L’armée au Grütli, c’était en 1940

Faudra-t-il envoyer l’armée au Grütli pour que l’on puisse y fêter le 1er Août en paix? Telle est la scandaleuse absurdité que trois présidents de parti ont fini par formuler la semaine dernière, devant le ping-pong indigne qui s’est installé entre les cantons concernés et la Confédération, résumé de toutes les petites impuissances helvétiques.

L’armée au Grütli, faut-il le rappeler, c’était en 1940, le 25 juillet, une manière magistrale et solennelle pour le général Guisan de mobiliser ses troupes et la population, de fortifier l’indépendance du pays, alors que la Suisse faisait tache sur la carte des conquêtes fulgurantes du IIIe Reich. L’armée était là pour se préparer à faire face aux nazis. Et on voudrait, 67 ans plus tard, l’envoyer dissuader des nazillons incultes de s’y pavaner! Faut-il que les Suisses connaissent mal leur histoire pour tolérer une pareille déchéance. Car, cela fait des années que les commémorations du Grütli sont perturbées par des nazillons. Et cela fait des années que le problème n’est pas empoigné sérieusement, que l’on s’en accommode comme d’un mal nécessaire, une sorte de concession à une drôle de conception de la liberté d’expression, comme si celle-ci sortait grandie par l’étalage de la bêtise de quelques ignares allumés.

La Confédération estime qu’elle n’a pas à intervenir pour assurer la sécurité de la prairie, le 1er Août. C’est l’affaire des communes, a encore répondu en mars dernier la chancelière Annemarie Huber-Hotz à l’interpellation d’un député du cru. Les cantons concernés ne veulent pas payer. Oui au tourisme patriotique, mais non aux obligations qui en découlent. Quelle belle leçon de responsabilité confédérale.

Depuis trop longtemps en Suisse, on minimise les dérives d’extrême droite. L’an dernier la sécurisation du périmètre, déserté par le président Moritz Leuenberger, a coûté deux millions de francs. L’argent aurait pu être plus intelligemment utilisé à élaborer une vraie stratégie d’éradication de ces groupuscules. Pour le 1er Août prochain, un filtrage préventif dans les ports qui donnent accès au Grütli devrait suffire et ne semble pas hors de portée des moyens policiers locaux. Ainsi les présidentes de la Confédération et du Conseil national, Micheline Calmy-Rey et Christine Egerszegi pourront fêter le 1er Août en paix, et donner de la prairie une nouvelle image, celle d’un mythe important enfin investi, symboliquement, par les femmes.

publié sur le site de L’Hebdo le 16 mai 2007