Aussi longtemps qu’on se réjouira de briser les plafonds de verre…

L’historienne Brigitte Studer le rappelle dans « La conquête d’un droit. Le suffrage féminin en Suisse »* : il aura fallu près de 90 votations – communales, cantonales et fédérales – et 120 ans pour que les femmes suisses obtiennent en 1971 ce que les hommes avaient obtenu en 1848. Quand l’histoire avance si lentement, il ne faut pas s’étonner que la parité relève encore dans notre pays de l’utopie. Il en sera ainsi aussi longtemps que nous nous réjouirons qu’une femme brise un plafond de verre en devenant première ceci ou cela. Cette attention à une bienheureuse rupture avec la routine signalera que la progression des femmes reste une exception.**

Dans ce bilan des succès et des défaites de la cause féminine, permettez-moi d’employer le « je ». Ma mère n’avait pas le droit de vote fédéral quand je suis née. Le canton de Vaud le lui avait toutefois accordé sur le plan communal et cantonal. Je le dis souvent à mes filles : on revient de loin !

Quand je fus nommé cheffe de la rubrique Suisse dans un quotidien romand, les assistantes de direction me dirent leur émotion parce que c’était la première fois qu’une femme était placée à la tête d’une rubrique sérieuse et pas des pages féminines ou culturelles. C’était dans les années 1990.

Ma génération est celle qui a bénéficié de la démocratisation des études, et nous fûmes nombreuses à accéder à des postes intéressants, à concilier une vie professionnelle exigeante avec les joies de la maternité. Cette arrivée massive de jeunes femmes aussi bien formées que les hommes dans les entreprises et les administrations est un des succès les plus notables de l’après 1971. Le Kinder, Küche, Kirsche qui avait enfermé tant de mères à la maison appartient au passé, ou relève d’un choix personnel. Ce n’est plus une fatalité.

Par contre, dans ce monde professionnel, ma génération a désagréablement découvert qu’à travail égal, le salaire n’était pas égal. L’écart se résorbe avec le temps, mais il demeure trop important. Le manque de volonté politique, mais aussi du monde entrepreneurial, pour imposer cette équité de traitement reste un scandale auquel on s’est habitué. De ces salaires plus bas découlent de nouvelles inégalités en cas de divorce ou au moment de la retraite, qui limitent d’autant l’indépendance et le destin des femmes.

L’autre grande défaite féminine – à moins qu’il ne s’agisse au fond d’une défaite masculine – est le sexisme persistant dans l’espace et le débat publics. L’ampleur du phénomène de harcèlement sexuel est également décevant : 40 ans après l’inscription dans la Constitution fédérale du principe de l’égalité entre les sexes, il se trouve toujours des hommes qui se croient autorisés à considérer les femmes comme une chose qu’ils peuvent ennuyer et humilier.

Quand donc l’égalité des chances et l’égalité de dignité seront-elles effectives ? Il faudra encore quelques vagues violette à tous les niveaux de pouvoir économiques et politiques. Pensez qu’il se trouve encore des cantons sans conseillère d’Etat. Quel archaïsme !

*Paru aux éditions LIVREO/ALPHIL 

**Article paru le 31 janvier en italien dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè

Elus déconnectés du terrain: un nouvel exemple

Quel que soit le résultat de l’initiative Pro Services Publics, on peut déjà dire que le Parlement est passé complètement à côté de l’exaspération populaire face aux CFF, Swisscom et la Poste. La classe politique s’est montrée totalement déconnectée des réalités du terrain.

Elle débat sans fin de l’asile, alors que la situation est fonction des crises internationales et d’un cadre légal très influencé par le droit international (conventions de Genève sur les réfugiés, accords de Dublin).

L’histoire de cette campagne sur la qualité des services publics, qui s’est déroulée dans un climat de mauvaise foi stupéfiant de la part des opposants, plaide pour l’instauration de hearings durant lesquels les Chambres écouteraient les arguments des comités d’initiative, déblayeraient le terrain de leur interprétation et de leur application au cas où. De telles auditions permettraient de décider d’élaborer un contre-projet quand on constaterait que l’intention est bonne, mais sa traduction constitutionnelle pas adéquate.

Va-t-on vers le même constat de malentendu avec le congé-paternité ? Le texte des syndicats, lancé cette semaine, demande quatre semaines au moins pour les pères, financées de la même manière que le congé maternité, c’est-à-dire par les allocations pertes de gain, dont bénéficient les militaires.

Lors de la conférence de presse, Travail.Suisse a indiqué que ces quatre semaines pourraient être prises durant l’année qui suit la naissance. Cela ne figure pas explicitement dans le texte. C’est ce genre de détail qui peut empoisonner une campagne.

Sur le fond pourtant, la revendication d’un congé-paternité plus substantiel que les 1 à 5 jours accordés actuellement est totalement légitime. La Suisse, qui rêve de limiter le recours à la main d’oeuvre étrangère, accuse un profond retard sur les autres pays.

En fait, si l’on était vraiment moderne, si l’on était vraiment des citoyens du XXI ième siècle, on devrait être en train de discuter d’un congé parental de six à douze mois à répartir entre le père et la mère.

Là encore, la classe politique, du moins la majorité qui a refusé la proposition du PDC Martin Candinas en avril dernier, est totalement déconnectée du terrain, de la vie des jeunes couples, des aspirations des nouvelles générations. Beaucoup de parlementaires jugent cette revendication en fonction de son impact économique ou restent prisonniers de leur allergie viscérale à l’idée de parité homme-femme, ils ne veulent pas voir l’enjeu sociétal d’une telle mesure.

De nombreux sondages ont indiqué depuis des années que 80 % des Suisses sont favorables à un congé-paternité. C’est-à-dire que 80 % des Suisses aspirent à ce que les familles se développent harmonieusement dans le respect des aspirations et des rôles de chacun. Qu’est-ce qu’il y a de si difficile à comprendre ?

* publié le 29 mai 2016 sur le site de L’Hebdo