Laudatio de Luciana Vaccaro

Gentile Signora Vaccaro

Chère Luciana

C’est un plaisir et un honneur pour moi de prononcer cette laudatio à l’occasion de la remise du prix européen dans la catégorie économie et société. *

Votre parcours est une belle trajectoire européenne, caractéristique des ambitions et des opportunités que l’Europe s’est donnée en coalisant ses forces.

Vous êtes née à Genève, parce que votre père était venu travailler au CERN, comme tant de scientifiques afin de dessiner « l’autoroute des particules ».

Très vite votre famille rentre à Naples, où vous allez grandir et vous former dans une des plus vieilles universités du continent, fondée en 1224 par Frédéric 2, un empereur du Saint-Empire.

Arrêtons-nous sur cette date de 1224, bientôt 800 ans – la Suisse n’existe pas, les cantons ne se sont pas encore coalisés pour prendre leur distance et un peu d’autonomie avec le pouvoir impérial. Mais dans l’espace européen qui va marcher peu à peu vers la Renaissance, la diffusion et le partage de la connaissance deviennent un enjeu essentiel.

Pour se former les étudiants voyagent d’une ville à l’autre, d’une université à l’autre, en fonction de la réputation des professeurs. Je souhaite ainsi rappeler que bouger pour se former, parfaire son éducation au contact d’autres écoles et d’autres cultures est une vieille tradition humaniste européenne, qui s’incarne désormais dans les programmes Erasmus.

Très tôt avec Bologne, Salerne et Naples, l’Italie dont vous êtes originaire, s’est illustrée dans le partage du savoir.

Après Naples, où vous êtes diplômée en physique, vous revenez en Suisse, engagée au CERN, puis très vite à l’EPFL, où vous obtenez un doctorat en microtechnique, en 2000.

Vous passez ensuite par l’Institut de microtechnique de Neuchâtel, puis retour à Lausanne, à l’université comme directrice des programmes de troisième cycle en économie et gestion de la santé.

Retour ensuite à l’EPFL en 2009 pour mettre en place et gérer le Grants office, avec pour mission d’assurer le financement de la recherche suisse et européenne.

En 2013, vous devenez rectrice de la HES-SO, la haute école spécialisée de Suisse occidentale, une construction en réseau baroque et fédéraliste sur laquelle les cantons se sont mis d’accord afin de ne priver aucun territoire de pôles de formation.

Pour ceux qui ne la connaissent que de nom, rappelons que la HES-SO a été fondée en 1998. Derrière l’université de Zurich et l’Ecole polytechnique de Zurich, elle occupe le troisième rang des plus hautes institutions de formation de Suisse, accueillant plus de 22000 étudiantes et étudiants. Elle regroupe 28 hautes écoles spécialisées dans 7 cantons, plus de 70 filières Bachelor et Master, 1867 chercheuses et chercheurs. Vous êtes la première femme à ce poste.

Vous êtes aussi depuis le mois de février de cette année la première femme à présider Swissuniversities, le lobby des plus hautes institutions de formation du pays.

Cette nomination d’une rectrice de HES prouve que les écoles techniques se sont hissées au niveau des institutions académiques les plus prestigieuses. C’est une belle reconnaissance du travail des HES.

Votre parcours personnel illustre la diversité et la force de toutes nos filières de formation.

Je soupçonne toutefois que ceux qui vous ont choisie ont aussi parié sur le fait que vous connaissez parfaitement les enjeux de l’arrimage de la Suisse aux programmes de financement européens de la recherche et de l’innovation.

Pour vous avoir accueillie lors d’un déjeuner débat de la section vaudoise du Mouvement européen, je sais que votre force de conviction s’appuie sur une connaissance solide, précise et concrète de ce que les fonds européens amènent à la Suisse.

Pas seulement de l’argent, mais des réseaux, de nouvelles idées, une émulation entre chercheurs, du succès, ou si l’on veut de meilleures conditions pour proposer aux entreprises des solutions gagnantes et plus efficaces que lorsque l’on travaille en vases clos.

 Dans votre plaidoyer pour sensibiliser nos élus à l’urgente nécessité de se réconcilier avec nos partenaires européens, vous saurez amener des exemples concrets de ce dont les étudiants et chercheurs des HES ont pu bénéficier avant que la Suisse ne soit rétrogradée dans les programmes d’Horizon Europe.

Votre travail de conviction sera d’autant plus précieux que l’Union européenne avance à grands pas dans la reconstitution de nouvelles filières industrielles stratégiques, dont la Suisse risque là aussi d’être écartée faute de renouvellement de nos accords bilatéraux.

Vous avez donc le charisme et la conviction. Mais vous avez aussi une autre qualité rare, mais très précieuse pour nous les membres du Mouvement européen, vous êtes courageuse, vous affichez vos convictions favorables à l’intégration européenne, là où tant d’autres se taisent, réduisant la dispute entre Berne et Bruxelles à des enjeux techniques ou juridiques.

Vous, vous ne faites pas semblant que la dimension politique de nos liens avec l’Union européenne, n’existe pas.

Dans le monde académique qui se plaint beaucoup des conséquences de la rupture avec les Européens, vous vous engagez clairement et avec courage. Merci à vous pour ce que vous êtes, pour votre sincérité et votre ténacité.  

Ces qualités vous viennent de votre parcours, de votre identité suisse et italienne, et il me semble de votre formation : vous êtes une physicienne et vous pratiquer l’approche systémique très naturellement, là où tant d’autres isolent les problèmes ou les difficultés et négligent l’importance des connections.  

En vous remettant ce prix, le Mouvement européen vous remercie de votre engagement, et vous souhaite, nous souhaite, que vos efforts nous ramènent dans le système européen.

La ringraziamo. Siamo orgogliosi di potere riconoscere con questo premio il suo impegno per la Svizzera, per l’Europa, e per un futuro migliore della ricerca svizzera in Europa.

*texte prononcé à Berne, lors de l’Assemblée du Mouvement européen Suisse, le 13 mai 2023