Comment Christoph B. ancra la Suisse à l’Europe

24 Heures
– 31. juillet 1999
SUISSE
1ER AOÜT-FICTION
Comment Christoph B. ancra la Suisse à l’Europe
CHANTAL TAUXE
Editorialiste
Mais d’où avait surgi cette idée? Le 15 décembre 1999, jour de réélection du Conseil fédéral, tout avait bien commencé. Le doyen du collège, Adolf Ogi, obtint un score excellent. «La prime aux non-JO Sion 2006», lâcha un commentateur. Les choses se gâtèrent à l’énoncé du résultat de Ruth Dreifuss: 124 voix! Une de moins et la première présidente de la Confédération n’aurait pas été réélue. La droite, qui s’était renforcée aux élections fédérales d’octobre, avait décidé de lui faire payer la récente hausse de 5% des primes d’assurance maladie.
C’est alors que la folle rumeur enfla dans les pas perdus, lancée par Peter Bodenmann de retour au Palais après son triomphal rapt d’un siège PDC au Conseil des Etats: la socialiste avait décidé de démissionner séance tenante. L’échec de l’assurance maternité en juin avait déjà été dur à digérer, mais le camouflet du Parlement était de trop. Hanspeter Seiler, le démocrate du centre bernois qui venait de reprendre les rênes du Parlement, demanda une suspension de séance, et convoqua la ministre. Heurtée par la manoeuvre, Ruth Dreifuss, qui avait décidé dans un premier temps de faire face à cette humiliation avec sa sérénité coutumière, craqua et confirma: oui, elle démissionnait, oui, avec effet immédiat.
L’épisode était inédit dans les annales: fallait-il procéder tout de suite à l’élection d’un nouveau conseiller fédéral ou attendre la session de mars? Hanspeter Seiler trancha: on allait expédier l’affaire l’après-midi même. Le groupe socialiste désigna la conseillère d’Etat neuchâteloise Monika Dusong. «Elisons Blocher, qu’on en finisse», lança alors on ne sait plus qui.
La boutade fut prise au sérieux. A 15 h, Ueli Maurer monta à la tribune pour annoncer la candidature de son mentor. A 16 h, après le refus de maintes motions d’ordre émanant de la gauche, Christoph Blocher était élu au troisième tour avec 125 voix. Le Zurichois était perplexe: peut-on refuser de représenter le peuple au plus haut niveau quand on vient de réaliser la meilleure élection au Conseil national de tout le pays? Il promit de servir la patrie.
Dans les jours qui suivirent, le pays en état de choc s’interrogea: comment une chose aussi inattendue avait pu se passer en moins de douze heures, alors que la réélection du Conseil fédéral avait toujours été un rituel bon enfant?
Joseph Deiss était particulièrement dépité. Le référendum contre les accords bilatéraux était sur le point d’aboutir, et le loup siégeait désormais dans la bergerie. Il eut alors un trait de génie, c’est du moins ainsi que l’historiographie officielle présente les choses. D’entente avec les cinq autres ministres, il demanda un changement de Département. Dernier arrivé, Christoph Blocher se retrouva au printemps 2000 à la tête du Département des affaires étrangères, chargé de manager le vote sur les accords bilatéraux. Le verbe soudain fade, il fit comme Ruth Metzler à son arrivée au gouvernement: il lut les textes que ses services avaient préparés. Les accords bilatéraux passèrent la rampe du référendum avec 60% de oui. Oskar Freysinger, le Valaisan chef de file des blochériens romands, hurla à la trahison.
Quelques mois plus tard, pour tenter le diable, le Parlement décida à une courte majorité (PDC-PS, libéraux et quelques radicaux) de soutenir l’initiative demandant l’ouverture immédiate de négociations d’adhésion avec l’Union européenne. La gauche tint à cette occasion un discours audacieux: qui mieux que Blocher pourrait négocier les conditions d’adhésion les plus avantageuses pour la Suisse? Arena consacra trois émissions au dilemme des nationalistes. Le résultat de la votation populaire fut serré mais positif.
L’ancien conseiller national Peter Tschopp sortit alors de sa retraite genevoise pour demander qu’on retrouve l’auteur de la boutade «Elisons Blocher qu’on en finisse», et qu’on lui élève une statue lors des fêtes du 1er janvier 2005, marquant l’entrée de la Suisse dans l’UE.
«Joseph Deiss était particulièrement dépité. Il eut alors un trait de génie»