Les limites de la créativité fiscale

Il est des collisions dans l’actualité qui sont troublantes.  * Cette semaine, on a appris que le Conseil fédéral renonçait à supprimer le secret bancaire pour les contribuables suisses. Le projet, présenté par Eveline Widmer-Schlumpf, était une conséquence logique du passage à l’échange automatique d’information exigé par l’OCDE : si nos banques sont contraintes de renseigner les autorités fiscales d’autres pays, pourquoi les nôtres ne pourraient-elles pas en bénéficier aussi ? Les départements cantonaux des finances se réjouissaient d’avance : on estime à 100 milliards le montant des fortunes non imposées, et les pertes fiscales pour la Confédération, les cantons et les communes à quelque 20 milliards.

La droite, UDC et PLR, a lancé une initiative « oui, à la protection de la sphère privée » pour contrer cette juteuse et équitable perspective. Le Conseil fédéral a donc renoncé à aller de l’avant, d’autant que les nouveaux rapports de force au Parlement n’y étaient plus favorables. Les initiants n’ont toutefois pas concédé, à ce stade, le retrait de leur texte, qui doit encore être examiné par les Chambres.

Cette semaine, on a aussi appris que le canton de Zoug veut assouplir les critères d’établissement pour les étrangers fortunés : les personnes disposant d’un revenu imposable d’au moins un million de francs et d’une fortune imposable d’au moins 20 millions de francs ne seraient plus obligées de suivre des cours d’allemand rendus obligatoires il y a deux ans. La gauche s’étrangle d’indignation devant ce « deux poids, deux mesures » et annonce un referendum. La constitutionnalité d’une telle mesure paraît également douteuse.

Cette proposition laisse craindre qu’à terme certains cantons en viennent à  naturaliser plus volontiers les riches étrangers sans faire trop de chichi et sans trop d’exigences d’intégration. Ceux-ci pourraient ainsi  entrer parfaitement légalement dans la catégorie dorée des contribuables suisses, protégés par le secret bancaire.

En Suisse, certains ne semblent toujours pas avoir compris que les pratiques fiscales internationales se musclent et s’unifient. Les états veulent pouvoir taxer les fortunes là où elles se fabriquent et se développent.  L’OCDE vient d’annoncer qu’elle entend promulguer de nouvelles règles pour les multinationales, qui ont démontré des trésors de créativité comptable pour échapper aux administrations fiscales des pays où elles sont établies.

Plutôt que de chercher à réinventer le paradis fiscal perdu, la Suisse ferait mieux de créer des richesses en misant sur la réindustrialisation de son tissu économique grâce à l’innovation technique.

* Texte paru en italien dans Il Caffè