Nouveaux présidents

A nouvelle législature, nouveaux dirigeants. Petra Gössi a été intronisée par les libéraux radicaux la semaine dernière, et hier Gerhard Pfister par le PDC, Albert Rösti par l’UDC. Du côté socialiste, Christian Levrat reste en place. Quant au parti bourgeois-démocratique, il a perdu son statut de parti gouvernemental.

Comment le nouveau quatuor va-t-il s’entendre ?

Les trois présidents de droite sont des novices. Ils se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène faute de mieux. Les candidats ne se bousculaient pas au portillon. Est-ce à dire qu’ils ne sont que des plans B ? Pas si sûr. L’aplomb avec lequel ils ont saisi leur chance d’être au haut de l’affiche montre un tempérament opportuniste, qui n’est pas forcément un défaut en politique :  savoir tirer avantage d’une situation imprévisible, s’engouffrer dans la brèche et triompher, ce n’est pas donné à tout le monde.

Comme personne ne les attendait dans le rôle de « prima donna » , ils auront à cœur de réussir,  ils se montreront constructifs. Le trio Gössi-Pfister-Rösti dispose en plus d’une solide majorité dans les deux chambres, donc d’une belle marge de manœuvre pour engranger des résultats.

Christian Levrat, lui, a perdu son sparring-partner préféré, Christophe Darbellay, avec lequel il avait réussi le coup politique le plus retentissant de l’histoire politique récente : l’éviction de Christoph Blocher du Conseil fédéral en décembre 2007. Forcément, cela avait créé des liens, dopé la complicité. Le conseiller aux Etats va donc se sentit très seul, d’autant plus que les trois autres présidents siègent tous dans l’autre chambre.

Il sera toutefois sauvé de la marginalisation par deux dossiers : la réforme des retraites, portée par Alain Berset. PDC et PLR savent que s’ils exagèrent, la gauche n’aura pas trop de peine à convoquer un referendum. L’avenir de notre prévoyance sociale exige réalisme et collaboration.

Pour ce qui concerne le sauvetage des accords bilatéraux, l’entente entre PLR, PDC et PS est encore plus cruciale pour renverser le trend isolationniste et économiquement suicidaire que l’UDC est parvenue à imposer le 9 février 2014.

Mais dans ce qui s’annonce comme le travail d’Hercule de cette législature, les chefs de groupe seront aussi à la manœuvre : le trio Filippo Lombardi (PDC), Ignazio Cassis (PLR) et Roger Nordmann (PS) apparaît à la fois plus rusé, plus expérimenté, et plus créatif dans la recherche de solutions.

Entre les présidents de partis et de groupes parlementaires, il y aura donc peut-être un rééquilibrage des forces et des influences.

Ce qui ne change pas en revanche, c’est la place congrue laissée aux femmes dans ces postes éminents. Petra Gössi, dont la fibre féministe est ténue, va devoir s’inventer un style, sans bénéficier d’un point de référence.

publié le 24 avril 2016 sur le site de L’Hebdo

La ténébreuse affaire Hildebrand

On connaîtra le 13 avril prochain l’épilogue de la ténébreuse affaire Hildebrand, du nom de l’ancien patron de la BNS, contraint de démissionner en janvier 2012.

Cette semaine le tribunal d’arrondissement de Zurich a essayé de comprendre les motivations de l’informaticien de la Banque Sarazin, qui révéla une transaction maladroite sur le compte du couple Hildebrand.

Pourquoi R.T. a -t-il décidé un matin d’aller regarder l’état du compte du patron de la BNS  ? Est-ce que les informaticiens de nos banques font souvent cela ? De quel esprit fouineur ou justicier était-il animé ? Quelqu’un lui a-t-il demandé de le faire ? Pour l’instant, le mystère reste entier, le prévenu, malade, ne s’est pas présenté à son procès.

On connaît mieux la suite. R.T. procède à une capture d’écran qui montre un achat de devises par l’épouse du patron de la BNS peu avant l’annonce de l’instauration du taux plancher du franc face à l’euro. Il y voit le signe d’un délit d’initié.

R.T. prend contact avec un ami d’enfance, avocat et élu UDC, Herman Lei, lui aussi inculpé. Là les versions divergent désormais. Ce qui est sûr c’est que les deux compères décident de faire part de leur trouvaille à Christoph Blocher. Le tribun zurichois voit tout le parti qu’il va pouvoir tirer de ces documents en organisant une fuite dans les médias, tout en alertant le Conseil fédéral. Le TagesAnzeiger a révélé cette semaine que Christoph Blocher et Roger Köppel, le rédacteur en chef de la Weltwoche, ont échangé 100 sms et appels téléphoniques entre le 3 et le 11 janvier.

Dans un premier temps, le Conseil fédéral a soutenu Philipp Hildebrand, lui renouvellant sa confiance. Ensuite, il s’est complètement laissé manipulé par le duo Blocher-Köppel. La maladresse est devenue une faute, un scandale. Sous la pression, l’homme qui parlait les yeux dans les yeux au marchés financiers et incarnait la volonté inébranlable de défendre un cours soutenable du franc, a démissionné. Ce 9 janvier 2012, la Suisse s’est vu brutalement privée d’un des hommes les mieux connectés aux réseaux de la finance mondiale. Trois ans plus tard, presque jour pour jour, la BNS a renoncé au fameux taux plancher, et depuis, l’industrie et le tourisme suisses sont en mode survie.

Philipp Hildebrand, lui, va bien. Son salaire est estimé à 7 millions de francs. Il est devenu le vice-président du plus grand fond d’investissements de la planète, BlackRock qui gère des avoirs à hauteur de 4700 milliards de dollars. Il a divorcé et refait sa vie avec Margarita Louis-Dreyfus, héritère du groupe du même nom.

A l’informaticien qui a violé le secret bancaire et à l’avocat entremetteur, Philipp Hildebrand a demandé 24 000 francs d’ indemnités. Mais, quel que soit le verdict, ce sont les Suisses, privés d’un banquier central brillant, qui s’était mis humblement au service des intérêts supérieurs du pays, qui devraient exiger des dommages et intérêts.

* Texte paru en italien dans Il Caffè le 3 avril 2016

publié le 3 avril 2016 sur le site de L’Hebdo