L’Hebdo
– 19. juillet 2012
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ÉDITORIAL
CHANTAL TAUXE
UNE VIEILLE EUROPE SI DÉSIRABLE
Pas moins de 8000 emplois. PSA Peugeot Citroën veut effacer un huitième des effectifs du groupe en France. Une saignée pour espérer survivre. Comment expliquer pareille catastrophe industrielle? Les erreurs stratégiques du management? La cécité des politiques? La morosité conjoncturelle qui fabrique des chômeurs non consommateurs, les jeunes en particulier, depuis trop longtemps (lire l’article de Kevin Gertsch en page 10)? Le choc d’Aulnay-sous-Bois en annonce d’autres. Le fabricant français n’est pas le seul en difficulté. En Italie, Fiat voit les immatriculations de véhicules fondre à leur niveau de 1979. Et quel sera l’avenir pour les sous-traitants, les concessionnaires, les revendeurs, les garagistes? PSA apparaît comme l’emblème d’une vieille Europe qui perd, incapable de renouer avec une croissance forte et durable.
Changeons de focale. Cette Europe si embourbée dans la crise de la zone euro a de beaux restes. Elle suscite même la convoitise, comme en témoigne la frénésie d’achats de l’émir du Qatar. Certes, les fonds d’investissement, en main du clan Al-Thani, lui ont permis de réaliser des emplettes dans le monde entier (voir la carte de notre dossier en page 34). Mais pour le prestige, il n’y a rien de mieux que le Vieux Continent.
C’est un paradoxe de la mondialisation sur lequel on s’interroge peu. De nouvelles puissances en Asie et en Amérique du Sud supplantent les anciennes dans les classements économiques, effet de balancier sans doute, après des siècles de colonisation et de pillage. Mais l’étalon de référence en matière de niveau de vie reste l’Europe. Les labels de qualité les plus désirés demeurent, à quelques exceptions près, les marques occidentales. Quand un Chinois devient riche, il veut une montre suisse, un yacht de facture italienne.
Autre ironie à méditer, la quête du prestige – et son parfum de revanche sur l’histoire – n’est pas le seul moteur des Qataris. Investir dans l’immobilier et l’hôtellerie à Londres, à Paris ou en Suisse représente des placements très sûrs à long terme, s’enthousiasment les acheteurs venus du désert. Quelle meilleure garantie de stabilité, en effet, que ces bonnes vieilles démocraties européennes qui, au surplus, protègent dans leurs constitutions les droits des propriétaires comme une valeur fondamentale?
Hamad ben Khalifa al-Thani passe pour un «despote éclairé». L’expression revient avec une si troublante régularité qu’on pourrait soupçonner le génie d’une agence de com plutôt qu’une référence philosophique commune. On ne détesterait pas que le puissant émir chérisse avec la même chaleur les autres libertés qui font des démocraties ces créatrices de richesses si désirables. Il pourrait par exemple abolir l’apartheid dans lequel les immigrés asiatiques travaillant dans l’émirat sont confinés.
Faut-il se méfier de ces nouveaux conquérants? Certains experts mettent en garde contre le djihad économique. La question est délicate, alors que l’on sort à peine d’une décennie de manichéisme bushien axé sur le choc des civilisations. Malgré leurs récentes déconvenues, la principale vertu des démocraties européennes industrieuses reste de se savoir assez solides pour considérer la critique comme une chance et de ne craindre aucune remise en question.
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CERTAINS EXPERTS METTENT EN GARDE CONTRE LE DJIHAD ÉCONOMIQUE.