Les proeuropéens sont patriotes

Un lecteur m’interpelle sur Facebook en réaction à un texte traitant des relations conflictuelles entre la Suisse et l’Union européenne: «J’aimerais, si possible, tant voir L’Hebdo défendre une fois au moins le pays dont il est issu.» Le 1er Août est une bonne date pour s’expliquer.

Il est évident pour moi que l’on peut être patriote et partisan de l’adhésion de la Suisse à l’UE et/ou soutenir toutes sortes de rapprochements avec les 28. En plaidant cette cause, ou en analysant l’actualité à travers ce prisme, j’ai la conviction de défendre la Suisse. Position devenue très minoritaire, certes, libre à chacun d’en avoir une différente, mais la démocratie d’opinion dans laquelle nous vivons, j’espère, la rend recevable.

C’est un procès indigne d’un vrai démocrate que de sous-entendre que ceux qui sont partisans d’un arrimage à l’UE auraient un attachement moindre à la Confédération et n’auraient pas à cœur de promouvoir ses intérêts. L’opprobre est aussi vieux que le débat européen, puisque lors de la campagne contre l’Espace économique européen en 1992 des conseillers fédéraux avaient été traités de «traîtres à la patrie». Le reproche se teinte via les réseaux sociaux de menaces: les proeuropéens et certains journalistes de L’Hebdo devraient être «fusillés dans le dos», «jetés dans une fosse et recouverts de chaux». Quelles sont au juste les valeurs «suisses» de ceux qui écrivent cela?

Christoph Blocher le martèle: notre gouvernement aurait peur de Bruxelles, ne saurait pas résister à ses diktats, il plierait l’échine sans combattre. En fait, c’est Blocher lui-même qui a peur de l’UE. Il redoute qu’à son contact la Suisse ne tienne pas le choc, perde son identité. L’ancien ministre manque de confiance dans notre pays, il ne croit pas que la Suisse puisse continuer à prospérer si elle joue loyalement avec les mêmes cartes que les autres, il ne croit pas qu’un petit Etat puisse avoir de l’influence dans un grand ensemble. Il ne croit qu’au pouvoir des plus forts, pas au génie et à la pugnacité des petits.

Défendre l’adhésion de la Suisse à l’UE, ce n’est pas abdiquer, la livrer pieds et poings liés, mais croire que, comme les 28 autres nations qui ont rallié la communauté depuis 1957, la nôtre saura s’imposer, tirer son épingle du jeu, rayonner.

Ma conviction en la matière repose sur une lecture de l’histoire suisse qui n’est pas celle de l’UDC. Que la Confédération soit née en 1291 ou en 1848 importe peu. De tout temps, les Suisses ont vécu de leurs échanges avec les Européens. Ils n’ont pas été «à contre-courant», comme le soutenait l’ancien conseiller fédéral Georges-André Chevallaz, mais imbriqués dans le destin continental.

Comment se serait développée l’ancienne Confédération sans le commerce transitant par le Gothard? Les Suisses ne se sont pas retirés des guerres européennes après Marignan, ils ont loué leurs services aux monarques les plus offrants. Avec le mercenariat, ils ont pratiqué l’émigration économique à un degré qui devrait nous rendre indulgents. La neutralité n’a jamais été une fin en soi mais un moyen de notre politique étrangère. Elle nous a préservés des combats, des massacres et des destructions, mais nous avons subi les ondes de choc des conflits mondiaux. Si, politiquement, la neutralité est peut-être parvenue à entretenir une certaine illusion, économiquement, elle n’a jamais existé. Notre neutralité relève d’un story-telling réussi, extraordinairement convaincant même, plutôt que d’une réelle autarcie vertueuse et impartiale.

Affirmer tout cela n’empêche pas d’éprouver une folle fierté à l’égard d’un petit Etat qui a su se montrer malin, rusé, opportuniste, mais aussi généreux, sachant tirer le meilleur parti de ceux qui convergeaient vers lui (réfugiés, inventeurs du tourisme, rebelles en tout genre…), un Etat institutionnellement créatif, organisant et vivant sa diversité avec une grande modernité et une audacieuse avance sur les peuples voisins.

Mise au point nécessaire, être proeuropéen ne signifie pas être eurobéat et congédier tout esprit critique. Outre les avantages que la Suisse en retirerait en termes économiques, politiques, culturels et scientifiques, j’aimerais que nous soyons membres de l’UE pour corriger, changer, faire évoluer la structure. L’UE est pleine de défauts, mais nous n’aurons prise sur aucun aussi longtemps que nous n’en serons pas membres. Je ne crois pas pour autant que la Commission soit un «monstre» et son administration une «hydre bureaucratique et dictatoriale». Evoluer en se concertant à 28 est compliqué, ardu, frustrant. Bruxelles sert de bouc émissaire aux Etats-nations impuissants ou pleutres.

Penser qu’avec son vote du 9 février la Suisse s’est fourrée dans une impasse au point de ne plus savoir comment en sortir relève dès lors d’un amour aussi inquiet que lucide.

  • Texte paru dans L’Hebdo le 31 juillet 2014

9 février: 1,5 million de Suisses ont décidé pour 5,2 millions d’adultes

En démocratie, la majorité + 1 décide.

Je ne le conteste pas, c’est une bonne règle.

Mais il me semble que depuis le 9 février, on a un léger problème de légitimité du fait de l’abstentionnisme et de la définition du corps électoral:

– ceux qui ont voté oui à l’initiative contre l’immigration de masse sont 1 463 954 citoyens

– ceux qui ont voté non  sont 1 444 428

– le nombre d’électeurs inscrits est de 5 189 562 hommes et femmes

– la participation n’a été que de 55,8%, ce qui veut dire que 4 Suisses sur dix n’avaient pas d’avis sur cet enjeu, présenté comme LE scrutin de la législature
– on sait depuis l’analyse Vox, dévoilée la semaine dernière, que seuls 17% des 18-29 ans sont allés voter
– on sait par ailleurs que la Suisse compte environ 1,4 million d’étrangers âgés de plus de 18 ans
– donc environ 2 281 180 Suisses n’ont pas voté, si on ajoute les étrangers qui ne peuvent pas voter, cela fait 3 767 980 adultes, et si on ajoute ceux qui ont voté non, cela fait  5 212 408 adultes pris en otage par 1 463 954 oui…
– cqfd, on a un sacré problème de légitimité……..
De ce point de vue là, le vote du 6 décembre 1992, qui avait également divisé la Suisse en un camp de 49,7% et un autre de 50,3%, était beaucoup moins contestable car le taux de participation s’élevait à 78,7%.
Je dis ça, je ne dis rien, comme disent les jeunes. Mais n’est-ce pas préoccupant pour une démocratie dite modèle?

Suisse-UE: divorce assumé

Joachim Gauck a osé. * Lors de sa visite officielle du 1er avril, visant explicitement la votation sur l’immigration, le président allemand a osé dire que la démocratie directe a parfois des « désavantages », et qu’elle peut représenter un « grand danger » lorsque les citoyens ont à se prononcer sur des objets complexes dont il est difficile de saisir toutes les implications.

Cette franchise amicale a mal passé. Notre démocratie directe serait si parfaite qu’elle ne supporterait pas la moindre critique. Ceux qui s’offusquent devraient savoir que la noblesse du système démocratique par rapport aux dictatures ou aux royautés c’est d’admettre avec bonheur la critique, de favoriser même l’objection constructive, et surtout de se sentir assez légitime pour ne pas craindre la remise en cause.

Les Suisses feraient bien d’entendre la réflexion de Joachim Gauck, car celui-ci est le président d’un pays qui a sombré dans la barbarie la plus absolue en sanctifiant les émotions populaires. L’Allemagne, qui a surmonté son passé nazi mais aussi la parenthèse communiste à l’Est, est durablement vaccinée contre l’exploitation de la volonté populaire. Son édifice constitutionnel prévoit toutes sortes de garde-fous pour éviter les dérives.

Joachim Gauck n’est pas un cas isolé. La nomination cette semaine d’Arnaud Montebourg comme ministre de l’économie du nouveau gouvernement français a donné une résonance particulière aux déclarations de celui-ci sur la « lepénisation » de la Suisse et le « suicide collectif » que constituerait le vote du 9 février. Décidément, les dirigeants des pays voisins ont perdu leur mansuétude d’antan à notre égard.

L’indignation est malvenue. L’analyse Vox qui vient de sortir nous renseigne sur les motivations des votants le 9 février. C’est une vraie bombe. Elle signale une profonde défiance envers le Conseil fédéral et envers l’Union européenne, surtout parmi les sympathisants des partis de droite. Encore plus dérangeant pour les partis scotchés à la poursuite de la voie bilatérale, comme les libéraux-radicaux et les démocrates-chrétiens, elle indique que 90% de ceux qui ont voté oui à l’initiative de l’UDC se sont dit prêts à assumer la résiliation des accords bilatéraux qui pourrait en être la conséquence.

Donc, les Européens ne comprennent ni nos fonctionnements ni nos objectifs, et nous nous en fichons complétement. Une majorité de Suisses pense sérieusement que l’accès aux marchés européens pourrait être limité, afin que moins d’étrangers affluent chez nous, et que cela serait vraiment mieux ainsi.

Cela s’appelle un divorce. Sec et net. On peut sérieusement douter que le processus de conciliation que tente actuellement le Conseil fédéral aboutisse jamais.

* Cronique parue en italien dans le Caffè: http://www.caffe.ch/stories/il_punto/46506_un_divorzio_consumato_sullaltare_democratico/

9 février: les marges de manoeuvre du Conseil fédéral sont limitées

Après le choc du 9 février, le Parlement en session de printemps oscille entre nervosité, créativité et désarroi. Nervosité: les députés esquivent tout débat sur l’origine du fiasco sur un air «d’à quoi bon». Refaire l’histoire ne permettra pas de la changer, et il y a dans la politique suisse un tempo implacable qui oblige à se focaliser sur les prochains scrutins, agendés de toute éternité. Surtout, dégager des responsabilités aboutirait à un constat insupportable: c’est toute une classe politique qui a failli, de droite à gauche, incapable depuis vingt ans de contrer l’isolationnisme de l’UDC, s’y laissant piéger par paresse, par indécision (PDC), par absence de convictions propres (PLR), par opportunisme électoral (PS).

Les talents se révèlent dans les épreuves. Puisque le modèle qui nous a valu une décennie de croissance est anéanti et qu’il faut reconstruire, les idées fusent. C’est la créativité du désespoir. La génération qui a grandi avec le blochérisme voit d’un coup arriver le moment de gagner son émancipation. Avec un mélange d’effroi et de fébrilité. Le Conseil fédéral est en première ligne pour appliquer l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» sans mettre en péril la poursuite et la rénovation des accords bilatéraux avec l’Union européenne. Une mission impossible pour laquelle il doit se dégager des marges de manœuvre. Traditionnellement, tout problème réputé insoluble a des chances de se dissoudre grâce au temps et/ou à l’argent.

Sur le papier, le gouvernement dispose de trois ans. De fait, il n’a qu’une année pour avancer ses solutions. La perspective des élections fédérales d’octobre 2015 risque de rendre toute option présentée trop près de l’échéance otage de réflexes électoralistes à court terme, alors qu’il s’agit justement de rebâtir à long terme.

Face à l’UE, nos diplomates étaient passés maîtres dans l’art d’obtenir des répits pour s’adapter en douceur. Pas sûr que l’UE soit encore disposée au pragmatisme. Mais si Bruxelles montre un peu de compréhension, après les élections européennes, la Suisse pourrait élaborer un modèle de contingentement compatible avec la libre circulation. De nouveaux permis de travail ne seraient délivrés qu’au bout de quelques mois, sur le modèle du «personnel stop» que les entreprises pratiquent parfois. Le grain de sable serait de nature administrative, personne ne serait discriminé puisque tous les immigrés potentiels devraient patienter un peu, mais la mesure entraînerait les employeurs à s’intéresser d’abord à la main-d’œuvre nationale directement disponible. L’économie céderait moins facilement que jusqu’ici à la facilité du recrutement sur le marché européen.

L’autre façon de dompter les effets ravageurs de la crise est de sortir son chéquier: payer pour réparer les dégâts, effacer les erreurs.

Ce vieux réflexe helvétique en cas de coup dur risque de se heurter à un obstacle qui n’existait pas naguère: le frein à l’endettement. Le Conseil fédéral ne pourra pas à loisir sortir des milliards de francs pour compenser un désavantage ici, s’acheter des bonnes grâces là-bas. Il peut réaffecter des crédits comme il envisage de le faire pour Erasmus +. Il ne pourra pas les multiplier sans se contraindre à couper dans d’autres pans de son budget, arbitrer entre les besoins des départements, ou retourner devant le peuple.

Cette étroitesse des moyens financiers aura un impact sur l’autre casse-tête trituré par le Conseil fédéral: la réforme de la fiscalité des entreprises et son impact sur les recettes des cantons. Les régimes privilégiés pour les holdings étrangères, déjà sous pression de l’UE avant le 9 février, sont condamnés depuis que les sociétés concernées n’ont plus la garantie de pouvoir faire venir le personnel adéquat. Les cantons doivent annoncer leurs envies en matière de taux d’imposition sans savoir à quelle hauteur la Confédération couvrira d’éventuelles pertes fiscales. Le Département des finances aura beau jeu de dire qu’ils ont mal calculé les conséquences de leur choix.

Dans cet exercice périlleux, le fédéralisme joue à la roulette russe: de riches cantons contributeurs à la péréquation risquent de se retrouver à terme dans des situations précaires; tout le processus d’irrigation des cantons à faible capacité contributive est mis en danger.

Jamais l’imbrication entre les enjeux intérieurs et extérieurs n’a été aussi étroite, alors que la classe politique suisse a une manière de fonctionner autarcique sans grande conscience de ses engagements européens. En cela, elle n’est pas un cas particulier: nombre de pays de l’UE feignent d’ignorer la portée de ce qu’ils ont contribué à décider à Bruxelles. Sauf qu’eux sont membres du club européen et disposent de marges de manœuvre bien plus larges pour surmonter les tensions entre volontés nationales et logiques fonctionnelles communautaires.

Article paru dans L’Hebdo le 13 mars 2014

Où est passé le Général Dufour?

Waouh! Le président du Conseil National Ruedi Lustenberger (PDC/LU) a appelé les Suisses à se réconcilier après le vote du 9 février. Et il a évoqué rien moins que la guerre du Sonderbund.

J’aime bien les références historiques, mais « la guerre du Sonderbund », quand même, il n’exagère pas un peu, M. Lustenberger?

L’appel à la cohésion nationale, c’est un must des votes post-traumatiques: « Aimez-vous les uns les autres et la Suisse ira mieux. »

Je crains toutefois que cette fois-ci, ce ne soit un peu plus compliqué. Il ne faut pas nier le trauma, mais l’affronter si on veut résoudre la terrible équation de nos relations avec l’Union européenne. Les Suisses ne sont pas d’accord entre eux sur un objet majeur concernant leur avenir, leur vision du monde, leur manière de fabriquer de la prospérité.

« Il faut se réconcilier », dit M. Lustenberger, mais se réconcilier pour quoi faire exactement ensemble?

Tant qu’à évoquer notre glorieux XIX ème siècle, je me pose une question: où est passé le Général Dufour?

C’est vrai, où sont passés les grandes personnalités qui traitaient le destin de la Suisse comme une affaire personnelle de la plus haute importance? Notre époque manque cruellement de visionnaires engagés dans la gestion des problèmes concrets.

Nous disposons de diviseurs (Blocher et les siens), de gestionnaires réparateurs dévoués (le Conseil fédéral, M. Lustenberger et plein de parlementaires), mais je ne vois personne qui rassemble, qui dirige (au sens d’indiquer une direction) et qui inspire. 

Et vos voisins zurichois, M. Blocher?

Cher Monsieur Blocher,

Donc, nous, Romands qui avons voté non à votre initiative aurions « une consciences nationale plus faible »?

Permettez moi de vous dire que pour penser un truc pareil, il faut avoir une compréhension très déficiente de qu’est la Suisse, de ce que fut son histoire, un respect faible du fédéralisme et des minorités.

Mais surtout, une question: vos voisins et vis-à-vis de la Goldküste zurichoise, votre canton de Zuriche, que dis-je votre fief électoral historique, ont-ils aussi « une conscience nationale plus faible » eux qui ont voté en majorité comme nous les Romands non à votre initiative contre l’immigration de masse?

Et les Bâlois, dont vous avez racheté le journal, ils ont aussi « une conscience nationale plus faible »? Et les Zougois?

Dans votre interview scandaleuse, vous pointez du doigt que Zurich est une ville rouge-verte. Les communes de la Goldküste zurichoise qui ont voté non, vos voisins, vos vis-à-vis de part et d’autre du Lac, sont-ils passés à gauche?

Le président de votre parti Toni Brunner avoue ce matin dans le Blick que « le clivage ville-campagnes lui donne mal au ventre », mais est toujours incapable de donner le moindre chiffres sur la manière dont il faudrait limiter l’immigration. Je ne permettrai pas de juger la conscience nationale du président du plus garnd parti de suisse, mais je trouve que son sens des responsabilités est « faible ».

Nous les Romands avons perdu cette votation de 2014, comme nous avions perdu celle de 1992. Vous ricanez, heureux de ce nouveau bon coup. Mais quelque chose a changé, M. Blocher. Votre canton, Zurich, n’est plus derrière vous.

Maurer à Bruxelles

S‘il faut renégocier avec l’Union européenne, alors envoyons Ueli Maurer à Bruxelles.

Evitons la décennie perdue post 6 décembre 1992.

L’UDC discréditera tout résultat de renégociation avec l’UE obtenu par Didier Burkhalter, donc il faut mettre l’UDC devant ses responsabilités.

C’est un peu simple de la part des élus UDC de dire que « la balle est dans le camp du Conseil fédéral. »

Dès sa prochaine séance, le Conseil fédéral doit confier le DFAE à Ueli Maurer par un vote du collège.

(sous réserve du vote ZH, pas disponible à 16h39)

FAIF, OK, immigration-aïe

Apparemment, le programme FAIF va passer très bien, à plus de 60% de oui. Réjouissons-nous de cette manne pour les trains, qui va irriguer tout particulièrement la Suisse romande.

La fin de l’après-midi risque d’être plus cruelle.

Une majorité de cantons se dessine pour l’initiative contre l’immigration de masse. Ce sera serré comme prévu pour la majorité du peuple. Le vote des centres urbains, des noeuds économiques, sera décisif. Mais, on distingue déjà un Roestigraben qui va se superposer au fossé villes-campagne. Un furieux goût de 1992. Un pays coupé en deux, des Alémaniques et des Romands divergeants sur un choix crucial pour la prospérité du pays, cela va faire très mal.

Le 9 février, je rigole

Il y a deux ou trois éléments de langage des promoteurs de l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse qui m’énervent.

Je préviens. Ceux que ça énerve d’avance que ça m’énerve devraient peut-être cesser la lecture ici.

«L’UDC seule contre tous»

D’abord l’UDC n’est pas seule à soutenir son texte, il y a aussi la Lega dei Ticinesi, les Verts tessinois, l’ASIN…

Mais, la liste des gens qui s’y opposent est impressionnante, lisez-la ici.

Il conviendrait peut-être d’imaginer que l’UDC se trompe si autant de gens, qui vont des boulangers aux chercheurs en passant par tous les gouvernements cantonaux, repoussent sa proposition.

«L’UE n’osera pas rompre avec la Suisse»

C’est probable, car il est fort douteux qu’elle prenne le temps d’y penser.

«Si l’initiative est acceptée, ce ne sera pas la catastrophe»

Si on entend par catastrophe une sorte de tsunami qui engloutirait la Suisse le 10 février à midi de Romanshorn à Genève, alors oui, certes, elle n’aura pas lieu.

Mais ce 10 février sera un peu comme la chute de Rome. Les vandales avaient pris possession de la ville et de l’empire, mais les gens ont continué à vivre, naître, aimer, travailler,…  Ce n’est que bien plus tard que les historiens ont mis une césure. Les habitants de l’époque avaient le sentiment que l’empire continuait autrement : rien ne s’est arrêté, mais tout était en train de changer sans que les contemporains s’en aperçoivent.

«La catastrophe annoncée durant la campagne de l’EEE en 1992 n’a pas eu lieu»

C’est faux, les années suivantes ont été celles de la stagnation économique, ce n’est qu’à partir des accords bilatéraux que la Suisse a renoué avec un chemin de croissance. Il y a eu une décennie de perdue, ce n’est pas rien.  Le refus de l’EEE (Espace économique européen) a aussi mis notre compagnie aérienne Swissair, fierté de la nation, dans une telle impasse, qu’elle s’est lancée dans une stratégie de survie et de diversification si foireuse qu’elle en est morte

Et si la voie bilatérale est anéantie par la résiliation de la libre-circulation des personnes, je me demande bien ce que l’on inventera comme substitut à la voie bilatérale, qui était elle-même un substitut à l’EEE ou à l’adhésion à l’Union européenne?

A cet égard, il y a un scénario qui me tord de rire d’avance. Si l’UE se fâche méchant après un oui au texte de l’UDC (ce qui n’est pas certain, j’en conviens), si elle se montre intransigeante dans de nouvelles négociations, savez-vous l’unique porte de sortie qui s’offrira à nous au bout de deux ou trois ans de marasme diplomatico-bureaucratico-juridique, afin de garantir notre accès au marché européen?

Je vous le donne en mille:

L’exacte inverse de ce que souhaite l’UDC.

Ce qu’elle veut éviter à tout prix:

Une demande d’adhésion à l’Union européenne.

Comique, non? Votez non, le 9 février.

Tessin: que Calimero se prenne en mains

Mes collègues du Caffè m’ont demandé de répondre à la question suivante: est-il vrai que Berne traite mal le Tessin ou les Tessinois sont-ils de petits Calimeros qui se plaignent tout le temps?

Ma réponse:

Berne traite-t-il mal le Tessin ? Oui, la faute en incombe principalement au Parlement incapable d’élire un conseiller fédéral tessinois, et trop hésitant dans l’introduction d’un gouvernement à 9 membres, qui permettrait de contenter partis et régions, de mieux répartir la charge de travail interne et externe du gouvernement, et donc de mieux répondre aux attentes de toute la population.

Le Tessin a-t-il raison de se plaindre ? Oui, face à Zurich et à Berne, nous sommes tous des petits calimeros. Et même le canton de Berne souffre du manque de considération des autres, et même celui de Zurich s’agace de toujours être critiqué et jalousé.

Le fédéralisme, c’est la concurrence, c’est la loi de la jungle: pour survivre, il faut bousculer les autres, crier un bon coup.

Car si on veut que cela change, si on veut obtenir quelque chose (une prise en compte des besoins, des subventions, de l’attention,…), il ne faut pas craindre de s’exprimer.

Problème, sous la Coupole fédérale, il y a de moins en moins de gens qui comprennent l’italien. On pourrait se dire que ce n’est pas grave, car les Tessinois sont de très doués multilingues qui peuvent exprimer leurs désirs en allemand ou en français. Mais, derrière l’incapacité linguistique se cache un profond désintérêt culturel de la part de la majorité alémanique. Pascal Couchepin l’avait dénoncé : il n’est pas bon que la politique nationale soit pensée et gouvernée seulement en allemand, le génie du français et de l’italien sont indispensables à l’élaboration de solutions «suisses», pas uniquement alémaniques. Les Romands se plaignent comme les Tessinois de leur sous-représentation dans les hauts postes de l’administration fédérale, une lacune insupportable que le Conseil fédéral ne combat que très mollement.  Les minorités latines ne sont perçues qu’au travers de clichés : Tessin = grotto + Merlot, Suisse romande = vin blanc + salon de l’auto.

Les Romands, justement, sont-ils encore les meilleurs alliés des Tessinois ? Hélas, la solidarité latine est à géométrie variable. Une profonde divergence de vue sur l’avenir du pays sépare les deux entités. Jusqu’ici, les Romands ont été de chauds partisans de la libre-circulation des personnes et de la voie bilatérale avec l’Union européenne alors que le Tessin s’est rangé dans le camp des Neinsager. On s’aime, mais on ne se comprend plus.

Le Tessin a raison de se plaindre, mais geindre et protester n’est jamais l’unique attitude recommandée. Il faut aussi agir en fonction de ses possibilités et de ses responsabilités propres. Le Tessin est envahi quotidiennement par des  frontaliers et les travailleurs détachés « voleurs de travail » et qui nourrissent le dumping salarial. Qui  les engage, si ce n’est des Tessinois eux-mêmes ? Le canton n’a-t-il pas aussi un problème de cohésion économico-sociale qu’il pourrait entreprendre de résoudre par lui-même en favorisant le partenariat entre employeurs et main d’œuvre locale?