Pascal Couchepin: «Je suis partisan du droit du sol»

L’Hebdo
– 26. juillet 2007
Ausgaben-Nr. 30, Page: 24
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«Je suis partisan du droit du sol»
Pascal Couchepin – Face à l’UDC qui veut imposer des naturalisations par le peuple, le conseiller fédéral radical prend clairement position pour une acquisition automatique de la nationalité suisse dès la naissance pour les enfants d’immigrés établis.
A la veille du 1er Août, de retour d’un voyage en Extrême-Orient (Japon et Mongolie) qui nourrit ses réflexions, Pascal Couchepin reçoit L’Hebdo et s’exprime sans détour sur le patriotisme, l’intégration des étrangers, son collègue Christoph Blocher et les élections fédérales. Celui qui a décidé de briguer un nouveau mandat en décembre prochain affiche la détermination sereine de l’homme d’Etat qui ne craint pas de déranger.
1. Le patriotisme
Où serez-vous le 1er Août?
Je ne ferai pas de discours. Je mangerai dans une ferme à midi, puis je monterai sur l’alpe pour assister de haut au feu d’artifice de ma ville natale de Martigny.
Avez-vous déjà célébré la fête nationale au Grütli?
Non, et je n’ai nullement l’intention de le faire à l’avenir.
Vous n’irez pas au Grütli l’an prochain si vous êtes président?
Non.
Mais y êtes-vous déjà allé?
Une seule fois, en 1991. J’y avais emmené le groupe radical des Chambres fédérales que je présidais. Et une partie de la presse nous avait qualifiés de «vieux jeu»!
Que représente cette prairie pour vous?
C’est un lieu mythique, probablement artificiel, créé par l’esprit romantique d’alors. Si tant est que le serment des trois Suisses a vraiment eu lieu, il n’a certainement pas eu lieu à cet endroit-là.
Le Grütli ne tient-il donc aucune place dans votre histoire?
Non. Ma famille est arrivée en Suisse vers 1760. Venus de France, les Couchepin se sont établis à Saint-Maurice, puis à Martigny. Ils ont participé au grand mouvement libéral des années 1820-1850, lié à la naissance de la Suisse moderne. Il n’y a presque aucun Suisse pour lequel le Grütli représente son histoire, même en Suisse allemande.
Mais le Grütli a tout de même une grande portée symbolique!
Pour une bonne partie des gens de la génération qui m’a précédé, le Grütli a été le lieu où on se réfugie lorsque les choses vont mal. Ce sentiment est lié au rapport du général Guisan en 1940, qui a bien fait de choisir cette prairie isolée. Mais le Grütli ne signifie rien d’autre.
Encore un mythe qui a la vie dure!
On sait qu’une grande partie des mythes ont été créés entre 1848 et 1850 lorsque les radicaux ont façonné une Suisse plus centralisée. Ils ont bâti le mythe du Grütli, ont récréé une émotion autour du drapeau suisse, ont nationalisé les chemins de fer, établi une monnaie nationale. A une époque marquée par la montée des nationalismes, cette Suisse moderne s’est donné des mythes identitaires pour déclarer sa différence.
Quand vous êtes-vous senti patriote pour la dernière fois?
Je me sens patriote tous les jours. Je n’ai pas de poussée libidineuse patriotique particulière.
Mais quand vous êtes-vous récemment senti particulièrement fier d’être Suisse?
C’était en Mongolie il y a quelques jours. J’y ai rencontré un compatriote, Markus Dubach, qui est notre représentant consulaire là-bas, responsable de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Cela m’a fait plaisir de constater que partout où nous allions avec lui, nous étions bien accueillis.
Vous avez toujours exprimé une certaine distance envers le nationalisme. Qu’est-ce précisément pour vous que le patriotisme?
C’est l’expression d’une réalité toute simple. L’être humain ne peut pas vivre seul. Il a besoin de s’épanouir au sein d’une communauté locale et nationale. En Mongolie, les nomades ont toujours eu un grand problème: ils vivent tous de la même manière et n’ont pratiquement pas d’échanges entre eux. Ils ne dépendent pas les uns des autres. La force d’un Gengis Khan a été de coaliser les nomades en leur disant: nous allons conquérir le monde. Est-ce une forme de patriotisme? Peut-être, même si ce n’est pas le patriotisme que j’aime.
Dans un continent européen qui s’unifie de plus en plus, ce sentiment patriotique d’appartenance restera-t-il tout aussi important?
Je ne crois pas que les communautés nationales disparaîtront. Jusqu’à présent, l’Union européenne (UE) n’a pas supprimé les nations. Elle a favorisé deux choses. Les régions d’une part: sans l’UE par exemple, jamais l’Espagne n’aurait pu accorder autant d’autonomie à ses régions sans mettre en péril son unité. Et d’autre part le sentiment d’appartenance à une communauté de destin européenne. Mais l’Espagne est restée l’Espagne.
Comment voyez-vous l’identité suisse évoluer?
La Suisse n’est pas une nation avec une langue, une religion, une histoire communes. Ce qui fait la force du patriotisme suisse, c’est notre faculté de dépasser ce qui fait ailleurs les nations pour faire un pays. Je suis inquiet pour le pays lorsqu’on décide de ne plus apprendre la langue de l’autre. Qu’est-ce qu’il nous restera alors en commun?
Vous craignez que la Suisse disparaisse un jour?
Imaginons que l’UE éclate dans cinquante ou cent ans. La France restera toujours la France avec sa grande histoire, son territoire bien défini, etc. Si un jour la Suisse entrait dans l’UE et que celle-ci implose, refera-t-on la Suisse? Je n’en suis pas si sûr.
Romands et Alémaniques utilisent de plus en plus l’anglais pour communiquer entre eux. Cela vous inquiète-t-il?
Pas vraiment. Il faut garder le goût de vivre ensemble. Cela passe par la volonté de respecter et de s’intéresser à la langue de l’autre. Mais il ne faut pas en faire un drame si on se parle anglais dans un monde globalisé. La Suisse sera en danger lorsque les Romands se désintéresseront totalement des Alémaniques – ou inversement – et que nous serons devenus indifférents les uns aux autres.
Votre femme est Française. Etes-vous double national?
Non, pas moi. Mes enfants le sont. Je leur ai enseigné un patriotisme qui n’est pas un nationalisme exclusif.
Les doubles nationaux sont-ils de moins bons Suisses que les autres?
Voyons! On peut bien sûr être double national sans être un moins bon patriote. On ne pourra jamais distinguer les Suisses qui le sont depuis la nuit des temps et ceux qui le sont depuis moins longtemps. D’ailleurs, même les plus stupides des nationalistessuisses n’ont jamais osé toucher à ce tabou. Cela montre que l’identité suisse est quelque chose à laquelle on adhère, ne dit-on pas que la Suisse est une Willensnation, une nation de volonté, et pas quelque chose qui coule dans le sang.
2. L’intégration des étrangers
La Suisse a mal à sa politique d’intégration. Ne faudrait-il pas généraliser le droit de vote des étrangers sur le plan communal?
Je ne veux pas m’ériger en directeur de conscience des communes suisses. Les étrangers travaillent et paient des impôts. Je trouve donc légitime qu’on accorde ce droit de vote à l’échelon communal.
Mais pas au niveau cantonal, pourquoi?
Parce qu’au niveau cantonal, on vote déjà sur un plan constitutionnel, qui touche les institutions. Là, si on veut influencer la vie de la famille, de la communauté, il faut en être membre. C’est logique.
La Suisse connaît le droit du sang. Faudrait-il passer au droit du sol?
Oui, j’en suis partisan. Celui qui naît en Suisse d’une famille étrangère établie chez nous de manière stable – disposant donc du permis C – doit pouvoir obtenir la nationalité helvétique.
Ce serait une révolution!
J’ai toujours été pour la solution la plus libérale en matière d’acquisition de la citoyenneté. Mais je reconnais que le peuple n’est pas mûr pour cela, plusieurs référendums l’ont bien montré. Il faut donc aller peu à peu dans cette direction, sans provocation inutile. Un enfant de la troisième génération doit pouvoir obtenir la nationalité suisse. Allons, allons, où est le problème? Puis on se posera la même question pour les enfants de la deuxième génération.
Que pensez-vous de l’idée d’expulser les jeunes délinquants multirécidivistes avec leurs familles?
Jamais avec leur famille. Je suis contre les punitions collectives. Par contre, dans des cas bien précis de jeunes étrangers irréductibles, j’approuve ce que réclame le préfet de la Gruyère Maurice Ropraz et ce qu’a déjà fait la conseillère d’Etat Karin Keller-Suter (SG). Dans des cas exceptionnels, l’expulsion peut donner un signal fort avec des conséquences positives.
Et la prison pour des jeunes au-dessous de 15 ans?
Je n’aime pas ça. Renoncer à chercher la bonne solution pour de jeunes délinquants et céder à la répression pure n’est pas acceptable. Emprisonner quelqu’un à 14 ou 15 ans, c’est pratiquement le condamner pour toute sa vie. On ne peut pas priver ces jeunes de tout avenir.
3. L’écologie
Parlons d’un thème très tendance, l’écologie. Prend-il trop de place dans la campagne électorale?
Quelle comédie! C’est comme après Luther. Les chapelles environnementalistes se multiplient. Il y a les anabaptistes de l’écologie (les Verts), les réformés modérés (Verts libéraux), une nouvelle sensibilité (Ecologie libérale), les réalistes (les radicaux environnementalistes) et enfin ceux qui nient la réalité du réchauffement climatique.
Et vous, dans quelle chapelle vous situez-vous?
Dans la chapelle réaliste qui a commencé à prendre conscience du problème dans les années 80, puis à agir dans le concret. Cette nuit, je me demandais justement qui, de Lausanne ou Martigny, avait le plus travaillé en faveur de l’environnement.
Une comparaison difficile…
Peut-être, mais tentons-la. Certes, Lausanne vend du courant vert et achèvera bientôt son métro M2. A Martigny, voici vingt ou trente ans déjà, nous avons installé le chauffage à distance pour réduire la pollution, réalisé une station d’épuration où le compost est récupéré pour produire de l’électricité, organisé des journées de l’énergie. Finalement, notre bilan s’avère assez brillant.
Tout de même, dans le livre d’entretiens que vous avez accordés à Jean Romain en 2002, vous ne consacrez pas une ligne au réchauffement climatique.
Parce que, à l’époque, ce n’était pas un débat. Mais je constate qu’à Martigny, nous avons travaillé pour l’écologie sans se prévaloir d’un ton moralisateur ou catastrophiste.
N’est-ce pas parce que les radicaux et même les socialistes ont sous-estimé l’ampleur du problème que les Verts ont autant de succès aujourd’hui?
C’est vrai aussi, je le reconnais. Mais une anecdote m’a frappé. Récemment, quelqu’un m’a confié qu’il resterait à Zurich durant ses vacances tout simplement pour le bonheur de se baigner dans le lac, ce qui était impossible voici vingt ou trente ans. Eh bien, ce ne sont pas les Verts qui ont construit les stations d’épuration dans les années 70. A l’époque, ils n’existaient pas.
Que leur reprochez-vous?
Les Verts me font parfois penser à ceux qui donnent volontiers 100 francs pour soulager les victimes d’un tsunami lointain, mais qui détestent tous leurs voisins. Je suis personnellement convaincu qu’on ne pourra pas se passer d’une nouvelle centrale nucléaire. Or, les Verts ne veulent pas résoudre le problème de la pénurie d’électricité qui menace: ils préfèrent imposer leurs dogmes antinucléaires. Ils consacrent plus d’énergie à témoigner de leur grandeur qu’à proposer des solutions concrètes.
4. Les élections fédérales
En octobre 2004, vous avez déclaré que la vision de la souveraineté populaire de Christoph Blocher était un danger pour la démocratie. Qu’en pensez-vous trois ans plus tard?
Je constate que sur ce point comme sur d’autres, Christoph Blocher a changé de discours. Il a désormais surtout envie de pouvoir présenter un bilan, comme nous tous d’ailleurs. Et pour avoir un bilan, il ne peut se permettre de rester isolé. Il a fait des efforts pour s’intégrer au système de consensus. Au début de son mandat, Christoph Blocher voulait voter sur tout. Avec le temps, il s’est aperçu qu’il valait mieux tenter de chercher des compromis.
Quand un conseiller fédéral critique à l’étranger une loi votée par le peuple, s’en prend au Tribunal fédéral…
Il y a des choses qu’on ne doit pas faire, mais je ne suis pas parfait non plus. Certaines remarques que Christoph Blocher a faites sur le Tribunal fédéral sont imprudentes. Mais c’est une infraction ponctuelle. On ne retire pas définitivement le permis de conduire pour une infraction occasionnelle.
Finalement, les institutions ont eu raison de Christoph Blocher?
Il a compris lui aussi que les institutions dépassent les individus. Elles ont fini par encadrer l’action de mon collègue Blocher, qui a également contribué au succès de cette législature.
Ce n’est donc plus le grand méchant loup dans la bergerie?
Ce qui me fâche dans votre expression n’est pas que vous le qualifiiez de loup, mais que vous traitiez les autres de moutons!
Pourtant, on dit volontiers que vous et Moritz Leuenberger restez au Conseil fédéral pour faire rempart à Christoph Blocher!
Je pense qu’il faut des gens forts, non pas pour faire rempart à quelqu’un, mais pour exprimer des valeurs. C’était le cas dans ce débat sur la démocratie. Christoph Blocher pensait que la souveraineté populaire était absolue. De mon côté, je prétendais qu’il y a des valeurs qui dépassent le vote populaire. La démocratie, c’est le vote populaire, mais aussi l’équilibre des pouvoirs, la tolérance, la valeur de la personne humaine qui est intangible. Et cela, même si le peuple décidait de le supprimer, ce sera faux!
Ce débat sur la souveraineté du peuple n’a pas quitté le haut de l’affiche…
Non. Là, je dois rendre hommage à Christoph Blocher. Il n’a jamais plus répété ce qu’il avait dit à l’époque.
Lui peut-être, mais pas son parti, l’UDC!
Christoph Blocher est tout de même l’autorité morale de son parti. C’est un sacré progrès.
Le Tribunal fédéral a déclaré anticonstitutionnels les impôts dégressifs d’Obwald. Seule l’UDC ne reconnaît pas ce jugement…
Christoph Blocher n’a rien dit là-dessus. Et le débat est légitime sur la question de savoir si le TF est compétent pour aller aussi loin. Que l’UDC veuille changer les règles du jeu, c’est légitime, même si j’y suis opposé. Lorsque les socialistes contestent le jugement du tribunal dans le procès Swissair, ils voudraient aussi modifier les règles du jeu. Ces deux partis pensent fondamentalement que les institutions doivent servir un objectif politique précis. Nous, les libéraux, faisons confiance aux institutions, qui doivent trancher de manière indépendante.
Quel bilan tirer de la législature 2003-07, que l’on annonçait bloquée?
C’est une des meilleures législatures de ces vingt, trente dernières années. Nous avons abouti sur les négociations bilatérales II, fait des progrès sur l’assurance maladie, révisé l’assurance invalidité, introduit un congé maternité, développé les transports publics, rétabli l’équilibre des finances, accepté la révision de l’asile. Les résultats du gouvernement sont bons, indéniablement. Mais l’atmosphère politique s’est dégradée.
Que voulez-vous dire?
Notre système de démocratie directe est basé sur une certaine cohérence politique. Or, les partis et mouvements qui se multiplient empêchent de suivre une ligne claire. Le système va s’épuiser si on ne se montre pas plus conséquent. Les réformes deviennent de véritables parcours du combattant et sont désormais si pénibles à faire passer qu’il faudra peut-être choisir des conseillers fédéraux uniquement en fonction de leur capacité à supporter l’impopularité.
Que faudrait-il changer pour aller plus vite?
Il faudrait que l’opinion publique suisse reprenne conscience que la politique n’est pas l’écume des vagues, mais la vague et même la masse d’eau qui la porte. Pour qu’elle ne fasse pas triompher les partis qui font des coups médiatiques, mais ceux qui travaillent pour faire aboutir les réformes.
Ne faudrait-il pas que les partis se mettent d’accord sur un programme de législature qui rende les votes du Parlement moins improbables?
Oui, ce serait idéal. Fulvio Pelli, l’excellent président du Parti radical, a fait des propositions dans ce sens. Je souhaite qu’il réussisse.
Des politiciens se plaignent de recevoir des menaces de mort…
Je fais de la politique depuis quarante ans. J’ai moi aussi plusieurs fois reçu des menaces de mort, mais je ne suis jamais allé pleurnicher dans la presse pour me faire passer pour une victime. Je fais partie de la vieille école qui pense que lorsqu’on est un notable, on n’est pas une victime. Aujourd’hui, hélas, la société n’a trop souvent de respect que pour les gens qui jouent les victimes.
Le climat politique ne risque-t-il pas de se dégrader encore avec cette initiative qui vise l’interdiction de la construction de minarets?
Elle n’a pas encore abouti. De toute façon, elle n’a aucune chance devant le Parlement, puis devant le peuple. Peut-être que le musulman construit le minaret, mais le minaret ne fait pas le musulman. Ayons un petit peu de bon sens. |

Propos recueillis par Chantal Tauxe et Michel Guillaume

Grütli S’il devient président de la Confédération l’an prochain, il jure de ne pas aller sur la prairie le 1er Août.
L’identité suisse vue par un bondyblogueur
En stage à la rédaction, Idir Hocini, en provenance de la banlieue parisienne, essaie de comprendre qui sont les Suisses.

Idir Hocini

«Vous êtes Français? Faites attention à vos bagages, ici. Gardez tout sur vous, bien caché. Il y a des Bulgares et des Tsiganes, des Suisses aussi, remarquez, mais ce sont des drogués.»
Conseil donné par une dame âgée, à qui je demande mon chemin, perdu quelque part entre la gare de Lausanne et la rédaction de L’Hebdo. En une recommandation, la passante envoie valdinguer deux clichés: primo, elle n’a pas l’accent traînant qu’ont les Suisses dans les publicités françaises; deuxio, elle se sent en insécurité. Incroyable! L’image d’un havre de paix confédéré, chanté par le Guide du Routard, en prend un sérieux coup. La gentille vieille dame aux idées arrêtées on la trouve également à Bondy. Sauf qu’elle aurait dit «Arabes ou Noirs» au lieu de «Bulgares». Pour les Tsiganes, pas besoin d’adaptateur de prise, c’est une norme internationale du poncif. Le matin suivant mon arrivée, plusieurs journaux relatent le fait suivant: une passante de Genève reçoit une claque de la part d’un individu malveillant. La Suisse rachète dès lors son harmonieux pedigree: une claque? Trop banal, pas assez violent. La plus petite feuille de chou de l’Hexagone n’aurait jamais relevé l’information. De l’autre côté du Jura, seul le sang fait couler l’encre.
La Suisse à l’étranger, ce sont surtout les montres et la précision. Le prestige est amplement mérité: la ponctualité des CFF confine à la téléportation? Et quelle patience citoyenne devant les bandes jaunes des passages pour piétons ! En observant les Lausannois traverser la chaussée, je sais désormais à quoi servent les petits bonhommes clignotants à côté des feux. La vraie découverte reste politique. A Bondy, pour aller aux urnes, on met ses souliers neufs et ses nouveaux habits soldés, excité comme un gamin le jour de la rentrée. Voter en France, est une pratique rare, tous les cinq ans quand ça compte vraiment, aux présidentielles. Communales, cantonales, fédérales? Les Suisses votent tout le temps. Ça compte et c’est presque à volonté. Vous en avez gros? Vous n’êtes pas contents? Initiative populaire, puis votation. Génial! Ici tout est exotique pour le ressortissant d’un état centralisateur. En Romandie, on est surtout Vaudois ou Genevois, chez nous c’est La France! Mauvais perdant du duel l’ayant opposée à la perfide Albion, le plateau des 360 fromages ne fait se gausser que le Gaulois nouveau. Le Suisse est plus polyglotte, son profil international, beaucoup mieux affirmé. Vous devez être bien à l’étranger.
Une démocratie et des montres à la mécanique mieux huilée qu’au pays, je n’apprendrai rien à mes frères bondynois en rentrant. Reste un grand mystère: comment une nation sans accès à la mer, peut-elle gagner la Coupe de l’America deux fois de suite? |