La possibilité d’élire des femmes au Conseil fédéral existe depuis 1971. Mercredi, à moins d’un gros coup de théâtre, qui constituerait un authentique scandale, une huitième et une neuvième conseillère fédérale vont être élues. Incroyable mais vrai, on peut encore compter sur nos deux mains le nombre de femmes parvenues au gouvernement. Ce 5 décembre aura un parfum d’histoire. Dieu que ce fut difficile d’en arriver là.
Le parcours de Karin Keller-Sutter symbolise le chemin parcouru. En 2010, le Parlement avait écarté son talent sans état d’âme, avec une sorte de réflexe pavlovien disqualifiant une candidate brillante pour lui préférer un homme du sérail, comme il l’avait déjà fait en 2003 avec Christine Beerli.
Ces douze derniers mois, la mobilisation des femmes a été massive, à la suite du mouvement #Metoo, de l’affaire Buttet, mais aussi du combat politique pour l’égalité salariale. Jamais depuis la grève féministe de 1991, on avait autant parlé de la place des femmes dans la politique suisse. A un an des élections fédérales, le parti qui ferait mine d’ignorer ce thème prendrait le risque de se disqualifier dans l’opinion.
Nous aurons donc trois femmes au Conseil fédéral. Ce rééquilibrage, légitime en termes de représentativité, changera-t-il quelque chose ? Assurément. Pas tellement sur le plan politique (deux politiciens de droite en remplaceront deux autres), mais plutôt dans la manière de gouverner. Les trois papables potentielles ont une forte expérience d’exécutif, à la tête d’un canton ou d’une ville. Les deux élues amèneront plus de pragmatisme, la culture du résultat, propres aux conseillers d’Etat et aux pouvoirs de proximité, que les cinq autres membres du collège n’ont guère.
En matière de compromis, le gouvernement a beaucoup perdu de son savoir-faire. C’est le parlement qui a trouvé une issue au problématique vote de février 2014 sur l’immigration de masse, et c’est encore le parlement qui tente actuellement de sauver deux réformes absolument nécessaires, celle de l’AVS et celle de la fiscalité des entreprises, en les liant un peu à la hussarde, mais avec le souci d’avancer.
Sur la table du Conseil fédéral trône un dossier crucial qui requière une colossale aptitude au pragmatisme, c’est celui des relations bilatérales avec l’Union européenne. Quels que soient les départements dont elles hériteront, les deux élues devront s’en occuper, car la responsabilité de notre politique extérieure est collégiale.
Résumons : faute de soutien de ses collègues, Didier Burkhalter a soudain abandonné ce casse-tête ; ensuite, une fois élu, Ignazio Cassis a prôné un reset. Maintenant, il faut dépasser les slogans, prendre la mesure des rapports de forces, affronter le poids des réalités, assumer les conséquences des décisions ou des non-décisions.
C’est là que l’origine cantonale du nouveau binôme entrera en ligne de compte. La Saint-Galloise Keller-Sutter amènera l’expérience d’une région alémanique proche de la frontière. L’Uranaise Z’Graggen celle de la la Suisse centrale, très réticente à l’intégration européenne. La Haut-Valaisanne Amherd celle d’un canton bilingue et touristique. Plutôt que des postures dogmatiques, le dossier européen a besoin d’analyses coûts-bénéfices. D’un gros bol de pragmatisme. Et de l’art retrouvé du compromis.
Texte paru en italien dans l’hebdomadaire Il Caffè: http://caffe.ch/section/il_commento/