L’axe Chiasso-Genève

Une plaque tectonique vient de bouger en Suisse. Après Neuchâtel avec l’UDC Yvan Perrin, Genève est le deuxième canton romand à réserver un triomphe aux candidats au Conseil d’Etat articulant un discours anti-frontaliers. Le résultat devra être confirmé lors du second tour le 10 novembre, mais un représentant du Mouvement citoyens genevois, en l’occurrence le conseiller national Mauro Poggia, a de bonnes chances de faire son entrée au gouvernement.

On peut parler de plaque tectonique car jusqu’ici le vote anti-frontaliers était surtout le fait du Tessin, où la Lega s’est durablement installée comme parti d’exécutif. Et jusqu’ici les cantons de Neuchâtel et de Genève s’étaient toujours amplement rangés dans le camp des soutiens à la libre-circulation des personnes, contrebalançant le scepticisme des Alémaniques et des Tessinois sur ce principe fondant les accords bilatéraux avec l’Union européenne.

Le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann va-t-il enfin prendre la mesure du risque ? Faute de mesures d’accompagnement crédibles, le Parti socialiste est à deux doigts de ne plus soutenir la libre-circulation des personnes. Sa direction le déciderait-elle par idéal européen que l’on peut parier que la base des électeurs ne suivra pas. Il est donc plus urgent que jamais de décider d’actions concrètes dans le domaine du logement et du dumping salarial.

La plaque tectonique en mouvement de Chiasso à Genève pourrait bien provoquer des répliques dévastatrices en 2014. Beaucoup de décideurs romands le redoutent. Il faut dire que la libre-circulation des personnes a beaucoup profité à la région. Parallèlement à ses efforts budgétaires, Vaud y a puisé l’énergie pour redevenir un canton dynamique, riche même, au sens où il contribue à la péréquation financière confédérale.

Cette performance est telle que la plupart des cantons romands prévoient pour l’an prochain des chiffres noirs, alors que seuls quatre alémaniques sont en mesure de le faire. Quel renversement en une décennie ! Les Welsches ne se sont pas adonnés à la concurrence fiscale féroce qui a sévi Outre-Sarine, et ils ont diversifié leur tissu économique, la libre-circulation des personnes leur permettant de trouver les employés les plus adéquats. Résultat, l’Arc lémanique connaît une croissance économique supérieure à la moyenne suisse, avec en prime un pactole de rentrées fiscales.

La crainte est désormais que les conditions-cadres qui ont favorisé cette renaissance soient bouleversées par un non à la libre-circulation des personnes au cours d’une des trois votations de l’an prochain, qui entraînerait la résiliation des accords bilatéraux.

Le vote genevois est un dernier avertissement avant le tremblement de terre.

* version en français de ma chronique du Caffè, parue le 13 octobre:

http://caffe.ch/stories/il_punto/44760_terremoto_di_frontiera_da_chiasso_a_ginevra/

Fribourg: mobilisation moindre

Une élection complémentaire tient toujours un peu de la loterie, et permet parfois de faire basculer la majorité du Conseil d’Etat en cours de législature. Ce ne sera pas le cas à Fribourg. Jean-François Steiert n’a pas recapitalisé toutes les voix du premier tour (34505). Il n’est en tête que dans un seul district, celui de la Sarine, mais cette avantage urbain ne suffit pas. Avec 31352 voix, il rate son entrée au gouvernement pour 562 voix. Le PDC Jean-Pierre Siggen est donc  élu à la succession d’Isabelle Chassot.

C’est un revers pour le parti socialiste fribourgeois qui a placé Alain Berset au Conseil fédéral et Christian Levrat au Conseil des Etats dans la foulée. Jean-François Steiert n’ a pas bénéficié du même élan, alors qu’il a beaucoup et très loyalement contribué au succès de ses deux compères.

Genève: choc et tendances

Genève apprivoise l’élection majoritaire à deux tours. Le choc est sanglant: déjà une conseillère d’Etat, la Verte Michèle Künzler, jette l’éponge, reléguée dans le bas du classement.

Devant le succès du MCG, certains ironisent déjà: une Genferei de plus. Ils ne connaissent manifestement pas le Tessin et le succès de la Lega. Toute la Suisse devrait pourtant désormais s’en préoccuper, la non prise en compte des problèmes frontaliers génère un effet populiste durable dans les urnes. Le MCG comme la Lega doit ses triomphes à l’absence de réponses concrètes de la classe politique classique aux désordres ou déconvenues d’une part de la population qui n’adhère pas à la globalisation glorieuse, faute souvent d’en bénéficier. L’avertssement est clair alors que l’an prochain par trois fois les Suisses seront appelés à confirmer le principe de la libre-circulation des personnes avec l’UE.

Le match socialistes/verts tourne court. Les écologistes pensaient faire jeu égal avec le PS. A Genève comme lors des élections fédérales, ils perdent du terrain. Leur message s’est brouillé sous la concurrence des Vert’libéraux. Après les pionniers, la seconde génération de « leaders » peine à porter haut le flambeau. Pour réussir dans un Conseil d’Etat, il faut avoir une personnalité forte, un brin carnassière, en tout cas capable d’encaisser des coups et d’en donner. Le profil de militant gentil et loyal convient bien aux assemblées de partis qui choisissent mais pas à l’exercice du pouvoir.

Avec Pierre Maudet et François Longchamp en tête du premier tour, les libéraux-radicaux confirment une sorte de leadership moral: quand il s’agit de gouverner, leurs personnalités inspirent confiance. Mais les électeurs ne sont pas tout à fait cohérents puisqu’ils ne les dotent pas d’une représentation parlementaire à la hauteur. Dans la roue des PLR, les 2 PDC font une jolie performance.

Rien n’est cependant joué pour le second tour. La gauche peut encore se ressaisir, et le MCG devra négocier finement avec l’UDC pour ne pas galvauder l’avance de Mauro Poggia. D’ici au 10 novembre, il ne sera plus question que de savoir qui a l’étoffe d’un ministre, c’est-à-dire qui est vraiment capable de travailler avec les autres partis au gouvernement comme au Grand Conseil.

Italie: Tu quoque mi fili

Divine surprise, quoiqu’attendue: Angelino Alfano, dauphin préféré de Silvio Berlusconi, secrétaire et numéro deux du Peuple de la Liberté (PDL), a appelé « tout le parti » à voter la confiance mercredi au gouvernement d’Enrico Letta. Au vieux Caïman, à qui il doit sa carrière, Alfano, 43 ans à la fin du mois, préfère sa crédibilité future de politicien. A l’annonce de ce revirement, la bourse de Milan a rebondi. Les marchés n’aiment décidément pas Berlusconi.

« Tu quoque mi fili », avait déjà dit César à Brutus, qui lui portait le coup de poignard fatal.

Bas salaires et vénalité d’en haut

La semaine dernière, le Conseil des Etats a examiné l’initiative de l’Union syndicale suisse (USS) qui vise l’introduction d’un salaire minimum de 4000 francs par mois (22 francs de l’heure).

Le refus d’entrer en matière sur le problème posé fut net: 31 voix contre 13. Les sénateurs de droite ont perdu l’occasion de couper l’herbe sous les pieds des Jeunes socialistes, dont le texte 1:12 est soumis au vote le 24 novembre. En mettant un frein à la sous-enchère salariale, ils leur auraient enlevé de la munition et pris un acompte positif pour les 3 votations de l’an prochain qui mettront en jeu sur la libre-circulation des personnes.

La droite s’accroche au libre marché des salaires, elle ne veut pas voir qu’il est impossible pour un père – plus souvent une mère – de famille de vivre avec moins de 4000 francs par mois. Elle sous-entend toujours que les gens concernés n’ont qu’à être mieux formés pour gagner plus. Mais, on aura toujours besoin de femmes de chambre dans les hôtels, de serveurs dans les restaurants, de coiffeurs et de coiffeuses, de nettoyeurs, de femmes de ménage, de jardiniers, de vendeurs… On devrait donc revaloriser leurs salaires pour qu’ils ne quittent pas ces professions obligeant ainsi à recruter à l’étranger de nouveaux employés pour les remplacer.

En plus, ces bas revenus contraignent les collectivités publiques, cantons et communes, à augmenter leurs aides sociales. Est-ce vraiment à l’Etat de compenser les manquements du secteur privé?

Ceux qui prétendent cela sont pourtant aussi ceux qui veulent limiter les impôts, et donc priver l’Etat des moyens de mener des politiques sociales. C’est totalement incohérent.

Ce manque de lucidité finira par avoir des conséquences dans les urnes. Le principe de 1:12  pour les hauts salaires – que personne au sein de la même entreprise ne gagne en un mois ce que les autres mettent une année à encaisser – est d’ailleurs curieusement combattu. On nous parle de cotisations AVS perçues en moins (ce qui reste à démontrer puisque on peut imaginer que la masse salariale restera inchangée mais mieux répartie), de danger pour la place économique (lequel, exactement?), mais les opposants n’argumentent pas  sur le fond : en quoi ces hauts salaires sont-ils justifiables? N’y aurait-il vraiment personne de compétent pour diriger UBS ou Novartis pour 1 million de francs par an seulement plutôt que 20? Pourquoi la vénalité est-elle devenue un critère d’embauche ? Qui peut démontrer scientifiquement sur au moins deux décennies qu’il y a un lien entre performance économique de l’entreprise et rémunérations stratosphériques?

* Cette chronique est parue en italien dans Il Caffè du 29 septembre.

 

Des primes impayables

C’est fou comme en matière d’assurance-maladie, on s’est habitué au scandale. Dans la valse des statistiques que nous vaut la publication ce jour du montant des primes pour l’an prochain, ce chiffre: 2,3 millions d’assurés bénéficient d’une réduction.

Comme ces choses-là sont joliment dites! Un tiers des assurés ne pourrait pas payer ce qu’il « doit » aux caisses sans l’aide de l’Etat.

Et on veut doucement continuer comme cela? A coup de petites hausses chaque année resserrant le noeud jusqu’à étrangler toujours un peu plus les familles et les foyers âgés?

La proportion des « subventionnés » reste la même ces dernières années, nous dit-on. Cela ne me rassure absolument pas. On s’est habitué au scandale.

Une victoire pour Ueli Maurer?

Que penser du haut taux de refus de l’initiative du Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA) sur l’abrogation de l’obligation de servir?

Une défaite pour les pacifistes et les antimilitaristes, assurément.

Une victoire pour le système de milice, assurément.

Un triomphe du mythe, à l’évidence, qui risque de compliquer la tâche de ceux qui veulent réformer l’armée pour la rendre plus apte aux défis du XXIième siècle.

Mais une victoire pour Ueli Maurer? J’en doute. Les Suisses ont plébiscité une certaine idée d’eux-mêmes, un peu datée, mais rassurante. Quant au pouvoir de conviction du chef du DDPS au près de la population, on en reparlera prochainement quand on votera sur le Gripen.

Luxe à Fribourg

Pas d’élu au Conseil d’Etat aujourd’hui. 478 voix séparent le PDC Jean-Pierre Siggen du socialiste Jean-François Steiert. Un mouchoir de poche, mais un second tour quand même déclenché par la présence d’un indépendant inconnu, Alfons Gratwohl, qui a élevé le seuil de la majorité absolue.

On ne sait pas s’il faut en rire ou en pleurer.  Est-ce l’honneur ou la négation de la démocratie de permettre à des inconnus sans parti de jouer les trouble-fête? L' »ego trip » du candidat inconnu va coûter cher aux contribuables, un luxe pour rien.

Seul avantage de la manoeuvre, les deux camps qui se font face peuvent espèrer un résultat plus net. Rater le Conseil d’Etat pour moins de 500 voix ou basculer à gauche pour si peu, ce serait trop terrible pour le perdant.

A noter: une participation maigre, même pas un Fribourgeois sur deux pour trancher le duel. Le sort de l’école fribourgeoise indiffère-t-il autant la population?

Gagnera le 13 octobre prochain le camp qui sera le plus motivé et le plus uni. Avantage Steiert, donc.

Shops: victoire en trompe-l’oeil

Avec près de 56% de oui, les partisans d’un assortiment complet dans les  shops ont fait mieux que ce qu’indiquaient les sondages. L’argument de l' »absurdité administrative » a porté. Mais, justement, 56% seulement pour mettre fin à une petite absurdité administrative ne concernant que quelques consommateurs noctambules, ce n’est pas gigantesque.

Que la droite se méfie de cette victoire en trompe-l’oeil, la libéralisation des heures d’ouverture des magasins n’est pas gagnée d’avance. Le vote négatif de cinq cantons (dont trois romands) atteste d’une sensibilité à fleur de peau sur le sujet. L’aversion des Suisses pour les normes bureaucratiques a parlé, mais leur attachement aux valeurs traditionnelles de la famille et de la pause dominicale reste intact.

Didier Burkhalter: « Au DFAE, j’ai pu ouvrir les fenêtres »