Ecopop: entre impatience et impuissance

Ils ne sont peut-être pas personnellement xénophobes, du moins c’est ce qu’ils prétendent, mais ils refusent de voir que la manière dont ils veulent dompter les flux migratoires est une mesure anti-étrangers.  Cela m’est apparu très clairement en regardant l’autre soir le débat d’Infrarouge: les initiants d’Ecopop veulent alerter l’opinion sur les effets de la démographie sur la viabilité de la planète, mais ils se fichent des conséquences concrètes de leur texte, et ne supportent pas d’y être confrontés par les opposants ou les experts.

Philippe Roch a ainsi tour à tour fustigé les professeurs d’université qui ont tort, les patrons qui ont tort et les élus politiques qui ne font rien.

Il ne semble même pas avoir remarqué que si des personnalités aussi différentes et éloignées idéologiquement que le PLR Christian Luscher et le Vert Robert Cramer sont unis dans cette campagne, c’est peut-être l’indice que c’est lui qui devrait remettre en question sa réflexion ou sa posture.

Pour quelqu’un qui justifie son investissement dans la campagne par la volonté d’ « ouvrir un débat », je trouve que l’ancien chef de l’office fédéral de l’environnement s’est montré peu respectueux de l’opinion de ses contradicteurs.   

Mais, je dois dire que moi qui fais métier d’observer les politiques, je commence à en avoir plus qu’assez d’entendre que les élus, le Parlement, le Conseil fédéral, « ne font rien ». Même si je dois confesser avoir certainement utilisé ce genre de jugement à l’emporte-pièce dans l’un ou l’autre de mes articles.

Je clarifie donc: les politiques, les élus, le Conseil fédéral, les parlementaires font parfois faux (c’est une question de point de vue), ils agissent parfois (souvent) très lentement, ils se montrent souvent peu sensibles à l’un ou l’autre aspect du dossier, mais sous-entendre qu’ils ne font rien du tout Punkt Schluss, rien de chez rien, qu’ils se tournent les pouces et ricanent de l’expression de la volonté populaire,  est un peu facile. Et inexact.

Dans le cas de la mise en oeuvre de l’initiative du 9 février « contre l’immigration de masse », le Conseil fédéral n’a pas encore trouvé de solution, mais on ne peut pas dire qu’il n’a rien fait: des propositions ont été élaborées, une consultation est en cours, les contacts avec Bruxelles ont été nombreux. Mais on ne met pas en oeuvre une norme constitutionnelle qui contredit d’autres votes populaires (sur les bilatérales) en claquant des doigts.

La politique, le Conseil fédéral en première ligne, ne peut pas changer le cadre (ou si vous péférez le contexte) La Suisse n’est pas une île, elle n’a ni la puissance, ni la taille des Etats-Unis, de la Russie ou de la Chine, tentés à différents moments de leur histoire par l’Alleingang (doctrine Monroe chez les Américains). Impossible d’agir sur la migration sans concertation avec les autres pays concernés. Impossible de négocier avec l’Union européenne si elle n’est pas d’accord d’entrer en matière. Ce qui apparaît de plus en plus clairement aussi, c’est que les Ecopopistes ou l’UDC souhaitent changer le cadre, tels des enfants égoïstes qui veulent gagner le jeu tout de suite et changent ses règles pour y parvenir et qui ne comprennent pas que les autres participants refusent ou s’énervent.

Cette attitude est d’autant plus dommageable que le cadre nous échappe à nous Suisses plus qu’à d’autres. Nous n’appartenons ni à l’Union européenne, ni au G20, deux clubs où se prennent des décisions cruciales pour le petit état enclavé dans un grand ensemble et la puissance économique moyenne que nous sommes.

J’observe sur les réseaux sociaux beaucoup de commentateurs se félicitant de pas en être, compte tenu des performances économiques ou politiques actuelles de l’UE ou du G20, qu’ils jugent, sans nuances, médiocres, voire méprisables. On reste « maître chez nous », disent-ils. Mais je crois que nous ne sommes maîtres de rien, et que nous subissons sans pouvoir actionner le moindre levier pour influencer le cours des choses dans un sens qui nous paraît souhaitable, opportun, raisonnable,…

Ecopop illustre cette manière de piaffer d’impatience et d’impuissance. 

Le suicide suisse

De plus en plus d’initiatives menacent les conditions cadres économiques à l’origine du modèle suisse de prospérité. Après l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse» le 9 février, Ecopop ou le texte sur l’or de la BNS lui porteraient un coup fatal. Mais pourquoi notre envié système de démocratie semi-directe s’est-il transformé en torpille? Essai. 

La diatribe d’Eric Zemmour, Le suicide français, se vend très bien dans nos librairies. Si le French bashing est de longue date un sport national, on se gausse volontiers, de Romanshorn à Genève, de l’actuelle grande déprime de la Grande Nation, de cette spectaculaire impuissance des gouvernements, de gauche comme de droite, à mener les réformes nécessaires. Mais sommes-nous si sûrs d’être en meilleure posture?

Président de l’Association suisse des banquiers, Patrick Odier n’est pas un homme réputé pour ses outrances verbales. Il vient pourtant de lâcher dans une interview à la NZZ am Sonntag que l’acceptation d’Ecopop, le 30 novembre prochain, serait «un suicide».

Le texte voulant limiter la croissance démographique est incompatible avec les accords bilatéraux qui nous lient à l’Union européenne. Son acceptation anéantirait définitivement toute la stratégie du Conseil fédéral pour obtenir une mise en œuvre eurocompatible de l’initiative «Contre l’immigration de masse», acceptée de justesse en février dernier. Avec le texte sur l’or de la BNS ôtant toute marge de manœuvre pour mener une politique monétaire indépendante (lire en page 12), ce serait plus que la goutte d’eau qui fait déborder le vase, ou la balle dans le pied qui figure un méchant autogoal, ce serait un suicide suisse, le renoncement volontaire aux conditions-cadres qui ont nourri le modèle suisse et généré sa splendide prospérité.

Le danger est réel car tous ceux qui ont voté le texte de l’UDC en début d’année ont reçu peu de raisons de modifier leur vote au moment de se prononcer sur Ecopop. Seule une mobilisation plus importante de ceux qui ont enduré les effets négatifs du 9 février – les chercheurs, les étudiants et aussi pas mal de patrons qui commencent à délocaliser des postes au compte-goutte, sans que personne n’en sache rien – peut conjurer ce sort fatal.

Comment expliquer une telle dérive? La performance, relative, de l’économie suisse, par rapport à son environnement européen, a rendu nombre de Suisses arrogants et peu lucides. Notre endettement public est sous contrôle, mais l’endettement privé reste colossal. Nos succès sur les marchés extra-européens effacent chez beaucoup notre dépendance aux marchés européens. Pourtant, depuis que la croissance allemande marque le pas, notre baromètre conjoncturel pique mécaniquement du nez. Le 9 février a nimbé l’économie suisse d’un voile d’incertitudes ravageur pour le développement des affaires (lire ci-contre).

DOUCE INCITATION

A qui la faute? A nous tous. Notre système de démocratie semi-directe a changé de nature, sans que nous en prenions la mesure. Naguère, il était une incitation bonhomme au compromis. Utilisé à outrance par l’UDC comme engin de marketing électoral, il s’est mué en torpille d’un pays dont il avait vocation à servir la cohésion. Naguère, le droit d’initiative était un droit de proposition, une manière pour les minorités d’interpeller la classe politique sur un sujet négligé par elle: les initiants ne gagnaient pas, mais la machinerie législative se chargeait de leur donner un peu raison, via un contre-projet direct ou indirect. Défaits dans les urnes, les promoteurs d’initiatives pouvaient se targuer d’avoir envoyé un signal, donné un coup de semonce. Ce fut par exemple le cas du GSsA, le Groupe pour une Suisse sans armée, il y a vingt-cinq ans tout juste, dont le texte recueillit 35% de oui: l’armée ne fut pas abolie, mais ses budgets drastiquement amputés. Plus récemment, l’initiative pour un salaire minimum a échoué, mais son existence a dopé les négociations des partenaires sociaux: maints barèmes de conventions collectives ont été revus à la hausse.

Le droit d’initiative, c’était du soft power avant l’heure. Une manière douce d’influencer les processus de décision sans compter sur la brutalité du rapport de forces.

Mais le rapport de forces justement constitue l’outil privilégié par l’UDC pour imposer ses vues. Galvanisé par ses succès, le parti de Christoph Blocher n’est pas devenu le moteur du compromis, comme son rang de premier parti de Suisse lui en assignerait le rôle, il a multiplié les initiatives pour court-circuiter le travail du Parlement et du Conseil fédéral, où il s’estime sous-représenté.

MANQUE DE RÉACTIONS

Jusqu’au résultat du 9 février, mettant en porte-à-faux la volonté de contingenter la main-d’œuvre étrangère avec le soutien cinq fois réitéré aux accords bilatéraux, personne n’a vraiment agi contre cette évolution perverse.

Le Conseil fédéral a bien réfléchi à quelques ajustements sur les critères de validité des initiatives, mais n’a pas eu le courage de porter une réforme iconoclaste devant le peuple. La droite non UDC envie le joujou qui réussit si bien à son concurrent: PLR et PDC se sont ainsi mis à lancer leurs propres propositions «pour faire parler» d’eux. La gauche est embarrassée: elle aussi, au nom de son statut de minoritaire, a un peu abusé du droit d’initiative, malgré la présence du Parti socialiste au Conseil fédéral. La différence avec l’UDC, c’est que, si elle gagne quelques fois ses référendums (taux de conversion LPP en 2010), elle perd magistralement avec la plupart de ses initiatives (le vote de septembre contre la caisse publique est le dernier exemple).

Une manière de calmer le jeu aurait été d’introduire l’initiative législative, moins lourde que l’initiative populaire d’impact constitutionnel. Une loi épouse plus facilement les évolutions et les rectifications.

Le conseiller national Hugues Hiltpold (PLR/GE) le propose dans une initiative parlementaire qui devrait être examinée lors de la session de décembre. Il suggère également que les textes soient invalidés s’ils ne sont pas de rang constitutionnel. Une clarification aussi audacieuse que bienvenue car elle soulagerait notre charte fondamentale de toutes sortes de détails et de chiffres qui n’ont pas à y figurer. Cette solution affrontera toutefois le plénum sans le soutien d’une majorité de la Commission des institutions politiques. Il faut souhaiter qu’elle ne connaisse pas le même sort que l’initiative populaire générale introduite en 2003, sabordée en

2009 déjà, sans avoir jamais servi. N’exigeant qu’une majorité du peuple, l’initiative législative enrayerait la dérive des initiatives populaires d’application faisant suite à l’adoption de normes constitutionnelles inapplicables.

Horrifiée par la perspective d’une répétition du 9 février, l’économie s’aperçoit un peu tard qu’elle a eu tort de snober les enjeux non directement liés à la défense de ses intérêts, comme l’interdiction des minarets (approuvée en 2009) ou l’internement à vie des délinquants sexuels (approuvé en 2004). Autrefois, au bon vieux temps du Vorort et de la SDES (Société pour le développement de l’économie suisse), elle finançait, bonne fille, toutes les campagnes de votation et accordait aux partis quelques moyens pour s’engager de façon déterminée. Rebaptisée economiesuisse en 2000, découplée du terrain politique, elle a désinvesti au moment où Blocher injectait ses propres millions pour influencer les campagnes à son avantage. Disqualifiée aux yeux de l’opinion publique par ses très molles positions sur les hauts salaires et les bonus des managers, elle peine à convaincre.

QUEL FOSSÉ?

Paradoxe, les patrons, qui assurent les succès économiques du pays, ne sont pas entendus quand ils disent avoir besoin de la libre circulation des travailleurs pour recruter les meilleurs talents sur le marché de l’emploi européen. Les chercheurs et le monde académique, qui nourrissent l’innovation par l’excellence de leurs recherches, ne sont pas crus quand ils affirment la nécessité de rester connectés aux réseaux européens. L’existence d’un fossé entre les élites et le peuple, martelée par l’UDC, a suborné les esprits sans que la pertinence de ce cliché conspirationniste soit questionnée.

Si le couperet d’Ecopop ne tombe finalement pas, d’autres textes de la même poudre explosive sont annoncés, tel celui visant à instaurer la primauté du droit suisse sur le droit international.

La France voisine agonise par l’impéritie de ses gouvernants, et des voix s’élèvent pour demander que le peuple y soit mieux entendu. La Suisse, elle, s’inflige des blessures mortelles par excès de volonté populaire, mal orientée et mal cadrée. Ce suicide lent est la marque du déclin.

Essai paru dans L’Hebdo du  13 novembre 2014

Europe: pourquoi pas nous?

On commémore ce dimanche les 25 ans de la Chute du Mur de Berlin. Une génération plus tard, il n’est pas certain que nous percevions encore toutes les implications de cet événement que personne n’avait vu venir : l’implosion du glacis soviétique.

L’histoire n’est pas finie, malgré ce que le philosophe Francis Fukuyama crut alors utile de décréter, son sens pourrait être radicalement remis en question par l’ambition poutinienne de laver l’humiliation subie par l’empire russe, mais on connaît déjà quelques unes des conséquences.

La réunification de l’Allemagne, mais aussi dans la foulée l’entrée dans l’Union européenne de tous les pays de l’Est, qui ne comptait en 1989 quand les premières brèches sont ouvertes dans le Rideau de fer que 12 membres.

Il est peut-être opportun que nous nous demandions, nous les Suisses, pourquoi depuis ce 9 novembre, tous les autres autres pays du continent, sauf les excentrées Norvège et Islande et le petit Liechtenstein, ont décidé de rallier la construction européenne et pas nous ?

Les premiers à sauter le pas en 1995 sont nos anciens partenaires de l’AELE, l’Association européenne de libre-échange qui regroupa longtemps l’autre Europe : l’Autriche, la Finlande et la Suède. C’est à leurs côtés que nous avions âprement négocié l’Espace économique européen, sorte de sas de décantation avant d’accèder au grand marché.

Après le Nord, l’Est. Les anciens vassaux de l’URSS font des efforts collossaux pour mettre leur économie à niveau pendant une décennie, et obtiennent leur ticket d’entrée en 2004, aux côtés de Chypre et de Malte, deux îles qui ne veulent pas rester perdues en Méditerranée, et s’arriment au continent avec lequel elles partagent une si longue histoire. L’UE passe ainsi à 25 membres. L’intérêt des nouveaux venus n’est pas qu’économique mais aussi sécuritaire. Avec l’UE vient aussi le parapluie OTAN. La Bulgarie et la Roumanie suivent en 2005, la Croatie en 2012.

Dans le même temps, la Suisse s’est époumonée à raccrocher son wagonnet à la locomotive européenne. Elle a maintenu une souveraineté de façade.

Se sont-ils tous fourvoyés ? Pourquoi n’ont-ils pas fait le choix de rester « indépendants » comme nous ? Ce pourrait-il que ce soit nous qui nous soyons trompés d’époque, de siècle, en ne captant pas la nouvelle dynamique à l’oeuvre sur tout le Vieux-Continent, la région encore et toujours la plus prospère du monde  et qui assurent à ses populations la meilleure qualité de vie?

Ce 9 novembre est un bon jour pour se poser cette question, d’autant que l’homme et le parti (Christoph Blocher et l’UDC) qui ont inspiré ce choix douteux de faire bande à part, tout en nous mettant dans une position de vassal clandestin, prétendent encore et toujours nous éloigner de la maison Europe.

* Chronique parue en italien dans Il Caffè

Marre de l’Obama bashing

L’Obama-bashing me saoule (je sais, je ne suis pas la seule). Mais je poursuis une vendetta personnelle et constante contre la personnalisation du pouvoir, que je tiens à vous faire partager.

Donc, Obama n’est pas le Messie (notez que le Messie lui-même a mal fini, avant de ressusciter). Le beau Barack n’a pas résolu tous les problèmes du monde, en général, et ceux de l’Amérique, en particulier. Il est certes « l’homme le plus puissant du monde », comme dit la mythologie étasunienne, mais la leçon à retenir, c’est que même l’homme le plus puissant du monde ne peut rien sans une majorité au Congrès et au Sénat. Même l’homme le plus puissant du monde ne peut rien sans des parlementaires, des fonctionnaires, des militaires, des entrepreneurs, une société,… qui pensent comme lui, tirent à la même corde,…

On le savait dès 2008, mais je ne comprends pas pourquoi certains s’évertuent à faire comme si cela n’était pas évident.

C’est une des pires perversions de l’analyse politique ou historique que de croire qu’un homme tout seul peut tout.

Les pires tyrans ont eu besoin de complices, les meilleurs démocrates ont besoin d’alliés.

Et je ne vous parle pas de la conjoncture mondiale, ce truc impalpable qui échappe même aux prévisionnistes les plus aguerris. Pourtant que l’on gouverne quand elle va bien ou quand elle se plante change le bilan d’un chef d’Etat, quelles que soient ses qualités individuelles. Le contexte, mais oui, a son importance. Sommes-nous devenus fous – bêtes? – qu’il faille répéter de telles banalités!

Certes, un homme tout seul peut se dresser contre la fatalité, la résignation. Le plus bel exemple est Churchill en 1940 annonçant « nous ne nous rendrons jamais ». Mais justement le lion britannique dit « nous », le signe qu’une volonté non partagée n’est rien, aussi forte et admirable soit-elle.

La personnalisation du pouvoir exonère toutes sortes d’autres catégories de décideurs, passés ou présents, de leurs propres responsabilités. C’est si commode de penser, par exemple, que seuls François Hollande et ses ministres sont de gros nuls. Cela évite de se remettre en question. 

Mais revenons à Obama. Je ne sais pas s’il va perdre ou finalement gagner à l’arraché ces élections de mi-mandat. Ce que je sais, c’est qu’il a été un grand président, qu’il a incarné l’espoir de tout un peuple, qu’il a dans le moment de grâce absolue que représente son élection réconcilié fugacement l’Amérique avec le monde, et qu’il a remis en état de marche l’économie américaine, que son élection a soulevé l’espoir, inspiré les révolutions arabes (si un fils de musulman africain est devenu président des Etats-Unis, pourquoi ne pourrions-nous pas influencer notre propre destin?).

Lui Prix Nobel de la paix, il n’a pas fermé Guantanamo, il n’a pas terminé ni entrepris, ni gagné toutes les guerres plus ou moins justes que nous sommes lâchement soulagés de voir les Américains mener au nom des valeurs occidentales. Il n’a pas comblé les inégalités de revenus dans son pays et dans le reste de la planète. Il n’a pas terrassé le changement climatique en cours, non plus.

Il a été président des Etats-Unis, mais l’opprobre dont il est victime nous livre un utile viatique pour le XXIème siècle: seule l’action collective ébranle le monde, le leadership est une question de morale avant d’être une question de nombre. La toute puissance des chefs d’Etat est un mythe conspirationniste désuet. Il n’y a pas de vrai pouvoir qui dure sans adhésion des peuples.

Je trouve que ce n’est pas si mal, comme démonstration, c’est en tout cas bien plus subtil et encourageant que « le bien contre le mal » légué par George W. Bush.

Ecopop: dérapages de Philippe Roch

En Suisse romande, la campagne sur Ecopop vient de déraper avec l’extraordinaire hargne exprimée par Philippe Roch. Lors de son passage sur RTS La Première, lundi matin, il s’est déchaîné contre ceux qui osent questionner son soutien à l’initiative, et contre le Conseil fédéral, en particulier. Tous n’auraient « rien compris » au texte sur lequel nous votons le 30 novembre.

Un ancien haut fonctionnaire de la Confédération qui traite la classe politique de «clique », voilà qui est inélégant, déloyal face à l’ancien employeur qui lui sert une retraite confortable, et inquiétant quant à l’état délétère du climat politique.

Mais l’ancien Chef de l’Office fédéral de l’environnement a aussi demandé la démission d’Alain Berset avec une virulence effrayante. Le conseiller fédéral a peut-être été maladroit dans sa communication, mais au bout du compte il n’a pas moins le droit que M. Roch d’exprimer un point de vue un peu carré.

C’est triste de voir un ancien serviteur de l’État piétiner ainsi la civilité du débat démocratique.

Mais il y a, à mon sens, encore plus affligeant. C’est la réponse évasive donnée par Philippe Roch aux liens que certains des initiants cultivent avec les initiatives Schwarzenbach. Le militant écologiste a déclaré ne pas pouvoir se prononcer, ayant un souvenir trop flou de cette période. Ah bon ? Cet homme qui a fait une partie de sa carrière dans l’administration fédérale a zappé un des débats majeurs qui ont agité la Suisse au tournant des années 1970. Il n’était pourtant pas un gamin à l’époque des faits. Né en 1949, celui qui se proclame humaniste n’a rien à dire sur la vague de xénophobie que les textes lancés par James Schwarzenbach ont suscitée ?

Il est troublant ce trou de mémoire.

Elle est gênante cette incapacité à prendre clairement ses distances avec ceux qui pensent que l’immigration est la cause de tous les « maux » suisses, aujourd’hui comme hier.

Philippe Roch défend son soutien à Ecopop en arguant que le texte pose de bonnes questions. Cette ritournelle sur «les bonnes questions» devient dangereuse. Dans une société démocratique, on peut bien sûr débattre de tout. Mais ce qui compte vraiment ce sont les réponses apportées, leur faisabilité et leur efficacité.

Il faut en finir avec les initiatives outil marketing qui ne servent qu’à capter des voix ou des émotions et qui n’amènent aucune solution.

On ne peut pas inscrire dans la Constitution des bouts de « débats » pour soulager la conscience de quelques uns ou satisfaire leur « ego », notre charte fondamentale ne devrait contenir que des principes et de grandes orientations.

Philippe Roch qui a été si proche des pouvoirs exécutif et législatif devrait le savoir plus que d’autres.

Lire aussi la réaction de Michel Guillaume « Berset contre Roch: l’escalade verbale »

Ecopop: rebelote?

Le 9 février dernier, 1’463’854 Suisses ont accepté l’initiative « Contre l’immigration de masse ». Que feront-ils le 30 novembre prochain ? La question donne des sueurs froides au Conseil fédéral, aux partis, à économiesuisse.

Le sentiment que la croissance n’est pas maîtrisée s’est déjà exprimé lors des votations sur les résidences secondaires en 2012 et sur l’aménagement du territoire en 2013. La loi défendue par Doris Leuthard était d’ailleurs un contre-projet indirect à l’initiative qui voulait geler les surfaces à bâtir pour 20 ans.

La conviction que la « surpopulation étrangère » alimente cette croissance non maîtrisée est légèrement majoritaire dans la population (50,3 %), comme on l’a vu en février.

Dès lors ceux qui ont voté oui en début d’année ont-ils des raisons de rejeter Ecopop, qui souhaite limiter le solde migratoire à 17 000 personnes afin de préserver les ressources naturelles ? Qu’est ce qui a été entrepris pour rassurer ces Suisses qui se sentent oppressés par le spectaculaire développement économique de ces dernières années ?

Rien. Pire que cela, on ne sait toujours pas précisément comment sera appliqué le nouvel article constitutionnel 121a. Le Conseil fédéral consulte, essaie de voir si un mécanisme d’application est possible sans dénoncer l’accord bilatéral sur la libre-circulation des personnes avec l’Union européenne. Mais il ne peut pas prendre l’engagement que le solde migratoire baissera à un niveau (lequel d’ailleurs?) jugé acceptable.

Il le peut d’autant moins que dans l’incertitude sur leurs possibilités d’engager à terme, les entreprises ne se sont pas privées de recruter abondamment sur le marché du travail européen depuis février dernier. Face à la demande de qualification que requière une économie de pointe comme la nôtre, la préférence nationale peine à s’imposer comme un impératif dans les services de « ressources humaines ».

Lors de la votation de février, un solde migratoire annuel de 80 000 était considéré comme inacceptable. Il va flirter avec les 100 000 d’ici la fin de l’année.

On peut bien sûr observer que l’UDC a menti au peuple en prétendant que son initiative contre l’immigration n’aurait pas d’impact sur les accords bilatéraux, garantissant un accès harmonieux des Suisses aux marchés européens. On peut aussi dire que Ecopop est un texte néocolonial raciste. Tout cela est vrai.

Mais il y a fort à parier que ces arguments rationnels ne convainquent pas. Ecopop pourrait ravir la double majorité du peuple et des cantons. Ce sera « rebelote », et ce sera économiquement, diplomatiquement, mais aussi pour les valeurs humanistes de la Suisse, une catastrophe. A force de jouer la montre, de ne pas traiter les problèmes, et de ne pas s’entendre, les milieux politiques et économiques ont pris le risque de voir les bombes tomber à répétition.

* Texte peru en italien dans Il Caffè du 26 octobre

Forfaits fiscaux: gare au Röstigraben

Dans le Sonntagsblick, il y avait dimanche dernier un article sur la péréquation financière entre cantons, plus précisément la raz-le-bol des cantons de Nidwald, Schwytz, Zurich, Bâle et Zoug contraints de financer le canton de Berne, représenté sous la forme d’un ours gourmand avalant un milliard de francs (le record national). Pas un mot sur le fait que Vaud et Genève, les deux seuls contributeurs romands, sont aussi un peu légèrement agacés d’avoir à payer pour des cantons alémaniques:

– a). qui ont cassé la libre-circulation des personnes le 9 février dernier

– b). qui envisagent de bannir l’enseignement du français de l’école primaire.

Vaud et Genève sont certes mentionnés comme cantons donateurs dans un tableau mais l’avis des Romands dans  cette affaire n’est pas considéré comme digne d’être mentionné.

Huit pages plus loin, un autre article est consacré aux forfaits fiscaux, enjeu de la votation du 30 novembre prochain. Il donne notamment l’avis de quelques entrepreneurs de droite qui sont contre leur maintien, et donc pour l’abolition proposée par l’initiative de la gauche. Un autre petit tableau indique que Vaud, Genève et le Valais sont les cantons qui profitent le plus de cette possibilité fiscale.

Aucun lien n’est établi sur la capacité contributive de Vaud et de Genève et cette niche fiscale concédée de longue date aux riches étrangers nomades.

Ceux qui en Suisse romande défendent le forfait fiscal sont avertis:  si l’on ajoute à l’électorat de gauche qui abohorre le forfait, symbole de l’inéquité fiscale, les cantons qui l’ont déjà aboli (ZH, AR, SH, BS, BL), puis ceux qui ne le pratiquent guère, les milieux de droite alémanique peu enclins à concéder des cadeaux fiscaux aux Romands et à respecter la diversité du fédéralisme, il y aura un tonitruant Röstigraben fiscal le 30 novembre au soir.

Ce serait assez piquant qu’après avoir perdu sur 1:12 et le salaire minimum, le parti socialiste finisse par faire passer une de ses initiatives, mais sur le dos des Romands…

Conseil fédéral: l’impossible vœu de Toni Brunner

Dans une récente interview au quotidien Le Temps, Toni Brunner revendique deux sièges pour le Conseil fédéral si l’UDC demeure, après les élections fédérales de 2015, le premier parti de Suisse.

Le président de l’UDC se garde bien de dire qui pourrait être ce nouvel élu. Il n’indique pas clairement non plus qu’un second siège UDC devrait être confié à un Latin, et il omet de dire quel parti devrait lui cèder la place.

Il est normal qu’un président de parti revendique plus de pouvoir. Tous le font. Personne ne s’engage dans la bataille électorale pour rechercher moins d’influence. Mais il est assez piquant de lire ce vœu alors que l’UDC vient de perdre un siège au Conseil d’État neuchâtelois. C’est en effet le libéral-radical Laurent Favre qui a été élu dimanche dernier en remplacement d’Yvan Perrin, contraint de démissionner pour raison de santé. Le candidat de l’UDC n’a recueilli que 17 % des voix.

Le premier parti de Suisse a un gros problème de relève. Lorsqu’il s’agit de gagner des places dans les législatifs, il est très fort. Mais lorsqu’il s’agit de mettre en orbite des hommes et des femmes d’exécutif, il est particulièrement faible. Il ne dispose pas du personnel adéquat, c’est à dire de politiciennes et de politiciens expérimentés, aptes à gouverner avec les autres partis.

Ueli Maurer respecte mieux que Christoph Blocher la collégialité, mais il flirte souvent avec la limite. Il a la légitimité pour lui, mais pas l’efficacité.

La Suisse peut-elle se permettre d’avoir un deuxième Ueli Maurer au gouvernement, un deuxième monsieur sympathique, mais un peu borné, pas très créatif, ni crédible ?

Si la réponse est non, alors il faut faire le deuil une bonne fois pour toutes de la formule magique – proportionnelle – qui sert de référence à la composition du Conseil fédéral.

De fait, depuis 2007 et la scission entre l’UDC et le PBD, la formule magique n’existe plus. En réélisant Eveline Widmer-Schlumpf en 2011, le Parlement a confirmé son état de mort clinique. La proportionnelle, c’est la règle pour le Conseil national, mais le collège gouvernemental doit se construire sur un autre principe.

Il serait temps de passer à un gouvernement fondé sur une convergence programmatique. Une équipe de ministres qui partagent l’essentiel, c’est bien ainsi que fonctionnent les autres démocraties, qu’un parti soit majoritaire ou qu’une coalition additionne les forces idéologiquement les plus proches.

Quel sera le principal dossier de la prochaine législature ? Les relations avec l’Union européenne bousculées par le vote du 9 février dernier. Pour assurer la mise en œuvre de la norme constitutionnelle et rétablir un courant diplomatique normalisé avec Bruxelles, il faudra une équipe soudée. Il faudra donc élire le 9 décembre 2015 des conseillers fédéraux au moins acquis à la poursuite de la voie bilatérale.

Il n’y a pratiquement aucune chance que l’UDC de Toni Brunner soit en mesure de présenter un candidat latin affichant un tel engagement…

* Chronique parue dans le Caffè du 5 octobre

Le Gothard au nom de la cohésion nationale

On n’a pas fini de parler de cohésion nationale. Le vote du Conseil national en faveur d’un deuxième tunnel au Gothard ouvre la voie du referendum. Nous serons donc appelés l’an prochain à décider si nous voulons encore dépenser des milliards pour fluidifier le trafic Nord-Sud.

Il y a de bons arguments pour un deuxième tube, comme la sécurité. Mais il y en a un autre, qui était agité dès mercredi soir, qui n’est pas aussi bétonné qu’il en a l’air.

« Ce second tube, c’est une question de cohésion nationale, ont martelé maints élus tessinois. On ne peut pas couper le canton du reste de la Suisse pendant les trois ans que dureront les travaux. »

Permettez quelques obervations délicates et non politiquement correctes. Si le Tessin est excentré, ce n’est la faute de personne, c’est dû à la géographie et à l’histoire. Les Tessinois ont tort de tenter de culpabiliser les autres Confédérés, et de jouer les Calimero. La volonté de vivre ensemble a au contraire surmonté les contingences physiques, qui était autrement plus rudes au XIXème siècle qu’aujourd’hui.

J’ai écrit « les Tessinois ». Le problème avec le second tube au Gothard est qu’il n’a pas le soutien de tous les Tessinois. Dans la votation qui s’annonce, ce manque d’unanimité affaiblira les appels à dire oui « au nom de la cohésion nationale ». A cet égard, il sera intéressant de surveiller le nombre de signatures que les référendaires obtiendront au Sud du massif.

Quand les Suisses s’expriment en scrutin populaire sur le Gothard, il ne s’agit pas d’un banal objet comme les autres. Le Gothard joue un rôle particulier puisqu’il est considéré comme le berceau de l’identité nationale. Ce statut de mythe ou de paradis perdu l’emporte dans les consciences sur sa fonction d’axe Nord-Sud d’envergure continentale. C’est ce qui explique le résultat en 1994 de l’initative des Alpes, celui de 1998 sur le financement des transversales ferroviaires et celui d’Avanti en 2004. Par trois fois déjà, le souci des Confédérés de protéger la montagne d’un trafic trop intense a terrassé les exigences des automobilistes. 2015 marquera-t-il un tournant ?

La cohésion nationale invoquée est désormais perçue autrement. Dans le grand pot commun, chaque canton a pris l’habitude de regarder très précisément ce qu’il gagne ou perd. Les régions urbaines ont fait le désagréable constat suivant : des dizaines de milliards ont été investis au Gothard sans que toutes les promesses de fuidifier le trafic d’agglomération soient honorées. Il y a certes de spectaculaires bouchons au Gothard pendant les vacances et les jours fériés, mais le reste de la Suisse souffre d’engorgement tous les jours ouvrables. Au nom d’un mythe ne fausse-t-on pas les priorités ? Le débat s’annonce féroce.

*Chronique parue en italien dans l’hebdomadaire dominical tessinois Il caffè

Berset-Maillard: fin du duel

La méthode Berset aurait-elle triomphé de la méthode Maillard, a-t-il été demandé au conseiller fédéral? Le Fribourgeois a répondu habilement détester la personnalisation des enjeux.

Comme conseiller fédéral, Alain Berset a gagné. Comme socialiste, c’est un peu moins sûr, et comme Romand pas du tout, puisque l’idée d’une caisse publique progresse dans tous les cantons romands (voir l’analyse de Michel Guillaume ici).

Mais un conseiller fédéral est celui de tous les Suisses, s’il est en porte-à-faux avec ses camarades et une majorité des Romands, Alain Berset est en phase avec la majorité des Alémaniques. Pour un ministre romand, ce n’est pas un mal: il ne pourra pas passer pour le « Welesch de service » dans les prochains combats qu’il annonce pour réformer le système de santé.

Pierre-Yves Maillard a gagné du côté romand, et dans son canton en particulier. Le problème de la caisse publique, c’est qu’elle ne disposait pas d’un Maillard en Suisse alémanique, notait un assureur avant le scrutin. Le PS n’a pas de personnalité du calibre de Maillard Outre-Sarine. Jacqueline Fehr était bien seule pour défendre l’initiative.

Alain Berest et Pierre-Yves Maillard ont été chacun dans son rôle. Leur duel sur la caisse publique était programmé avant l’élection du premier au Conseil fédéral. Ils vont maintenant pouvoir passer à autre chose.

Les problèmes de gestion et de financement du système de santé restent entiers. Leur talent à tous les deux ne sera pas de trop pour imaginer de nouvelles réformes.