L’identité suisse est xénophile

Je lis tardivement un compte-rendu de l’analyse VOX, détaillant les motivations des votants le 9 février dernier. On y apprend que c’est la peur de l’immigration qui a influencé les citoyens.

Je cite: « Les communes où le oui à l’initiative « Contre l’immigration de masse » a été le plus fort sont celles où la tendance isolationniste en matière de politique extérieure et la méfiance à l’égard des étrangers sont grandes et où le poids de la tradition et de l’identité nationale est le plus fort« . C’est sur ce dernier point que je tique: je refuse que l’on définisse « une identité nationale forte » comme hostile aux étrangers. Je pense au contraire que toute l’histoire suisse est irriguée par les échanges avec l’étranger. C’est vrai économiquement, démographiquement, militairement, humainement. L’identité suisse est profondément xénophile.

Les anciens Confédérés d’avant 1798 se méfiaient si peu des étrangers qu’ils allaient travailler chez eux, comme mercenaires ou employés de maison. Ils se méfiaient si peu des étrangers qu’ils commerçaient aux quatre coins de l’Europe, puis du monde, avec eux. Ils se méfiaient si peu des étrangers, et des réfugiés en particulier, qu’ils en accueillirent tout plein, à la Révocation de l’Edit de Nantes comme au moment de la Révolution.  Ils se méfiaient si peu des étrangers que les plus riches d’entre eux envoyaient leurs fils étudier dans des universités d’autres pays, puisque le nôtre n’en comptait guère de haut rang.

Au XIXème siècle, les Suisses se méfiaient si peu des étrangers, que notre pays constitua un refuge pour tous les Républicains qui après 1848 étaient poursuivis par des régimes réactionnaires. L’essor économique de la Confédération doit beaucoup à des entrepreneurs étrangers (Brown Boveri, Nestlé,…). Et le Gothard n’aurait pas été creusé sans forces travail venues d’ailleurs.

Tout ça pour dire que je crois que cette méfiance des étrangers, qui tétanise certains au point de voter contre un des facteurs majeurs qui a contribué à nos récents succès économiques (la libre-circulation des travailleurs et des cerveaux) est une invention récente, et pas une tendance fondamentale de l’identité suisse. Je crois que c’est un poison instillé par James Scharzenbach et quelques autres, auquel nous n’avons pas trouvé assez d’antidotes, notamment parce que nous méconnaissons notre histoire, et plus particulièrement la genèse de notre actuelle prospérité.

J’aimerais aussi observer que la soi-disant surpopulation étrangère, la fameuse « Überfremdung », doit beaucoup à notre pingrerie en matière de naturalisation. Si nous donnions le passeport rouge à croix-blanche aux enfants nés sur notre sol, où à ceux qui résident chez nous depuis 20 ans, on ne friserait pas les 25% d’étrangers, mais on flirterait vers 10%, peut-être même moins, ce qui ne ferait plus tellement peur.

Pour 2015, je formule donc le voeu suivant: qu’une escouade de parlementaires ose proposer une action de naturalisations de masse à destination de celles et ceux qui remplissent les critères depuis belle lurette. L’initative peut venir de Berne, mais elle est déclinable dans les cantons.

Sous le sapin ou le soir de la Saint-Sylvestre, faites un test. Remontez dans l’ascendance de chacun et considérez sa descendance, comptez ensuite ceux qui sont Suisses depuis 3 générations, sans conjoint ou meilleurs amis d’origine étrangère. Vous verrez, nous sommes très peu…. l’immigration n’est pas une menace pour la Suisse, elle constitue ses racines. 

Mes Suisses de l’année 2015

Mes amis du Caffè  * me demandent quel  sera mon personnage politique en 2015. J’aurais aimé vous parler de Matteo Renzi. J’espère vraiment que le président du Conseil italien parviendra à remettre l’Italie debout. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il fait bouger les lignes, qu’il n’a pas peur de piétiner les idéologies pour aller de l’avant. Les démocraties meurent de trop de dogmatisme.

Notez que si l’Italie va mieux, la Suisse ira mieux. L’Italie, la plupart des gens l’ignorent en dehors du Tessin, est notre deuxième partenaire commercial derrière l’Allemagne.

Mais mes collègues souhaitent que je parle d’une personnalité helvétique. Je réfléchis : qui fait bouger les lignes chez nous ? Hélas, pas nos conseillers fédéraux, mais je souhaite me tromper sur ce point et leur découvrir des talents d’innovation en 2015.

Ceux sur qui je vais parier pour l’an prochain, ce sont les jeunes qui s’engagent via foraus, sortir de l’impasse (RASA) ou libero, plus généralement tous les jeunes qui veulent une Suisse ouverte et que 2014 a réveillé de leur torpeur et de l’indifférence de leur génération face à la politique : Johan Rochel, Emilia Pasquier, Sean Serafin,… Ils bousculent les partis, il était temps.  

*Texte paru en italien dans le Caffè du 21 décembre 2014

Tessin: à quand un conseiller fédéral?

S’il ne tenait qu’à moi, il faudrait élire demain un conseiller fédéral tessinois *. Ce serait une manière pour l’Assemblée fédérale de prouver que le sort du Tessin et la composante italophone de la Suisse ne sont pas seulement des concepts pour discours du 1er août, mais une réalité sérieusement prise en compte.

Hélas, le tournus au gouvernement ne dépend pas des impératifs politiques les plus urgents (et, il y a urgence à raccrocher le canton à la Confédération) mais au bon vouloir des ministres de rester en place. Les départs forcés restent rares, ils sont motivés par le rapport de forces électoral, pas par des soucis de représentativité régionale.

Les deux Romands arrivés en 2009 et 2011 ne sont pas près de cèder la place avant 1 ou 2 législatures. De plus, les Tessinois peineront à s’emparer d’un fauteuil romand (Vaud éprouve la même frustration par rapport à sa représentation au Conseil fédéral!).

Côté alémanique, la doyenne de fonction Doris Leuthard pourrait avoir envie de se retirer après avoir exercé la présidence de la Confédération en 2017. C’est une fenêtre possible pour le Tessin, bastion PDC, mais le plus papable, Filippo Lombardi sera bien plus âgé que celle qui s’en ira. Pronostic de réussite ? Bas.

Si Eveline Widmer-Schlumpf décide de s’en aller ou n’est pas réélue, ce sera la foire d’empoigne entre les partis, et la revendication tessinoise risque d’être couverte par le vacarme. Le siège d’Ueli Maurer apparaît tout aussi imprenable par les Tessinois, à moins que l’UDC décide de sortir du Conseil fédéral – ce que personne n’envisage.

La place de Johann Schneider-Ammann au gouvernement paraît la moins assurée, mais s’il est éjecté, ce ne sera pas pour la donner à un PLR tessinois, mais plutôt à un UDC, dont le Tessin est peu pourvu. C’est fort regrettable car Laura Sadis a le pedigree parfait pour le job : expérience gouvernementale, et connaisance du parlement, multilinguisme. La conseillère d’État libérale-radicale est la meilleure carte que peut jouer le Tessin.

Reste le cas Simonetta Sommaruga, on ne la voit pas non plus tourner les talons de si tôt. Si dans ce temps lointain, l’envie de Tessin n’a toujours pas été satisfaite, Marina Carobbio pourrait avoir quelque chance. Il lui manque une expérience gouvernementale, mais c’est une personnalité solide et appréciée. Au sein du parti socialiste, la concurrence est toutefois toujours très vive.

Les Tessinois n’ont-ils donc qu’à pleurer leur siège perdu au sommet de l’Etat ? Deux pistes s’offrent à eux : préparer la relève, notamment en profilant de nouveaux candidats lors des élections de l’automne 2015 (dans l’actuelle députation, outre les noms déjà cités il n’y a que Ignazio Cassis qui pourrait se retrouver sur la liste des papables); lancer une initiative populaire pour que le Conseil fédéral passe à 9 membres, c’est-à-dire récolter 100 000 signatures valables. Le Parlement a trop tergiversé sur cette question. Il faut le bousculer. La revendication tessinoise est légitime, elle mérite un débat qui sorte du Palais fédéral et embrasse toute la Suisse. Le pays fonctionnera beaucoup mieux avec 9 conseillers fédéraux qu’avec 7, car il disposera de plus d’attention aux besoins de la population, et il se trouvera naturellement au moins un ministre pour ne pas oublier le Tessin pendant les campagnes de votation. Par cette initiative volontariste, le Tessin forcera le respect des autres Confédérés… et maximisera ses chances d’avoir un conseiller fédéral.

Texte rédigé à la demande du Caffè, paru le 21 décembre 2014

Les héros du compromis

Il y a à Berne désormais une nouvelle tradition * : le président de la Confédération élu prononce un bref discours devant l’Assemblée. Cela met un peu de solennité dans nos usages politiques très spartiates. Première à se plier à cet exercice, Simonetta Sommaruga a livré un beau discours sur la démocratie directe, que l’on devrait lire dans les écoles pour donner une leçon de civisme.

Qu’a-t-elle dit ? D’abord : « Chaque citoyenne, chaque citoyen est important. Dans aucun pays au monde les citoyens n’ont-ils autant de pouvoir et de responsabilité qu’en Suisse ». Ensuite : «  Notre culture politique doit être fondée sur le respect de celui qui professe une autre opinion que la nôtre, et sur une conviction commune : celle que la disposition au compromis est une expression de force – et non de faiblesse ».

L’aptitude au compromis, c’est donc une force de notre pays, pas une faiblesse. Trouver un chemin médian avec ses adversaires, c’est noble, ce n’est pas une capitulation. Et c’est ainsi que la Suisse a toujours avancé, et trouvé le chemin de la prospérité. Dans l’étourdissante multiplicité des votations, personne ne gagne à tous les coups, mais personne n’est systématiquement dans le camp des perdants.

Ceux qui cultivent l’art du compromis sont les vrais héros et les authentiques moteurs de la Confédération.

Mais cet art de s’entendre malgré nos différences est en péril. La politique spectacle, la personnalisation excessive des enjeux, un populisme simplificateur flattant la vulgarité, ont ruiné notre précieux savoir faire.

Quelques jours à peine après le discours de Simonetta Sommaruga, le Conseil national a mis sous tout une sortie du nucléaire. Un bijou de compromis, dû aux bons offices des socialistes et des démocrates-chrétiens qui ont oeuvré de concert pour trouver des solutions praticables. On vivra avec les centrales existantes, mais on n’en construira pas d’autres, et celles qui fonctionneront seront plus attentivement surveillées. A peine entériné par une majorité nette du National, le compromis se voit menacé d’une double opposition ; les pro-nucléaires veulent lancer un referendum parce qu’ils ne croient pas au potentiel des énergies renouvelables, et certains Verts 1).  trouvent que le processus d’arrêt ne va pas assez vite. Si un referendum est lancé, on aurait donc le cumul de deux volontés totalement antagonistes. Mettons qu’il trouve une majorité populaire, on ne sera pas sorti d’un iota de la dépendance à l’atome, et on s’illusionnera jusqu’à un prochain vote sur la possibilité de construire de nouvelles centrales. On aura donc perdu un temps considérable par manque de respect pour le compromis trouvé. C’est un autogoal stupide.

Il faut vraiment souhaiter que l’art du compromis souhaité par Simonetta Sommaruga retrouve ses lettres de noblesse sous la Coupole et dans le coeur des Suisses.

* Chronique parue en italien dans Il Caffè du 14 décembre 

Les précisions d’Adèle Thorens, co-présidente du parti,  sur la position des Verts:

http://www.hebdo.ch/les-blogs/tauxe-chantal-pouvoir-et-pouvoirs/les-h%C3%A9ros-du-compromis?esi

Ecopop: après le soulagement…

Le pire n’est jamais sûr, Ecopop s’est transformé en Ecoflop. * Même les Tessinois ont voté contre ce texte, qui aurait dopé le flux de frontaliers, en autres très fâcheuses et absurdes conséquences.

Qu’elles étaient belles ces cartes dimanche soir 30 novembre, effaçant toutes les frontières cantonales, une Suisse trois fois unanime, à part une minuscule extravangance shaffousoise sur les forfaits fiscaux!

Tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? La Suisse a-t-elle retrouvé la voie de la sagesse et de la sérénité ?

Pas vraiment. La splendide unanimité de dimanche doit beaucoup à la démobilisation des mécontents de la libre-circulation (moins 7 points e participation par rapport à février) et à l’ambiguité des mots d’ordre de l’UDC : d’abord oui, ensuite non, et une absence assourdissante dans la campagne, en comparaison avec le tintamarre habituel. Ensuite les problème soulevés par le 9 février restent entiers : comment maintenir les accords avec l’Union européenne en faisant diminuer le flux de main d’oeuvre étrangère grâce à des contingents ?

Ce casse-tête va nous occuper en 2015.

Le pire n’est jamais sûr, et il vaut mieux prévenir que guérir. Ce second adage est à la base de l’action d’un comité de professeurs et d’entrepreneurs qui veulent lancer une initiative pour « sortir de l’impasse ». Leur but? Abroger l’article constitutionnel approuvé en février dernier. Net et sans bavure. Et pas si scandaleux que cela. Le texte de l’UDC s’est imposé de justesse, et l’histoire compte maints exemples de votations à répétition sur des thèmes chauds. L’UDC, encore elle, nous abreuve de propositions sur les étrangers, on a voté plusieurs fois sur l’instauration de la TVA tout comme sur le droit de vote des femmes.

Si le Conseil fédéral trouve entretemps l’oeuf de Colomb, ce comité est prêt à retirer son initiative, mais si le gouvernement échoue, si une renégociation de la libre-circulation s’avère impossible, il vaudra la peine de redemander au peuple si il voulait vraiment renoncer aux accords bilatéraux avec l’Union européenne.

Le think tank de politique étrangère foraus propose lui qu’à l’avenir une initiative qui contredit un traité international ne puisse pas recueillir des signatures sans que cela soit expressément indiqué. Sans indication, le Conseil fédéral aurait toute latitude d’appliquer la disposition votée dans le respect des engagements internationaux déjà pris. C’est astucieux, et cela évitera que certains partis ou groupements jouent de manière irresponsable sur le flou de leurs propositions.

Vivement que le Parlement se saisisse de cette question. Quel sera le parti qui la portera ?

La Suisse de l’après 30 novembre va un peu mieux que celle de l’après 9 février. Mais le feu couve, et l’ardeur mise à combattre Ecopop ne doit pas retomber. Le débat sur la démocratie directe doit se poursuivre, tout en finesse, loin des injonctions populistes qui ne mènent qu’à l’impuissance.

* Texte paru en italien dans Il Caffè ce dimanche 7 décembre 2014