Le temps des caprices est révolu

Nous avons tous un ami trop bien portant à qui le médecin recommande de choisir désormais entre fromage ou dessert. Mais après avoir ingurgité l’entrée et le plat principal, ce bon vivant prend les deux, et réclame des mignardises avec le café ! Ce n’est pas raisonnable, mais notre gourmand ne parvient pas à restreindre son appétit.

Face à l’Union européenne, une partie de la Suisse se comporte comme un goinfre. Dans la négociation de mise à jour des accords bilatéraux, elle exige une clause de sauvegarde migratoire, encore une condition particulière, encore un caprice, pour nourrir l’illusion que c’est elle qui tient le couteau par le manche.

Cette attitude est pathétique. Notre pays est prospère, il crée des emplois, et ce sont nos employeurs qui signent des contrats d’embauche avec les talents européens. Souhaite-t-on l’inverse : devenir une région en détresse démographique qui ne trouve plus personne pour faire fonctionner un hôpital ou rénover le parc immobilier ?

Alors que se précise la perspective d’un paraphe des nouveaux accords avant la fin de l’année, certains acteurs politiques et économiques, comme le lobby Boussole, s’ingénient à ériger de nouveaux obstacles sur la voie de la stabilisation des relations entre la Suisse et l’Union européenne. 

Ces manœuvres signalent que la négociation intérieure a pour l’heure porter moins de fruits que la négociation extérieure. Il serait grand temps que le Conseil fédéral in corpore commence à plaider la cause de la rénovation des accords bilatéraux avec conviction, et pas du bout des lèvres.

Le Conseil fédéral devrait moins s’effrayer du pouvoir de nuisance de ceux qui, quel que soit le résultat des négociations, resteront viscéralement hostiles à tout rapprochement avec l’UE, et mieux considérer que les cantons seront avec lui pour mener la bataille. Il devrait également porter plus d’attention au décideur ultime, le peuple, qui n’a pas envie, dans une majorité confortable et comme le montre tous les sondages, de rompre les amarres européennes.

Le peuple voit les défis géopolitiques considérables de l’époque, et mesure que le cavalier seul et le temps des caprices sont aujourd’hui aussi révolus. Le peuple n’est pas aveugle et constate que l’Union européenne, au seuil d’une nouvelle mandature se fixe, via les rapports Letta et Draghi, des objectifs ambitieux en termes d’autonomie industrielle et stratégique, auxquels il serait catastrophique de ne pas participer.  Le train européen avance, la Suisse a intérêt à y raccrocher prestement son wagon. Jean-Pascal Delamuraz le disait déjà à l’époque où Jacques Delors jetait les bases du marché unique. 

*Article paru dans le magazine europa.ch 2/2024