Storytelling politique: pourquoi il faut raconter une histoire, mais pas des histoires

Storytelling, le mot s’est imposé lorsque l’on évoque la communication politique. Mais raconter « une bonne histoire » est également un impératif dans les rédactions.

Invitée à m’exprimer sur ce thème à La Maison du récit (à Lausanne), le 11 févier 2022 à 19h30* , je l’aborderai avec mes trois casquettes : celle de l’historienne de formation, celle de la journaliste politique et celle de la responsable de la communication d’une collectivité publique.

Premier constat, le storytelling est devenu un concept à la mode, lorsque les grands récits idéologiques sont tombés en désuétude après la chute du mur de Berlin, en 1989. Plus de « Grand Soir »  à l’horizon, plus de concurrence dans les espérances et perspectives présentées aux populations, mais une myriade de petits récits, centrés sur une personnalité ou un parti, voire un groupe d’intérêts, proposés aux électeurs dans une démarche à bien des égards marquée par le consumérisme ambiant. Les soubresauts de la vie politique italienne ces trente dernières années avec l’émergence de Berlusconi puis du Mouvement 5 étoiles illustrent cette volatilité des électeurs-consommateurs.

Deuxième constat dans la durée: le storytelling, ce marketing centré sur un produit miracle, comme ce fut le cas pour un Tony Blair ou un Barack Obama, a été disrupté par les réseaux sociaux. À la jolie histoire ont succédé les petits phrases choc des réseaux sociaux. Nous vivons une époque de fragmentation du discours politique. L’exigence de cohérence entre les milles morceaux que nous proposent les uns et les autres disparaît. Bref, plus de récit, mais des bouts de phrase, sans contexte, et que l’on interprète d’autant plus sans fin, que l’on a perdu le fil (du récit).  

Troisième constat pour ce qui concerne la communication politique – et qui peut décevoir certains amateurs de fantasmes : les choses ne se passent pas comme dans une série américaine. En général le spin doctor – c’est rarement une femme – entre dans le bureau du président, distille quelques conseils stratégiques, l’homme d’exécutif s’exécute devant des journalistes complaisants et le tour est joué, la crise de communication résolue. C’est magique.

Dans la vraie vie politique suisse, il y a certes des communicants autour des élus et dans les administrations, mais ils disposent rarement de ce pouvoir de gourou infaillible et omnipotent. Leurs conseils sont écoutés, mais pas toujours suivis. Des conseillers fédéraux obéissant au doigt et à la baguette à un spin doctor inspiré, ça n’existe pas. Les maladresses dans la communication de l’un ou de l’autre ne sont pas le fait d’équipes qui n’auraient pas anticipé le problème, mais plutôt d’élus réticents à assumer publiquement une difficulté.

On pourrait conclure de ces trois constats liminaires que le storytelling est mort ou inopérant. Pourtant plus que jamais, les démocraties ont besoin de comprendre d’où elles viennent et où elles vont. Il faut tracer des mots et des perspectives si l’on veut que les peuples continuent à privilégier ce système de gouvernance, et ne cèdent pas au récit unique envoûtant mis en scène par les dictatures, qui prétendent avoir réponse à tout en tout temps. Il faudra raconter une histoire, pas des histoires au sens de fariboles, avec l’honnêteté intellectuelle et le respect des faits, qui devraient toujours être à la base du discours politique.  

*https://lamaisondurecit.ch/programme-saison21-22/conferences-rencontres

Salvini ou l’illusion des réseaux sociaux

Matteo Salvini est une sorte de brise-glace dans l’usage des réseaux sociaux. Le leader de la Ligue a plus de followers que les autres politiciens européens, et il vient d’expérimenter Tik Tok pour diffuser auprès du jeune public ses messages.

Manque de chance, cette innovation a été mal perçue par les utilisateurs de l’application qui se sont rebellés contre sa présence. Car telle est la dure loi des réseaux sociaux, sous l’illusion qu’ils connectent tout le monde à tout le monde, ils créent des bulles, des cocons, et n’importe qui n’est pas le bienvenu dans ce type d’espace protégé.

En Italie comme ailleurs, les réseaux sociaux offrent aux politiciens le plaisir vénéneux de croire qu’ils peuvent se passer des médias et des journalistes, pour parler directement au public sans filtre et sans contradicteurs.

Les premiers effets de cette stratégie leur donnent raison : le Brexit a trouvé une majorité tout comme Donald Trump, le tweeteur le plus frénétique de notre époque. Sauf que l’histoire n’est jamais définitivement écrite, mais se poursuit. Les manipulations derrières ces succès sont désormais connues. Il existe de véritables usines à propagande qui vendent leurs services par appât du gain ou par volonté de déstabiliser un pays.

Or, s’il est une chose que les citoyens n’aiment pas, c’est être manipulés et avoir le sentiment que l’on se moque d’eux. Sur la longue durée, ils veulent des résultats concrets, convaincants. L’amplification des belles paroles et des promesses qu’apportent les réseaux sociaux ne change pas cette finalité de la démocratie : apporter une amélioration de la situation au plus grand nombre.

Il est un autre principe de la démocratie qu’il est vain de vouloir contourner : le débat a besoin de contradictions, donc de contradicteurs. Ceux qui croient pouvoir se passer des journalistes, contradicteurs par métier, sont de mauvais politiciens qui redoutent de devoir convaincre, parce qu’ils savent que leurs arguments sont faibles, leurs convictions peu étayées, et que leur seul moteur est la soif de pouvoir.

Car la contradiction, aussi agaçante soit-elle, a de grandes vertus : elle oblige à mettre les choses en perspectives, à faire des liens, à douter et à prouver. Autant de qualités qui ont fait défaut à Matteo Salvini l’été dernier. Installé dans sa bulle, il a cru pouvoir s’imposer au gouvernement. On connaît la suite.

Avec sa démocratie directe, la Suisse aurait tort de se croire immunisée contre les dérives des réseaux sociaux. Sa légendaire opacité dans le financement des partis la rend même particulièrement vulnérable aux manipulations. Mais les récentes élections fédérales ont démontré une chose : si l’usage des réseaux sociaux par nos politiciens est devenu commun, ce sont bien les manifestations de rue qui ont été déterminantes pour amener dans les urnes un nouvel électorat, plus jeune, plus féministe. La bataille des idées et la mobilisation se sont exprimées à l’air libre, pas seulement derrière les claviers. La politique reste un art du contact et du réel.

 

 

 

 

Quand quelqu’un dit « Je ne m’occupe pas de politique »…

Le roman s’appelle « Presque une histoire d’amour », écrit par Paolo Di Paolo, un jeune prodige des lettres italiennes.

Je l’ai choisi à la bibliothèque pour son titre – bien sûr – joliment intrigant.

Outre le récit d’une relation amoureuse qui essaie de passer des balbutiements incertains à quelque chose de plus sérieux, outre une plume magnifique et un talent narratif qui réjouit, j’y ai lu quelques phrases à propos des ceux qui disent ne pas se préoccuper de politique que j’ai trouvées bougrement justes, et que j’aurais voulu formuler moi-même.  Je ne résiste pas au plaisir de les partager:

 » (…) quand j’entends quelqu’un dire « je ne m’occupe pas de politique », ça me fout en rogne. Une phrase de ce genre signifie ceci: le monde est ce qu’il est, qui suis-je donc pour le remettre en question? Voilà, cette façon de raisonner me fout en rogne. (…) Qu’est-ce qu’ils attendent des autres, ceux qui prétendent « ne pas s’occuper de politique »? Est-ce qu’ils ont le droit d’en attendre quelque chose? Est-ce que l’engagement politique ne devrait pas concerner tous les gens qui ne sont plus des enfants? »

* Paolo Di Paolo, Presque une histoire d’amour, Belfond. La citation est page 77.

Renzi – Macron: des similitudes?

Dans le flux sans cesse roulant de l’actualité, cette chronique souhaite établir des liens, tracer des perspectives, donner une profondeur historique, bref, abolir les frontières qui freinent la réflexion. L’auteure éprouvant une passion déraisonnable pour l’Europe (et même l’Union européenne), l’Italie et la Suisse, il y sera souvent question de politique mais pas que… à moins de considérer que tout est politique!

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot «rottamazione». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir «mettre à la casse» les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le «ventennio» de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus). Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’œil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis trente ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Le Wonder Boy qui aime mélanger Dante et twitter

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego («si ça ne passe pas, je démissionne»). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come-back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu «In cammino». Il a délaissé «l’Italia riparte» (l’Italie redémarre) et «la volta buona» (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

Chronique parue sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/renzi-macron-des-similitudes

La tour d’ivoire des scientifiques, c’est bien fini

Il n’y a pas si longtemps encore, on reprochait aux chercheurs et aux scientifiques de rester « dans leurs tours d’ivoire » académiques. C’est intéressant de voir qu’ils figurent désormais en première ligne pour défendre la libre-circulation des cerveaux. Sujet bien connu en Suisse depuis le brutal réveil du 9 février 2014. Et maintenant, préoccupation des chercheurs américains.

A dire vrai, ce retour dans le champ politique a commencé avec la mise en cause de l’idée de progrès et du progrès scientifique en particulier à partir des années 1970.

C’est le moment de rappeler qu’à la Renaissance, les humanistes et les artistes étaient sur tous les fronts. Voyez Léonard de Vinci, Galilée, Erasme,…

Sortir du cocon, sortir de sa « bulle » dit-on désormais, défendre ses idées et ses valeurs, aller voir ailleurs, ne pas craindre la découverte et la remise en question, voilà un impératif universel.

Le mépris de la politique finit toujours pas se retourner contre ceux qui le professent.

Le triomphe des socialistes lausannois

Six candidats élus à la Municipalité au premier tour comme il y a cinq ans. Le triomphe de la gauche lausannoise est éclatant, un rien écoeurant, décourageant, pour ses adversaires. Il semble inattendu, mais il est terriblement logique.

Le bilan de la Municipalité sortante est bon, le travail qu’elle a effectué convient bien aux besoins de ses administrés. Surtout le parti socialiste règne en maître incontesté sur la capitale vaudoise. S’il présentait à lui seul quatre candidats, s’il briguait la majorité du Conseil municipal pour lui, sûr qu’il y parviendrait! Les alliés verts et popistes, aspirés dans son sillage, peuvent lui dire merci.

Le trio socialiste qui s’impose en tête est divinement composé: Florence Germond, la responsable des finances, maîtrise les chiffres avec brio, Oscar Tosato (qui remporte un quatrième mandat) est un homme de terrain qui pratique empathie et pragmatisme, Grégoire Junod n’a pas son pareil pour empoigner les problèmes et trouver des solutions originales, à la fois fidèle à ses valeurs, mais à l’écoute de tous les citoyens. Une femme, deux hommes, des profils et des compétences complémentaires. Deux Lausannois de souche, un naturalisé, dont la trajectoire est emblématique de la capacité d’intégration de la ville et du canton.

Il y a dans le succès socialiste quelques leçons à tirer pour les libéraux-radicaux lausannois: ce qui manque à la droite lausannoise, c’est une équipe profilée de candidats et de candidates qui puissent faire figure d’alternative. Le PLR a désormais cinq ans pour constituer une dream team.