UDC: Un président et quelques points d’interrogation

L’arrivée de Marco Chiesa changera-t-elle quelque chose dans la politique suisse? Le Tessinois, qui devrait être désigné à la présidence de l’UDC le 22 août prochain, va très vite connaître son baptême du feu, avec la votation du 27 septembre sur la libre-circulation des personnes. Avec la crise climatique et le COVID19, le camp souverainiste ne peut plus se contenter de ses slogans habituels. Analyse.*

Pour les Latins, il n’est pas anodin que Marco Chiesa entre dans le club des présidents de partis gouvernementaux. Petra Gössi et Gerhard Pfister n’ont pas une grande sensibilité pour les minorités linguistiques. Il est inédit que l’UDC confie les rênes à un non-alémanique. Le parti veut-il prouver son assise aux quatre coins du territoire, comme lorsqu’il a projeté Guy Parmelin au Conseil fédéral? Ou avoue-t-il une terrible faiblesse: l’absence de relève dans ses fiefs d’origine?

Âgé de 18 ans en 1992, Marco Chiesa voit en Christoph Blocher un héros pour le combat qu’il a mené contre l’Espace économique européen. Président de l’UDC, sera-t-il une marionnette des Blocher père et fille, ou saura-t-il s’émanciper?

Souverainiste, le conseiller aux Etats tessinois connaîtra son baptême du feu le 27 septembre avec la votation sur l’initiative de résiliation de la libre-circulation des personnes. Si l’UDC gagne, sa présidence sera lancée en fanfare, et c’est lui qui devra donner le ton face aux autres partis, tous dans le camp des perdants. Le parti aura au passage cassé l’aura de Karin Keller-Sutter la brillante pragmatique.

Si l’UDC perd, Chiesa devra éviter de passer pour un gestionnaire du déclin et vite rebondir sur la prochaine échéance: l’accord-cadre avec l’Union européenne. Sur cet enjeu crucial, la discussion se fera en italien. Pour une fois, les Tessinois ne se sentiront pas exclus du débat. De la part de l’UDC, ce n’est pas mal joué de mettre Chiesa dans les pattes du duo Cassis-Balzaretti. Mais sera-t-il capable de tenir le choc?

Face aux libéraux-radicaux raisonnablement ralliés aux bilatérales par obsession de ne pas évoquer l’adhésion à l’UE, le défi sera pour lui de tenir une position crédible économiquement. Nos accords bilatéraux avec l’UE constituent le plan B de l’EEE rejeté en 1992. Sur les alternatives à ce plan B, l’UDC n’a produit aucun argumentaire sérieux, elle se contente de slogans incantatoires, qui tournent en boucle.

Le besoin de protection a muté

Le parti blochérien a construit son hégémonie sur le rejet de l’Europe et des étrangers, prétendant en protéger les Suisses. Or, le besoin de protection vient de muter. La crise du COVID19 s’accompagne du retour en grâce de l’Etat et des services publics. Avec son idéologie anti-étatiste et anti-fiscale, l’UDC est prise en porte-à-faux. Le PLR peut, lui, se réclamer de sa tradition historique étatiste. Il a déjà, mieux que l’UDC, amorcé le tournant écologique.

Les questions d’aujourd’hui pas celles d’hier

Afin de prouver qu’il n’est pas à la présidence de l’UDC par défaut, Chiesa devra répondre aux questions d’aujourd’hui pas à celles d’hier: comment maintenir notre haut niveau de vie en sabotant les facilités d’accès au grand marché européen? comment financer la transition énergétique? comment exister commercialement sans devenir un vassal des Chinois ou des Américains? comment protéger nos libertés dans le nouveau monde numérique? Sur ces enjeux, les autres partis, à droite comme à gauche, sont clairement positionnés et alimentent des débats préalables aux compromis, là où l’UDC peine à assumer une culture de responsabilité gouvernementale.

Marco Chiesa veut-il singer son héros ou projeter l’UDC dans l’après-Blocher? La politique suisse, paralysée depuis trop longtemps par l’inertie et le poids des souverainistes, aspire à un leadership à droite plus consistant et plus inspiré que celui de ses prédécesseurs.


Cet article est paru en italien le dimanche 9 août dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè, et le 12 août 2020 sur le site Bon pour la tête