Le discours de Jacques Delors qui fit rêver les Suisses

Salué comme un géant de la construction européenne, Jacques Delors, décédé mercredi à Paris, fut également l’homme qui bouscula la politique européenne de la Suisse et l’obligea à se projeter dans une nouvelle dimension. Pas de plan machiavélique de la part de ce social-démocrate français, promu à la tête de la Commission européenne en 1985, pour faire adhérer la petite nation encastrée au milieu d’une Communauté qui comptait alors douze membres, mais une vision et une manière d’édifier la maison Europe qui interpella tous ceux qui comme la Suisse n’avait pas songé jusque là à y entrer.

On se figure mal aujourd’hui l’effervescence des années 1980 qui conduisit à la création du marché et de la monnaie uniques, une sorte de big bang dans l’intégration européenne, dont Jacques Delors fut, selon l’expression mercredi soir à Forum de Pascal Lamy, alors chef de son cabinet, «l’architecte et l’ingénieur».

Pour comprendre l’effet de cette stimulation sur la torpeur bernoise, il faut se reporter au discours que le président de la Commission prononce le 17 janvier 1989 devant le parlement à Strasbourg. En janvier 1989, le mur de Berlin n’est pas encore tombé et les états membres de la Communauté européenne (CE) marchent vers l’échéance de 1992 pour concrétiser l’achèvement de leur marché intérieur par la réalisation de la libre-circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services. Membre de l’AELE (Association européenne de libre-échange), la Suisse observe inquiète ce remue-ménage. Depuis le traité de Rome en 1957, elle a une idée fixe : faire en sorte que son économie maintienne sa position concurrentielle sur les marchés extérieurs et qu’elle ne soit pas marginalisée par les progrès de la construction européenne. Lors d’une réunion à Luxembourg en 1984, les ministres de la CE et de l’AELE ont convenu de développer de façon «pragmatique» leurs relations commerciales dans le contexte nouveau qui s’annonce.

Lorsque le 17 janvier 1989, le président Delors se présente devant le Parlement européen, quatre ans après son investiture, pour faire le point sur les travaux en cours, quelques phrases à la fin de son discours-fleuve attirent l’attention au point que la presse helvétique du lendemain y consacre des dépêches. Il vaut la peine de les citer (nous soulignons en gras le passage le plus marquant):

« (…) Il me semble qu’au début de cette réflexion deux voies s’ouvrent à nous: ou bien continuer dans le cadre des rapports actuels, en fait essentiellement bilatéraux, pour aboutir finalement à une zone de libre-échange englobant la Communauté et les pays appartenant à l’AELE. Ou bien rechercher une nouvelle forme d’association, qui serait plus structurée sur le plan institutionnel, avec des organes communs et de décision et de gestion et ce, afin d’accroître l’efficacité de notre action. Ce serait souligner la dimension politique de notre coopération dans les domaines de l’économique, du social, du financier, voire du culturel. (…) »

La déclaration est imprécise, mais comme en témoignent les archives des documents diplomatiques suisses, le Conseil fédéral va vite chercher à en saisir la portée en termes de codécision. La main tendue aux pays de l’AELE débouche en tout cas dès décembre 1989 sur l’ouverture de négociations sur l’Espace économique européen (EEE). Pendant toute leur durée jusqu’en mai 1992, la Suisse bataille pour obtenir le droit de codécider dans le nouvel ensemble.

Cet espoir est pourtant vite douché: en janvier 1990 déjà, lors d’une nouvelle intervention devant le Parlement, Delors précise: «il n’est pas concevable d’aller jusqu’à une codécision qui ne peut résulter que de l’adhésion». Le Conseil fédéral et les diplomates persistent à s’accrocher à cette chimère. Face à l’opinion publique, ils rechignent à prononcer le mot «adhésion» et laissent accroire qu’ils obtiendront in fine une solution satisfaisante en termes de souveraineté. D’autres partenaires de l’AELE, comme la Suède et l’Autriche et la Finlande, captent le message delorien cinq sur cinq et annoncent leur volonté d’adhérer – ce qu’ils feront en 1995.  

Volte-face en mai 1992, après la signature du traité sur l’EEE à Porto, le gouvernement procède à une nouvelle évaluation des avantages de l’adhésion. Il annonce que l’EEE ne sera qu’une étape et il dépose une demande d’adhésion à la Communauté européenne, seule voie qui permet d’être vraiment partie prenante de décisions que la Suisse devra appliquer. On connaît la suite, le refus de l’EEE en votation populaire le 6 décembre 1992, puis la laborieuse mise en œuvre d’un plan B comme bilatérales, qui se révéleront toutefois être très profitables pour la Confédération.  

Près de 35 ans après le discours d’ouverture de janvier 1989 qui suscita tant d’espoirs, c’est peu dire que les Suisses restent embarrassés par la dynamique de la construction européenne enclenchée par Delors : ils sont toujours soucieux d’avoir accès à son marché intérieur et à ses réussites (comme les programmes de recherche et Erasmus), mais la reprise du droit communautaire qui garantit cet accès demeure un épouvantail. Par rapport aux années 1980-1990, la régression de la réflexion européenne helvétique est spectaculaire.

Auteur de la fameuse phrase «on ne tombe pas amoureux d’un marché unique», Delors avait néanmoins su rendre au cours de ses dix années à la tête de la Commission l’appartenance à l’Union européenne (UE) désirable. Malgré le revers de 1992, l’adhésion de la Suisse à l’UE recueillait en 1999, peu avant l’entrée en vigueur des accords bilatéraux, 57% d’opinions favorables dans les sondages, un score que l’on n’a plus enregistré depuis.

À tous les sceptiques qui doutent encore de la pertinence d’approfondir nos liens avec l’UE, on conseillera donc vivement de lire les interviews et les discours de Jacques Delors, publiés en hommage depuis mercredi. Ils y trouveront une vision et une ambition pour une Europe compétitive, sociale et solidaire plus que jamais actuelle.

Article paru dans Le Temps, le 28 décembre 2023

et cité par Sylvain Kahn, professeur agrégé et chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po

https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/disparition-de-jacques-delors-hommage-a-l-homme-qui-transforma-l-europe/

Notre débat démocratique ne peut pas être laissé aux bons soins ni des éditeurs zurichois ni des lubies des GAFAM

Les annonces de licenciements au sein des rédactions de TX Group consternent. Une fois encore, des éditeurs zurichois décident pour les Romands de la qualité de la presse qu’ils peuvent lire. La culture fédéraliste helvétique se perd comme les égards pour les minorités linguistiques. Mais cet appauvrissement de la diversité médiatique ne fracasse pas que des carrières journalistiques, il prive le débat public d’autant d’antidotes aux ravages, désormais bien identifiés, de la désinformation.

Pour le comprendre, un retour en arrière s’impose. Au mitan des années 1990, en pleine affaire des fonds juifs en déshérence dans les banques suisses, les rédactions débattaient avec gravité de l’opportunité de publier des courriers de lecteurs antisémites. La discussion portait également sur le choix d’accueillir des propos contraires à la ligne éditoriale du journal. La tolérance voltairienne servait de boussole, la norme pénale contre le racisme cadrait les limites de l’outrance. En ce temps-là, les journalistes étaient les grands organisateurs du débat public, et ils respectaient des règles déontologiques, conscients que leurs éditeurs étaient tenus pour responsables devant un tribunal des propos qu’ils imprimaient.

L’émergence d’internet et des réseaux sociaux a tout emporté: non seulement elle a siphonné les recettes publicitaires qui finançaient les rédactions, mais elle a anéanti leur mission de garant de la salubrité du débat public. Il faut pointer ici l’incurie des législateurs qui ont tardé à rendre les plateformes responsables des contenus propagés: sur les autoroutes de l’information, on a longtemps estimé que le dérapage ne valait pas condamnation.

Résultat? Les réseaux sociaux n’ont pas seulement libéré la parole, par la diffusion amplifiée d’avis incontrôlés ils sont devenus des outils de manipulation des opinions publiques pour ceux qui cherchent à diviser et déstabiliser les démocraties. Du Brexit à la guerre en Ukraine, le réveil est brutal.

Dans ce contexte, il devrait être clair pour tous les décideurs politiques et économiques que la qualité de notre débat démocratique ne peut pas être laissée aux bons soins américains des GAFAM, et qu’il faut remuscler les moyens des rédactions. Mais non, les éditeurs zurichois continuent à tailler dans les effectifs, sans considération pour le rôle essentiel de contre-pouvoir fiable que joue la presse en démocratie, avec un souverain mépris pour nos très diverses identités cantonales.

Comme il est à craindre que la publicité ne revienne jamais couler à flots dans les pages des journaux, sauf à prouver que sa version ciblée promue par les plateformes numériques agace le consommateur plus qu’il ne le séduit, il faut dès lors concevoir d’autres recettes que celles du passé pour financer la mission des rédactions.

Depuis la mort de L’Hebdo en 2017, on ne peut pas dire que rien n’a été mis en œuvre pour préserver la presse romande et ses particularismes. La Fondation Aventinus a repris Le Temps, elle soutient aussi d’autres aventures éditoriales. Des villes et des cantons ont pris des mesures, mais chacun à sa petite échelle. Cela ne suffit pas à assurer l’avenir des anciens comme des nouveaux acteurs du paysage médiatique. Les conditions-cadres se dessinent à Berne, et là encore la spécificité du marché romand ne compte guère, comme on l’a vu lors de votation sur l’aide à la presse en février 2022.

Un enjeu de taille émerge dont le nouveau parlement devrait prendre conscience afin d’agir avant qu’il ne soit trop tard: la certification de l’information. Dans le flux des réseaux sociaux, comment savoir si ce qu’on lit est fiable ou pas? Il est urgent de réinvestir dans des circuits courts entre ceux qui ont besoin d’information et ceux qui la produisent, la vérifient et la diffusent. Par toutes sortes d’aides indirectes, les pouvoirs publics auraient les moyens de mieux valoriser le rôle de garant de contenus fiables assumé par les rédactions, qui pour la plupart tissent chaque jour des liens de confiance avec leur lectorat.

Notre époque est à la relocalisation des industries jugées stratégiques. En démocratie, la presse constitue plus que jamais une industrie stratégique.

Article paru dans Le Temps, le 31 octobre 2023

Laudatio de Luciana Vaccaro

Gentile Signora Vaccaro

Chère Luciana

C’est un plaisir et un honneur pour moi de prononcer cette laudatio à l’occasion de la remise du prix européen dans la catégorie économie et société. *

Votre parcours est une belle trajectoire européenne, caractéristique des ambitions et des opportunités que l’Europe s’est donnée en coalisant ses forces.

Vous êtes née à Genève, parce que votre père était venu travailler au CERN, comme tant de scientifiques afin de dessiner « l’autoroute des particules ».

Très vite votre famille rentre à Naples, où vous allez grandir et vous former dans une des plus vieilles universités du continent, fondée en 1224 par Frédéric 2, un empereur du Saint-Empire.

Arrêtons-nous sur cette date de 1224, bientôt 800 ans – la Suisse n’existe pas, les cantons ne se sont pas encore coalisés pour prendre leur distance et un peu d’autonomie avec le pouvoir impérial. Mais dans l’espace européen qui va marcher peu à peu vers la Renaissance, la diffusion et le partage de la connaissance deviennent un enjeu essentiel.

Pour se former les étudiants voyagent d’une ville à l’autre, d’une université à l’autre, en fonction de la réputation des professeurs. Je souhaite ainsi rappeler que bouger pour se former, parfaire son éducation au contact d’autres écoles et d’autres cultures est une vieille tradition humaniste européenne, qui s’incarne désormais dans les programmes Erasmus.

Très tôt avec Bologne, Salerne et Naples, l’Italie dont vous êtes originaire, s’est illustrée dans le partage du savoir.

Après Naples, où vous êtes diplômée en physique, vous revenez en Suisse, engagée au CERN, puis très vite à l’EPFL, où vous obtenez un doctorat en microtechnique, en 2000.

Vous passez ensuite par l’Institut de microtechnique de Neuchâtel, puis retour à Lausanne, à l’université comme directrice des programmes de troisième cycle en économie et gestion de la santé.

Retour ensuite à l’EPFL en 2009 pour mettre en place et gérer le Grants office, avec pour mission d’assurer le financement de la recherche suisse et européenne.

En 2013, vous devenez rectrice de la HES-SO, la haute école spécialisée de Suisse occidentale, une construction en réseau baroque et fédéraliste sur laquelle les cantons se sont mis d’accord afin de ne priver aucun territoire de pôles de formation.

Pour ceux qui ne la connaissent que de nom, rappelons que la HES-SO a été fondée en 1998. Derrière l’université de Zurich et l’Ecole polytechnique de Zurich, elle occupe le troisième rang des plus hautes institutions de formation de Suisse, accueillant plus de 22000 étudiantes et étudiants. Elle regroupe 28 hautes écoles spécialisées dans 7 cantons, plus de 70 filières Bachelor et Master, 1867 chercheuses et chercheurs. Vous êtes la première femme à ce poste.

Vous êtes aussi depuis le mois de février de cette année la première femme à présider Swissuniversities, le lobby des plus hautes institutions de formation du pays.

Cette nomination d’une rectrice de HES prouve que les écoles techniques se sont hissées au niveau des institutions académiques les plus prestigieuses. C’est une belle reconnaissance du travail des HES.

Votre parcours personnel illustre la diversité et la force de toutes nos filières de formation.

Je soupçonne toutefois que ceux qui vous ont choisie ont aussi parié sur le fait que vous connaissez parfaitement les enjeux de l’arrimage de la Suisse aux programmes de financement européens de la recherche et de l’innovation.

Pour vous avoir accueillie lors d’un déjeuner débat de la section vaudoise du Mouvement européen, je sais que votre force de conviction s’appuie sur une connaissance solide, précise et concrète de ce que les fonds européens amènent à la Suisse.

Pas seulement de l’argent, mais des réseaux, de nouvelles idées, une émulation entre chercheurs, du succès, ou si l’on veut de meilleures conditions pour proposer aux entreprises des solutions gagnantes et plus efficaces que lorsque l’on travaille en vases clos.

 Dans votre plaidoyer pour sensibiliser nos élus à l’urgente nécessité de se réconcilier avec nos partenaires européens, vous saurez amener des exemples concrets de ce dont les étudiants et chercheurs des HES ont pu bénéficier avant que la Suisse ne soit rétrogradée dans les programmes d’Horizon Europe.

Votre travail de conviction sera d’autant plus précieux que l’Union européenne avance à grands pas dans la reconstitution de nouvelles filières industrielles stratégiques, dont la Suisse risque là aussi d’être écartée faute de renouvellement de nos accords bilatéraux.

Vous avez donc le charisme et la conviction. Mais vous avez aussi une autre qualité rare, mais très précieuse pour nous les membres du Mouvement européen, vous êtes courageuse, vous affichez vos convictions favorables à l’intégration européenne, là où tant d’autres se taisent, réduisant la dispute entre Berne et Bruxelles à des enjeux techniques ou juridiques.

Vous, vous ne faites pas semblant que la dimension politique de nos liens avec l’Union européenne, n’existe pas.

Dans le monde académique qui se plaint beaucoup des conséquences de la rupture avec les Européens, vous vous engagez clairement et avec courage. Merci à vous pour ce que vous êtes, pour votre sincérité et votre ténacité.  

Ces qualités vous viennent de votre parcours, de votre identité suisse et italienne, et il me semble de votre formation : vous êtes une physicienne et vous pratiquer l’approche systémique très naturellement, là où tant d’autres isolent les problèmes ou les difficultés et négligent l’importance des connections.  

En vous remettant ce prix, le Mouvement européen vous remercie de votre engagement, et vous souhaite, nous souhaite, que vos efforts nous ramènent dans le système européen.

La ringraziamo. Siamo orgogliosi di potere riconoscere con questo premio il suo impegno per la Svizzera, per l’Europa, e per un futuro migliore della ricerca svizzera in Europa.

*texte prononcé à Berne, lors de l’Assemblée du Mouvement européen Suisse, le 13 mai 2023

Un héros si vaudois *

À la veille du tricentenaire de sa mort, le Major Davel continue de fasciner au point que les députés au Grand Conseil discutent de l’opportunité d’une réhabilitation : faut-il révoquer la condamnation à mort de celui qui entreprit, seul, de libérer le Pays de Vaud de l’oppression bernoise ? Au regard de l’histoire, le Major a déjà gagné : il est la figure la plus célèbre et la plus célébrée du canton, fédérant malgré lui les adeptes de la désobéissance civile comme les partisans de « l’amour des lois » invoqué dans l’hymne vaudois. Ce numéro de Passé simple explore les facettes d’un mythe taillé pour traverser les siècles.

Considérons d’abord l’homme ou plutôt ce que l’on en sait, au vu de la maigreur des sources contemporaines de son étrange épopée. S’il n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer : Davel présente toutes les caractéristiques qu’aujourd’hui encore on prête aux habitants de ce coin de pays. Humble et dévoué, prêt à se sacrifier pour une grande cause mais qui ne parvient pas à convaincre. En bon vaudois, il a la révolte entêtée et reste avare d’explications. Entre orgueil et modestie, il renvoie à leur vile médiocrité les personnes qui ne saisissent pas la portée de son action.

Quel est son message justement ? Rendre aux Vaudois leur liberté et leur dignité, revendication d’avant-garde dans ce 18ième siècle qui sera celui des Lumières et de la remise en question du despotisme et du droit divin. Le temps lui donnera raison. Mais à plus long terme, son glorieux échec sonne comme un puissant avertissement aux idéalistes tentés d’agir en solo : même si la cause est juste, il est vain d’avoir raison si on néglige de nouer des alliances. Les révolutions vaudoises à venir seront portées par des élans plus collectifs et mieux organisés.

Etrangement, dans le panthéon cantonal et la mémoire populaire, Davel a éclipsé une autre figure de la lutte pour l’indépendance et la liberté qui a pourtant bien mieux réussi son coup : Frédéric-César de la Harpe, doté d’un impressionnant réseau de contacts utiles tant dans le Paris révolutionnaire qu’à la Cour de Russie.

Le mythe du révolté, précurseur et incompris, est un miroir à fantasmes, il autorise toutes sortes de récupérations alors qu’une carrière politique comme celle de La Harpe, documentée par une correspondance prolifique limite les réinterprétations.

Le poète Jean-Villard Gilles disait de la Venoge qu’elle est un fleuve « à nous, c’est tout vaudois ». Canton suisse, Vaud révère Guillaume Tell, figure de l’insoumission aux lois iniques qui traverse toutes les époques et les enjeux. Mais il est fier et soulagé d’avoir avec Davel un mythe rien qu’à lui.

*Texte paru dans le numéro 77 de Passé simple en septembre 2022

La Suisse, prisonnière d’une neutralité qui n’a jamais existé

En matière de neutralité, le Conseil fédéral s’accroche à une approche juridique comme à une bouée. Or la guerre en Ukraine constitue un changement géopolitique majeur, voire existentiel pour les démocraties du Vieux Continent. Ses conséquences ne peuvent être appréhendées avec les outils habituels de la politique étrangère. La plupart des pays européens a procédé à des ajustements considérables : l’Allemagne a révisé son pacifisme mercantile, la Suède et la Finlande veulent adhérer à l’OTAN.

Depuis bientôt un an, la Suisse procède, elle, à l’exégèse de sa neutralité comme si celle-ci était une fin en soi et non un moyen. Elle se laisse enfermer dans une vision mythifiée de son passé, et se fie à des textes qui ont plus d’un siècle (les conventions de La Haye de 1907), plutôt que de se dégager des marges de manœuvre pour défendre les valeurs d’indépendance et de liberté que l’agression russe foule aux pieds.

Tout au long de son histoire, la Suisse a rarement été absolument « neutre », c’est-à-dire totalement imperméable aux conflits. Tout un discours politique entretient pourtant l’idée que la Confédération aurait su – et devrait donc – se tenir hors des guerres.

La seule attitude constante de la Suisse depuis Marignan 1515 a été de ne pas être belligérante, de ne pas déclarer et faire la guerre comme état. Parce que pour le reste, les Suisses n’ont cessé de se mêler et d’être impliqués dans les conflits. Pendant plus de trois siècles, ils y ont participé comme mercenaires, principalement au service du Roi de France, mais aussi pour d’autres souverains. La Diète dut trouver les moyens d’éviter que des soldats de cantons différents s’entretuent, comme lors de la bataille de Malplaquet en 1709.

Pendant la période révolutionnaire de 1798 à 1815, la Suisse est prise dans la tourmente, occupée par les troupes françaises puis par celles de la Sainte-Alliance. Au cours de la première guerre mondiale, plusieurs scandales entachent la neutralité :  des colonels transmettent des informations à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, le conseiller fédéral Hoffmann et le conseiller national Grimm lancent une tentative de paix séparée germano-russe.

Pendant la deuxième guerre mondiale, bien que le Conseil fédéral ait proclamé le retour à une neutralité « intégrale » après l’épisode de sa participation à la Société des Nations, nombre d’entreprises, Bührle en tête, ne se privent pas de livrer armes et munitions à l’Allemagne nazie et à l’Italie fasciste. Lors de la guerre froide également, la Suisse ne se comporte pas de manière aussi neutre que les proclamations officielles le laissent croire : elle est clairement – et plus ou moins secrètement – alignée sur les positions du bloc occidental. En témoignent notamment les révélations sur la P26 ou l’entreprise Crypto.

Ces quelques épisodes démontrent que les conseillers fédéraux actuels ont grand tort de s’entêter à refuser l’autorisation de réexportation de matériel de guerre vers l’Ukraine. Leurs prédécesseurs ont été beaucoup plus pragmatiques ou clairvoyants, privilégiant les affaires souvent et la morale parfois.

Ce qui est certain, c’est qu’à l’issue des conflits, la Confédération a toujours été sommée par les vainqueurs de s’expliquer sur ses ambiguïtés. Berne a-t-elle totalement oublié les leçons de l’affaire des fonds en déshérence, il y a 25 ans à peine ?

Il n’est pas demandé à la Suisse de livrer directement des armes à l’Ukraine, mais de laisser les états clients des entreprises helvétiques qui les fabriquent le faire. Le Conseil fédéral s’étant déjà aligné sur les sanctions européennes contre la Russie, cette concession serait logique. Car l’Ukraine n’a pas choisi d’être belligérante:  elle s’est retrouvée sauvagement agressée, et n’a pas eu d’autre choix que de se battre pour défendre son indépendance et sa liberté, comme les Suisses ont eu la chance, depuis 200 ans, de ne pas avoir à le décider.

* Article paru sur la plateforme de blogs du Temps

Truss, Meloni : réussir avec ou sans l’Europe

Le moins que l’on puisse dire est que le slogan phare du Brexit « Take back control » (Reprendre le contrôle) ne se sera absolument pas réalisé. Depuis le vote du 23 juin 2016, la Grande-Bretagne perd pied : en six ans, le 10 Downing Street a vu défiler quatre premiers ministres conservateurs incapables de délivrer les bienfaits attendus de la sortie de l’Union européenne. La démission de la première ministre Liz Truss, au bout de 44 jours, apparaît comme la énième péripétie dans la saga d’une promesse électorale impossible à tenir.

Tous les problèmes auxquels fait face le Royaume-Uni (crise énergétique, inflation, dégringolade de la livre) ne sont pas imputables au Brexit, la COVID et la guerre en Ukraine ont accru les difficultés, mais le Brexit rend leur résolution plus complexe et incertaine.

De cette mésaventure, il y a quelques leçons intéressantes à tirer sur ce que signifie l’appartenance à l’Union européenne, au moment où, à Rome, une autre femme, Giorgia Meloni devient première ministre d’une Italie, elle aussi parfois tentée par le grand clash avec Bruxelles.

On se souvient de la très tautologique petite phrase de Theresa May, « Brexit means Brexit », lors de sa prise de fonction après la peu honorable sortie de David Cameron. Extraire la Grande-Bretagne de l’UE, oui mais comment et à quelles conditions ? La chose n’avait pas franchement été débattue pendant la campagne référendaire.

Un cadre réglementaire solide

Les défauts de l’UE sont bien connus et documentés sans complaisance : sa gouvernance est complexe, souvent lente et poussive, semblant toujours au bord de la crise. Pourtant l’étalage régulier – mais très démocratique et très transparent – de ses divisions ne l’empêche pas de forger des compromis auquel tous ses membres finissent par se rallier (non sans parfois quelques bras de fer de l’un ou l’autre état-membre jouant de son droit de veto).  Mais la focalisation sur les développements de sa législation ou sur les nouveaux défis à relever occulte une de ses plus grandes réussites depuis 1957: le bon fonctionnement du « marché commun ». Devenu en 1993 le « marché unique », celui-ci offre un cadre réglementaire solide et prévisible aux activités économiques en réglant la libre-circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes.

C’est là que la comparaison entre la Grande-Bretagne et l’Italie est éclairante. S’extraire du cadre réglementaire européen et tenter de retrouver des marges de manœuvre concurrentielles a représenté un travail herculéen et fastidieux pour Theresa May et Boris Johnson. À l’issue de ce processus, Westminster, le parlement britannique, a certes retrouvé la capacité de faire des lois comme bon lui semble, mais n’a pas été en mesure de redonner au pays la croissance économique, la prospérité et la grandeur commerciale auxquelles aspiraient nombre de ceux qui ont voté pour le Brexit.

L’industrie italienne plus robuste que la britannique

Pour l’Italie, en revanche, le cadre réglementaire du marché unique tient du phare lumineux dans la tourmente des maux qui l’afflige. Malgré son instabilité gouvernementale chronique, le Bel Paese reste une puissance commerciale exportatrice. La part du PIB imputable à l’industrie est de 22,6% en Italie, contre seulement 17,7% pour le Royaume-Uni (pour comparaison l’Allemagne est à 26,6%, la France à 16,8 % et Suisse : 25,6 %).

De longue date, les industriels et milieux d’affaire italiens se sont accommodés des pitreries de certains de leurs politiciens (tels Berlusconi, Grillo, Salvini,…), du moment que ceux-ci ne remettaient pas en cause le cadre européen leur permettant de développer leurs activités, et de participer sans entraves à la création de chaînes de valeur européennes, dans lesquelles leur inventivité et leur savoir-faire les ont intégrés. Lorsque la coupe est pleine, quand le différentiel entre les taux d’intérêt des bons du trésor allemands et italiens – le spread –  devient trop profond, le gouvernement, quel qu’il soit, est rappelé à l’ordre ou tombe (comme ce fut le cas lors du dernier gouvernement Berlusconi en 2011).

Le levier des institutions européennes

Les élites italiennes désespérant des jeux politiques romains ont de longue date misé sur les institutions européennes pour offrir à leur pays le cadre de stabilité nécessaire aux affaires que le système politique n’était pas en mesure de produire. Elles ont parié sur les leviers européens pour disposer d’un minimum d’ordre économique dans la Péninsule. La trajectoire de Mario Draghi, ancien directeur de la Banque d’Italie, puis de la Banque centrale européenne, puis président du Conseil (pour assurer que les milliards d’euros des plans de relance européens attribués à son pays seraient correctement utilisés), illustre à merveille cette stratégie d’évitement des intrigues romaines grâce au cadre de référence européen. Lorsque Mario Draghi a « sauvé l’euro » à coup de petites phrases et de politiques monétaires non conventionnelles, nul doute qu’il avait en tête l’idée de préserver la zone euro mais aussi d’éviter à son pays la banqueroute.

Si l’Italexit a animé un temps les populistes et les souverainistes, c’était surtout en raison de la crise des réfugiés et des problèmes liés à l’explosion de la dette souveraine. Mais contrairement au Royaume-Uni, la tentation de s’extraire du cadre législatif du marché unique n’a jamais saisi les milieux d’affaires transalpins, qui savent trop bien ce qu’ils lui doivent :  voir les régions du Nord du pays figurer encore et toujours parmi les plus riches du continent.

Solidarité sans précédent pour l’une, solitude pour l’autre

Face aux difficultés récentes (pandémie et crise énergétique due à la guerre en Ukraine), l’Italie a pu compter sur une solidarité européenne hors norme (220 milliards d’euros sur les 750 que l’UE entend verser à l’ensemble de ses états-membres) et une coordination des efforts pour assurer l’approvisionnement énergétique et la maîtrise des tarifs. La Grande-Bretagne s’est retrouvée seule dans son coin.

Une des rares actions politiques de Liz Truss dont on se souviendra est l’enthousiasme manifesté à l’égard de la Communauté politique européenne, réunie à Prague le 6 octobre dernier. Cette plate-forme de discussion lui est apparue comme une première bouée lancée par la famille européenne, dans le contexte toutefois bien particulier de la guerre en Ukraine.

Draghi en conseiller de Meloni ? 

Nouvelle locataire du Palazzo Chigi, Giorgia Meloni prendra soin de ne pas fâcher les partenaires européens : elle a placé au ministère de l’économie Giancarlo Giorgetti, ministre du Développement économique sous Mario Draghi. Il se murmure à Rome que la première ministre aurait demandé à son prédécesseur, si estimé dans les capitales européennes, de la conseiller de manière informelle. Quoi qu’il en soit, on peut donc s’attendre à ce que, en politique intérieure, la leader de Fratelli d’Italia donne des gages souverainistes et conservateurs dans l’éducation, la politique familiale ou la politique migratoire, mais qu’elle reste bien dans les clous européens pour tout ce qui concerne la politique économique et la politique extérieure. Garant de l’ancrage européen et du respect des traités, le président de la République Sergio Mattarella y veillera également avec autant de calme que d’intransigeance.

*Texte paru sur la plateforme de blogs du Temps

Le bilan de la présence de deux UDC au Conseil fédéral qui ne sera pas tiré

Quel acide télescopage dans l’actualité fédérale : le 7 décembre, 30 ans et un jour après le non des Suisses à l’Espace économique européen (EEE), sera élu le successeur d’Ueli Maurer. Il est à craindre que dans les semaines à venir, le « débat » se concentre sur le profil des papables et qu’aucun bilan sérieux ne soit tiré de la présence de deux élus de l’UDC (Union démocratique du centre) au Conseil fédéral.

L’hégémonie du parti national populiste sur la politique suisse a pourtant commencé par cette courte victoire en politique étrangère, (50,3% des votants refusèrent de s’arrimer à l’EEE ce « dimanche noir » du 6 décembre 1992, selon la fameuse formule de Jean-Pascal Delamuraz au soir de la votation). De 1995 à 2015, les Blochériens ont quasi doublé leur représentation au Conseil national, et frôlé les 30% de suffrages. Dès 2003, ils ont obtenu un second siège dans le collège gouvernemental. De quatrième roue du char depuis la naissance de la formule magique en 1959, ils sont devenus l’attelage prépondérant (non sans quelques péripéties entre la non réélection de Christoph Blocher en 2007 et l’élection -justement – d’Ueli Maurer en 2008 et celle de Guy Parmelin en 2015).

Qui pourrait contester la légitimité de cette double représentation ? Même si l’UDC a perdu lors des élections fédérales de 2019 un peu de sa superbe, elle reste avec plus de 25% des voix au Conseil national le premier parti de Suisse. La formule gouvernementale helvétique – que l’on s’obstine à qualifier de « magique » même si elle ne produit plus d’étincelles – octroie 2 sièges aux trois partis arrivés en tête et 1 au quatrième.

La fin des compromis

Or cette répartition du pouvoir entre les quatre grands partis, qui permit à la Suisse dans les années 1960 de développer son état social et d’engranger tous les bénéfices des Trente Glorieuses, s’est peu à peu grippée sous l’emprise du parti blochérien. D’habile machine à réformer la Confédération dans le consensus et par des compromis gauche-droite « gagnant-gagnant », elle est devenue une toupie qui tourne obstinément sur elle-même sans jamais plus se poser la question de son efficacité, de ses résultats et de sa finalité.

L’UDC doit ses succès électoraux à son intransigeance. Dans sa vision de la politique, le compromis n’est pas un outil vertueux qui permet aux Suisses d’avancer ensemble malgré leur diversité, elle est une faiblesse coupable. L’UDC n’a cure du respect des minorités, essence de notre fédéralisme, elle veut imposer sa volonté, par le rapport de force. Elle n’aime pas les contre-pouvoirs, propres au régime démocratique qui est le nôtre. Exaltant le kitsch et le folklore, le parti blochérien se proclame plus suisse que les autres : cette prétention à incarner à lui tout seul le pays est pourtant on ne peut plus antisuisse. Tout notre édifice institutionnel basé sur la représentation proportionnelle et la collégialité appelle à la collaboration constructive entre élus. Plutôt que d’exercer son leadership par des propositions stimulantes pour les autres partis gouvernementaux, l’UDC a imposé le blocage au cœur du système politique. Figée sur une conception idyllique de notre histoire, de la neutralité et de l’indépendance, elle a gelé toute réflexion ouverte sur l’avenir.

Dès lors, tant en politique intérieure qu’extérieure, le Conseil fédéral a toutes les peines du monde à se projeter, à trouver des compromis et à convaincre la population. La Suisse ne parvient pas à se réformer, donc à s’adapter aux défis de l’époque, qu’il s’agisse de son système de santé, des retraites, de la fiscalité et bien sûr de sa politique européenne. On reblètse de justesse (comme la réforme de l’AVS acceptée du bout des lèvres le 25 septembre dernier) ou sous pression afin de se conformer à de nouvelles régulations internationales (telle la réforme de la fiscalité RFFA en 2019).

Le dossier européen embourbé

En matière de politique européenne, et malgré une dizaine de scrutins depuis l’approbation des accords bilatéraux en 2000 ayant entériné des coopérations plus poussées avec l’Union, le Conseil fédéral ne réussit plus à avancer. Il s’est progressivement embourbé, sous l’influence des ses deux ministres UDC, sans que jamais d’ailleurs le parti ne revendique l’honneur et la responsabilité d’aller négocier avec les Européens en qualité de chef du Département des Affaires étrangères. Tout au contraire, au cours de son mandat Ueli Maurer a préféré ostensiblement afficher son soutien au régime chinois plutôt que de rechercher le contact avec Bruxelles.

Le coup de grâce remonte au 26 mai 2021 : ce jour-là, le président de la Confédération UDC Guy Parmelin enterre l’accord-cadre, longuement négocié depuis 8 ans avec l’UE. Cet accord devait offrir une solution pérenne aux relations entre la Suisse et les 27, grâce à un mécanisme de règlement des éventuels différents. Il promettait d’ouvrir de nouveaux champs de coopération renforcée, comme par exemple en matière d’électricité. L’UE avait fait de nombreuses concessions à la Suisse, au cours des discussions. Mais prisonniers de la posture de détestation systématique de tout ce qui vient de Bruxelles dans laquelle les Blochériens ont enfermé une bonne partie de notre classe politique, les deux élus UDC n’ont écouté ni les experts ni les diplomates. Infliger un affront à l’UE leur a semblé plus crucial que de réfléchir aux conséquences à court, moyen et long terme de leur geste. Si gouverner c’est prévoir, ces deux gouvernants-là n’ont pas prévu grand-chose – ni leurs collègues qui n’ont pas eu le courage politique de s’opposer à cette issue malheureuse et inutilement vexante pour les partenaires européens.

Un état-tiers qui ne se l’avoue pas

Dans leur inlassable guérilla contre Bruxelles, les élus UDC ont oublié de dire une chose essentielle au peuple: l’entreprise de démolissage des accords bilatéraux qu’ils ont méthodiquement entreprise conduit la Suisse vers l’isolement et la marginalisation, et à être considérée comme un état tiers. Sans solution institutionnelle avec l’UE, les accords bilatéraux sont peu à peu vidés de leur substance. Les Européens continuent à légiférer (pas pour ennuyer les Helvètes mais parce que de nouveaux défis surgissent qu’ils ont collectivement décidé de résoudre ensemble), et le fossé entre les règles appliquées par les Suisses pour être partie prenante du marché unique et celles adoptées par les Européens s’accroît. Comme sur un ordinateur, l’absence de mise à jour finit pas créer d’insurmontables difficultés : les programmes ne tournent plus.

Ont déjà fait les frais de l’absence de clairvoyance des conseillers fédéraux UDC l’industrie des technologies médicales, les programmes de recherche de nos hautes écoles. Bientôt ce sera l’industrie des machines, mais aussi nos aéroports qui se retrouveront largués, marginalisés, plus en état de concourir sur le marché européen dans des conditions de concurrence équitable.

Pour les 27 qui ont tenu bon face à la déflagration du Brexit, la posture d’exceptionnalisme, la revendication helvétique d’être traitée comme un cas particulier, devient chaque jour plus incompréhensible, inaudible, et indéfendable.

Sous l’influence de l’UDC, notre Confédération est ainsi passée du statut de partenaire privilégié de l’UE à candidat état-tiers qui n’ose même pas se l’avouer. Or, qu’on l’aime ou pas, mais parce qu’elle rassemble tous nos voisins et la grande majorité des nations de notre continent, l’UE est un partenaire commercial et politique incontournable. Lorsque le principal parti du pays n’a d’autres discours que de prétendre qu’on peut le contourner sans risques et sans gros dommages pour notre prospérité et notre sécurité, il conviendrait tout de même de se demander, à la faveur d’une vacance fortuite, s’il a toujours sa place au Conseil fédéral.

Réflexion d’avenir ou arithmétique ? 

Face à la guerre en Ukraine et ses innombrables répercussions, ne conviendrait-il pas d’exiger des candidats à la fonction suprême qu’ils développent une vision claire et ambitieuse de la place de la Suisse en Europe ? En d’autres mots, plutôt que de se contenter d’arithmétique électorale, la gravité de l’époque ne commande-t-elle pas de placer au gouvernement des élus en fonction d’un programme partagé avec les autres partenaires de la coalition ?

Il est regrettable que cette élection partielle, même si les Verts envisagent d’y proposer une alternative, ne soit pas encore l’occasion d’une grande remise en question de notre formule gouvernementale. L’an prochain, peut-être, après les élections fédérales lors du renouvellement de l’entier du collège… Mais la Suisse peut-elle toujours se permettre d’attendre une prochaine échéance pour résoudre ses problèmes ?

*Article paru sur la plateforme de blogs du Temps

Dans le monde de 2022, l’abandon de l’accord-cadre en 2021 apparaît bien puéril

On ne fera pas grief au Conseil fédéral de ne pas avoir prévu la guerre en Ukraine. Mais à la lumière de cet événement majeur et de ses multiples impacts prévisibles ou non, la décision prise il y a tout juste un an, le 26 mai 2021, de jeter l’accord-cadre négocié depuis 2013 avec l’Union Européenne paraît bien sotte, arrogante et irréfléchie. En 12 mois, notre gouvernement s’est révélé incapable de mettre sur la table une alternative crédible et de nous prouver qu’il savait parfaitement où il entendait aller en opérant ce choix fatidique.

Dans un monde devenu beaucoup plus incertain et dangereux, il serait grand temps de remettre de la fluidité, de la prévisibilité et de la confiance dans nos relations avec les 27, qui demeurent nos principaux partenaires économiques ! Il serait grand temps de négocier sérieusement et de réparer les dégâts déjà infligés aux chercheurs, aux Medtech, et d’éviter d’autres nouvelles embûches pour notre économie. Le retour de l’inflation et du franc fort, conséquences directes de la guerre en Ukraine, seront déjà bien assez difficiles à appréhender pour les entreprises et les finances publiques.

Rétrospectivement, la grande bataille helvétique pour élever des digues d’apparence souverainiste en cas de désaccord sur la reprise du droit européen paraît bien dérisoire. Dans ses relations avec les autres états, la Suisse s’est toujours prévalue de la primauté du droit international, meilleure arme des petits pays contre les rapports de forces. Or le droit international vient d’être piétiné aussi sûrement que les villages ukrainiens par le pouvoir russe. Le juridisme obtus est impuissant quand l’adversaire choisit la brutalité.

Résolu à tenir la dragée haute aux Européens et à l’aimant que constitue leur marché unique, la Suisse a mis beaucoup d’énergie, ces dernières années, à diversifier les débouchés pour ses exportations. Or il apparaît que les investissements dans les pays autocrates, comme la Chine et la Russie, sont beaucoup plus « à risques » qu’estimé. Quand la communauté internationale décide de sanctions, la Confédération n’a pas d’autre choix que de s’aligner pour ne pas être pénalisée sur ses traditionnels marchés occidentaux. La neutralité économique n’existe pas – si elle n’a jamais existé !

Vent debout contre l’accord-cadre, le regard embué par l’insolence du Brexit, la classe politique helvétique ne s’est guère aperçue que l’Union européenne a accompli depuis quelques temps de considérables avancées dans des secteurs stratégiques. L’Europe se fait dans les crises, disait un de ses pères fondateurs, Jean Monnet, et cela a rarement été plus vrai que depuis 2 ou 3 ans : mutualisation des dettes, Green Deal, plans de relance, gestion commune des vaccins, législation sur les marchés numériques ; et bientôt, taxe carbone aux frontières, filières industrielles pour les produits stratégiques, défense commune, programme REPowerEU d’indépendance aux énergies fossiles russes …  Soudée par les épreuves, l’Union européenne, dont le projet de paix et de prospérité communes était parfois raillé ou jugé dépassé, a retrouvé avec la guerre en Ukraine une nouvelle et tragique légitimité. Berne ne semble pas en avoir pris la mesure, et prend le risque de marginaliser des pans entiers de l’économie suisse face à ces nouvelles dynamiques de production. Dans un monde qui se déglobalise, marqué par la crise Covid et les exigences de la lutte contre le réchauffement climatique, ce risque est mortel.  Nos intérêts économiques exigent de nouvelles réflexions de la part du Conseil fédéral, mais la morale et la politique devraient également les provoquer.

Conscient de la gravité de la situation et des menaces existentielles qui pèsent sur le Vieux-Continent, notre gouvernement devrait admettre que son coup de poker de l’an dernier était une erreur. Il devrait indiquer à la Commission européenne qu’il va parapher l’accord-cadre institutionnel, tel que négocié jusqu’en décembre 2018, et le soumettre ensuite à l’approbation des Suisses (qui viennent encore de donner une ample majorité au controversé système Frontex – montrant une fois encore leur attachement à tout l’édifice des accords bilatéraux). Il devrait situer l’enjeu de cette votation dans une feuille de route le conduisant à réexaminer d’autres voies d’intégration à l’Union européenne, telle l’adhésion pleine et entière, ou l’entrée dans l’Espace économique européen, qui a bien évolué depuis le vote de décembre 1992. Il devrait, comme l’a suggéré le président du Centre Gerhard Pfister, marquer son plus vif intérêt pour la proposition de Confédération européenne, lancée par le président français Emmanuel Macron, afin de servir de toit à toutes les démocraties du continent.

Bref, il devrait afficher audace et courage, sortir des sentiers battus et cadrés depuis trop longtemps par les intérêts de l’UDC (et qui nous ont mené dans l’impasse actuelle).  La stratégie de la niche, déclinaison opportuniste et cynique du concept de neutralité, c’est terminé. À l’avenir, la Suisse ne pourra plus impunément jouer la carte de l’avantage juridique ou financier aux dépends de ses partenaires économiques. Toutes les démocraties sont appelées à faire preuve de solidarité entre elles face aux menaces des pouvoirs autocrates. Jouer en solo, se croire plus malin que les autres, privilégier des intérêts économiques à court terme sur la morale, se dispenser de participer de manière tangible – et pas seulement déclamatoire – à la défense des libertés communes à tous les Européens n’est une voie ni raisonnable ni digne pour la Suisse.  Puisse la puérilité de l’abandon de l’accord-cadre, il y a un an, au vu des graves enjeux actuels, nous avoir au moins appris cela.

*Article paru sur la plateforme de blogs du Temps

Ce que révèle l’autopsie de l’accord-cadre, un an après

Bientôt un an que le Conseil fédéral a laissé tomber les négociations de l’accord-cadre institutionnel avec l’Union européenne, lancées en décembre 2013. Pourquoi une telle issue après 32 cycles de réunions ? Le professeur René Schwok tente une réponse dans un bref essai, publié dans la Collection Débats et documents par la Fondation Jean Monnet pour l’Europe.*

En bon chercheur, René Schwok applique la méthode analytique, tel un médecin pratiquant une autopsie pour élucider une mort mystérieuse : il décortique au scalpel les faits, montre ce qui avait été obtenu au cours des négociations. Il s’essaie ensuite à quelques hypothèses sur les motivations de nos sept conseillers fédéraux, au moment de prendre la décision fatidique du 26 mai 2021.

Les pages consacrées au contenu de l’accord-cadre (tel que posé sur la table fin 2018 – mais jamais paraphé par nos diplomates), aux points réputés bloquants et aux concessions obtenues de Bruxelles, sont particulièrement éclairantes. Avec rigueur, le chercheur démontre que les négociateurs européens ont fait preuve de pragmatisme et de bienveillance, autorisant une fois encore des solutions « sur-mesure » pour rassurer les Suisses. Ce fact checking est à l’opposé de l’image qui s’est imposée dans le débat public d’une Commission intransigeante, ne cédant rien à la Confédération, dans un contexte de tensions post Brexit.

Le professeur Schwok cite d’ailleurs l’évaluation du Conseil fédéral à fin 2018: « le résultat des négociations correspond dans une large mesure aux intérêts de la Suisse et au mandat de négociation.»

Comment comprendre dès lors que le gouvernement n’ait pas mieux présenté et défendu les avancées obtenues, et qu’il ait décidé il y a un an, de jeter à la poubelle tout ce travail d’orfèvrerie diplomatique ? Ce caprice reste d’autant moins explicable que les conséquences négatives d’un tel camouflet à l’égard de notre principal partenaire économique, rappelle René Schwok, avaient parfaitement été identifiées par… le Conseil fédéral lui-même.

Pour conclure son étude, le professeur à l’Université de Genève émet différentes hypothèses en analysant le positionnement des conseillers fédéraux. À l’origine du fiasco apparaissent ainsi la faiblesse des acteurs en présence et une surestimation des forces de la Suisse dans ses rapports avec l’UE. Tant les conseillers fédéraux que les partis en prennent pour leur grade, ambigus et trop velléitaires. Est également pointée l’attitude des syndicats, en rupture avec leurs engagements précédents, qui ont détourné l’enjeu européen pour « peser sur l’agenda politique » interne.

Ces 66 pages d’analyse sont plus cruelles qu’un pamphlet. Elles révèlent une profonde méconnaissance des détails du dossier des bilatérales et la formidable incompétence d’une classe politique majoritairement focalisée sur la lutte pour des sièges au Conseil fédéral en 2023. Se maintenir au pouvoir est bien sûr un but louable de la part des quatre partis gouvernementaux, qui se le partagent depuis 1959, mais pour quoi faire ? Les petits calculs de politique politicienne excusent-ils de  négliger un sujet aussi crucial pour la prospérité du pays, l’avenir de son économie et de ses chercheurs ?  On se le demande en refermant cette courte étude sur le plus grand ratage de notre politique européenne récente.

* René Schwok, “Accord institutionnel: retour sur un échec”, Collection Débats et documents no 25, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, mai 2022, 66 pages.

*Article paru sur la plateforme de blogs du Temps

Le Conseil fédéral doit procéder à un aggiornamento de sa réflexion géopolitique

Dimanche devant le Bundestag, le chancelier Olaf Scholz a commencé son discours avec cette phrase : « Le 24 février 2022 marque un changement d’époque dans l’histoire de notre continent. » Prenant la mesure du bouleversement que représente dans l’ordre international et européen l’invasion de l’Ukraine par la Russie, M. Scholz a annoncé une révolution copernicienne dans la politique de sécurité de l’Allemagne, le réarmement de son pays avec une montée des investissements à 2% du PIB. La rupture avec la prudence et le pacifisme traditionnellement prônés, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, par la première puissance économique du continent est totale.

Même gravité dans l’allocution du président français Emmanuel Macron, le 2 mars, en évoquant le tournant que représente ce conflit : « Ces événements n’auront pas seulement des conséquences immédiates, à la trame de quelques semaines. Ils sont le signal d’un changement d’époque. La guerre en Europe n’appartient plus à nos livres d’histoire ou de livres d’école, elle est là, sous nos yeux. La démocratie n’est plus considérée comme un régime incontestable, elle est remise en cause, sous nos yeux. Notre liberté, celle de nos enfants n’est plus un acquis. Elle est plus que jamais un système de courage, un combat de chaque instant. A ce retour brutal du tragique dans l’Histoire, nous nous devons de répondre par des décisions historiques. »

Ce funeste 24 février 2022 choque autant les consciences que le 11 septembre 2001. Chacun pressent, à l’image du chancelier social-démocrate et du président de la République française, que le monde de demain ne sera plus pareil à celui qu’il a été jusqu’au 23 février. Encore faut-il avoir le courage d’y faire face. Peu rompu à la réflexion géopolitique, notre Conseil fédéral a tout de même attendu trois jours, pour comprendre qu’il fallait sortir de son mode de gestion « business as usual » et s’aligner sur les sanctions européennes. Trois jours où il s’est tortillé derrière le paravent de la neutralité et les arguties juridiques, plutôt que d’affirmer d’emblée sa solidarité de principe avec le camp des démocraties.

On peut très sérieusement douter de sa clairvoyance et de son sens de l’urgence à la lecture du communiqué, publié le vendredi 25 février, sur la manière dont il entend orienter un nouveau paquet de négociation avec l’Union européenne : le texte, sans doute préparé à l’avance, ne contient pas la moindre allusion au contexte géopolitique du moment ni l’affirmation des valeurs qui lient la Suisse aux Européens ! Quel manque de tact. Dans la démonstration du décalage qui se creuse entre la Suisse et ses principaux partenaires, depuis la rupture de l’accord-cadre en mai 2021, il pouvait difficilement produire une preuve plus éclatante.

Dès lors, faut-il se résigner à ce que notre pays apparaisse « à côté de la plaque », pleutre ou suiveur, jamais à la hauteur de la situation ? Ou bien peut-on espérer un sursaut, une inspiration, qui conduise le gouvernement à procéder à un profond aggiornamento du positionnement de la Suisse sur la scène internationale ?

Plus rien ne justifie une voie solitaire et particulière de la Suisse sur le plan européen. Le monde multilatéral dans lequel la Confédération pouvait jouer sa partition en solo est mort, broyé par les colonnes de chars que Poutine a lancées sur les routes d’Ukraine. Cet édifice multilatéral, pour partie localisé dans la Genève internationale, ne sera pas rétabli avant longtemps. Dans l’immédiat, l’ONU étant paralysée par le droit de veto des Russes au Conseil de sécurité, seule l’Union européenne a la capacité d’agir efficacement face à la menace. Notre gouvernement doit saisir la portée et les conséquences de cette nouvelle donne. Il doit revoir le logiciel qui tourne depuis une trentaine d’années et encadre notre politique étrangère.

Après l’échec de l’Espace économique européen, donc d’un premier arrimage de la Suisse aux institutions européennes, le Conseil fédéral a choisi, bon gré mal gré, de maintenir sa tradition humanitaire et sa pratique des bons offices (pour œuvrer à la paix dans le monde et se concilier au passage les bonnes grâces des puissants), de privilégier la voie bilatérale avec l’UE, mais aussi de parier sur le développement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour offrir à son économie les meilleures conditions possibles d’accès aux marchés.

Un rapide bilan de ces trois choix stratégiques s’impose. Très valorisé, mais par nature peu explicité dans les détails, son rôle de facilitateur en cas de conflit lui a valu une certaine estime, flattant l’ego de nos ministres des affaires étrangères, mais pas beaucoup de dividendes concrets en faveur des intérêts helvétiques. Les Américains ont agi sans pitié à l’égard de la Confédération au moment de la crise des fonds en déshérence et ont obtenu quelques années plus tard la peau du secret bancaire. Quant aux efforts pour trouver des solutions de paix à long terme avec Poutine, on mesure ces jours à quel point ils étaient condamnés d’avance : le despote du Kremlin a-t-il jamais été un interlocuteur de bonne foi lors des discussions ? En diplomatie, il y a de la grandeur à paraître humilié dès lors qu’on a sans relâche chercher une solution pacifique, mais la défense des intérêts de la Suisse ne doit pas être indéfiniment immolée sur l’autel de cette nécessaire humilité. En l’occurrence, la Confédération n’est pas la seule qui s’emploie à maintenir ouvert des canaux de discussions entre l’agresseur et l’agressé.

Pour ce qui concerne la voie bilatérale avec l’UE, elle a été un succès, puisque notre pays est une des régions du continent qui a le plus profité de la prospérité créée par le marché unique. Mais cette voie a été torpillée peu à peu par le Conseil fédéral lui-même : en 2006, il renonce à l’objectif de l’adhésion à l’UE, qui lui avait valu passablement de goodwill de la part des diplomates européens. En 2021, il met fin aux négociations sur l’accord-cadre, un concept qu’il avait lui-même proposé à l’Union.

Quant à l’OMC, la machine s’est totalement grippée, incapable de produire les normes garantissant une mondialisation équitable et profitable pour tous. Cette paralysie a favorisé l’émergence de nouveaux blocs commerciaux, en Asie et en Amérique, avec lesquels il est compliqué pour la Suisse de s’entendre sans concessions difficilement acceptées sur le plan intérieur (comme on l’a vu par exemple lors de la votation populaire de mars 2021 sur l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, accepté de justesse).

Les trois piliers du positionnement de la Suisse sur l’échiquier international étaient plus ou moins brinquebalants depuis un certain temps. Avec l’invasion de l’Ukraine et ses conséquences à court, moyen et long terme, ils vacillent et sont prêts de s’écouler, tel un château de cartes trop usées.

La Suisse ne peut plus plaider l’exception et le particularisme, elle doit choisir son camp et se ranger résolument du côté des démocraties face aux autocrates. Elle doit cesser d’être particulièrement intransigeante avec l’UE et extrêmement complaisante avec la Chine ou la Russie. Le Conseil fédéral doit rapidement élever son niveau de réflexion géopolitique. Dans cet esprit, il doit sans tabou étudier l’opportunité d’une adhésion à l’Union européenne. Il faut souhaiter qu’il s’y emploie au nom de la morale et des valeurs humanistes que nous partageons avec les Européens. Mais des considérations économiques devraient, si besoin, l’amener à une évaluation plus réaliste de la situation. La Suisse a bâti sa prospérité sur la fiabilité de son droit. Or, l’alignement sur les sanctions européennes contre la Russie prouve ce que les souverainistes blochériens s’obstinent à nier depuis trente ans : nous dépendons des normes définies par les Européens ; nous ne pouvons pas courir le risque de ne pas être en conformité avec leurs standards sans prétériter les affaires de nos banques et de nos industries d’exportation. En décidant un usage inédit de son énorme poids économique, l’UE s’affirme définitivement comme une puissance politique là où trop de ses détracteurs ne voulaient voir qu’un grand marché avec ses avantages fonctionnels.

À ces arguments en faveur d’un aggiornamento courageux, on pourrait ajouter des considérations sur la déstabilisation numérique entreprise par les hackers russes en direction du Vieux Continent, qui déploie chaque jour ses effets sur le territoire helvétique. Sans concertation avec les Européens, comment les Suisses, qui ont tant tardé à s’armer contre cette menace, pourraient-ils disposer à l’avenir d’une cyberdéfense efficace ?

Depuis trop longtemps, la Berne fédérale ne considère les relations avec l’Union que sous l’angle mercantiliste des accords bilatéraux, par petits bouts, comptant mesquinement les bénéfices qu’elle peut en tirer. Après le Brexit, la crise Covid et maintenant la guerre en Ukraine, il faut considérer l’ampleur des changements que l’Union porte (et qu’il est vain d’imaginer contourner compte tenu de notre position géographique et de nos intérêts commerciaux).  Il est grand temps de procéder à une réévaluation de ce que représente vraiment l’Europe des 27 pour nous : notre famille naturelle, notre meilleur rempart contre les menaces des dictateurs, la vraie garante de notre souveraineté et de notre indépendance en tant que démocratie.

*Article paru sur la plateforme de blogs du Temps