-Age devraient considérer un point : les Suisses avaient alors des visées expansionnistes, ce n’est que battus qu’ils renoncent à jouer leur partition dans le concert européen naissant.

On a commémoré il y a deux ans la Paix de Fribourg. C’est un épisode passionnant, bien moins connu que Marignan, mais peut-être plus décisif encore.

François Ier a mis une raclée aux Suisses, mais il a apprécié leur bravoure. La Paix de Fribourg initie une collaboration très fructueuse entre les soldats suisses et le Royaume de France, qui va durer jusqu’au massacre des Tuileries en 1793.

Nous avons participé à toutes les guerres européennes pendant trois siècles.

En offrant le service de ses mercenaires prioritairement au Roi de France – et à quelques autres souverains –  l’ancienne Confédération passe peu à peu sous protectorat français, alors qu’elle était originellement dans l’orbite du Saint-Empire romain germanique.

La Suisse en retire non seulement des pensions, mais aussi de solides avantages commerciaux et même des bourses d’études pour les familles patriciennes qui gèrent le flux des compagnies.

Avec la Révolution, c’est encore la France qui joue un rôle de premier plan dans notre destin, en essayant de faire de nous une République unitaire sur son modèle. Puis c’est l’Acte de Médiation, sous la houlette de Napoléon, qui remet une dose de fédéralisme, de décentralisation, dans notre organisation.

Au moment du congrès de Vienne, c’est l’empereur de Russie, Alexandre, qui se porte garant de l’intégrité des nouveaux cantons, alors que les Autrichiens voudraient revenir à l’ordre ancien.

En 1848, lorsque la Suisse fonde son état fédéral, les Autrichiens, toujours eux, sont à deux doigts d’intervenir. Là, ce sont les Britanniques qui nous défendent.

Notre neutralité, pourtant internationalement établie, notre indépendance ne valent pas lourd si elles ne sont pas reconnues par les autres états.

Notre identité de « neutres » doit aussi être reconsidérée à la lumière des deux guerres mondiales. Certes, nous ne sommes pas belligérants. Mais avant la Grande Guerre, le Conseil fédéral lui même doute que nous puissions maintenir notre neutralité plus que quelques semaines. Il fait nommer par l’Assemblée fédérale le général Wille, proche du Kaiser. Pendant le conflit, de hauts gradés font de l’espionnage en faveur de l’Allemagne. Un conseiller fédéral s’essaie à une paix séparée avec la Russie en faveur de l’Allemagne.

A la fin du conflit, il faut élire au Conseil fédéral le Genevois Gustave Ador, président de la Croix-Rouge, pour restaurer le crédit international de la Confédération.

On doit aux Américains le fait que la Société des Nations s’établisse à Genève. Les Français voyaient d’un mauvais œil ce choix. Le fait que les Romands se soient montrés francophiles fit passer la pilule.

En 1920, les Suisses acceptent à 56% de faire partie de la SDN – un vote qui dit à quel point ils avaient alors conscience de notre interdépendance.

Pour ce qui concerne la seconde guerre mondiale, les controverses sur la neutralité sont multiples et complexes, je me bornerai à rappeler que l’état-major avait élaboré des plans de ralliement à l’armée française, plans qui tombèrent en mains allemandes, puis soviétiques. Et qui laissèrent peu d’illusions aux belligérants sur notre volonté de défendre notre neutralité coûte que coûte.

Mais comme indiqué précédemment, nous avons pu compter sur la bienveillance britannique.

Cette relation spéciale avec les Britanniques a beaucoup influencé notre rapport à la construction européenne. Et explique peut-être aussi pourquoi nous peinons à comprendre les effets du Brexit sur notre propre situation.

Comme eux, nous voyons dans l’intégration un processus économique, qui ne doit pas pénaliser nos affaires, et comme eux nous peinons à en partager les dimensions politiques.

Je vous recommande d’aller consulter les documents diplomatiques suisses sur le site www.dodis.ch. Dès les années 1950, une doctrine se met en place face à l’intégration européenne, qui ne va guère bouger.

Maints courriers et rapports au Conseil fédéral relèvent plusieurs obsessions : ne pas être discriminés sur le plan économique, ne pas être entraînés dans un processus politique dont nous ne pourrions plus nous extraire et qui tacherait notre neutralité, utiliser notre puissance financière pour parvenir à nos fins, faire du juridisme alors que les autres font de la politique.

Cela ne vous rappelle-t-il pas notre situation actuelle ? 

Une seule fois, le Conseil fédéral doute du bienfondé de cette stratégie d’obstruction. En 1961, voyant les premiers succès du marché commun et les velléités de la Grande-Bretagne de s’y rallier, il envisage un accord d’association. Mais, le Général de Gaulle mettant son veto à l’adhésion de la perfide Albion, les Suisses laissent tomber.

On fera donc du libre-échange, accord de 1972, puis des bilatérales après l’échec de l’espace économique européen.

Il faut bien le constater, la Suisse répugne à partager la dimension politique de l’UE. Elle ne veut qu’un accès non discriminant à son grand marché.

Mais le monde change, les équilibres géopolitiques d’hier ne sont plus ceux de demain.

Nous sous-estimons gravement le changement de paradigmes qui s’est opéré.

Dans un monde globalisé, l’UE a bâti une communauté de destin et de valeurs qui en fait une entité politique qui peut encore faire jeu égal avec les Etats-Unis, la Chine ou la Russie. Elle peut en tout cas y prétendre, et devrait s’en donner les moyens, alors que les anciennes puissances comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne n’ont plus la taille critique.

L’UE est une puissance économique mais aussi morale. Elle constitue le plus grand espace de libertés garanties au monde. Un Américain insatisfait de la justice de son pays n’a pas de voie de recours, un Européen oui, il peut saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

Qu’il s’agisse de droits de l’homme ou d’écologie – c’est-à-dire de survie de la planète – il vaudrait mieux dans le monde de demain que ce soient les normes européennes qui prévalent plutôt que les chinoises ou les américaines.

Qu’ils le veuillent ou non, les Suisses devront choisir leur camp.

La neutralité ? Elle est un moyen, pas une fin. C’est la doctrine Petitpierre (que je n’ai pas besoin je pense de l’expliquer plus avant ici à Neuchâtel).

Être neutres, cela ne veut pas dire être l’ami inconditionnel de régimes qui ne sont pas démocratiques, cela nous impose juste de maintenir des canaux de discussion, et de proposer nos bons offices.

Il est un brin incohérent de se plier en quatre pour avoir accès au fabuleux marché chinois et de faire tant de chichis sur le règlement des différends avec les Européens, qui respectent comme nous la liberté d’entreprendre, la propriété intellectuelle et la dignité humaine.

Surtout, les Suisses qui diabolisent l’UE ne semblent pas avoir pris la juste mesure des menaces ou des problèmes qui risquent de remettre en cause notre sécurité et notre prospérité.

Trois exemples, le climat, la cybersécurité, la crise migratoire.

Sous l’effet du réchauffement climatique, nos montagnes tombent et nos glaciers fondent. Nous pouvons seuls gérer les conséquences de tout cela, anticiper les chutes de pierres, évacuer des zones où l’on n’aurait peut-être pas dû construire. Mais si l’on veut agir sur les causes, alors il faut le faire à l’échelle mondiale. La COP 21, c’est un succès européen, il faut maintenant concrétiser les recommandations. Et pour faire pression sur ceux qui rechignent, pays ou industries, il vaut mieux avoir le poids d’un continent.

Un des  plus grands dangers, dont on parle peu, et sur lequel les entreprises et les administrations gardent le silence quand il se concrétise, c’est celui de la cybersécurité.

Face à des attaques d’envergure – et la Suisse est une cible choix compte tenu des institutions internationales et des sociétés d’envergure mondiale qu’elle abrite – nous sommes démunis. Une des caractéristiques des cyber-attaques, c’est que l’on ne sait pas très bien d’où cela vient, mais que cela peut paralyser, perturber des activités essentielles. Dans ce domaine, la collaboration avec les Européens serait cruciale, parce que l’union fait la force. Pour prévenir les attaques, pour les contrer.

Autre problème qui ne peut être résolu seulement par la volonté nationale, la crise migratoire.  Là, nous sommes un peu mieux connectés, Simonetta Sommaruga participe aux conseils européens pour les questions d’asile. Elle peut au moins faire valoir notre point de vue.

Mais la Suisse ne peut pas, seule dans son coin, agir pour que les flux d’Afrique vers l’Europe cessent ou empêcher des gens qui n’ont rien à perdre de tenter la traversée de la Méditerranée.

Pour que cessent les drames sur la route des migrants,  il y aurait une mesure simple à prendre : les laisser arriver en avion. L’avion coûte moins cher que les passeurs. Mais la Suisse ne peut décider seule de cette mesure de bon sens, qui sauverait des milliers de vie. Elle doit le faire en concertation avec les autres. Sinon, ce serait vraiment le fameux « appel d’air » dont certains nous rabattent les oreilles.

Il serait donc grand temps, ici en Suisse de mener une discussion sereine sur les meilleures façons de défendre notre souveraineté, nos intérêts.  

Les europhobes réduisent la notion de souveraineté à son aspect formel.

Si nous décidons, alors c’est bien et notre indépendance est sauve.

Mais ainsi, Mesdames et Messieurs, il n’y a que les apparences qui sont sauves.

Décider c’est souvent, et nous le savons bien en Suisse, partager la décision.

Pourquoi ce qui est tellement vrai à l’échelle de notre pays, ne le serait pas à l’échelle du continent ?

Nous sommes plus que jamais dans un monde interdépendant.

Nous Suisses sommes commercialement dépendants depuis toujours

Nous sommes culturellement dépendants puisque liés à trois grandes cultures européennes – et même quatre – si je compte l’anglais, cette lingua franca de la mondialisation de plus en plus pratiquée dans nos hautes écoles et dans nos entreprises

Nous sommes technologiquement dépendants, malgré notre haute capacité d’innovation.

Il faut admettre cette dépendance et en tirer parti.

Nous sommes au cœur de la construction européenne et nous avons un vrai savoir faire en matière de gestion interculturelle, nous sommes les rois du principe de subsidiarité, et nous avons une solide expérience de la démocratie directe, comme outil de légitimité.

Tout cela serait bien utile dans l’UE.

Au lieu de prendre nos responsabilités, de travailler avec nos voisins et nos partenaires les plus naturels et les plus proches, nous mettons une énergie considérable à rénover une voie bilatérale usée et dont les Européens ne veulent plus vraiment, et plus non plus l’UDC qui l’a proposée en 1992.

Le temps pour conclure un accord cadre est compté.

Ignazio Cassis et Roberto Balzaretti le savent et le disent.

Il y a les échéances électorales en Suisse et en Europe en 2019, peu propices à des discussions sérieuses.

Les élections européennes auront lieu en mai. Ensuite, il faut compter plusieurs mois avant que la nouvelle commission ne se remette à fonctionner.

Jean-Claude Juncker ne se représentera pas, et d’ailleurs ces jours-ci à Bruxelles, la controversée nomination de son chef de cabinet Martin Selmayr  au poste de secrétaire général de la commission montre que cela sent la fin de règne.

De notre côté, un départ de Doris Leuthard aurait le même effet que celui de Didier Burkhalter l’an dernier, une paralysie du dossier, même si un autre conseiller fédéral s’en occupe, parce que à Berne quand il s’agit de nommer un nouveau ministre, on ne parle plus que de cela.

La solution d’une cour arbitrale est un bon compromis. Avant d’être remise sur la table par Juncker, c’est une idée suisse, émise par une commission d’experts il y a déjà pas mal d’années, et que l’ancien secrétaire d’Etat de Watteville avait poussée.

Une cour arbitrale, ce sont des experts, trois en l’occurrence, qui échangent entre eux, respectueux du  droit et qui cherchent la  solution la plus juste.

C’est certainement le maximum que l’UE peut nous concéder. La Cour de justice de l’Union européenne a un rôle très particulier, qu’explique fort bien son président, Koen Leanerts, que j’ai pu entendre à Bruxelles lors d’une conférence.

Là où les Etats et les directives européennes ont laissé du flou, souvent par manque de courage politique, elle doit réparer, combler les trous, faire en sorte que le droit soit le même pour tous, dans tous les pays de l’UE.

Difficile dans ces circonstances de laisser les Suisses interpréter les règles du marché intérieur selon leur bon vouloir.

En fait, personne ne veut des juges étrangers, ni les Suisses, ni les Européens.

Par contre, en cas d’embrouilles, de différends, il faut une solution. C’est ce que peut produire une cour arbitrale.

Il faut saisir la possibilité d’un accord maintenant, avant l’été, parce que le calendrier du Brexit tourne et risque de changer la donne.

Il y a fort à parier que la cour de justice a donné son avis sur la solution suisse.

Il y a fort à parier que tout ce qui est concédé aux Suisses par l’UE est scrupuleusement examiné par les négociateurs européens du Brexit, qui redoutent de voir les Britanniques s’engouffrer dans la plus petite des failles accordées aux Suisses.

Il y a une grande différence entre nous et les Britanniques, eux veulent sortir du marché unique, nous voulons y rester. Donc nous devrions mettre sous toit la solution proposée avant que les Européens ne changent d’avis.

Ensuite, il faudra que nous votions sur l’accord trouvé.

La classe politique suisse redoute un emballement du calendrier, elle doute d’avoir les forces de défendre les bilatérales et de parvenir à tuer l’initiative dite d’auto-détermination, puis celle encore contre l’immigration, une nouvelle mouture, comme si le fait que le solde migratoire annuel se soit réduit de moitié ne comptait pour rien…

Chaque doute exprimé à haute voix, chaque tergiversation rend la / les campagnes plus difficiles. Il faut remonter des courants eurosceptiques et europhobes puissants.

Mais cela est possible. Le nouveau Secrétaire d’Etat Balzaretti se souvient des campagnes victorieuses de Micheline Calmy-Rey pour Schengen-Dublin, ou l’élargissement à l’Est. Il a vu sa cheffe gagner, il sait que l’on peut gagner.

Surtout, aux côtés des partis, émergent de nouvelles forces, la génération qui a grandi avec les discours blochériens dans les oreilles, mais qui est aussi une génération européenne de mouvements, easyjet-erasmus, à défaut de l’être de conviction, et qui veut défendre ses acquis.  C’est aussi une génération sensible aux enjeux écologiques et qui comprend spontanément qu’il faut agir à une plus large échelle. C’est une génération humaniste, sensible aux droits humains.

A nous de lui fournir des perspectives de longue durée et des arguments.

Encore un point : dans plusieurs interviews Christoph Blocher a déclaré avoir douté de sa croisade contre l’EEE. A l’été 1992, il se demandait pourquoi tous les autres étaient d’un autre avis que lui. Planait l’ombre d’un doute.

L’exercice du doute est une des plus belles qualités humaines, vous en conviendrez.

Je me demande parfois si craindre pour l’indépendance de la Suisse si elle adhérait à l’UE ne procède pas d’un manque de confiance en elle, d’un manque de confiance en nous ?

Alors peut-être est-il temps de renverser ce doute, devenu majoritaire ?

Peut-être que Christoph Blocher avait raison d’avoir des doutes et que nous sommes devenus prisonniers de ses certitudes.

Je vais conclure en vous rappelant la petite tache mentionnée en préambule.

Non, mon pays, connu pour être propre en ordre, ne fait pas tache.

Il dit parfois qu’il est différent, qu’il est un Sonderfall.

Mais le Sonderfall, le cas particulier, c’est une histoire que nous sous sommes racontée pour essayer de comprendre comment nous étions sortis indemnes de deux guerres mondiales.

C’est une histoire qui nous fait croire que nos forces seules, notre volonté, sont la cause de cette exception. Cela ne tient pas la route. Cela ne résiste pas à une analyse historique sérieuse. Nous avons été partie prenante de la grande histoire, d’autres ont décidé pour nous. Notre volonté d’indépendance n’est pas plus farouche que celle des Polonais. Mais nous ne sommes pas situés au même endroit. La géographie nous a bien servis.

Alors, le Sonderfall, ce n’est qu’une histoire, un récit.

On peut voir notre histoire autrement.

On peut voir notre histoire au cœur de l’Europe, et comme un moteur de l’Europe.

J’espère vous en avoir convaincus.

Je vous remercie de votre attention, et réponds bien volontiers à vos questions ou objections.