Le droit à l’avortement en Suisse et en Italie: éclairage historique

Paris le 8 mars 2025, texte de mon intervention lors de la Table ronde, organisée par Citoyennes pour l’Europe, sur « le droit à l’IVG : 50 ans après la loi Veil »

La situation en Suisse 

Comme pour tout ce qui concerne les droits des femmes, la Suisse a pris beaucoup de temps pour reconnaître le droit à l’avortement. Ce n’est que le 2 juin 2002 en votation, la population a accepté à plus de 72% de décriminaliser l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse. 

Ce retard est dû au système politique suisse, souvent idéalisé pour sa démocratie directe, qui fut longtemps une chasse gardée des hommes. La place des femmes, c’était les 3 K, en allemand Kinder, Küche, Kirche, les enfants, la cuisine, l’église.

Les Suissesses n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1971. Il fallait qu’une majorité d’hommes y consentent.

Dans beaucoup de pays, le droit de vote a été accordé aux femmes après guerre, en reconnaissance de leur contribution à l’effort de guerre. La Suisse neutre n’ayant pas été directement impliquée dans les combats, elle n’a pas vraiment eu ce genre de réflexion. Cette non expérience des ravages de la guerre – soit en dit en passant puisque nous sommes dans un lieu dédié à l’Europe – explique aussi le fait qu’elle ne soit pas devenue membre de l’Union européenne. 

Pour gagner le droit de vote, les Suissesses ont tout essayé les voies juridiques mais aussi la voie fédéraliste, laisser aux cantons le soin de légiférer. Pour dépénaliser l’avortement, elles – et quelques hommes qui les soutiennent – vont aussi solliciter les tribunaux et utiliser les initiatives populaires. 

La possibilité de proposer un vote sur un changement constitutionnel fait souvent rêver dans d’autres démocraties. Mais ce n’est pas une garantie de succès, bien au contraire. Si les initiatives populaires parviennent à imposer un thème dans le débat public, elles sont rarement gagnantes dans les urnes. Malgré plusieurs tentatives ce n’est donc qu’en 2002 que l’IVG est dépénalisée, grâce à un vote populaire. 

Le hic, c’est que les opposants à l’avortement utilisent la même panoplie institutionnelle. Eux aussi lancent régulièrement des textes pour « le droit à la vie » ou le non remboursement par l’assurance-maladie de cette prestation. 

Ces votes réguliers démontrent qu’en Suisse, le droit à l’avortement bénéficie d’un solide consentement, mais la possibilité de le renverser existe toujours. 

Ce qu’il faut aussi noter par rapport à la situation suisse, c’est qu’avant la dépénalisation de 2002, dans certains cantons de tradition protestante, l’accès à l’avortement médical était tout de même assez répandu, moyennant un double avis. 

L’évolution de la natalité en Suisse montre également que la pratique des avortements et de la contraception a précédé les possibilités légales. Dès la fin du 19ième siècle, le taux de natalité recule. 

Aujourd’hui, la Suisse est un des pays au taux d’avortement très bas. L’éducation sexuelle à l’école, et l’accès à l’information, explique ceci. D’ailleurs les femmes migrantes sont sur-représentées dans celles qui ont recours à l’IVG, preuve que l’information est vitale. 

La situation en Italie

Si en Suisse les cantons catholiques ont constitué un frein à la légalisation de l’avortement, la situation en Italie a bien sûr été très influencée par l’omni-présence de l’Eglise. Depuis l’époque fasciste, l’avortement est un délit passible de 2 à 5 ans de prison pour la femme comme pour le médecin. 

Les années 1970 sont marquées en Italie comme ailleurs par les luttes sociales et féministes. Parmi ces mouvements, le « partito radicale » de Marco Pannella et Emma Bonino, qui deviendra Commissaire européenne. Ils s’autodénoncent pour avoir pratiqué ou accompagné des avortements. Ils lancent un référendum abrogatif, avec le soutien du magazine L’Espresso. Le référendum prévu en 1976 n’a pas lieu car les Chambres sont dissoutes, et le Parlement en 1978 vote enfin une loi de compromis. Qui sera tout de même attaquée par référendum. Les Italiennes et les Italiens votent en 1981 et confirment la loi 194. Celle-ci prévoit toutefois que le personnel peut refuser de pratiquer l’intervention en invoquant l’objection de conscience. 

Cette disposition fait qu’aujourd’hui encore il y a de grandes disparités entre régions sur l’accès à l’avortement. 

Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien depuis 2022, n’a pas remis en cause la loi, mais elle l’a fait amender en avril 2024 pour permettre à des groupes « pro vie » d’être présents dans les hôpitaux et les maternités. Les opposants à l’avortement sont ainsi en capacité de faire pression sur les femmes en attente d’une intervention. 

Lors du G7, qu’elle présidait, elle est parvenue à faire gommer une déclaration en faveur de « l’accès à un avortement sûr et légal et à des prestations de soin post-avortement ».

Pour mémoire l’église catholique interdit l’avortement et celles qui y ont recours comme ceux qui le pratiquent sont excommuniés. Le pape François a admis de lever la sentence pour les mères repentantes. 

Dans ce contexte, en Italie également, le droit à l’avortement reste précaire. 

À noter que l’Italie a un des taux de natalité les plus faibles d’Europe. 

Remarques additionnelles : 

Longtemps le rôle des femmes a été de mettre au monde des enfants, futurs soldats et « chaire à canon ». Après 80 ans de paix en Europe, on pensait que c’était révolu, mais au vu de la situation géopolitique actuelle, ce « devoir de maternité » risque de revenir. 

Les outils tels que l’initiative populaire ou le référendum ne sont pas toujours synonymes de progrès. Ils permettent le blocage et font le lit du conservatisme. 

Une protection du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE serait une bonne chose.