Course au Conseil fédéral: le canton d’origine, une notion à relativiser

Course au Conseil fédéral. Sur les histoires de région et d’appartenance cantonale, on arrive à un moment de vérité.

Pierre Maudet, c’est le type de conseiller d’Etat que tous les cantons rêvent d’avoir: une capacité de réflexion et de réalisation hors du commun, du charisme et de l’énergie.

Se souvient on encore que naguère c’était le canton d’origine et pas le lieu du parcours politique qui était déterminant pour l’élection au Conseil fédéral, qui a ainsi compté deux anciens syndics de Lausanne en même temps (Graber, élu sur le quota neuchâtelois, et Chevallaz sur le vaudois)?

Ensuite on a tenu compte du parcours politique, et après encore on a fait sauter la clause cantonale et permis la présence de deux conseillers fédéraux issus d’un même canton.

Il faut donc relativiser.

La revendication du Tessin est légitime.

Celle de Genève pas moins.

Et celle de Vaud aussi.

Dans ces 3 cantons latins, il y a des personnalités politiques PLR de premier plan.

La discussion devrait s’orienter maintenant sur le meilleur profil pour gouverner, sans oublier qu’à brève échéance la question du genre va se poser avec acuité (merci à Doris Leuthard de l’avoir rappelé).

Renzi – Macron: des similitudes?

Dans le flux sans cesse roulant de l’actualité, cette chronique souhaite établir des liens, tracer des perspectives, donner une profondeur historique, bref, abolir les frontières qui freinent la réflexion. L’auteure éprouvant une passion déraisonnable pour l’Europe (et même l’Union européenne), l’Italie et la Suisse, il y sera souvent question de politique mais pas que… à moins de considérer que tout est politique!

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot «rottamazione». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir «mettre à la casse» les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le «ventennio» de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus). Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’œil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis trente ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Le Wonder Boy qui aime mélanger Dante et twitter

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego («si ça ne passe pas, je démissionne»). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come-back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu «In cammino». Il a délaissé «l’Italia riparte» (l’Italie redémarre) et «la volta buona» (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

Chronique parue sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/renzi-macron-des-similitudes

Pourquoi la fête nationale suisse a-t-elle lieu au beau milieu des vacances?

Ose-t-on le dire? Elles n’est pas idéale cette date du 1er août: les gens sont en vacances, certaines communes peinent à organiser une fête nationale digne de ce nom….

Pour le site Bon pour la tête, avec Kevin Crelerot nous avons conçu une petite BD explicative, dont voici le lien:

https://bonpourlatete.com/actuel/dessine-moi-la-politique-suisse-episode-1

 

Journalistes et politiciens à l’épreuve du populisme

Au début, ce fut simple et idyllique: pas de démocratie sans liberté d’opinion et sans liberté de presse. Les pères fondateurs des Etats-Unis l’affirment dans leur Constitution, la Révolution française et ses répliques tumultueuses sur tout le continent européen l’illustreront: élus et journalistes oeuvrent pour le bien commun. Il n’est pas rare que les parlementaires manient la plume pour défendre leurs idées ou que les plumitifs s’offrent au suffrage universel. *
Au XXème siècle, l’industrialisation de la production des journaux et le formidable essor de la publicité cassent peu à peu ce lien vital pour la santé démocratique. La presse devient généraliste mais d’autant plus puissante dans son rôle de contre-pouvoir inquisitorial que le travail des rédactions est financé par la manne qui semble, alors, sans fin des annonceurs.Politiques et chroniqueurs de la chose publique entrent dans la phase orageuse de leurs relations, on nage en plein «je t’aime, moi non plus». Les uns ont besoin des autres et vice versa pour exister, les uns pour séduire les électeurs, les autres pour intéresser les lecteurs, les auditeurs, les téléspectateurs.

La classe polico-médiatique

Quand ils se pencheront sur la résurgence du populisme dans le premier quart du XXIième siècle, les historiens du futur prêteront certainement attention à une antienne qui se répand dès la fin des années 1980: «la classe politico-médiatique». Le concept, qui jette un même opprobre sur les politiciens et les journalistes, fait toujours autant fureur, on parle désormais d’élites et d’«entre-soi» pour qualifier leurs liens. Coupés du peuple et de ses préoccupations, les uns comme les autres failliraient dans leur mission conjointe de servir la démocratie, tout occupés à proroger les privilèges dont ils jouissent.

C’est le moment opportun pour exiger des journalistes l’art de la critique constructive et des politiciens l’obsession des résultats concrets.

Les enquêtes d’opinion qui mesurent la confiance de la population envers divers professions ou institutions sont impitoyables: les politicards comme les journaleux squattent les dernières places du classement. Cette mauvaise réputation ne les rend pas plus solidaires.

Actuellement, les deux castes sont pareillement «disruptées» par la montée en puissance des réseaux sociaux. Plus besoin ni des uns ni des autres dans un monde orwellien où les sondages en ligne seraient permanents, nourrissant l’illusion que les citoyens décident en toute liberté, et surtout pas orientés par les intermédiaires, les médiateurs, que sont les rédacteurs et les partis politiques.

Juguler le populisme

Voilà pour le contexte. On s’inquiète des ravages du populismes, mais peu de la disqualification que subissent ceux dont la démocratie a besoin pour fonctionner: d’une part les représentants légitimement choisis par les citoyens et, d’autre part, les fabricants d’opinion qui font métier de rendre compte et de questionner le monde tel qu’il est, d’apporter avec honnêteté intellectuelle le vertige de la contradiction.

Juguler le populisme à long terme nécessitera de travailler sur toutes ses causes. En premier lieu, le mal être social et économique qui laisse en moyenne européenne au moins un travailleur sur dix au chômage. Sans emploi, sans perspectives salariales dignes, difficile de ne pas céder aux discours qui promettent que demain sera meilleur et plus juste.

En second lieu, la presse, mais également le monde académique, les artistes, tous ceux qui ont vocation à réfléchir sur le monde et ses dysfonctionnements, doivent s’engager plus activement, déconstruire les solutions «perlimpimpesques» des démagogues, proposer des alternatives,…

Un brin d’autocritique

Dans cet exercice, un brin d’autocritique des journalistes sera bienvenu. Par manque de moyens (souvent) mais aussi d’ambition et d’exigence, par goût du spectacle, par paresse, ils n’ont pas assez combattu les populistes. Ils ont été une caisse de résonance alors qu’ils auraient dû se dresser en rempart.

Ils ont cédé à la «pipolisation» de la vie politique, ravageuse entre toutes, jouant sur l’émotion, la simplification, alors que les problèmes sont complexes. Ils ont personnifié les enjeux à l’excès, alors que la volonté, pour être efficace, doit s’appuyer sur le collectif.

Le journaliste doit, avec humilité, retrouver le sens de sa mission: décrire les événements du monde, leur donner une profondeur historique et éthique, afin de fournir aux citoyens les moyens de décider en conscience. Ce faisant, les acteurs médiatiques retrouveront la confiance de leur public.

Urgence de reconstruire

La crise de la presse n’est pas que technologique ou financière, c’est une crise de la démocratie. Pour les journalistes, lâchés par des éditeurs plus soucieux de leurs bénéfices que de leur responsabilité sociale, tout est à reconstruire. Pour les élus, bousculés par les démagogues, aussi. C’est le bon moment pour recommencer à travailler ensemble, dans le respect des prérogatives et des compétences de chacun. C’est le moment opportun pour exiger des journalistes l’art de la critique constructive et des politiciens l’obsession des résultats concrets. Face aux populistes, il est urgent que les uns comme les autres retrouvent ce qui leur a tant manqué récemment: la force de convaincre, à la loyale, sans tromper ni divertir.

*Cet article paraît dans la revue en ligne Sources qui consacre un vaste dossier avec d’autres contributeurs à « La démocratie à l’épreuve du populisme)  https://revue-sources.cath.ch/journalistes-politiciens-a-lepreuve-populisme/

Succession au Conseil fédéral: le calvaire des femmes PLR

Pour les femmes du parti libéral-radical, il semble toujours un peu plus difficile de recueillir l’investiture du parti et son plein soutien lorsqu’elles songent à briguer l’exécutif.

Comme si pour les hommes du PLR, il était immensément plus douloureux, profondément plus insupportable, de respecter la parité que pour les socialistes ou les démocrates-chrétiens…

C’est à se demander si, dans ce parti, quelqu’un se souvient encore du rôle moteur qu’il joua dans l’acquisition du droit de vote des femmes!

Le traumatisme de l’affaire Kopp n’explique pas tout – et il date. Il y a plutôt, chez certains membres de ce parti, des reliquats de machisme qui ne s’assume même pas.

Premier exemple qui me revient en tête, Jacqueline de Quattro. Lors de la succession de Jacqueline Maurer, première femme élue au Conseil d’Etat vaudois, la section cantonale n’avait pas estimé qu’il allait de soi qu’il fallait proposer à nouveau une candidate. C’est la section femmes qui avait lancé le nom de Jacqueline de Quattro usant d’une clause des statuts que tout le monde avait oublié. Ce fut un coup de maître. Mais aujourd’hui encore, certains messieurs ne lui ont toujours pas pardonné son culot et son aplomb.

Au niveau fédéral, c’est un vrai calvaire. Les déconvenues ont été spectaculaires. Pendant des années, la Bernoise Christine Beerli, au parcours parfait (conseillère aux Etats et cheffe du groupe parlementaire), fut décrite comme favorite à la succession de Kaspar Villiger. En 2003, une majorité de l’Assemblée fédérale préféra à cette Biennoise brillante le terne Hans-Rudolf Merz, qui se révéla fort décevant par la suite.

Auparavant, en 1998, lors de la succession de Jean-Pascal Delamuraz, la Vaudoise Christiane Langenberger se porta candidate. Comme ancienne présidente de l’Association des droits de la femme, elle voulut prendre date en imposant un ticket avec un candidat et une candidate. Il fallut 5 tours pour que Pascal Couchepin l’emporte. Certes, ce n’était pas la première fois que l’Assemblée fédérale se voyait offrir le choix entre deux candidats officiels. Mais depuis cet épisode, l’habitude s’est prise à Berne d’exiger des grands partis qu’ils proposent un choix paritaire.

En 2009, lorsque Pascal Couchepin décide de s’en aller, un nom s’impose très vite dans le bal des prétendants, celui de la Genevoise Martine Brunschwig Graf. Là encore, un parcours parfait : conseillère d’Etat, puis conseillère nationale, parfaite bilingue. Elle fut écartée de la course par Christian Lüscher qui prit ensuite sa place sur le ticket avec Didier Burkhalter.

En 2010, lors de la succession de Hans-Rudolf Merz, l’heure semble venue pour une femme alémanique. Le PLR dispose d’une perle en la personne de Karin Keller Sutter, conseillère d’Etat saint-galloise. Elle fait ticket commun avec Johann Schneider-Ammann. On connaît la suite, le parti socialiste fait pencher la balance en faveur du conseiller national bernois, quand bien même ce jour là une autre Bernoise (la socialiste Simonetta Sommaruga) a déjà été élue.

Si on rembobine l’histoire, il faut bien constater que Christiane Langenberger, Christine Beerli, Martine Brunschwig Graf et Karin Keller Sutter étaient toutes des personnalités brillantes, au-dessus de la moyenne des parlementaires lambda, des femmes indépendantes, parfaitement bi, tri ou quadri lingues. On leur a pourtant chaque fois préféré d’honnêtes hommes, mais d’un calibre politique inférieur (à l’exception du duel Couchepin/Langenberger – personne ne contestera que le Valaisan ait démontré un fort tempérament au Conseil fédéral).

Après sa candidature de combat, Christiane Langenberger a été élue au Conseil des Etats, elle a aussi présidé son parti. Elle est décédée en 2015.

Christine Beerli est devenue vice-présidente du CICR. Elle porte haut les idéaux humanitaires de la Suisse.

Martine Brunschwig Graf est devenue présidente de la Commission fédérale contre le racisme. Elle est une autorité morale reconnue, au langage clair. Pas du genre à démissionner dix-huit mois après avoir été réélue au Conseil fédéral en laissant en jachère un dossier crucial pour l’avenir du pays (si je puis me permettre cette petite pique contre Didier Burkhalter dont le choix du moment reste tout de même assez énigmatique).

Karin Keller Sutter a été élue au Conseil des Etats, et il est encore permis d’espérer qu’elle accède au Conseil fédéral lorsque Johann Schneider-Ammann le quittera.

D’ici là, et même tout prochainement, on espère que la Tessinoise Laura Sadis et les Vaudoises Jacqueline de Quattro ou Isabelle Moret pourront s’imposer dans la course.

Car, si la Constitution fédérale impose une représentation équitable des régions au gouvernement, elle prescrit encore plus impérieusement le respect de l’égalité hommes-femmes.

Les trois noms que je viens de citer ont l’avantage d’assurer une meilleure parité, une représentation équilibrée des régions. Surtout, ces trois femmes sont dotées de compétences au moins équivalentes, souvent supérieures, à bien des hommes élus ces dernières décennies au Conseil fédéral.

 

Quand Ignazio Cassis se contredit un peu

Intéressante interview du Matin dimanche qui permet de mieux connaître Ignazio Cassis. Si j’ai bien compris, il estime qu’il serait « vexatoire » d’être élue parce que femme. Mais il ne voit pas de problème à être élu au nom d’un autre quota: celui d’être tessinois. Sacrée contradiction !!!

 

Succession Burkhalter: pourquoi il faudrait s’intéresser aux compétences de candidats

Est-ce parce que la succession Burkhalter s’est ouverte après les élections présidentielles françaises, il me semble que l’on mesure cette fois-ci encore mieux que d’habitude à quel point notre pays ne fonctionne pas comme les autres. Pour le meilleur ou pour le pire.

Ailleurs, quand il s’agit de trouver des gouvernants, on s’interroge sur leurs programmes, leurs idées, leurs compétences.

Chez nous, la discussion tourne quasi exclusivement sur la provenance régionale ou cantonale, le genre. De compétences et d’idées, il en est ma foi assez peu question, comme si tout papable avait « naturellement » toutes les compétences requises, sans que l’on fasse beaucoup d’efforts pour le vérifier.

Dans un pays fédéraliste comme le nôtre, dans une société comme la nôtre, il est évidemment important de se soucier d’une juste représentativité des régions, des langues et des sexes.

Mais, le fait d’évacuer à ce point la question des idées et des compétences n’est pas très sain.

Beaucoup d’élections de ces dernières années ont privilégié les équilibres politiques. Il s’est notamment agi de trouver deux représentants de l’UDC au sens de la collégialité un rien plus développé que celui de Christoph Blocher. La satisfaction des revendications de l’UDC a-t-elle apaisé notre vie politique, rendu ce parti plus sensible aux nécessaires compromis qui sont la marque de notre système institutionnel? J’ai un gros doute.

Du coup, on se retrouve avec deux conseillers fédéraux dont le brio ne nous éblouit pas tous les matins. Doris Leuthard avait, elle, été élue pour ses compétences et son charisme, avec elle, nous n’avons pas été déçus. Le parti socialiste avait fait très fort lors de la succession Calmy-Rey en proposant deux fortes têtes, Alain Berset et Pierre-Yves Maillard. Serait-ce exagéré d’exiger du parti libéral-radical qu’il présente un ticket de la même valeur? Les intelligences et les compétences ne manquent pourtant pas au sein de ce parti, qui devrait se souvenir que la richesse de ses talents dépasse les travées du Palais fédéral.

Les questions qu’il faudrait se poser cette fois-ci pour choisir le ou la meilleur/e sont les suivantes:

  • qui pour faire avancer nos relations avec l’UE de manière durable, tant sur les fronts interne qu’externe. Qui saura le mieux convaincre à Bruxelles, dans les capitales, mais surtout en Suisse? La réponse appelle une connaissance pointue de l’enjeu, le courage de parler vrai. Un sens de la pédagogie. Que le nouvel élu reprenne le DFAE importe peu. Le Conseil fédéral dans son ensemble a besoin de nouvelles impulsions. Nos relations avec l’UE sont de la responsabilité collective du gouvernement.
  • qui pour repenser le financement de notre système de santé? Les primes d’assurance-maladie étranglent les classes moyennes, la chasse aux bobos anodins pour lesquels la population consulterait sans considération arrive à ses limites, tout comme la manie d’incriminer tel ou tel secteur (les médecins, les hôpitaux, la pharma, l’ambulatoire,…).
  • qui pour élaborer une stratégie permettant de s’attaquer à l’îlot de cherté suisse? Trente ans que l’on multiplie les études et les mesurettes et le nombre de Suisses qui traversent la frontière pour faire leurs emplettes à l’étranger ne cesse d’augmenter. D’autant que les prix étrangers sont désormais à partie de clics.
  • enfin qui pour articuler un contre-discours à celui de l’UDC prônant le repli nationaliste et égoïste? Au XXI ième siècle, la Suisse ne peut pas aller de l’avant avec une vision du monde datée. Le numérique ne disrupte pas que les activités des taxis. Le fonctionnement même des démocraties doit être repensé.

Compte tenu de l’état de la Suisse et des nouveaux défis qui l’attentent, c’est sur ces thèmes que l’on aimerait entendre les papables déployer avec force leurs convictions.

Je redoute qu’on les entende plutôt minauder pour ne pas fâcher ni effrayer les 246 grands électeurs de l’Assemblée fédérale.

C’est bien dommage, parce que le monde change, et que si la Suisse veut maintenir son train de vie, il vaudrait mieux qu’elle prenne les devants.

Pour compléter le collège actuel, il ne nous faut pas un quota linguistico-politico-acratopège, il nous faut un tempérament. Ne serait-ce que pour réveiller les autres! Après des années de gestion pépère et prudente des problèmes accumulés marquée par l’obsession de maintenir la collégialité (comme si elle était un but en soi, alors qu’elle n’est qu’un moyen), notre gouvernement doit retrouver une inspiration.

 

A la suite de cet article, La Télé m’a interviewée sur ce thème:

http://www.latele.ch/play?i=l-actu-vers-une-guerre-latine-dans-la-course-au-conseil-federal-24-07-2017-1800

 

 

 

 

Renzi – Macron: des similitudes ?

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot « rottamazione ». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir « mettre à la casse » les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le « ventennio » de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens  (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est  deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus).  Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’oeil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur  leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis 30 ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego (« si ça ne passe pas, je démissionne »). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu « In cammino ».  Il a délaissé « l’Italia riparte » (l’Italie redémarre) et  » la volta buona » (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

Quand la France redécouvre qu’un président peut faire acte d’autorité…

Tous ces vaincus par Emmanuel Macron, de droite comme de gauche, qui lui donnent des leçons de savoir-faire avec les militaires, c’est un peu pathétique.

Tous ceux qui se lamentent qu’un président fasse acte d’autorité envers les militaires préféraient-ils la mollesse de François Hollande, sa phénoménale indécision, son incapacité à trancher et à assumer?

J’exagère un peu le trait sur Hollande – avec le temps, on s’apercevra qu’il n’a pas été si nul, et que son bilan n’était pas si calamiteux.

Mais, j’ai quand même le sentiment que beaucoup en France redécouvrent ce qu’est un président et la nécessité pour lui d’être quelques fois rugueux. Le fait que cela les stupéfie tant en dit long sur la dévalorisation de la fonction présidentielle depuis Jacques Chirac!

L’entre-soi des Chambres fédérales ne peut plus durer

Tout citoyen suisses est éligible au Conseil fédéral. Mais cette possibilité ne s’est jamais concrétisée. Les Chambres fédérales ont toujours choisi dans le vivier politique (bernois ou cantonal), et quelques rares fois dans celui de la haute administration.

Au moment de choisir un nouveau membre du gouvernement collégial, l’Assemblée privilégie l’entre-soi, elle nomme l’un des 246 présents. Les conseillers d’Etat n’ont eu une chance que lorsque une situation politique complexe l’exigeait, par exemple quand il s’est agi de placer des femmes.

Conséquence de cet entre-soi,  Johann Schneider-Ammann a été préféré à Karin Keller-Sutter, ou Alain Berset à Pierre-Yves Maillard. A l’expérience avérée d’un exécutif, le réseau des Grands Electeurs a préféré le profil connu, familier.

Cette habitude, ce confort, cette prime au réseau, peuvent-ils encore durer alors que la polémique sur les liens d’intérêts de parlementaires comme Ignazio Cassis (candidat officiel de la présidence du PLR tessinois) s’aiguise?

Certes, la Suisse a un parlement de milice, et elle adore fermer les yeux sur les fils à la patte qui limitent de facto l’indépendance des députés. Admettre que le système de milice est une fiction – soit parce que les députés sont devenus des professionnels à plein temps, soit parce que ce sytème favorise l’emprise des lobbies – signifierait qu’il faudrait dépenser plus pour payer ceux qui s’investissent en politique. Le mythe n’a pas de prix, mais la politique a un coût.

Divers scandales de financement de la politique  à l’étranger et chez nos voisins, notamment en France pendant la récente campagne présidentielle, montrent que l’exigence de transparence et d’indépendance croît parmi les citoyens. La révélation des petits arrangements entre amis, des services rendus, des retours d’ascenseurs, des privilèges ès fonction, passent mal.

La Suisse n’échappera pas à ce débat. On s’est beaucoup gaussé ici des costumes offerts à François Fillon, on veut moins voir que beaucoup de nos élus aux Chambres fédérales arrondissent copieusement leurs fins de mois par des mandats lucratifs qui leur sont proposés une fois qu’ils y ont été élus! Ce n’est pas parce que ces liens sont recensés dans un registre qu’ils ne posent pas problème! Leur impact financier reste opaque.

J’en reviens aux Conseillers d’Etat. Déjà professionnels de la politique, ils sont vierges de tout lien d’intérêts, leur intégrité a déjà été testée, leur capacité à gouverner en toute indépendance est connue. C’est un avantage que les Chambres fédérales devraient mieux considérer au moment de choisir celui ou celle qui succèdera à Didier Burkhalter.