Le bilan de la présence de deux UDC au Conseil fédéral qui ne sera pas tiré

Quel acide télescopage dans l’actualité fédérale : le 7 décembre, 30 ans et un jour après le non des Suisses à l’Espace économique européen (EEE), sera élu le successeur d’Ueli Maurer. Il est à craindre que dans les semaines à venir, le « débat » se concentre sur le profil des papables et qu’aucun bilan sérieux ne soit tiré de la présence de deux élus de l’UDC (Union démocratique du centre) au Conseil fédéral.

L’hégémonie du parti national populiste sur la politique suisse a pourtant commencé par cette courte victoire en politique étrangère, (50,3% des votants refusèrent de s’arrimer à l’EEE ce « dimanche noir » du 6 décembre 1992, selon la fameuse formule de Jean-Pascal Delamuraz au soir de la votation). De 1995 à 2015, les Blochériens ont quasi doublé leur représentation au Conseil national, et frôlé les 30% de suffrages. Dès 2003, ils ont obtenu un second siège dans le collège gouvernemental. De quatrième roue du char depuis la naissance de la formule magique en 1959, ils sont devenus l’attelage prépondérant (non sans quelques péripéties entre la non réélection de Christoph Blocher en 2007 et l’élection -justement – d’Ueli Maurer en 2008 et celle de Guy Parmelin en 2015).

Qui pourrait contester la légitimité de cette double représentation ? Même si l’UDC a perdu lors des élections fédérales de 2019 un peu de sa superbe, elle reste avec plus de 25% des voix au Conseil national le premier parti de Suisse. La formule gouvernementale helvétique – que l’on s’obstine à qualifier de « magique » même si elle ne produit plus d’étincelles – octroie 2 sièges aux trois partis arrivés en tête et 1 au quatrième.

La fin des compromis

Or cette répartition du pouvoir entre les quatre grands partis, qui permit à la Suisse dans les années 1960 de développer son état social et d’engranger tous les bénéfices des Trente Glorieuses, s’est peu à peu grippée sous l’emprise du parti blochérien. D’habile machine à réformer la Confédération dans le consensus et par des compromis gauche-droite « gagnant-gagnant », elle est devenue une toupie qui tourne obstinément sur elle-même sans jamais plus se poser la question de son efficacité, de ses résultats et de sa finalité.

L’UDC doit ses succès électoraux à son intransigeance. Dans sa vision de la politique, le compromis n’est pas un outil vertueux qui permet aux Suisses d’avancer ensemble malgré leur diversité, elle est une faiblesse coupable. L’UDC n’a cure du respect des minorités, essence de notre fédéralisme, elle veut imposer sa volonté, par le rapport de force. Elle n’aime pas les contre-pouvoirs, propres au régime démocratique qui est le nôtre. Exaltant le kitsch et le folklore, le parti blochérien se proclame plus suisse que les autres : cette prétention à incarner à lui tout seul le pays est pourtant on ne peut plus antisuisse. Tout notre édifice institutionnel basé sur la représentation proportionnelle et la collégialité appelle à la collaboration constructive entre élus. Plutôt que d’exercer son leadership par des propositions stimulantes pour les autres partis gouvernementaux, l’UDC a imposé le blocage au cœur du système politique. Figée sur une conception idyllique de notre histoire, de la neutralité et de l’indépendance, elle a gelé toute réflexion ouverte sur l’avenir.

Dès lors, tant en politique intérieure qu’extérieure, le Conseil fédéral a toutes les peines du monde à se projeter, à trouver des compromis et à convaincre la population. La Suisse ne parvient pas à se réformer, donc à s’adapter aux défis de l’époque, qu’il s’agisse de son système de santé, des retraites, de la fiscalité et bien sûr de sa politique européenne. On reblètse de justesse (comme la réforme de l’AVS acceptée du bout des lèvres le 25 septembre dernier) ou sous pression afin de se conformer à de nouvelles régulations internationales (telle la réforme de la fiscalité RFFA en 2019).

Le dossier européen embourbé

En matière de politique européenne, et malgré une dizaine de scrutins depuis l’approbation des accords bilatéraux en 2000 ayant entériné des coopérations plus poussées avec l’Union, le Conseil fédéral ne réussit plus à avancer. Il s’est progressivement embourbé, sous l’influence des ses deux ministres UDC, sans que jamais d’ailleurs le parti ne revendique l’honneur et la responsabilité d’aller négocier avec les Européens en qualité de chef du Département des Affaires étrangères. Tout au contraire, au cours de son mandat Ueli Maurer a préféré ostensiblement afficher son soutien au régime chinois plutôt que de rechercher le contact avec Bruxelles.

Le coup de grâce remonte au 26 mai 2021 : ce jour-là, le président de la Confédération UDC Guy Parmelin enterre l’accord-cadre, longuement négocié depuis 8 ans avec l’UE. Cet accord devait offrir une solution pérenne aux relations entre la Suisse et les 27, grâce à un mécanisme de règlement des éventuels différents. Il promettait d’ouvrir de nouveaux champs de coopération renforcée, comme par exemple en matière d’électricité. L’UE avait fait de nombreuses concessions à la Suisse, au cours des discussions. Mais prisonniers de la posture de détestation systématique de tout ce qui vient de Bruxelles dans laquelle les Blochériens ont enfermé une bonne partie de notre classe politique, les deux élus UDC n’ont écouté ni les experts ni les diplomates. Infliger un affront à l’UE leur a semblé plus crucial que de réfléchir aux conséquences à court, moyen et long terme de leur geste. Si gouverner c’est prévoir, ces deux gouvernants-là n’ont pas prévu grand-chose – ni leurs collègues qui n’ont pas eu le courage politique de s’opposer à cette issue malheureuse et inutilement vexante pour les partenaires européens.

Un état-tiers qui ne se l’avoue pas

Dans leur inlassable guérilla contre Bruxelles, les élus UDC ont oublié de dire une chose essentielle au peuple: l’entreprise de démolissage des accords bilatéraux qu’ils ont méthodiquement entreprise conduit la Suisse vers l’isolement et la marginalisation, et à être considérée comme un état tiers. Sans solution institutionnelle avec l’UE, les accords bilatéraux sont peu à peu vidés de leur substance. Les Européens continuent à légiférer (pas pour ennuyer les Helvètes mais parce que de nouveaux défis surgissent qu’ils ont collectivement décidé de résoudre ensemble), et le fossé entre les règles appliquées par les Suisses pour être partie prenante du marché unique et celles adoptées par les Européens s’accroît. Comme sur un ordinateur, l’absence de mise à jour finit pas créer d’insurmontables difficultés : les programmes ne tournent plus.

Ont déjà fait les frais de l’absence de clairvoyance des conseillers fédéraux UDC l’industrie des technologies médicales, les programmes de recherche de nos hautes écoles. Bientôt ce sera l’industrie des machines, mais aussi nos aéroports qui se retrouveront largués, marginalisés, plus en état de concourir sur le marché européen dans des conditions de concurrence équitable.

Pour les 27 qui ont tenu bon face à la déflagration du Brexit, la posture d’exceptionnalisme, la revendication helvétique d’être traitée comme un cas particulier, devient chaque jour plus incompréhensible, inaudible, et indéfendable.

Sous l’influence de l’UDC, notre Confédération est ainsi passée du statut de partenaire privilégié de l’UE à candidat état-tiers qui n’ose même pas se l’avouer. Or, qu’on l’aime ou pas, mais parce qu’elle rassemble tous nos voisins et la grande majorité des nations de notre continent, l’UE est un partenaire commercial et politique incontournable. Lorsque le principal parti du pays n’a d’autres discours que de prétendre qu’on peut le contourner sans risques et sans gros dommages pour notre prospérité et notre sécurité, il conviendrait tout de même de se demander, à la faveur d’une vacance fortuite, s’il a toujours sa place au Conseil fédéral.

Réflexion d’avenir ou arithmétique ? 

Face à la guerre en Ukraine et ses innombrables répercussions, ne conviendrait-il pas d’exiger des candidats à la fonction suprême qu’ils développent une vision claire et ambitieuse de la place de la Suisse en Europe ? En d’autres mots, plutôt que de se contenter d’arithmétique électorale, la gravité de l’époque ne commande-t-elle pas de placer au gouvernement des élus en fonction d’un programme partagé avec les autres partenaires de la coalition ?

Il est regrettable que cette élection partielle, même si les Verts envisagent d’y proposer une alternative, ne soit pas encore l’occasion d’une grande remise en question de notre formule gouvernementale. L’an prochain, peut-être, après les élections fédérales lors du renouvellement de l’entier du collège… Mais la Suisse peut-elle toujours se permettre d’attendre une prochaine échéance pour résoudre ses problèmes ?

*Article paru sur la plateforme de blogs du Temps

L’heure de vérité pour les sardines


Dimanche 26 janvier se tiennent en Emilie-Romagne des élections régionales que Salvini espère remporter pour déstabiliser l’actuel gouvernement italien. Le mouvement des sardines s’est justement créé pour faire barrage aux idées populistes du leader de la Ligue. Les 3,5 millions d’électeurs de ce qui fut longtemps un fief historique de gauche vont arbitrer ce duel idéologique.

Que peut-on obtenir en occupant pacifiquement la rue, sans débordements, sans heurts avec la police, sans critiquer le gouvernement, simplement en brandissant des poissons colorés en carton et en revendiquant le respect des valeurs antifascistes inscrites dans la Constitution nationale?

Telle est la question qui se posent aux dizaines de milliers de sardines qui, depuis la mi-novembre, ont envahi les places italiennes, d’abord à Bologne, capitale de l’Emilie-Romagne, ensuite dans toute la région, dans toute la péninsule et même dans certaines villes européennes, comme Bruxelles ou Paris.


Cette question de la méthode est intéressante: est-il possible de provoquer un changement d’état d’esprit sans brandir des slogans d’un parti ou d’une cause, et sans se fédérer derrière un leader charismatique?

Partout dans le monde, les mobilisations contre le réchauffement climatique oscillent entre le défilé bon enfant et des épisodes de désobéissance civile qui pourraient basculer vers une radicalité plus inquiétante; en France, depuis plus d’un an, les gilets jaunes se sont laissés entraîner dans des actions de protestation de plus en plus violentes, et depuis deux mois, les syndicats n’hésitent pas à bloquer avec leur grève le système de transports publics (ce qui, notons-le, va à l’encontre des objectifs de réduction des émissions de CO2).

Passé violent 

L’Italie a un lourd passé de violence dans l’espace public: il y eut d’abord celles ourdies par les premiers fascistes et qui les amenèrent au pouvoir dès 1923, pour 20 ans; celles ensuite des Brigades rouges et des terroristes d’extrême-droite qui s’échelonnèrent dès 1969 jusque dans la décennie 1980. Plus de 12 000 attentats furent commis pendant ces «années de plomb», dans un pays dont les rues sont régulièrement, quoique plus localement, ensanglantées par la barbarie des mafias. 

Avec l’émergence de la Ligue puis du Mouvement 5 étoiles, l’Italie est passée de la violence physique sporadique des terroristes de gauche et de droite à une violence verbale continue, désormais amplifiée par les réseaux sociaux. Cette rhétorique de la haine et du bouc-émissaire est dirigée contre les migrants, contre l’Union européenne, contre la classe politique incapable, contre la gauche, contre les ONG, dans le total mépris des règles de bienséance minimale du débat démocratique. 

Le temps de l’écoeurement

Il y a moins de 3 mois que le mouvement des sardines s’est créé à Bologne, provoqué par le ras-le-bol, l’écoeurement, contre ces discours de détestation, pour le respect des valeurs d’accueil et de tolérance.

La mobilisation se tient sur les places, au cœur des villes. Pas de défilé et pas de récupération politicienne. C’est une flash mob qui devait réunir quelques potes et qui devient une marée humaine, débordant dans d’autres cités sans échéances électorales proches.

Les participants aux rencontres de sardines sont surpris de se découvrir si nombreux. En plein hiver, et même sous la pluie, ils assènent une tranquille démonstration dans un pays gavé de campagnes politiques permanentes via les télévisions et les réseaux sociaux: la politique doit se faire sur le terrain, avec les gens, et pas avec des clans. Ils affichent une morale antifasciste alors que l’Italie s’est gentiment habituée ces dernières années au retour des idées fascistes, malgré l’interdiction figurant dans la Constitution de recréer un parti les revendiquant.

Politiquement, les petits poissons multicolores n’ont jusqu’ici exprimé qu’un seul vœu: barrer la route à Matteo Salvini. Après avoir réussi à placer l’une de ses candidates à la tête du gouvernement de l’Ombrie en octobre, «Il Capitano» veut ravir un autre fief historique de gauche du centre de la péninsule, l’Emilie-Romagne.

Le 26 janvier, le président de région sortant, Stefano Bonaccini du Parti démocrate (PD) affronte la sénatrice de la Ligue Lucia Borgonzoni. Depuis le début de la campagne, les sondages les donnent au coude-à-coude dans les intentions de vote, bien que Bonaccini affiche un bon bilan et que Borgonzoni passe pour effacée aux côtés de l’omniprésent Salvini.

Un lent basculement vers la droite

L’ancien Ministre de l’intérieur, redevenu simple sénateur depuis son putsch avorté de l’été dernier contre le gouvernement auquel il appartenait, n’a pas mis toutes ses forces dans cette bataille régionale par hasard: l’an dernier son parti est arrivé en tête dans ce bastion rouge lors des élections européennes avec 33,7% devant le PD. En l’espace de 5 ans, la région, historiquement acquise à la gauche, a basculé vers la droite accordant de plus en plus de voix à la Lega. Le scrutin se jouera en un tour, à la majorité relative: gagnera celui qui sera devant, même de peu, même sans avoir passé la barre des 50%.

Le sort du gouvernement Conte bis

Appelant à faire barrage à Salvini et à ses discours de haine, les jeunes leaders des sardines n’ont pas donné de consigne de vote, même si beaucoup de commentateurs ou de partisans de la Lega les soupçonnent de rouler pour le PD, ou d’avoir été guidés par l’homme politique le plus prestigieux de la région, Romano Prodi, 80 ans, ancien Premier ministre et ancien Président de la Commission européenne. Sur les réseaux sociaux, où le mouvement des sardines n’a pas tardé à monter en force, on s’interroge également: ces jeunes prétendus idéalistes, en s’opposant à Salvini, ne font-ils pas que servir la soupe au gouvernement Conte bis, hasardeux alliage des 5 étoiles et du PD?

Une victoire de Salvini dimanche en Emilie-Romagne aurait un fort retentissement. Elle démontrerait que les gentilles sardines ne sont pas l’émanation d’une majorité silencieuse des Italiens raisonnables, ou alors qu’elles s’y sont prises beaucoup trop tard pour contester l’aura du leader populiste, lentement construite depuis 10 ans. Mais l’élection de la sénatrice léghiste ne créerait aucun automatisme entraînant la chute du gouvernement: tant que Giuseppe Conte dispose d’une majorité dans les deux chambres du parlement, il peut gouverner tranquille (et narguer Salvini, son ex-mentor); tant que les parlementaires qui font sécession (du PD ou des 5 étoiles) lui restent attachés, le Premier ministre ne craint pas grand-chose. A Rome, personne n’est enchanté par ce drôle de mariage, mais les politiciens en place savent qu’ils risquent de perdre leur fauteuil en cas d’élections anticipées, lors desquelles les sondages donnent toujours la Ligue en tête.

En cas de défaite de Salvini dimanche, «Il Capitano» pourra toujours prétendre que sa candidate n’était pas adéquate, elle avait déjà échoué à conquérir la Municipalité de Bologne il y a quelques années. Il pourra aussi faire de mauvais jeux de mots sur ces têtes de lard (de mortadelle en l’occurrence) que sont les Romagnoles, bien qu’il se soit fait photographier pendant la campagne embrassant des charcuteries, qui ont valu à la région une réputation mondiale.  

Comment continuer? 

Pour les sardines, la victoire serait d’abord éclatante, puis elle sonnerait vite comme un défi: comment continuer? Peut-on rentrer à la maison alors que désormais la perspective utopique d’enrayer définitivement la conquête du pouvoir par Salvini est devenue une probabilité réaliste? comment pourra-t-on maintenir cet engouement populaire pour les valeurs de l’antifascisme? pourra-t-on éviter de se rallier à un leader politique? Avec la victoire arrive toujours de nouvelles responsabilités.

Mais dans une Italie minée par les surenchères politiciennes sans effet sur le niveau de vie des plus précaires ou le taux de chômage des jeunes, dans une Europe pas entièrement rassurée sur l’inéluctable déclin des populistes (malgré leur défaite aux élections européennes de l’an dernier), les sympathiques sardines auront prouvé qu’il y a de l’espoir, à peu de frais, sans trop de chichi, à condition de voter avec ses pieds, c’est-à-dire de sortir un soir dans la rue, de rejoindre une place emblématique, de faire nombre et d’affirmer sans vociférer ni s’énerver que les fauteurs de haine n’auront jamais le dernier mot.

Article paru sur le site Bon pour la tête le 23 janvier 2020

Être à la hauteur, nouveau défi écologiste

La plus grande progression en sièges pour un parti, les Verts, depuis l’introduction de la proportionnelle en 1919. Et la plus grande perte aussi, pour l’UDC. Les résultats des élections fédérales ont surpris plus d’un commentateur. En Suisse, en général, les gains électoraux se comptent sur les doigts des deux mains. Cette fois-ci, les Verts ont fait exploser le compteur : 17 sièges supplémentaires, c’est du jamais vu, et 9 de plus également pour les Vert’libéraux. Cela rebrasse les cartes.

Au parlement, les deux groupes écologistes de gauche et de droite vont créer un vrai débat sur les moyens à adopter pour enrayer le changement climatique et gérer la transition énergétique. La préoccupation environnementale ne pourra pas être étiquetée « de gauche ». C’est une des meilleures nouvelles qui soit pour qui veut trouver des solutions.

Le slogan choisi par operation libero « les élections du changement » se trouve ainsi admirablement incarné. Le mouvement totalise une dizaine d’élus qui incarnent cette Suisse progressiste, ouverte, humaniste qui veut aller de l’avant et en finir avec le blochérisme inquiet et déprimant.

Il faut regarder le taux de participation pour comprendre ce qui est arrivé ce 20 octobre : 46% des citoyens se sont exprimés, c’est moins qu’en 2015. Compte tenu de la poussée verte, cela signifie qu’il y a eu une démobilisation à droite, surtout parmi les électeurs UDC. Fatalisme devant la vague verte annoncée, ou désarroi voire dégagisme devant le peu de résultats concrets obtenus après le Rechtsrutsch de 2015 ? Indéniablement la vague verte s’incarne dans l’élection de jeunes femmes, alors que la défaite de l’UDC fait rentrer à la maison des hommes de plus de soixante ans.

L’UDC perd 12 sièges, c’est colossal, mais elle reste le premier parti de Suisse en suffrages. Le camp souverainiste est affaibli, comme en témoigne la non-réélection de deux figures de l’USAM, l’UDC fribourgeois Jean-François Rime, et le PLR zurichois Hans-Ulrich Bigler. Cela va laisser de l’air à économiesuisse et à AvenirSuisse pour faire émerger des idées moins conservatrices, plus en phase avec les besoins réels des entreprises.

Une question va occuper le devant de la scène jusqu’au 11 décembre : faut-il traduire la vague verte dans la composition du Conseil fédéral ? Sur le papier, une alliance compacte PS-PDC-Verts et Vert’libéraux devrait être en mesure de déloger un PLR. Mais se pose la question du casting : quel candidat contre quel élu ? Le siège de Cassis apparaît le plus menacé. Comme si la durabilité à la mode n’avait que faire de la pluralité linguistique…

Pour les écologistes, le succès s’accompagne désormais d’un surcroît de responsabilités. Ils doivent donner une traduction législative rapide à la colère et l’impatience de la rue. Sauront-ils se dégager d’un certain fondamentalisme et jouer le jeu des institutions, c’est-à-dire proposer, convaincre mais aussi transiger ? Sauront-ils expliquer leurs nécessaires compromis et se montrer loyaux ? L’enjeu est d’importance face à des jeunes prêts à la désobéissance civile, mais aussi, comme on le voit à l’étranger, à des confrontations plus violentes. Pour les vainqueurs du 20 octobre, l’enjeu le plus important n’est pas d’accéder au Conseil fédéral mais d’être à la hauteur des espoirs qu’ils ont soulevés.

Texte paru dans l’hebdomadaire dominical Il Caffè le 27 octobre 2019: http://www.caffe.ch/stories/le_analisi_di_tauxe/64119_timori_ambientalisti_non_solo_a_sinistra/

 

 

 

 

Climat : de la rue aux urnes

Qui entre pape au conclave en ressort cardinal. Le constat des vaticanistes vaut-il pour les sondages qui annoncent les Verts gagnants des prochaines élections fédérales ? En 2011, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, les écologistes étaient donnés en tête des intentions de vote. A la fin, ils perdirent 5 de leurs 20 sièges au Conseil national.

Ce n’est pas parce que un thème est populaire qu’il détermine mécaniquement le résultat des urnes, même si cette croyance entretient le suspense. Aux tocades de l’opinion, le système suisse oppose deux puissants amortisseurs : le fédéralisme et la proportionnelle. 13 cercles électoraux (cantons ou demi-cantons) comptent moins de cinq sièges : difficile pour un parti comme les Verts ou les Vert-libéraux d’y conquérir un siège de plus. De grosses modifications dans la répartition des sièges peuvent se produire surtout dans les grands cantons.

Depuis 1975, la participation aux élections n’a plus dépassé les 50%. Plus d’un citoyen sur deux est indifférent aux convictions que vont défendre les parlementaires. Pour que les préoccupations environnementales aient un effet spectaculaire sous la Coupole fédérale dans la prochaine législature, il faudrait que les milliers de gens, et spécialement les jeunes, qui ont manifesté aillent voter en masse. La mobilisation doit passer de la rue au bulletin de vote.

Le climat change et il devient difficile de le nier tant les catastrophes naturelles se multiplient. Mais l’idée que les politiciens n’ont rien fait jusqu’ici pour « sauver la planète » est fausse. Dès les années 1970, les partis suisses ont inscrit dans leurs programmes des mesures de protection de l’environnement. Le premier élu vert dans un parlement national fut le Vaudois Daniel Brélaz en 1979 (il est d’ailleurs toujours candidat cette fois-ci). Au moment de son élection au Conseil fédéral en 1984, Elisabeth Kopp fut décrite comme une radicale à la fibre écologiste. En 1985, les chambres débattirent de la mort des forêts.

En matière environnementale, la Suisse a été pionnière, même si cela n’a pas suffi à faire du pays de Heidi la nation la plus vertueuse ou la plus exemplaire. L’envie de préserver nos paysages, nos montagnes, la qualité de l’air, de l’eau ou de la nourriture se heurte à une obsession nationale : ne pas désavantager l’économie, ne pas imposer aux entreprises des normes qui les défavoriseraient par rapport aux concurrents étrangers. Et comme, en plus, la Confédération peine depuis quelques années à agir dans le contexte européen ou multilatéral, les effets de nos législations internes restent limités sur le réchauffement planétaire global comme sur le permafrost de nos sommets.

Ainsi, les Verts et les Vert’libéraux n’ont pas le monopole des idées écologistes. Sans les socialistes et les démocrates-chrétiens, notre stratégie de transition énergétique 2050 n’existerait pas. Tous les partis, même l’UDC qui est celui des paysans nourriciers, ont des propositions valables. Il faudra juste qu’ils se montrent capables de les faire converger. Plus que le poids des partis comptera la détermination des élus, quelle que soit leur étiquette partisane, à agir pour sauver la planète.

Reste que un autre thème pourrait bousculer les pronostics d’ici fin octobre: les nuages noirs qui s’accumulent sur le plan économique. Les électeurs veulent bien passer au bio mais à condition que leur pouvoir d’achat soit garanti.

Article paru en italien le dimanche 8 septembre 2019 dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè: http://www.caffe.ch/publisher/epaper/section/

 

 

 

 

Elections européennes: souhaitons le statu quo

Si elle pouvait influencer les élections européennes de ce dimanche, que devrait se souhaiter la Suisse ?

Levons une illusion: un trop gros poids des populistes dans le futur hémicycle de Strasbourg n’aidera pas nos affaires. Les nationalistes n’aiment pas les privilèges concédés à d’autres pays que le leur, et la Suisse, comme l’a montré une récente étude de la Fondation Bertelsmann, profite du marché unique plus que certains états membres !

Nous avons tout intérêt à un statu quo voire à un glissement à gauche. Le parlement européen fonctionne grâce à une ample majorité de chrétiens sociaux et de sociaux démocrates. Même s’ils ne sont de loin pas d’accord sur tout, les groupes du PPE, des socialistes et des Verts partagent un même idéal de faire avancer l’Union. Nos partis suisses sont connectés à ces grandes familles politiques de droite et de gauche. Ces liens nous sont utiles, ils permettent d’être informés et de faire remonter des messages. Une victoire écrasante des populistes nous priverait de ces contacts ou les rendrait moins opérants.

Mais pourquoi nous souhaiter que le parlement vire à gauche – ce qu’aucun sondage ne laisse penser compte tenu de l’affaiblissement des partis socialistes français et italiens ? Parce que ce qui sera essentiel pour nous, c’est la personnalité du nouveau président de la commission européenne. On s’attend à ce que le successeur de Jean-Claude Juncker soit Manfred Weber, tête de liste pour le PPE. Or ce Bavarois ne nous aime pas du tout. Il considère les Suisses comme des pique-assiettes. Il ne parle qu’allemand et anglais et n’a pas d’expérience gouvernementale. En face, le «Spitzenkandidat» des sociaux-démocrates, le néerlandais Frans Timmermans parle sept langues et a été ministre des affaires étrangères. Il a une plus grande expérience internationale et pourrait avoir plus de compréhension pour la position singulière d’un petit pays. Comme vice-président de la Commission, il a été un proche de Juncker et se souviendra des égards que le Luxembourgeois avait pour nous.

Mais, il se dit que les chefs d’Etat et de gouvernement pourraient vouloir choisir eux-mêmes le président de la Commission. Emmanuel Macron estime que le système des Spitzenkandidat a déçu. Ceux qui croient que le président français pourra imposer son point de vue misent sur Michel Barnier. En charge du Brexit, Barnier a beaucoup impressionné les Européens. Ce Savoyard connaît bien la Suisse, mais après s’être montré intransigeant avec les Britanniques, il risque d’être agacé par un Conseil fédéral qui semble ne pas savoir s’il veut ou non de l’accord-cadre, patiemment négocié pour fluidifier les relations entre la Confédération et les 27.

Dans tous les cas, ce que nous devons nous souhaiter en ce dimanche de vote continental, c’est que les élus soient déterminés à préserver la qualité de vie des Européens, c’est-à-dire de donner un cours plus social, environnemental et démocratique à l’UE, et que, galvanisés par la perspective de tenir tête aux Américains, aux Russes et aux Chinois, ils se souviennent que les Suisses partagent avec eux une communauté de valeurs et de destin. Il serait injuste de nous traiter comme n’importe quel état-tiers alors que nous sommes la meilleure preuve historique que le mariage de minorités culturelles et linguistiques dans un plus grand ensemble peut fonctionner durablement.

La vague souverainiste ne sera peut-être pas celle que l’on croit

Les populistes sont annoncés vainqueurs le 26 mai prochain. Décortiquons cette prophétie autoréalisatrice. Les résultats promettent d’être un peu plus complexes.

La vague populiste emportera-t-elle le Parlement européen ? Ce serait une drôle de manière de fêter les 40 ans de son élection au suffrage universel. On devrait avoir la réponse à la grande interrogation de l’année d’ici deux petites semaines.

En attendant déconstruisons un peu ce grand fantasme. Tout d’abord « populiste » est un mot fourre-tout qui recouvre toutes sortes de partis différents dont le seul point commun et la critique envers Bruxelles. Et encore : l’Europe n’a pas l’exclusivité du populisme, la preuve par l’Américain Trump et le Brésilien Bolsonaro. Le populisme est surtout une méthode pour parvenir au pouvoir.

Même s’ils prisent les conférences de presse communes et les photos de famille, les populistes ont rarement les mêmes intérêts. Prenez la question des migrants, leur thème fétiche : l’Italien Salvini veut qu’ils s’installent ailleurs dans l’Union, son ami hongrois Orban ne veut pas en accueillir un seul. Quant au chancelier autrichien Kurz, il tire à boulets rouges sur la dette italienne, qui s’envole depuis que le Mouvement 5 étoiles et la Lega dirigent le gouvernement.

On peut donc parier que s’ils parvenaient nombreux dans les travées du Parlement, les populistes peineraient à réorienter concrètement la politique européenne. Leur pouvoir de nuisance risque d’imploser dans leurs divergences.

L’hémicycle de Strasbourg, justement. Au fil des traités, il a certes gagné en importance. Mais ce n’est pas lui qui a le plus de poids dans la machinerie communautaire, ni même la Commission toujours pointée du doigt comme trop dominatrice, c’est le Conseil européen, l’institution qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement, qui détient le vrai pouvoir.

Depuis la crise financière de 2008, dans la foulée des multiples plans de sauvetage de l’euro, le Conseil européen s’est imposé comme l’organe dirigeant l’UE. On est là au cœur du problème : par analogie avec ce qui se passe dans les pays, on désigne la Commission comme l’exécutif et on lui prête la capacité à décider et à imposer d’un chef de gouvernement. Or, la Commission ne peut dicter sa loi aux 27 chefs d’Etat et de gouvernement qui composent le Conseil européen. Ecueil supplémentaire, sur tous les sujets chauds, le Conseil décide à l’unanimité, autant dire que la paralysie est inscrite dans les traités. Pour bouger, le Conseil devrait voter selon la règle de la majorité, mais cette réforme, maintes fois évoquée pour développer l’efficience de l’UE, reste dans les tiroirs.

Tel est le paradoxe des élections européennes de 2019 : le souverainisme devrait y triompher, alors qu’il paralyse déjà l’UE depuis une décennie. Depuis la crise financière, l’UE est parvenue à sauver ce qui existait (l’euro), mais n’a guère trouvé les moyens de développer ce qu’il faudrait (des politiques communes en matière sociale, budgétaire, fiscale, environnementale,…).

La victoire des populistes aux élections européennes tient autant de la prophétie autoréalisatrice que du réflexe pavlovien : il y a eu des vagues nationalistes dans les états, donc il y en aura une au niveau européen. Selon les sondages, le vote du 26 mai se caractérise par de fortes incertitudes :

  • Le taux de participation : il y a cinq ans, plus d’un électeur sur deux ne s’était pas exprimé. Les campagnes de mobilisation citoyenne, lancées par Bruxelles, auront-elles un effet ?
  • L’implosion des partis politiques traditionnels. Dans de grands pays comme l’Italie ou la France, pourvoyeurs de grosses députations, les citoyens, ont perdu leurs repères traditionnels, à gauche comme à droite. Pour qui vont-ils glisser un bulletin dans l’urne cette fois-ci ? En Italie, le parti en tête des intentions de vote est celui des « sans opinion », suivi par La Lega de Salvini. En France, la République en marche va-t-elle rééditer ses succès de 2017 ?
  • L’angoisse climatique. Quel sera l’impact des manifestations contre le réchauffement climatique, un enjeu qui oblige à imaginer des solutions supranationales ? Vont-elles amener aux urnes les jeunes générations ? Vont-elles profiter aux partis écologistes ?

Le contexte géopolitique est particulièrement troublé. Ce mois de mai 2019 est le premier vote des autres Européens depuis le Brexit. Les mésaventures des Britanniques depuis 2016 ont renforcé le sentiment d’appartenance à l’UE dans tous les pays membres. Les rodomontades russes et américaines, de même que l’affirmation de la toute puissance chinoise, ont-elles soudé plus encore les Européens ou ne fortifient-elles qu’un sentiment de déclin inéluctable qu’exploitent les populistes ? Les élections européennes seront-elles une addition de scrutins nationaux ou l’expression d’une volonté continentale ?

L’obsession souverainiste est peut-être la chose la mieux partagée par les anti et les pro-européens. La divergence ne porte que sur l’échelle d’exercice du pouvoir : à l’intérieur de frontières obsolètes ou par-dessus.

 

Article paru sur le site de Bon pour la tête le 14 mai 2019:

https://bonpourlatete.com/actuel/la-vague-souverainiste-lors-des-elections-europeennes-ne-sera-peut-etre-pas-celle-que-l-on-croit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elections européennes: des Suisses toujours plus décalés

La compilation des sondages dans les 27 pays-membres annonce un parlement européen plus fragmenté, donc une volonté générale plus difficile à trouver. Il ne devrait toutefois pas y avoir une majorité d’eurosceptiques capable de bloquer la machine. Ce n’est pas surprenant: à l’échelle de l’Union, comme chez nous, le découpage électoral et le vote à la proportionnelle atténuent les effets des foucades de l’opinion.

Qu’est-ce qui pourrait changer pour la Suisse avec les élections européennes ?

En mai, alors que le Conseil fédéral devra décider si nous soutenons l’accord institutionnel, le sentiment d’être isolés ou de ramer en sens contraire va s’accroître. Tout le continent –ou presque – élit ses représentants, mais nous, si attachés au vote, boudons cet exercice démocratique géant. Nous faisons semblant de ne pas être concernés, même si la Suisse compte 1,6 million d’électeurs européens (des étrangers et des binationaux).

Les rapports de forces au Parlement européen ne changent pas ce qui se passe en amont. C’est la Commission qui est chargée de négocier avec Berne; les députés se prononcent eux à la fin du processus. Dans la classe politique suisse, on s’entête à croire que le salut, un coup de main, peut venir de Berlin, Paris ou Rome. Cette stratégie a fait choux blancs : malgré de bonnes paroles, les états-membres laissent la Commission gérer les modalités du partenariat avec les Helvètes.

A propos de la Commission justement : le choix du successeur de Juncker relève de la compétence du Parlement, mais les chefs d’Etat pourraient avoir envie de retrouver cette ancienne prérogative. Ce qui est certain, c’est que le nouveau président de la Commission a peu de chances d’être un aussi bon connaisseur de la Suisse que le Luxembourgeois. A Bruxelles, le nombre de ceux qui considèrent sincèrement la Suisse comme un pays ami à ménager se rétrécit, au profit de ceux qui la voient comme un « état tiers » parmi d’autres, ne nécessitant pas de traitement particulier. Le chaos du Brexit a soudé les Européens contre les dissidents.

L’accès au marché unique européen constitue le cœur de nos relations avec l’UE. Même si les populistes devaient progresser dans l’hémicycle de Strasbourg, il faut se souvenir qu’aucun d’entre eux ne remet en cause le principe du marché unique ou son fonctionnement.

Le résultat des élections européennes pourrait avoir un impact plus marqué sur les accords de Schengen et Dublin. En matière de contrôles des frontières extérieures et de politique d’asile, de nouveaux durcissements sont à prévoir. La Suisse devra s’aligner, y compris financièrement.

Le constat est un brin désagréable: les populistes aiment bien nous citer, invoquer nos droits de referendum ou d’initiative, mais ils ne nous font pas de cadeaux. Les ornières nationalistes annihilent vite leur lyrisme.
Reste à considérer un autre scénario : 2019 ne sera peut-être pas l’année du triomphe des populistes européens. Leur victoire annoncée mobilise les consciences humanistes. Le parlement de Strasbourg pourrait au final se peupler de députés mieux résolus à « changer l’Europe », pour qu’elle offre plus de pouvoir d’achat, de  protection sociale à ses citoyens, et qu’elle s’érige en rempart des libertés individuelles face au pouvoir intrusif des GAFA, aux manipulations russes ou à l’hégémonie chinoise. L’UE pourrait alors redevenir désirable aux yeux des Suisses si habitués à irrationnellement la détester.

Texte paru le 10 mars 2019 dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè:

http://caffe.ch/section/il_commento/

 

Elections au Conseil fédéral: des femmes pragmatiques

La possibilité d’élire des femmes au Conseil fédéral existe depuis 1971. Mercredi, à moins d’un gros coup de théâtre, qui constituerait un authentique scandale, une huitième et une neuvième conseillère fédérale vont être élues. Incroyable mais vrai, on peut encore compter sur nos deux mains le nombre de femmes parvenues au gouvernement. Ce 5 décembre aura un parfum d’histoire. Dieu que ce fut difficile d’en arriver là.

Le parcours de Karin Keller-Sutter symbolise le chemin parcouru. En 2010, le Parlement avait écarté son talent sans état d’âme, avec une sorte de réflexe pavlovien disqualifiant une candidate brillante pour lui préférer un homme du sérail, comme il l’avait déjà fait en 2003 avec Christine Beerli.

Ces douze derniers mois, la mobilisation des femmes a été massive, à la suite du mouvement #Metoo, de l’affaire Buttet, mais aussi du combat politique pour l’égalité salariale. Jamais depuis la grève féministe de 1991, on avait autant parlé de la place des femmes dans la politique suisse. A un an des élections fédérales, le parti qui ferait mine d’ignorer ce thème prendrait le risque de se disqualifier dans l’opinion.

Nous aurons donc trois femmes au Conseil fédéral. Ce rééquilibrage, légitime en termes de représentativité, changera-t-il quelque chose ? Assurément. Pas tellement sur le plan politique (deux politiciens de droite en remplaceront deux autres), mais plutôt dans la manière de gouverner. Les trois papables potentielles ont une forte expérience d’exécutif, à la tête d’un canton ou d’une ville. Les deux élues amèneront plus de pragmatisme, la culture du résultat, propres aux conseillers d’Etat et aux pouvoirs de proximité, que les cinq autres membres du collège n’ont guère.

En matière de compromis, le gouvernement a beaucoup perdu de son savoir-faire. C’est le parlement qui a trouvé une issue au problématique vote de février 2014 sur l’immigration de masse, et c’est encore le parlement qui tente actuellement de sauver deux réformes absolument nécessaires, celle de l’AVS et celle de la fiscalité des entreprises, en les liant un peu à la hussarde, mais avec le souci d’avancer.

Sur la table du Conseil fédéral trône un dossier crucial qui requière une colossale aptitude au pragmatisme, c’est celui des relations bilatérales avec l’Union européenne. Quels que soient les départements dont elles hériteront, les deux élues devront s’en occuper, car la responsabilité de notre politique extérieure est collégiale.

Résumons : faute de soutien de ses collègues, Didier Burkhalter a soudain abandonné ce casse-tête ; ensuite, une fois élu, Ignazio Cassis a prôné un reset. Maintenant, il faut dépasser les slogans, prendre la mesure des rapports de forces, affronter le poids des réalités, assumer les conséquences des décisions ou des non-décisions.

C’est là que l’origine cantonale du nouveau binôme entrera en ligne de compte. La Saint-Galloise Keller-Sutter amènera l’expérience d’une région alémanique proche de la frontière. L’Uranaise Z’Graggen celle de la la Suisse centrale, très réticente à l’intégration européenne. La Haut-Valaisanne Amherd celle d’un canton bilingue et touristique. Plutôt que des postures dogmatiques, le dossier européen a besoin d’analyses coûts-bénéfices. D’un gros bol de pragmatisme. Et de l’art retrouvé du compromis.

Texte paru en italien dans l’hebdomadaire Il Caffè: http://caffe.ch/section/il_commento/

 

 

Des papables à la hauteur de la reine Doris

Qui succédera à Doris Leuthard et à Johann Schneider-Ammann le 5 décembre prochain ? Le profil des deux démissionnaires de la semaine nous offrent d’utiles indications. *

Commençons par un point commun: les deux ont été des ministres de l’économie.  Elle d’abord, très concernée par le pouvoir d’achat des Suisses, thématisant l’ ilôt de cherté. Lui ensuite, plus porté sur les conditions-cadre favorables aux industries d’exportation. Il est resté très loin des préoccupations de la population en matière d’emploi, malgré le fiasco du 9 février 2014. On voit donc qu’une même fonction peut être très diversement habitée selon les choix de l’Assemblée fédérale.

Pour le reste, le jeu des différences entre l’Argovienne et le Bernois est saisissant. En 2006, elle fut élue comme une reine, sans contestation ni frustration, après une série d’élections sous tension à propos de la place à donner à l’UDC au gouvernement. En 2010, lui fut choisi au détriment de Karine Keller-Sutter, la gauche jouant la carte du grand patron aimable avec les syndicats. On a pu mesurer la bêtise de ce minable calcul l’été dernier. Le libéral-radical n’a su ni faire progresser ni moderniser le partenariat social, d’où la crise actuelle sur les mesures d’accompagnement.

Pourquoi ce comparatif ? Après l’expérience Blocher, celle Schneider-Ammann démontre définitivement que les grands patrons ne font pas de bons conseillers fédéraux.

Prototype de la politique politicienne, présidente de son parti au moment de son élection, la démocrate-chrétienne a au contraire été une excellente conseillère fédérale. Une vraie première de classe charismatique et populaire, comme Berne en a compté trop peu ces dernières décennies: compétente pour évaluer les chances d’un projet et forger des majorités au parlement ou devant le peuple

Les patrons devenus ministres commandent et s’étonnent de ne pas être obéi. Ils ont du mal à considérer les opposants politiques comme des partenaires potentiels pour établir un compromis. Leur habileté politique est faible même si leurs succès en affaires a été tonitruant.

Il faut espérer que l’assemblée fédérale retienne la leçon : politicien à ce niveau-là, c’est un métier. Il faut souhaiter que les 246 parlementaires corrigeront la faute de 2010 et feront de Karin Keller-Sutter une nouvelle reine. Elle seule parmi les papables PLR mentionnés a le potentiel d’une Doris Leuthard.

L’autre principe qu’il faudrait admettre pour donner à la Suisse un gouvernement dynamique, c’est qu’il ne faut pas redouter d’élire des personnalités fortes. Une addition de mous ne constitue pas un bon collège. On ne choisit pas seulement des chefs de département, il s’agit de porter au plus haut niveau des femmes et des hommes qui ont le sens impérieux de l’Etat. Il faut des tempéraments qui supportent la contradiction amenée par les autres conseillers fédéraux et sont prêts à trouver un chemin pour avancer. Ils faut des générales et des généraux à l’esprit indépendant, pas des petits soldats aux ordres de leurs partis.

Au sein du PDC, un homme possède ce profil. Il connaît bien la boutique et figure déjà sur les photos du Conseil fédéral. C’est le chancelier Walter Turnheer. Il serait directement opérationnel, et compte tenu des dossiers sur la table – relations bilatérales avec l’UE et initiatives de l’UDC – ce ne serait pas un luxe.

* Article paru en italien dans l’hebdomadaire dominical tessinois Il Caffè le 30 septembre 2018:    http://www.caffe.ch/section/il_commento/

PDC: comment enrayer un déclin d’un demi-siècle ?

 

Un pas en avant, un pas en arrière. + 1 ou – 1 ? Les récentes élections genevoises ont été cruelles pour le Parti démocrate-chrétien (PDC) : il a gagné un député au Grand Conseil, une performance dans un canton urbain, mais perdu un conseiller d’Etat. Le Jura, autre canton emblématique pour le parti, voit émerger une dissidence, alors qu’un de ses leaders, le ministre Charles Juillard, vient d’être porté à la vice-présidence du parti. *

Depuis les fédérales de 2015, le PDC a perdu plus de 20 sièges dans les scrutins cantonaux. Personne ne semble pouvoir enrayer sa chute. Cela fait deux ans que Gerhard Pfister a succédé au flamboyant Christophe Darbellay. Mais le cours droitier qu’il souhaite imprimer a créé plus de tensions que de gains électoraux.

Le problème du PDC ne tient toutefois pas aux personnes qui l’animent. Si le succès était fonction du charisme et de l’efficacité politique, le parti brillerait au firmament. Bien qu’elle ait annoncé son départ d’ici l’an prochain, Doris Leuthard est au sommet de son art de gouverner. Comme seule élue démocrate-chrétienne au Conseil fédéral, elle vaut bien deux ministres en termes d’influence et de force de conviction.  On lui doit une des décisions les plus courageuses : sortir du nucléaire !

Le trend à la baisse à des racines profondes. En cinquante ans, le parti a perdu près de la moitié de ses députés dans les Grands Conseils (de 827 à 423). Il a connu son apogée au Conseil national en…  1963 avec 48 élus. Il n’en a plus que 27, soit une part électorale de 11,6%. Au Conseil des Etats, il a mieux résisté : en 1987, il disposait de 41% des sénateurs, il en a encore 28%.  Il conserve un rôle de verrou.

Dans un paysage politique où l’offre s’est beaucoup diversifiée, surtout à droite, la principale difficulté du PDC est son positionnement : il se profile à la fois comme conservateur et centriste. Il ne parvient pas à valoriser son rôle de faiseur de majorités, gagnant la plupart du temps les votations aux Chambres comme dans les urnes. Il s’est aussi coupé des racines européennes de la démocratie-chrétienne, tétanisé par le discours UDC, et se privant d’apparaître comme la déclinaison suisse d’une force prépondérante à l’échelle du continent. Il s’affirme comme le défenseur des familles, mais celles-ci sont devenues diverses et précaires, une évolution sociétale et économique qu’il n’a pas su accompagner.

Est-il condamné au déclin ? Non, s’il fait preuve de la même audace stratégique que lorsqu’il a, en 1959, imposé la formule magique au Conseil fédéral, c’est-à-dire en proposant une solution fonctionnelle, apportant de la clarté dans le jeu politique.

En 1993, Raymond Loretan, alors secrétaire général, avait proposé la fusion du parti avec les libéraux-radicaux. Un big bang qui avait effrayé. Vingt-cinq ans plus tard, force est de constater que les deux se sont faits manger la laine sur le dos par l’UDC. L’idée devrait être remise au goût du jour. Le PDC devrait déjà prendre l’initiative d’une fusion avec les Vert’libéraux et le PBD. Ce regroupement pragmatique des forces créerait un pôle centriste et imprégné des valeurs du développement durable, par dessus le clivage villes-campagnes. A eux trois, ils pèsent plus de 20 % des votes pour le Conseil national et supplanteraient le PLR et le PS.

En procédant de la sorte, le nouveau centre se positionnerait comme le parti le plus en phase avec la culture politique suisse, qui est celle du compromis et de l’efficacité.  Idéologiquement, il serait aussi le plus riche en valeurs pour affronter les défis du siècle.

Texte paru en italien dans Il Caffè le 3 juin: http://caffe.ch/publisher/epaper/section/