LES ROMANDS VOIENT PLUS GRAND

L’Hebdo
– 30. avril 2009
Page: 21
SONDAGE
Notre sondage
LES ROMANDS VOIENT PLUS GRAND
CHANTAL TAUXE
LA SUISSE EN QUESTIONS.
Les décideurs rêvent de fusion de cantons, les citoyens exigent, eux, plus de coordination supracantonale de la part des Conseils d’Etat. Enquête sur ce désir de Suisse romande qui monte.
Quelle effervescence! Sept ans après le vote sur le projet de mariage de Vaud et de Genève, le débat sur la fusion de cantons reprend là où on ne l’attendait pas.
Les deux gouvernements, qui avaient combattu l’union pure et simple, viennent de signer un partenariat aussi historique qu’inédit: un accord de financement d’infrastructures régionales, de part et d’autre de la Ver-soix, notamment la fameuse troisième voie CFF mais aussi l’extension de Palexpo. L’entente cordiale ne fait que commencer, ont juré les conseillers d’Etat. Où s’arrêtera-t-elle? Dans l’arc jurassien, qui avait vu d’un œil inquiet l’émergence d’un axe rhodano-lé manique fort, on parle depuis des semaines de la création d’un supercanton. L’impulsion vient du conseiller d’Etat Jean Studer, à l’étroit dans les frontières cantonales, ou plutôt dans les «compétences cantonales», précise-t-il. Au terme d’une législature, cet ancien parlementaire fédéral constate que «la plupart des problèmes dépassent les frontières institutionnelles actuelles».
Un gros mot.
Institutionnel. Le mot est lâché, presque un gros mot, un mot barrage. Le vocable est réputé ennuyeux, lesté d’un poids technocratique souvent jugé insurmontable. Jusqu’ici, il a coulé tous les débats sur une refondation de la Suisse en grandes régions. Que dit l’opinion? Que pensent les leaders? Réalisée à l’occasion du Forum des 100, organisé par L’Hebdo le 7 mai prochain, l’enquête SOPHIA 2009, conduite par l’institut M.I.S Trend, laisse apparaître un désir de Suisse romande. Une envie, souvent partagée par les Alémaniques, de penser plus large.
Il n’y a pas de plébiscite pour la création de macrorégions par mariage de cantons, l’opinion suisse reste divisée en deux camps presque égaux: 47% d’avis favorables, 48% de défavorables (Question 1). Mais en Suisse romande, les leaders, également consultés par SOPHIA sont 59% à vouloir changer d’échelle. «Ils ont plus conscience que la population de la nécessité de s’adapter, car ce sont eux qui sont confrontés aux difficultés et qui doivent prendre des décisions», relève Jean Studer. 43% des Romands se disent, eux aussi, tentés par des fusions de cantons.
«Ne nous y trompons pas, ces scores sont considérables», se réjouit François Cherix. Deux fois plus que lors du vote de 2002, rappelle ce promoteur de l’union Vaud-Genève. Loin d’être enterrée, l’idée de regrouper les forces progresse.
Elle a été manifestement dopée par les chaudes discussions sur le financement des infrastructures de transports. Une sorte d’effet troisième voie. Lorsqu’on demande aux décideurs les raisons de s’opposer ou d’accepter des fusions de cantons (Question 2), plus d’un sur deux indique la nécessité de mieux planifier et répartir les infrastructures. Mais cet impératif d’efficacité sera freiné par les préoccupations identitaires, répondent dans la même proportion les leaders. L’ambition d’empoigner les problèmes autrement, à un autre niveau, se lit dans les réponses à une des questions les plus provocantes du sondage (Question 4): la création d’un gouvernement supracan-tonal. A l’option fusion qui leur ferait perdre leurs repères de proximité, 57% des Romands préfèrent la création «d’une instance romande supracanto-nale de coordination et de décision».
Directoire supracantonal.
Ce verdict a mis en émoi les conseillers d’Etat interpellés, soucieux de se voir bientôt contraints d’investir un quatrième étage institutionnel, «dans une architecture que beaucoup jugent déjà très complexe», comme le souligne le conseiller d’Etat Pascal Broulis. Se coordonner ne veut pas dire décider ensemble, objecte son homologue genevois François Longchamp.
La ministre fribourgeoise Isabelle Chassot s’interroge: «Une structure supracantonale est-elle nécessaire pour résoudre les problèmes qui se posent à nous? Est-elle la réponse aux nouveaux besoins qui se font jour du côté de la santé, de la formation, des transports, de la sécurité? De quoi parle-t-on précisément? Le destin du Conseil de Suisse occidentale, envisagé il y a quelques années, est appelé à nourrir notre réflexion. Il convient également de clairement différencier le supracantonal de l’inter-cantonal. La création d’un échelon supracantonal – échelon supplémentaire aux structures existantes – poserait notamment le problème de la démocratie directe.» Jean Studer redouterait que les conseillers d’Etat n’aient pas vraiment le temps de s’investir dans ce nouvel échelon décisionnel «tels les conseillers fédéraux qui peinent à faire face à leurs obligations internationales», et qu’in fine, ce soient les administrations qui donnent le ton. Il en résulterait «un défaut de conduite politique», alors que justement la population aspire au contraire.
Un gouvernement supracantonal, un concept mort-né? L’idée répond confusément aux réalités de la vie politique cantonale, qui voient émerger des rois régionaux. Parfaitement officiellement, Pascal Broulis est président du Gouvernement vaudois pour toute la législature, et même s’il n’est pas la seule personnalité forte de l’exécutif cantonal, il en est, ès fonctions, l’ambassadeur le plus visible. A Neuchâtel, indépendamment du tournus protocolaire à la présidence, Jean Studer s’est imposé comme l’homme fort du canton. Le Valais a Jean-Michel Cina, Fribourg Isabelle Chas-sot, et Genève David Hiler et François Longchamp. De là à imaginer un directoire des meilleurs, il y a un pas que les ministres ne sont pas prêts à franchir. Pragmatiques, ils plaident la «géométrie variable», des accords ponctuels «ad hoc», dit Pascal Broulis, lorsqu’ils font sens. Et le chef du Département vaudois des finances et des relations extérieures d’en lister quelques-uns: le futur Hôpital du Cha-blais (site unique pour 2 cantons et la France voisine), la réalisation du Gymnase de la Broyé valdo-fribourgeoise, le schéma de mobilité du Conseil du Léman, etc.
Bâtir solide.
Cette approche pragmatique déterminera le timing. Ce n’est que lorsqu’elle aura été épuisée que des projets plus ambitieux de fusions de cantons pourraient naître. «Si l’on devait constater que les collaborations intercantonales sont encore insuffisantes pour répondre aux exigences nouvelles, il serait alors nécessaire d’envisager avec conviction une véritable réforme ter-ritoriale, avec toutes les difficultés que cette perspective laisse deviner», observe Isabelle Chassot. Du concret donc pour l’heure, car qui sait où mène l’émotion-nel? Dans une nation de volonté, comme la Suisse aime à se définir, il faut garder raison, bâtir sur du dur, du solide. Le temps des grands travaux est venu.
L’ESSENTIEL EN 3 POINTS
ENQUETE SOPHIA 2009
L’Institut M.I.S Trend a analysé l’opinion de 400 leaders suisses et de 1200 personnes représentatives de la population suisse, sur l’identité romande. La méthode mise au point par Marie-Hélène Miauton permet de confronter le point de vue des décideurs et des citoyens.
RÉACTIONS
Quatre conseillers d’Etat commentent les résultats concernant les fusions de cantons et un gouvernement supracantonal.
WEB
Les résultats de l’étude S0PHIA sont publiés au niveau national par L’Hebdo, Der Bund et II Caffé. L’intégralité de l’étude (30 pages) sera disponible sur le site du Forum des 100 à partir du 7 mai (www.forumdes100.com).
1. DES FUSIONS DE CANTONS, OUI MAIS
On parle de fusionner certains cantons pour former des macrorégions. Y êtes-vous favorable ou non?
Le mariage de cantons tente franchement un tiers des leaders, alors qu’un autre tiers pourrait se laisser convaincre. Les Alémaniques s’y sentent plus prêts que les Romands. L’enthousiasme de la population est moindre, mais impressionnant, 47%, si l’on songe que les fusions sont vues comme très technocratiques. Les réticences viennent des moins de 30 ans (57% à s’y opposer) et des campagnes (55% de rejet).
2. LE MATCH EFFICACITÉ ET IDENTITÉ
Raisons de s’opposer ou d’être favorable aux fusions de cantons. Base leaders.
La fusion de cantons permettrait une meilleure planification des infrastructures, mais elle lèserait les sentiments identitaires et l’attachement au pouvoir de proximité. Les réponses des leaders balisent le débat, entre émotion et raison. Les tenants de cette dernière sont surtout les représentants de l’économie, qui pensent aux gains d’efficacité.
3. UN SEUL CANTON, NON MERCI
Seriez-vous plutôt favorable ou plutôt défavorable à la création d’une grande région romande par la fusion de tous les cantons romands?
Une superfusion de tous les cantons romands convainc nettement moins que des regroupements à deux ou trois, même si 40% des leaders romands et 39% de la population pourraient l’envisager. Les Alémaniques s’en effraient moins que les Romands eux-mêmes! Vue d’outre-Sarine, la Suisse romande est déjà un tout. La gauche est plus favorable que la droite à ce mégamariage.
4. COORDONNEZ-VOUS!
Sans fusionner les cantons, seriez-vous favorable ou défavorable à la création d’une instance romande supracantonale de coordination et de décision?
L’avis de la population sonne presque comme un ordre de marche: 57% des Romands – et même 62% des leaders -souhaitent une instance supracantonale de coordination et de décision.
Ce résultat est à comparer avec ceux sur les mariages de cantons ou la fusion à six. Avant d’envisager un regroupement institutionnel lourd, les Romands souhaitent que leurs conseillers d’Etat travaillent beaucoup plus ensemble. Leur coordination actuelle manque de substance ou de visibilité.
5. UNE ENVIE DE MUSÉE
Etes-vous plutôt favorable ou plutôt défavorable à l’idée d’un seul Musée romand des beaux-arts à construire avec des moyens supérieurs dans un lieu à définir, mais pas forcément dans votre canton?
Un ambitieux musée romand? Les opinions sont très partagées, mais la récente votation vaudoise n’est pas restée sans écho. Dans la population, l’approbation croît avec l’âge, 46% des jeunes de moins de 30 ans se montrant réfractaires contre 33% au-delà de 45 ans.
RÉACTIONS
«Les Suisses sont de plus en plus conscients que les cantons perdent, petit à petit, leurs compétences au point de devenir redondants avec les communes, en particulier dans les milieux urbains. Les confettis institutionnels nuisent aujourd’hui à la compétitivité du pays et aux intérêts de ses citoyens. Ceux-ci souhaitent probablement que les cantons subsistent, mais sont prêts à les voir se dessaisir de prérogatives essentielles.»
François Longchamp, conseiller d’Etat (PLR/GE)
«Parmi les raisons de s’opposer ou non aux fusions de cantons, la hiérarchie des motifs qui se dégage est sans surprise. La question de l’identité a été trop souvent négligée, et pourtant, elle demeure envers et contre tout parmi les préoccupations importantes de la population.»
Pascal Broulis, conseiller d’Etat (PLR/VD)
RÉACTIONS
«Il convient de clairement différencier le supracantonal de I’intercantonal. La création d’un échelon supracantonal poserait notamment le problème de la démocratie directe. Au lieu de s’engager dans cette voie complexe, ne convient-il pas d’améliorer et d’intensifier les collaborations intercantonales? Si l’on devait constater que ces dernières sont encore insuffisantes pour répondre aux exigences nouvelles, il serait alors nécessaire d’envisager avec conviction une véritable réforme territoriale, avec toutes les difficultés que cette perspective laisse deviner.»
Isabelle Chassot, conseillère d’Etat (PDC/FR)
«On constate une évolution des mentalités vers un concept métropolitain et vers une meilleure gouvernance.»
Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse