1:12 : L’USAM meilleure qu’économiesuisse?

L’initiative 1:12 rejetée, l’USAM qui a mené la campagne est dans le camp de gagnants et a réussi là où économiesuisse a failli à contrer la proposition de Minder. Victoire symbolique des petits patrons contre les grands?

De fait l’argumentaire de l’USAM n’a pas été très différent de celui utilisé par Economiesuisse ce printemps. Ont été beaucoup brandies les craintes de casser un modèle économique actuellement performant et d’encourager les délocalisations.

Mais la solidarité affichée par les responsables de PME envers les multinationales exportratrices a touché les Suisses. L’économie est un tissu, le succès des uns dépend du succès des autres, les sous-traitants dépendent de grands groupes, les fournisseurs locaux vivent des sociétés internationales.

On se demande si l’image aura la même efficacité en février prochain, lorsqu’il s’agira de voter sur l’initiative « contre l’immigration de masse ».

Alors l’USAM meilleure qu’Economiesuisse? Ce n’est pas certain, puisque si le casting a changé les arguments étaient similaires. Simplement, avec leur oui au texte de l’entrepreneur Minder, les Suisses estiment avoir déjà tancé les hauts managers aux salaires stratosphériques.

J’ai personnellement un regret par rapport à la campagne: que la vénalité de ceux qui touchent des salaires à plusieurs millions n’ait pas été plus soulignée, ou au moins questionnée. Qu’est-ce qui justifie vraiment ces hauts salaires? La capacité de prendre des décisions courageuses? Mais décider ne nécessite-t-il pas parfois de douter? Et donc comment se remettre en cause quand votre salaire indique que vous êtes le meilleur? Comment oser douter quand on vaut des millions? Et comment susciter l’adhésion des employés à un changement de cap, quand on est si déconnecté des réalités humaines? Ces objections sont restées sans réponses.

Le bon score relatif de l’utopie 1:12 (qui n’avait aucune chance face à l’écueil de la double majorité du peuple et des cantons) annonce par contre que le débat sur le salare minimum à 4000 francs n’est pas gagné d’avance. Ni pour l’USAM, ni pour Economiesuisse.

http://www.hebdo.ch/news/politique/dimanche-de-votations-lhebdo-est-sur-le-pont

Défaite sèche pour Doris Leuthard

Doris Leuthard subit une défaite sans précédent. Pas un seul canton n’a accepté la vignette à 100 francs! Comme je l’écrivais dans notre édition de jeudi:

« Ainsi va la démocratie suisse; alors qu’ailleurs la popularité se traduit en succès politiques assurés, il n’est pas du tout certain que la plus aimée de nos ministres, Doris Leuthard, soit parvenue à faire passer la vignette de 40 à 100 francs. »

L’argument « automobilistes vaches à lait » saccage tout sur son passage, y compris les trop subtiles tentatives de comprimis ou de paquets ficelés au Palais fédéral. Et y compris donc la plus populaire de nos ministres.

C’est inquiétant vu les besoins en financement de toutes nos infrastructures de transports.

  http://www.hebdo.ch/news/politique/dimanche-de-votations-lhebdo-est-sur-le-pont

Tous des Neinsager

C’est assez rare pour être souligné, nous sommes tous, de Romanshorn à Genève, des Neinsager. Aucun canton pour dire oui à la vignette à 100 francs, aucun pour approuver 1:12 (même si le Tessin a failli se singulariser avec 49% de oui). Et pour ce qui concerne l’initiative pour les familles, à peine 2,5 petits cantons pour dire oui, alors que traditionnellement ils sont les premiers dans le camp des Neinsager.

Dans le détail, bien sûr, il y a des nuances pasionnantes, comme la plus grande acceptation de 1:12 en Suisse romande.

  http://www.hebdo.ch/news/politique/dimanche-de-votations-lhebdo-est-sur-le-pont

1:12, honneur aux vaincus

Dans la bouche de certains commentateurs, c’est la curée: les jeunes socialistes ont perdu, donc ils devraient s’écraser.

Je ne partage pas ce point de vue, 34,7%, c’est un score très honorable. Il rappelle celui de l’initiative pour une Suisse sans armée le 26 novembre 1989: un 35,6% que l’on a considéré par la suite comme un tournant historique, qui a influencé tous les débats sur la taille et les missions de l’armée.

Plus d’un Suisse sur trois rêve d’une meilleure justice salariale, c’est tout sauf anecdotique.

Et puis, les jeunes socialistes ont mené une campagne formidable, se démultipliant notamment sur les réseaux sociaux, ils ont fait preuve d’un militantisme sans faille, inventif, que bien des partis (beaucoup mieux établis et plus richement dotés) peuvent leur envier. Et qui mérite quoi qu’il en soit le respect.

La Suisse marginalisée

Les sondages sur les objets de votation du 24 novembre ont créé une telle sensation que peu d’attention a été portée sur une des premières enquêtes d’opinion portant sur le prochain épisode : le scrutin du 9 février sur l’initiative de l’UDC « contre l’immigration de masse ». Réalisée par l’institut isopublic, elle indique que 52% des votants seraient prêts à accepter ce texte. Ce score confirme d’autres sondages sur la question, pas toujours rendus public, et le sentiment général éprouvé par maints décideurs : le principe de la libre-circulation des personnes ne dispose plus du soutien d’une majorité de Suisses.

La tendance est inquiétante: l’acceptation de cette initiative ou de celle d’ECOPOP, que  le Conseil fédéral vient d’envoyer cette semaine au Parlement, signifierait la fin des accords bilatéraux avec l’Union européenne, au nom de la clause guillotine : si la Suisse récuse un accord, alors tous les autres tombent, y compris ceux qui garantissent l’accès aux marchés européens de nos marchandises.

On peut se gausser de cette exigence de l’UE, prétendre que le Conseil fédéral « n’aura qu’à négocier » une solution alternative, cette incompréhension de la population tombe au plus mauvais moment.

Les partis, les Chambres et le gouvernement ont laissé se creuser un gouffre entre les Suisses et les nouveaux standards des relations internationales. Sont considérés comme sots et irresponsables ceux qui ne vomissent pas l’Union européenne.

A ne pas voir le continent et le monde tels qu’ils fonctionnent, la Suisse prend le risque de se retrouver à l’écart. J’en veux pour preuve la lente inquiétude qui monte dans le Département de Johann Schneider-Ammann. Notre ministre de l’économie vient de rencontrer le commissaire européen en charge du commerce, Karel De Gucht. Là encore, la nouvelle n’a pas eu à un grand écho. Ce 17 octobre, les deux hommes ont évoqué l’accord de libre-échange transatlantique actuellement en cours de négociation entre l’UE et les Etats-Unis (TAFTA). Si ces deux blocs, qui représentent nos principaux marchés d’exportation, s’entendent sur l’abaissement de leurs droits de douanes, ce sera un handicap pour notre industrie et notre agriculture. Leur entente pourrait aussi pousser les multinationales américaines qui avaient choisi la Suisse pour échapper au droit européen à revoir leurs lieux d’implantation puisqu’elles jouiront de règles américano-euro-compatibles.

Autre preuve d’une  marginalisation en cours de la Suisse si on y prend garde, de récents propos du commissaire européen Barnier, en charge du marché intérieur. Interrogé par la Radio romande le 9 octobre dernier, il a douché les espoirs helvétiques de négocier l’échange automatique d’information dans le domaine fiscal contre l’accès au marché des services financiers. L’accès au marché ne s’octroie pas à la carte, seulement pour les banques. Il concerne toutes les activités de services. L’UE cherche une solution pour les pays tiers, surtout pour les Américains, mais il n’y aura pas de traitement privilégié pour la Suisse, ce serait contraire aux règles de l’OMC.

Les nuages s’accumulent, quand bien même les Suisses veulent se persuader que l’été indien va se prolonger.

*Chronique parue dans Il caffè, le 27 octobre:

http://www.caffe.ch/stories/il_punto/44922_corriamo_il_rischio_di_trovarci_ai_margini/

Bas salaires et vénalité d’en haut

La semaine dernière, le Conseil des Etats a examiné l’initiative de l’Union syndicale suisse (USS) qui vise l’introduction d’un salaire minimum de 4000 francs par mois (22 francs de l’heure).

Le refus d’entrer en matière sur le problème posé fut net: 31 voix contre 13. Les sénateurs de droite ont perdu l’occasion de couper l’herbe sous les pieds des Jeunes socialistes, dont le texte 1:12 est soumis au vote le 24 novembre. En mettant un frein à la sous-enchère salariale, ils leur auraient enlevé de la munition et pris un acompte positif pour les 3 votations de l’an prochain qui mettront en jeu sur la libre-circulation des personnes.

La droite s’accroche au libre marché des salaires, elle ne veut pas voir qu’il est impossible pour un père – plus souvent une mère – de famille de vivre avec moins de 4000 francs par mois. Elle sous-entend toujours que les gens concernés n’ont qu’à être mieux formés pour gagner plus. Mais, on aura toujours besoin de femmes de chambre dans les hôtels, de serveurs dans les restaurants, de coiffeurs et de coiffeuses, de nettoyeurs, de femmes de ménage, de jardiniers, de vendeurs… On devrait donc revaloriser leurs salaires pour qu’ils ne quittent pas ces professions obligeant ainsi à recruter à l’étranger de nouveaux employés pour les remplacer.

En plus, ces bas revenus contraignent les collectivités publiques, cantons et communes, à augmenter leurs aides sociales. Est-ce vraiment à l’Etat de compenser les manquements du secteur privé?

Ceux qui prétendent cela sont pourtant aussi ceux qui veulent limiter les impôts, et donc priver l’Etat des moyens de mener des politiques sociales. C’est totalement incohérent.

Ce manque de lucidité finira par avoir des conséquences dans les urnes. Le principe de 1:12  pour les hauts salaires – que personne au sein de la même entreprise ne gagne en un mois ce que les autres mettent une année à encaisser – est d’ailleurs curieusement combattu. On nous parle de cotisations AVS perçues en moins (ce qui reste à démontrer puisque on peut imaginer que la masse salariale restera inchangée mais mieux répartie), de danger pour la place économique (lequel, exactement?), mais les opposants n’argumentent pas  sur le fond : en quoi ces hauts salaires sont-ils justifiables? N’y aurait-il vraiment personne de compétent pour diriger UBS ou Novartis pour 1 million de francs par an seulement plutôt que 20? Pourquoi la vénalité est-elle devenue un critère d’embauche ? Qui peut démontrer scientifiquement sur au moins deux décennies qu’il y a un lien entre performance économique de l’entreprise et rémunérations stratosphériques?

* Cette chronique est parue en italien dans Il Caffè du 29 septembre.

 

Une victoire pour Ueli Maurer?

Que penser du haut taux de refus de l’initiative du Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA) sur l’abrogation de l’obligation de servir?

Une défaite pour les pacifistes et les antimilitaristes, assurément.

Une victoire pour le système de milice, assurément.

Un triomphe du mythe, à l’évidence, qui risque de compliquer la tâche de ceux qui veulent réformer l’armée pour la rendre plus apte aux défis du XXIième siècle.

Mais une victoire pour Ueli Maurer? J’en doute. Les Suisses ont plébiscité une certaine idée d’eux-mêmes, un peu datée, mais rassurante. Quant au pouvoir de conviction du chef du DDPS au près de la population, on en reparlera prochainement quand on votera sur le Gripen.

Shops: victoire en trompe-l’oeil

Avec près de 56% de oui, les partisans d’un assortiment complet dans les  shops ont fait mieux que ce qu’indiquaient les sondages. L’argument de l' »absurdité administrative » a porté. Mais, justement, 56% seulement pour mettre fin à une petite absurdité administrative ne concernant que quelques consommateurs noctambules, ce n’est pas gigantesque.

Que la droite se méfie de cette victoire en trompe-l’oeil, la libéralisation des heures d’ouverture des magasins n’est pas gagnée d’avance. Le vote négatif de cinq cantons (dont trois romands) atteste d’une sensibilité à fleur de peau sur le sujet. L’aversion des Suisses pour les normes bureaucratiques a parlé, mais leur attachement aux valeurs traditionnelles de la famille et de la pause dominicale reste intact.

Servir la Suisse

On votera en septembre sur l’abrogation de l’obligation de servir. Un beau débat en perspective. Personnellement, j’aime beaucoup l’obligation de servir, j’aime l’idée que notre état nous doit protection et assistance, mais que nous lui devons aussi respect, loyauté et participation.

Pour défendre l’obligation de servir, il sera abondamment dit que c’est un pilier de la société suisse, le décalque du système de milice. Cela a été peut-être vrai par le passé, mais cet argument souffre d’un gros défaut : la moitié de la population – les femmes comme moi – est exclue. Et transformer nos maternités et le temps que nous consacrons à l’éducation des enfants en équivalent de l’obligation de servir est une autre idée fallacieuse : il est loin le temps où il fallait produire de la chair à canon.

L’obligation de servir réduite à l’armée est très trompeuse. Si l’on prend en considération 100 jeunes de 20 ans vivant en Suisse, il y a 40% de femmes, 19% d’étrangers, 9% d’inaptes au service, 9% qui choisissent le service civil, 7% qui vont à la protection civile, et donc plus que 16% de recrues. Dans ces très maigres 16%, il faudrait encore savoir combien terminent leur école, et aussi quelle est la part des jeunes naturalisés.

L’obligation de servir est donc déjà morte, bien que la Constitution la stipule. Il faut donc réfléchir à une autre forme d’engagement pour le pays. Il y a tant à faire: des aides aux anciens ou aux populations fragilisées, des travaux d’utilité publique en faveur de l’environnement… Le service à la communauté pourrait se dérouler dans une autre région linguistique pour amener tous les jeunes, hommes et femmes, à pratiquer les autres langues nationales concrètement. Un investissement exceptionnel dans la cohésion nationale.

Un politicien, très prometteur, le jeune conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet, porte cette proposition depuis plusieurs années, mais il n’a pas été écouté. Jusqu’ici tous les débats bernois sur le sujet ont buté sur le mythe de l’obligation de servir l’armée seulement. L’instauration du service civil a certes ouvert le jeu, mais sans étendre la réflexion aux besoins de l’ensemble de la société, et bien sûr, sans englober les jeunes femmes.

Les sondages donnent le Groupement pour une Suisse sans armée, qui a lancé l’initiative, perdant. A quand un vrai lobby pour une Suisse au bien de laquelle tous les jeunes de 20 ans apportent leur contribution?

*texte paru en italien dans Il Caffé du 21 juillet

Vignette à 100 francs: pourquoi il faut suivre Doris Leuthard

C’est confirmé, on votera le 24 novembre sur le passage du prix de la vignette de 40 à 100 francs. Le référendum a été signé par plus de 100 000 mécontents. Cette colère impressionne. Elle témoigne du sentiment éprouvé par maints automobilistes d’être des «vaches à lait», toujours appelés à payer plus pour rouler moins bien, mais aussi d’une érosion du pouvoir d’achat des classes moyennes que la statistique et les doctes études d’Avenir Suisse ne captent guère.

Dès lors, la question fuse, un brin assassine: Doris Leuthard, la conseillère fédérale la plus populaire du pays, a-t-elle perdu d’avance cette votation? On ne prendra pas ce pari.

D’abord, la cheffe du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication est pugnace. C’est une ministre qui ne roule pas à l’économie lorsqu’il s’agit de faire campagne. Elle s’engage à fond, et dispose d’une réelle capacité de conviction. Ce printemps, la LAT (loi sur l’aménagement du territoire) a été approuvée par 63% des votants. Tous les cantons, sauf le Valais, ont dit oui à l’Argovienne.

Sur le fond, Doris Leuthard pourra pointer les incohérences du regroupement hétéroclite qui combat sa proposition. Face à elle, il y aura en effet les «docteurs Yaka», emmenés par l’UDC, qui veulent que chaque franc versé au compte routier retourne au bitume, et une autre sorte de «docteurs Yaka», fondamentalistes écologistes, qui contestent au contraire la nécessité d’investir le moindre centime supplémentaire pour les chaussées.

La conseillère fédérale pourra aligner maints arguments rationnels et raisonnables. La nécessité de dégager des moyens additionnels pour entretenir et développer les réseaux routiers et ferroviaires se fait chaque jour plus urgente.

Pour le rail, le besoin de financement, actuellement de 4 milliards de francs par an, va monter à 5 milliards jusqu’en 2030. Pour la route, le montant annuel des travaux d’entretien et d’extension du réseau national est de 3,8 milliards, mais le produit des taxes censé le couvrir

ne cesse de diminuer, d’où la nécessité de revoir le prix de la vignette, mais aussi la surtaxe sur les huiles minérales. Si rien n’est entrepris, les routes auront une lacune de financement estimée entre 1,1 et 1,2 milliard de francs par an pour la période 2016-2030.

Manifestement, les enveloppes budgétaires actuelles ne suffiront pas pour supprimer les bouchons routiers et les trains bondés.

La Suisse sort d’une décennie pendant laquelle non seulement ses collectivités publiques (Confédération et cantons) se sont désendettées, mais où les impôts ont été baissés. Il est donc assez logique que l’argent manque pour développer les infrastructures à la hauteur des

besoins d’une population et d’une économie en pleine croissance.

Soyons conséquents: préférons-nous relever les taxes ou les impôts?

L’augmentation de la vignette est certes spectaculaire, mais même au tarif de 100 francs, le coût journalier pour emprunter les autoroutes restera inférieur à 30 centimes. Alors que les péages aller et retour vers les plages italiennes ou françaises dépassent allégrement le montant contesté.

Enfin, la démocrate-chrétienne pourra jouer la carte romande. Les nouvelles recettes de la vignette seront notamment affectées à l’amélioration des tronçons suivants: Martigny-Expo – jonction du col du Grand-Saint-Bernard, Morat – Thielle, Delémont-Est – Hagnau, et Neuchâtel – Le Locle-Col des Roches. Auxquels est venu s’ajouter le contournement de Morges. Du très concret face aux référendaires qui prétendent raser gratis.

* Chronique parue dans L’Hebdo le 18 juillet 2013