Dans la campagne sur la naturalisation facilitée de la troisième génération, beaucoup objectent que les étrangers présents depuis plusieurs décennies ont déjà la possibilité de se naturaliser, et que s’ils ne l’ont pas fait, c’est que grosso modo ils ne se sentent pas très suisses, ou alors n’aiment pas vraiment notre pays.
Il vaut la peine de se pencher sur cet argument. Prenons l’exemple des Italiens, le groupe le plus concerné par la votation du 12 février.
La première génération d’immigrés, ceux qui sont arrivés dans les années 1950 et 1960, s’est pris les initiatives Schwarzenbach dans les dents. Même si aucune n’a été acceptée par le peuple, cela a refroidi les ardeurs. Les débats virulents de l’époque avaient révélé une sombre hostilité à la présence des « ritals ».
Dans les familles, le choix de s’établir définitivement en Suisse n’était pas sûr (fluctuant au gré des conditions sévères de l’époque pour obtenir le permis d’établissement), le rêve de retourner au pays tenace. La première génération a donc souvent légué à la deuxième la responsabilité de trancher: rester en Suisse ou tornare in Italia. Eternel dilemme des immigrants. A l’époque la double nationalité n’était pas autorisée.
Beaucoup de secundo ont demandé le passeport rouge à croix blanche, mais pas tous. Nombre de naturalisations se sont réalisées aussi par mariage avec un Suisse ou une Suissesse. Mais il y a eu aussi énormément d’unions entre étrangers – un mariage sur trois.
Et finalement, 50 ans après le choix des grands-parents, on se retrouve avec une troisième génération sans passeport suisse, bien que née et éduquée ici. Des petits étrangers malgré eux, qui subissent les non choix ou les hésitations de leurs ascendants.
Le nombre de naissances d’étrangers en Suisse est considérable. Sur 86559 naissances recensées en 2015, 25215 bébés étaient étrangers dès leur premier cri.
L’initiative, lancée par Ada Marra et qui introduit un droit du sol sous condition, est donc une réponse pragmatique à cette absurdité statistique qui consiste à compter comme migrants étrangers des bébés nés chez nous. La procédure facilitée se veut un encouragement. Ni plus, ni moins.
L’époque est à la rigidité identitaire. Compte tenu de notre histoire migratoire (qui se confond avec celle de nos besoins économiques – donc de notre prospérité), nous Suisses devons admettre qu’une partie non négligeable de la population a des racines ici et ailleurs, et que cela n’est pas une tare, mais une richesse.
Il n’est pas facile pour un immigré de décider de se naturaliser. Les histoires familiales sont complexes, la peur de donner le sentiment de renier les parents ou les grands-parents est réelle, et peut parfois paralyser des gens parfaitement intégrés en Suisse. On se la joue « je suis rital et je le reste » (comme disait la chanson) par fidélité, nostalgie, même si la vie et l’avenir sont en Suisse. Ces sentiments sont respectables, ils sont du même ordre que ceux qu’éprouvent un Valaisan établi à Genève par rapport à sa vallée d’origine, ou ceux d’un Vaudois domicilié à Zurich quand il pense à son canton d’origine.
J’ajoute un dernier point: voter oui le 12 février, c’est un signe d’amitié à nos camarades d’école, qui ont grandi avec nous, ou aux copains de nos enfants, bref la reconnaissance de la Suisse telle qu’elle est.