À la veille du tricentenaire de sa mort, le Major Davel continue de fasciner au point que les députés au Grand Conseil discutent de l’opportunité d’une réhabilitation : faut-il révoquer la condamnation à mort de celui qui entreprit, seul, de libérer le Pays de Vaud de l’oppression bernoise ? Au regard de l’histoire, le Major a déjà gagné : il est la figure la plus célèbre et la plus célébrée du canton, fédérant malgré lui les adeptes de la désobéissance civile comme les partisans de « l’amour des lois » invoqué dans l’hymne vaudois. Ce numéro de Passé simple explore les facettes d’un mythe taillé pour traverser les siècles.
Considérons d’abord l’homme ou plutôt ce que l’on en sait, au vu de la maigreur des sources contemporaines de son étrange épopée. S’il n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer : Davel présente toutes les caractéristiques qu’aujourd’hui encore on prête aux habitants de ce coin de pays. Humble et dévoué, prêt à se sacrifier pour une grande cause mais qui ne parvient pas à convaincre. En bon vaudois, il a la révolte entêtée et reste avare d’explications. Entre orgueil et modestie, il renvoie à leur vile médiocrité les personnes qui ne saisissent pas la portée de son action.
Quel est son message justement ? Rendre aux Vaudois leur liberté et leur dignité, revendication d’avant-garde dans ce 18ième siècle qui sera celui des Lumières et de la remise en question du despotisme et du droit divin. Le temps lui donnera raison. Mais à plus long terme, son glorieux échec sonne comme un puissant avertissement aux idéalistes tentés d’agir en solo : même si la cause est juste, il est vain d’avoir raison si on néglige de nouer des alliances. Les révolutions vaudoises à venir seront portées par des élans plus collectifs et mieux organisés.
Etrangement, dans le panthéon cantonal et la mémoire populaire, Davel a éclipsé une autre figure de la lutte pour l’indépendance et la liberté qui a pourtant bien mieux réussi son coup : Frédéric-César de la Harpe, doté d’un impressionnant réseau de contacts utiles tant dans le Paris révolutionnaire qu’à la Cour de Russie.
Le mythe du révolté, précurseur et incompris, est un miroir à fantasmes, il autorise toutes sortes de récupérations alors qu’une carrière politique comme celle de La Harpe, documentée par une correspondance prolifique limite les réinterprétations.
Le poète Jean-Villard Gilles disait de la Venoge qu’elle est un fleuve « à nous, c’est tout vaudois ». Canton suisse, Vaud révère Guillaume Tell, figure de l’insoumission aux lois iniques qui traverse toutes les époques et les enjeux. Mais il est fier et soulagé d’avoir avec Davel un mythe rien qu’à lui.
*Texte paru dans le numéro 77 de Passé simple en septembre 2022