L’entre-soi des Chambres fédérales ne peut plus durer

Tout citoyen suisses est éligible au Conseil fédéral. Mais cette possibilité ne s’est jamais concrétisée. Les Chambres fédérales ont toujours choisi dans le vivier politique (bernois ou cantonal), et quelques rares fois dans celui de la haute administration.

Au moment de choisir un nouveau membre du gouvernement collégial, l’Assemblée privilégie l’entre-soi, elle nomme l’un des 246 présents. Les conseillers d’Etat n’ont eu une chance que lorsque une situation politique complexe l’exigeait, par exemple quand il s’est agi de placer des femmes.

Conséquence de cet entre-soi,  Johann Schneider-Ammann a été préféré à Karin Keller-Sutter, ou Alain Berset à Pierre-Yves Maillard. A l’expérience avérée d’un exécutif, le réseau des Grands Electeurs a préféré le profil connu, familier.

Cette habitude, ce confort, cette prime au réseau, peuvent-ils encore durer alors que la polémique sur les liens d’intérêts de parlementaires comme Ignazio Cassis (candidat officiel de la présidence du PLR tessinois) s’aiguise?

Certes, la Suisse a un parlement de milice, et elle adore fermer les yeux sur les fils à la patte qui limitent de facto l’indépendance des députés. Admettre que le système de milice est une fiction – soit parce que les députés sont devenus des professionnels à plein temps, soit parce que ce sytème favorise l’emprise des lobbies – signifierait qu’il faudrait dépenser plus pour payer ceux qui s’investissent en politique. Le mythe n’a pas de prix, mais la politique a un coût.

Divers scandales de financement de la politique  à l’étranger et chez nos voisins, notamment en France pendant la récente campagne présidentielle, montrent que l’exigence de transparence et d’indépendance croît parmi les citoyens. La révélation des petits arrangements entre amis, des services rendus, des retours d’ascenseurs, des privilèges ès fonction, passent mal.

La Suisse n’échappera pas à ce débat. On s’est beaucoup gaussé ici des costumes offerts à François Fillon, on veut moins voir que beaucoup de nos élus aux Chambres fédérales arrondissent copieusement leurs fins de mois par des mandats lucratifs qui leur sont proposés une fois qu’ils y ont été élus! Ce n’est pas parce que ces liens sont recensés dans un registre qu’ils ne posent pas problème! Leur impact financier reste opaque.

J’en reviens aux Conseillers d’Etat. Déjà professionnels de la politique, ils sont vierges de tout lien d’intérêts, leur intégrité a déjà été testée, leur capacité à gouverner en toute indépendance est connue. C’est un avantage que les Chambres fédérales devraient mieux considérer au moment de choisir celui ou celle qui succèdera à Didier Burkhalter.

Le pouvoir aura toujours sa part d’ombre

A Berne, les lobbyistes sont trois fois plus nombreux que les journalistes accrédités : 450 contre 150. Des chiffres à mettre en regard des 246 parlementaires chargés de voter nos lois.

Pourquoi sont-ils si nombreux? Des chercheurs universitaires viennent de livrer quelques explications. Autrefois, le travail d’influence se faisait en amont dans de petits cercles mêlant décideurs politiques et économiques. Le Parlement était alors considéré comme une chambre d’enregistrement. Aujourd’hui, les majorités sont plus difficiles à trouver, le Parlement a gagné en importance, et qui souhaite l’infléchir doit être présent lors des débats.

Autre changement majeur, l’internationalisation des managers à la tête des entreprises suisses. Ces dirigeants venus d’ailleurs sont mal connectés au tissu politique, il arrive qu’ils ne maîtrisent même pas une de nos langues nationales. Les sociétés ont donc besoin d’émissaires ou de mercenaires, les lobbyistes, pour défendre leurs intérêts.

A la suite de l’ « affaire » Markwalder, de nombreuses voix réclament plus de transparence sur ceux qui oeuvrent en coulisses, et notamment sur les liens financiers qui peuvent s’installer avec les élus.

La transparence est le véritable mantra de notre époque. Le sentiment prévaut que lorsque tout le processus décisionnel serait devenu transparent, tout serait plus juste, plus équitable, plus efficace.

Un coup d’oeil sur ce qui se passe à l’étranger devrait nous rendre plus circonspects. La transparence des financements de campagne aux Etats Unis n’empêche ni les tentatives de corruption ni les scandales, ni les manipulations. La masse des données publiées noie ceux qui cherchent à comprendre qui a voulu influencer qui.

Rien ne remplacera jamais l’intégrité personnelle, le sens de l’éthique. L’exercice du pouvoir aura toujours une part d’ombre. Il n’est pas toujours souhaitable de tout savoir tout de suite. Les responsables politiques ont parfois besoin d’une certaine confidentialité pour avoir le courage de trancher. L’instauration d’une transparence absolue pourrait conduire à la paralysie et à une soumission aux diktats d’une opinion parfois volage.

En matière de transparence sur le financement des partis politiques et sur les liens que les élus entretiennent avec les lobbyistes, la Suisse a indéniablement des progrès à accomplir. Mais il faudrait aussi muscler les organes de contrôle a posteriori, organiser de meilleurs contre-pouvoirs. Pourquoi ne pas instaurer des auditions publiques sur le modèle américain, qui permettent aux parlementaires d’investiguer au grand jour sur les décisions controversées ? Chez nous, les commissions d’enquête oeuvrent à huis clos. Organiser des débriefings de crise visibles par les citoyens constituerait le meilleur moyen de lutter contre les abus des pouvoirs occultes, et les trafics d’influence.

* Texte paru en italien sur le site du Caffè http://www.caffe.ch/section/il_punto/