Ecopop: dérapages de Philippe Roch

En Suisse romande, la campagne sur Ecopop vient de déraper avec l’extraordinaire hargne exprimée par Philippe Roch. Lors de son passage sur RTS La Première, lundi matin, il s’est déchaîné contre ceux qui osent questionner son soutien à l’initiative, et contre le Conseil fédéral, en particulier. Tous n’auraient « rien compris » au texte sur lequel nous votons le 30 novembre.

Un ancien haut fonctionnaire de la Confédération qui traite la classe politique de «clique », voilà qui est inélégant, déloyal face à l’ancien employeur qui lui sert une retraite confortable, et inquiétant quant à l’état délétère du climat politique.

Mais l’ancien Chef de l’Office fédéral de l’environnement a aussi demandé la démission d’Alain Berset avec une virulence effrayante. Le conseiller fédéral a peut-être été maladroit dans sa communication, mais au bout du compte il n’a pas moins le droit que M. Roch d’exprimer un point de vue un peu carré.

C’est triste de voir un ancien serviteur de l’État piétiner ainsi la civilité du débat démocratique.

Mais il y a, à mon sens, encore plus affligeant. C’est la réponse évasive donnée par Philippe Roch aux liens que certains des initiants cultivent avec les initiatives Schwarzenbach. Le militant écologiste a déclaré ne pas pouvoir se prononcer, ayant un souvenir trop flou de cette période. Ah bon ? Cet homme qui a fait une partie de sa carrière dans l’administration fédérale a zappé un des débats majeurs qui ont agité la Suisse au tournant des années 1970. Il n’était pourtant pas un gamin à l’époque des faits. Né en 1949, celui qui se proclame humaniste n’a rien à dire sur la vague de xénophobie que les textes lancés par James Schwarzenbach ont suscitée ?

Il est troublant ce trou de mémoire.

Elle est gênante cette incapacité à prendre clairement ses distances avec ceux qui pensent que l’immigration est la cause de tous les « maux » suisses, aujourd’hui comme hier.

Philippe Roch défend son soutien à Ecopop en arguant que le texte pose de bonnes questions. Cette ritournelle sur «les bonnes questions» devient dangereuse. Dans une société démocratique, on peut bien sûr débattre de tout. Mais ce qui compte vraiment ce sont les réponses apportées, leur faisabilité et leur efficacité.

Il faut en finir avec les initiatives outil marketing qui ne servent qu’à capter des voix ou des émotions et qui n’amènent aucune solution.

On ne peut pas inscrire dans la Constitution des bouts de « débats » pour soulager la conscience de quelques uns ou satisfaire leur « ego », notre charte fondamentale ne devrait contenir que des principes et de grandes orientations.

Philippe Roch qui a été si proche des pouvoirs exécutif et législatif devrait le savoir plus que d’autres.

Lire aussi la réaction de Michel Guillaume « Berset contre Roch: l’escalade verbale »

Ecopop: rebelote?

Le 9 février dernier, 1’463’854 Suisses ont accepté l’initiative « Contre l’immigration de masse ». Que feront-ils le 30 novembre prochain ? La question donne des sueurs froides au Conseil fédéral, aux partis, à économiesuisse.

Le sentiment que la croissance n’est pas maîtrisée s’est déjà exprimé lors des votations sur les résidences secondaires en 2012 et sur l’aménagement du territoire en 2013. La loi défendue par Doris Leuthard était d’ailleurs un contre-projet indirect à l’initiative qui voulait geler les surfaces à bâtir pour 20 ans.

La conviction que la « surpopulation étrangère » alimente cette croissance non maîtrisée est légèrement majoritaire dans la population (50,3 %), comme on l’a vu en février.

Dès lors ceux qui ont voté oui en début d’année ont-ils des raisons de rejeter Ecopop, qui souhaite limiter le solde migratoire à 17 000 personnes afin de préserver les ressources naturelles ? Qu’est ce qui a été entrepris pour rassurer ces Suisses qui se sentent oppressés par le spectaculaire développement économique de ces dernières années ?

Rien. Pire que cela, on ne sait toujours pas précisément comment sera appliqué le nouvel article constitutionnel 121a. Le Conseil fédéral consulte, essaie de voir si un mécanisme d’application est possible sans dénoncer l’accord bilatéral sur la libre-circulation des personnes avec l’Union européenne. Mais il ne peut pas prendre l’engagement que le solde migratoire baissera à un niveau (lequel d’ailleurs?) jugé acceptable.

Il le peut d’autant moins que dans l’incertitude sur leurs possibilités d’engager à terme, les entreprises ne se sont pas privées de recruter abondamment sur le marché du travail européen depuis février dernier. Face à la demande de qualification que requière une économie de pointe comme la nôtre, la préférence nationale peine à s’imposer comme un impératif dans les services de « ressources humaines ».

Lors de la votation de février, un solde migratoire annuel de 80 000 était considéré comme inacceptable. Il va flirter avec les 100 000 d’ici la fin de l’année.

On peut bien sûr observer que l’UDC a menti au peuple en prétendant que son initiative contre l’immigration n’aurait pas d’impact sur les accords bilatéraux, garantissant un accès harmonieux des Suisses aux marchés européens. On peut aussi dire que Ecopop est un texte néocolonial raciste. Tout cela est vrai.

Mais il y a fort à parier que ces arguments rationnels ne convainquent pas. Ecopop pourrait ravir la double majorité du peuple et des cantons. Ce sera « rebelote », et ce sera économiquement, diplomatiquement, mais aussi pour les valeurs humanistes de la Suisse, une catastrophe. A force de jouer la montre, de ne pas traiter les problèmes, et de ne pas s’entendre, les milieux politiques et économiques ont pris le risque de voir les bombes tomber à répétition.

* Texte peru en italien dans Il Caffè du 26 octobre

Forfaits fiscaux: gare au Röstigraben

Dans le Sonntagsblick, il y avait dimanche dernier un article sur la péréquation financière entre cantons, plus précisément la raz-le-bol des cantons de Nidwald, Schwytz, Zurich, Bâle et Zoug contraints de financer le canton de Berne, représenté sous la forme d’un ours gourmand avalant un milliard de francs (le record national). Pas un mot sur le fait que Vaud et Genève, les deux seuls contributeurs romands, sont aussi un peu légèrement agacés d’avoir à payer pour des cantons alémaniques:

– a). qui ont cassé la libre-circulation des personnes le 9 février dernier

– b). qui envisagent de bannir l’enseignement du français de l’école primaire.

Vaud et Genève sont certes mentionnés comme cantons donateurs dans un tableau mais l’avis des Romands dans  cette affaire n’est pas considéré comme digne d’être mentionné.

Huit pages plus loin, un autre article est consacré aux forfaits fiscaux, enjeu de la votation du 30 novembre prochain. Il donne notamment l’avis de quelques entrepreneurs de droite qui sont contre leur maintien, et donc pour l’abolition proposée par l’initiative de la gauche. Un autre petit tableau indique que Vaud, Genève et le Valais sont les cantons qui profitent le plus de cette possibilité fiscale.

Aucun lien n’est établi sur la capacité contributive de Vaud et de Genève et cette niche fiscale concédée de longue date aux riches étrangers nomades.

Ceux qui en Suisse romande défendent le forfait fiscal sont avertis:  si l’on ajoute à l’électorat de gauche qui abohorre le forfait, symbole de l’inéquité fiscale, les cantons qui l’ont déjà aboli (ZH, AR, SH, BS, BL), puis ceux qui ne le pratiquent guère, les milieux de droite alémanique peu enclins à concéder des cadeaux fiscaux aux Romands et à respecter la diversité du fédéralisme, il y aura un tonitruant Röstigraben fiscal le 30 novembre au soir.

Ce serait assez piquant qu’après avoir perdu sur 1:12 et le salaire minimum, le parti socialiste finisse par faire passer une de ses initiatives, mais sur le dos des Romands…

Conseil fédéral: l’impossible vœu de Toni Brunner

Dans une récente interview au quotidien Le Temps, Toni Brunner revendique deux sièges pour le Conseil fédéral si l’UDC demeure, après les élections fédérales de 2015, le premier parti de Suisse.

Le président de l’UDC se garde bien de dire qui pourrait être ce nouvel élu. Il n’indique pas clairement non plus qu’un second siège UDC devrait être confié à un Latin, et il omet de dire quel parti devrait lui cèder la place.

Il est normal qu’un président de parti revendique plus de pouvoir. Tous le font. Personne ne s’engage dans la bataille électorale pour rechercher moins d’influence. Mais il est assez piquant de lire ce vœu alors que l’UDC vient de perdre un siège au Conseil d’État neuchâtelois. C’est en effet le libéral-radical Laurent Favre qui a été élu dimanche dernier en remplacement d’Yvan Perrin, contraint de démissionner pour raison de santé. Le candidat de l’UDC n’a recueilli que 17 % des voix.

Le premier parti de Suisse a un gros problème de relève. Lorsqu’il s’agit de gagner des places dans les législatifs, il est très fort. Mais lorsqu’il s’agit de mettre en orbite des hommes et des femmes d’exécutif, il est particulièrement faible. Il ne dispose pas du personnel adéquat, c’est à dire de politiciennes et de politiciens expérimentés, aptes à gouverner avec les autres partis.

Ueli Maurer respecte mieux que Christoph Blocher la collégialité, mais il flirte souvent avec la limite. Il a la légitimité pour lui, mais pas l’efficacité.

La Suisse peut-elle se permettre d’avoir un deuxième Ueli Maurer au gouvernement, un deuxième monsieur sympathique, mais un peu borné, pas très créatif, ni crédible ?

Si la réponse est non, alors il faut faire le deuil une bonne fois pour toutes de la formule magique – proportionnelle – qui sert de référence à la composition du Conseil fédéral.

De fait, depuis 2007 et la scission entre l’UDC et le PBD, la formule magique n’existe plus. En réélisant Eveline Widmer-Schlumpf en 2011, le Parlement a confirmé son état de mort clinique. La proportionnelle, c’est la règle pour le Conseil national, mais le collège gouvernemental doit se construire sur un autre principe.

Il serait temps de passer à un gouvernement fondé sur une convergence programmatique. Une équipe de ministres qui partagent l’essentiel, c’est bien ainsi que fonctionnent les autres démocraties, qu’un parti soit majoritaire ou qu’une coalition additionne les forces idéologiquement les plus proches.

Quel sera le principal dossier de la prochaine législature ? Les relations avec l’Union européenne bousculées par le vote du 9 février dernier. Pour assurer la mise en œuvre de la norme constitutionnelle et rétablir un courant diplomatique normalisé avec Bruxelles, il faudra une équipe soudée. Il faudra donc élire le 9 décembre 2015 des conseillers fédéraux au moins acquis à la poursuite de la voie bilatérale.

Il n’y a pratiquement aucune chance que l’UDC de Toni Brunner soit en mesure de présenter un candidat latin affichant un tel engagement…

* Chronique parue dans le Caffè du 5 octobre