Le taux de participation aux élections est calamiteux. C’est d’autant plus préoccupant dans un canton qui exclut 40% de ses résidents du droit de vote. Pour (ré)ouvrir le débat sur la citoyenneté, notre chroniqueuse envisage des mesures extrêmes: priver de futures manifestations les râleurs qui n’ont pas voté.
Pierre Maudet engrange un joli succès personnel: il est le seul élu du premier tour des élections genevoises. Avec 50’180 voix, il dépasse le seuil de la majorité de 1169 suffrages. En 2013, le libéral-radical s’était déjà placé en tête du premier tour. Il fut élu au second avec 59’057 voix, grâce à un taux de participation de 41,05%, il est vrai, alors que celui enregistré ce 15 avril 2018 est particulièrement calamiteux: 38,7%.
Hors la consécration de son champion, dont l’aura n’a en rien été flétrie par l’infructueuse candidature au Conseil fédéral, la performance du corps électoral genevois est décevante. On ne parle pas ici des résultats des partis mais des chiffres de l’engagement citoyen.
Le canton de Genève a entrepris pas mal d’efforts pour motiver les électeurs, notamment les jeunes avec le concours cinécivic. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’effet de mobilisation n’est pas retentissant. Il y avait pourtant 31 candidats au gouvernement, 13 listes pour le Grand Conseil, offrant 623 noms. Bref, il y en avait pour tous les goûts, mais cela ne suffit vraisemblablement pas à motiver les membres du plus grand parti du canton, celui des abstentionnistes.
Le phénomène est d’autant plus inquiétant, si on rapporte la base électorale à celle de la population, qui compte 40% d’étrangers. Genève est à deux doigts de compter un demi-million d’âmes sur son territoire (498 221 selon les dernières statistiques). Parmi elles, pas loin de 400’000 adultes, mais seuls 262’541 ont le droit de vote. Parmi eux, un peu plus de 101’000 ont voté, mais compte tenu des enveloppes vides ou des bulletins nuls, on arrive à 98’020 citoyens qui se sont valablement exprimés. Et, parmi eux, plus de la moitié ont inscrit le nom de Pierre Maudet.
Force est de constater que le meilleur élu de la République et canton de Genève l’a été par 12% des adultes y vivant. Si la légitimité de ce résultat ne saurait être remise en cause, on peut être interpellé par la portée de l’abstentionnisme sur la représentativité des élus, essentielle au bon jeu démocratique.
Devrait-on interdire de futures manifestations de contestation celles et ceux qui ne vont pas voter? Peut-on vraiment se plaindre des élites ou de l’existence d’une «caste de décideurs, coupés de la population», quand on n’use pas de son droit de vote? Les parfaits démocrates, que nous prétendons tous être en Suisse, peuvent-ils se satisfaire à long terme de ne pas respecter le principe républicain «pas de taxation sans représentation»? L’atrophie des débats publics ne tient-elle pas au fait que 40% des habitants en sont exclus ?
Ces questions sont récurrentes, même si Genève est un des cantons qui naturalisent et régularisent le plus d’étrangers. La décrue des mouvements populistes et antifrontaliers offre peut-être l’occasion de nouveaux débats sur le droit de vote des étrangers résidents de longue date, ou sur d’autres modes de participation aux décisions. Historiquement, les citoyens genevois se veulent des citoyens du monde, particulièrement ouverts. Depuis une bonne décennie, le MCG a confisqué l’appellation, «citoyens genevois» dans une perspective d’exclusion. Il est temps que les autres partis imaginent des stratégies plus englobantes pour qui vit sur le territoire de la République.
Article paru sur le site Bon pour la tête:
https://bonpourlatete.com/chroniques/geneve-j-y-vis-mais-je-n-y-vote-pas