CONSÉQUENCE DE LA VOTATION DU 9 FÉVRIER dernier, l’immigration sera LE thème au cœur de la campagne des élections fédérales. Conformément à l’injonction constitutionnelle, les partis s’écharperont sur les solutions qui permettraient de réduire le solde migratoire sans fracasser l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne, et par ricochet l’ensemble des accords bilatéraux.
En parallèle, les partis seraient bien inspirés de considérer la problématique migratoire sous un autre angle. La Suisse comptera bientôt deux millions de résidents étrangers: c’est beaucoup pour un pays qui vient de dépasser les huit millions d’habitants. Cette disproportion nourrit de longue date des sentiments xénophobes: comment ne pas se sentir envahi quand, officiellement, plus d’un habitant sur quatre vient d’ailleurs?
Sauf que c’est la Suisse qui joue à se faire peur avec son énorme population étrangère. Elle pourrait facilement calmer ses nerfs – et retrouver sa sérénité sociale – en décortiquant la statistique. Un demi-million de nos «étrangers» résident chez nous depuis plus de quinze ans. Pas loin de 200 000 sont là depuis plus de trente ans. Personne ne sera surpris de savoir que la moitié de ce contingent de «vieux immigrés» est composée d’Italiens, si fustigés naguère par les initiatives Schwarzenbach, mais désormais classés comme des modèles d’intégration réussie.
A ce demi-million d’immigrés installés de longue date il faut ajouter plus de 360 000 étrangers nés en Suisse, qui seraient considérés comme de parfaits indigènes si notre pays connaissait comme tant d’autres le droit du sol. Si l’on décidait de naturaliser ces petits étrangers et les plus vieux, qui dépassent de loin les dix années exigées par la loi, on pourrait pratiquement couper en deux le pourcentage d’«étrangers» de 23,8%, et se retrouver avec un taux dépassant à peine les 10%.
Evidemment, une population où seul un habitant sur dix est – réellement – immigré se sentirait moins sous pression, beaucoup moins «envahie».
Mais les partis, même ceux à qui les diatribes obsessionnellement xénophobes de l’UDC donnent la nausée, peinent à s’emparer du sujet «naturalisation» réputé casse-gueule. Les Suisses n’ont-ils pas refusé dans les urnes en 1994 et 2004 des facilitations de procédure pour les deuxième et troisième générations?
APPELÉ PAR LE VERT GENEVOIS ANTONIO HODGERS (juste avant son départ du Parlement) à étudier les raisons du faible taux de naturalisation actuel (3%), le Conseil fédéral n’a pas non plus jugé utile de se montrer plus offensif.
En l’occurrence, l’option «couper la poire en deux» que nous suggérons ne requiert aucune facilitation pour ce qui concerne les anciens étrangers. Il s’agirait juste de les encourager par un appel solennel à déposer une demande (et peut-être d’ajuster les effectifs administratifs qui traitent environ 30 000 cas par an). Pour les nouveau-nés, un changement de la loi, qui vient d’être révisée, serait nécessaire. Le Parlement doit, en outre, se prononcer sur une proposition de la conseillère nationale Ada Marra (PS/ VD) visant la troisième génération.
Si les partis regimbent, les cantons, agacés par le vote du 9 février qui menace de casser leur dynamisme économique, pourraient aussi passer à l’action, puisque ce sont eux qui concentrent les plus grandes densités d’étrangers.
SI STRESSÉS PAR LA PRÉTENDUE «SURPOPULATION ÉTRANGÈRE», l’Überfremdung comme disent nos Confédérés d’outre-Sarine, les Suisses n’ont pas assez conscience que notre pays est une terre de migration, que toute son histoire est marquée par elle. Jadis, ce sont eux qui partaient louer leurs services comme mercenaires, employés de maison, etc. Puis, au tournant du XXe siècle, la prospérité économique s’installant, ce sont eux qui se sont mis à accueillir des forces de travail supplémentaires, nécessaires à leur bienêtre.
L’Office fédéral des migrations estime à 34,8% la part de la population issue de l’immigration. C’est bien l’indice que la Confédération, loin d’être repliée sur elle-même, est le fruit d’un puissant brassage, favorisé par sa position géographique. Cessons de détester nos origines européennes (ce sont surtout des immigrés d’Italie, de France et d’Allemagne qui ont fait souche chez nous). Encourageons massivement nos «étrangers» à acquérir un passeport rouge, sans rien renier de leur passé. La double nationalité est autorisée depuis 1992 et, bien que régulièrement sommé de revoir sa pratique, le Conseil fédéral n’entend heureusement pas revenir en arrière.
* Chronique parue dans L’Hebdo du 8 janvier 2015