Quand les «bilatéralistes» font une crise de masochisme…

Ils ont gagné contre l’UDC, mais sont prêts à torpiller leur résultat, faute de comprendre l’enjeu de l’accord-cadre avec l’Union européenne, un rapprochement politique plus que juridique avec nos principaux partenaires. Analyse.*

Dans un monde politique normal, une votation gagnée à plus de 61% des voix devrait générer contentement et sérénité. Mais nous sommes en Suisse, et les bulletins n’ont pas encore été rangés que déjà on s’écharpe sur la prochaine échéance, l’accord-cadre appelé aussi accord institutionnel.

Pourtant, en infligeant un désaveu aussi ample à l’UDC, le front des opposants à l’initiative dite de limitation a accompli de l’excellent boulot. Chacun dans son coin, chacun à sa manière, mais avec une redoutable efficacité. Reine de la compétition, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter a fait preuve de méthode et d’engagement. Les lobbies économiques ont mobilisé les entrepreneurs, les syndicats ont parlé à leurs adhérents, les milieux académiques et scientifiques sont sortis de leur tour d’ivoire, Opération libero et le Nouveau Mouvement européen suisse ont mené des campagnes de conviction.

Vingt ans après le scrutin qui l’a intronisée, la voie des accords bilatéraux avec l’Union européenne est confirmée, alors qu’elle a été l’objet d’un pilonnage continu de la part des blochériens. Tout et son contraire ont été reproché à ce système pragmatique de gestion de nos relations avec les 27 membres de l’Union. Pas un petit problème helvétique en matière de transports, de criminalité, d’aménagement du territoire, de gestion de la main d’œuvre ou de financement des assurances sociales dont la responsabilité n’ait été attribuée aux « méchants Européens ».

Un message limpide

Le message délivré le 27 septembre par six citoyens sur dix est pourtant limpide comme de l’eau de roche: les accords bilatéraux avec l’UE valent bien plus que les éventuels inconvénients qu’ils génèrent. Certains espèrent que l’UDC se le tiendra pour dit, et ne récidivera pas avec une énième initiative visant à abattre l’édifice.

C’est bien mal connaître les Blochériens. Pour nos «nationalistes», l’instrument de l’initiative populaire est avant tout un outil marketing, à déployer quelques mois avant les élections fédérales, histoire de galvaniser les troupes. Que ce mésusage de la démocratie directe perturbe notre agenda diplomatique et comprime la réflexion des autres partis sur les objectifs et les moyens de notre politique étrangère, le premier parti de Suisse, nanti de deux conseillers fédéraux, s’en fiche éperdument. Il n’est pas là pour gouverner ou régler les problèmes, il est là pour affaiblir l’Etat afin que prospèrent sans cadre légal trop contraignant ou trop coûteux les affaires de la famille Blocher et de ses amis milliardaires.

Ces gens-là se sont battus comme des lions pour empêcher l’UDC de dynamiter le pont bilatéral, et maintenant ce sont eux qui vont poser leurs propres mines. 

Or donc, depuis dimanche soir, au lieu de savourer leur victoire, ceux que nous appellerons les «bilatéralistes» ( pour l’attachement indéfectible qu’ils vouent à la solution «accords bilatéraux» permettant de régler nos relations avec le premier bloc commercial de la planète), sombrent dans une crise de masochisme. Au lieu de considérer avec sérénité la prochaine étape, les présidents de partis et les partenaires sociaux rivalisent de mots graves et accablants pour enterrer la ratification de l’accord-cadre négocié pendant 5 ans et en attente de paraphe depuis décembre 2018. Ces gens-là se sont battus comme des lions pour empêcher l’UDC de dynamiter le pont bilatéral, et maintenant ce sont eux qui vont poser leurs propres mines.

Jalousie, arrogance et fatalisme

Comment en est-on arrivé à une telle absurdité? Depuis la fin des années 1990, la Suisse appréhende le dossier de ses relations avec une communauté européenne en constant développement par un mélange de jalousie, d’arrogance et de fatalisme.

La jalousie se manifeste dans l’obsession, qui détermine toute sa stratégie de politique économique extérieure, de ne pas être discriminée par rapport à ses principaux concurrents, de mieux en mieux organisés sur le plan économique. La Confédération ne veut pas être membre du club, mais elle veut pouvoir utiliser toutes ses commodités.

L’arrogance tient dans la conviction d’une bonne partie des Suisses qu’ils pourraient se passer sans trop de dommages de relations privilégiées avec les Européens. Le mythe d’une Suisse splendidement indépendante carbure à plein régime, générant les succès électoraux de l’UDC, au mépris de notre histoire réelle: de 1291 à nos jours, les Confédérés doivent leur prospérité aux échanges économiques, militaires et culturels avec leurs voisins.

Un fatalisme désabusé s’est installé dans maintes têtes: l’UE nous est indispensable, mais elle passe son temps à nous torturer avec ses exigences sans la moindre considération pour notre souveraineté nationale. Nombre de bilatéralistes aimeraient pouvoir appuyer sur le bouton pause, alors que l’UE ne cesse d’agrandir ses domaines d’activités.

Le bon élève muet

Notre culture politique étant également empreinte d’une solide dose de pragmatisme la doctrine de notre attitude face aux Européens fut ainsi résumée par Franz Blankart, alors Secrétaire d’Etat chargé de négocier l’accord sur l’Espace économique européen: «être en position d’adhérer pour ne pas avoir à le faire». Le masochisme du bon élève, en quelques sortes: être prêt à répondre, mais ne jamais prendre la parole pour donner son point de vue.

Un objectif, une option et puis plus rien du tout…

Justement, la discussion sur les avantages d’une adhésion à l’Union européenne a été liquidée par les partis politiques, dès les bilatérales lancées au tournant des années 2000. Les bénéfices d’une adhésion ne sont même plus analysés dans les rapports du Département fédéral des affaires étrangères, alors que l’Union a aimanté presque tous les pays de notre continent. L’adhésion fut pourtant «l’objectif» de notre politique d’intégration, puis reléguée sous l’influence de l’UDC au rang d’option, puis plus rien du tout. Même pas un souvenir dans la tête des conseillers fédéraux en place. Pour parler de la solution de l’adhésion de la Suisse à l’UE, nos ministres attendent d’être à la retraite. Tout comme la plupart des diplomates qui se sont occupés du dossier.

La surenchère étonnée 

À la lumière de ce non-dit, face à ce trou noir, l’accord-cadre, dotant les accords bilatéraux d’un mécanisme de règlement des différences d’interprétation du droit européen repris par la Suisse, devrait être considéré comme la solution miracle, épargnant aux partis politiques et au gouvernement toute réflexion sur une solution plus ambitieuse. Mais non. Le président du PDC, Gerhard Pfister, fait mine de découvrir que le Conseil fédéral injecte du droit européen dans les lois suisses chaque semaine, et que la Cour de justice de l’Union européenne étant in fine la garante de l’application du droit européen, la Suisse ne peut prétendre à l’interpréter pour elle-même.

A gauche, la surenchère étonnée est également surjouée. On fait mine de croire que la lutte contre le dumping salarial ne peut être réalisée que par Bruxelles, alors que partenaires sociaux, cantons et Confédération peuvent demain matin décider ensemble de mieux contrôler les chantiers et les conditions des travailleurs détachés. Et, de même, s’entendre moralement pour privilégier la main d’œuvre indigène, dans une sorte de paix du travail renouvelée.

Renversement de doctrine sur les aides d’Etat

Quant aux cantons qui redoutent des complications sur les aides d’Etat, il faut leur signaler que ce cadre a totalement sauté depuis la pandémie COVID-19. La Commission n’a cessé d’octroyer aux pays membres des dérogations afin qu’ils puissent venir en aide aux secteurs impactés par la crise. Ce renversement de doctrine (les aides d’état étant réputées fausser la concurrence) laisse augurer une belle marge de manœuvre dans de futures applications.

Un statut d’exception 

Dans ce concert alarmiste, les bilatéralistes masochistes se noient dans les détails juridiques et passent à côté de l’enjeu politique. Ils perdent de vue que l’accord-cadre représente pour la Suisse une solution sur-mesure qui n’existe que pour elle. La panoplie juridico-commerciale de l’UE prévoit pour les non-membres un partenariat rapproché au sein de l’Espace économique européen (refusé par nous en 1992), ou le statut d’état tiers, bien moins avantageux économiquement que nos accords bilatéraux. Renoncer à l’accord-cadre, c’est renoncer à ce statut d’exception. La probabilité que l’UE nous en concède un meilleur relève de l’utopie, surtout dans le contexte du Brexit.  

Dans la définition de sa politique européenne, le Conseil fédéral a toujours un peu peur de son ombre. Il a tendance à jouer la montre. Accueillant avec satisfaction le vote du 27 septembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a ainsi pris soin d’indiquer qu’elle était disponible pour des éclaircissements sur la portée de l’accord-cadre négocié, mais qu’elle s’attendait à ce que le Conseil fédéral entame sa ratification «rapidement».

Expliciter le contenu

Notre gouvernement devrait donc sans tarder présenter et expliciter le contenu de l’accord-cadre. On ose espérer qu’il a utilisé les derniers mois pour obtenir de Bruxelles les clarifications sur les points litigieux, tout en les gardant secrètes afin de ne pas perturber la campagne de votation du 27 septembre.

Les trois autres options qui s’offrent au Conseil fédéral ne sont guère réalistes. Laisser tomber l’accord-cadre est une option idiote. Cela reviendrait à enterrer la voie bilatérale alors qu’elle vient d’être sauvée par le peuple et les cantons. Laisser pourrir la mise à jour des accords actuels, bloquée par la non ratification de l’accord-cadre, ne serait pas très intelligent au moment où l’économie suisse a besoin des meilleures conditions possibles pour faire face aux conséquences de la pandémie. Demander à renégocier représente une option hautement improbable, maintes fois exclue par la Commission. Mais entre renégociation formelle et éclaircissements politiques, il y a peut-être une petite marge pour permettre à tous les interlocuteurs de sauver la face.

Comme souvent quand une crise semble insurmontable, il faut envisager une sortie par le haut, ambitieuse et courageuse. Simonetta Sommaruga, la présidente de la Confédération, doit aller à Bruxelles obtenir des clarifications sur la portée de l’accord-cadre, et sceller un deal politique.

Sur le front interne, Karin Keller-Sutter et Ignazio Cassis doivent aligner les partenaires sociaux et sceller une entente sur de nouvelles mesures d’accompagnement de cette étape additionnelle de notre politique d’intégration européenne.

Empoigner le débat sur la souveraineté 

Quant aux partis gouvernementaux et aux Verts, ils doivent empoigner une discussion sérieuse et scientifiquement documentée sur les avantages et les inconvénients en termes de souveraineté de la voie bilatérale, de l’accord-cadre et de l’adhésion à l’UE. Ils ne doivent plus laisser l’UDC confisquer le débat sur ce thème, mais oser l’affronter avec leurs propres valeurs. Ils doivent également réfléchir à ce que signifie réellement la souveraineté face aux défis climatiques, sanitaires et numériques actuels : se calfeutrer ou se concerter? Le souverainisme de pacotille ne mène à rien. 

Ce même 27 septembre, le peuple a accepté de justesse l’achat de nouveaux avions de combat. Ce vote beaucoup plus serré que prévu démontre un grand embarras des Suisses sur les notions d’indépendance, d’interdépendance, donc de souveraineté. L’époque, qui voit le duopole Chine-Etats-Unis prétendre régenter le monde, se prête à des nouvelles réflexions… qui devraient conduire les Suisses à considérer qu’ils se sentent tous comptes faits bien plus européens, de cœur et de destin, que ce que l’UDC leur a martelé ces deux dernières décennies. Il s’agit d’ailleurs moins désormais d’opérer un choix économique que politique.

*Article paru le 30 septembre 2020 sur le site Bon pour la tête

Des petites phrases de Merkel et von der Leyen que les Suisses devraient entendre….

Le chancelière allemande comme la présidente de la Commission européenne balisent l’après-COVID-19, et donnent de nouvelles ambitions au marché unique dont nous sommes partie prenante. Les Suisses feraient bien d’y prêter attention, eux qui ne voient les accords bilatéraux avec l’UE que sous leur univoque focale.*

Dans le brouhaha du déconfinement, dans l’inquiétude d’une deuxième vague, la politique, celle qui ne découle pas de la gestion immédiate de la crise, peine à se faire entendre. Ainsi les Suisses n’ont guère prêté attention à deux petites phrases prononcées par Angela Merkel et Ursula von der Leyen, ces derniers jours. Décryptons.

Devant le Bundestag, le 13 mai, la chancelière allemande a lâché qu’il était temps de repenser au projet d’union politique, corollaire de l’union monétaire. Au sein des 27, une plus forte intégration politique a la figure de l’Arlésienne. La déclaration d’Angela Merkel fait suite au pataquès créé par les juges de la cour constitutionnelle allemande qui s’en sont pris à la politique de rachat des obligations publiques de la Banque centrale européenne (BCE). La cour, logée à Karlsruhe dans le Bade-Wurtemberg depuis 1951, jouit d’un très grand crédit auprès des Allemands: elle est la garante des droits fondamentaux et des principes de l’Etat de droit dans un pays où ceux-ci ont été anéantis par les nazis. Ses jugements passent pour parole d’Evangile.  

Flou juridique

L’arrêt rendu le 5 mai met du vinaigre sur un point mal tranché dans l’ordre juridique de l’Union: la supériorité du droit européen sur les décisions des cours constitutionnelles nationales. Les traités sont restés dans le flou sur ce sujet ô combien délicat afin de ménager les susceptibilités. On vous passe les interprétations technico-juridiques. La position très souverainiste de la Cour reflète l’inquiétude des épargnants allemands. La politique de la BCE d’injections de liquidités et de taux bas, menée à la suite de la crise financière de 2008, menace leurs avoirs. Les juges ont trouvé que tout cela n’est pas très proportionné et ils demandent des explications. Potentiellement, cet arrêt pourrait gravement entraver les efforts actuels de la BCE pour sauver les économies de la zone euro, en interdisant à la banque centrale allemande de participer aux programmes de rachat d’obligations publiques.  

La première riposte est venue de la présidente de la Commission, le 10 mai. Ursula von der Leyen a gentiment rappelé aux juges de son pays d’origine que, in finec’est la cour de justice de l’Union européenne, sise à Luxembourg, qui a le dernier mot sur l’interprétation du droit européen. Elle a également menacé l’Allemagne d’une procédure d’infraction si la dispute devait s’envenimer.

La référence à Jacques Delors 

La chancelière Angela Merkel a ensuite habilement donné à cette embrouille juridico-financière une dimension politique. Devant le Bundestag, elle a évoqué l’idée de passer à une union politique plus approfondie et fait référence à Jacques Delors, ancien président de la Commission et un des concepteurs de l’euro: «une union monétaire ne suffira pas, il faut une union politique».  

Les 27 ont en effet un peu perdu de vue que l’union économique et monétaire, lancée à la fin du siècle dernier, devait faire converger les économies des états-membres, réduire les disparités entre régions. Les fonds de cohésion – auxquels la Suisse participe – n’ont pas suffi. Après la crise de la zone euro et des dettes souveraines, celle du COVID-19 risque d’aggraver les inégalités de développement.

Dit autrement, il y a une grande logique à ce que la réalisation du marché unique soit suivie d’une monnaie unique qui elle-même entraîne une gouvernance commune. Or cette gouvernance ne peut exister sans un vrai budget et une vraie volonté politique des chefs d’Etat de donner à la Commission un pouvoir d’impulsion et de réalisation.

Une ambition pour la présidence allemande

Dès le 1er juillet, Angela Merkel disposera d’une belle opportunité de monter plus concrètement ce que sa petite phrase signifiait. L’Allemagne prend la présidence de l’Union européenne. La chancelière, en fin de mandat, devrait avoir à cœur de proposer des réformes et d’attacher son nom à une avancée de l’histoire européenne. Elle contenterait ainsi enfin son sparring partner préféré, le président français Emmanuel Macron. On pourrait dire alors de l’union politique: Paris en a rêvé, Berlin l’a faite.

Une manière d’endiguer la politique de la BCE, qui donne des boutons aux juges de Karlsruhe, serait justement de permettre à la Commission d’agir à sa place pour voler au secours des pays les plus éprouvés économiquement par le COVID-19. Donc de doter celle-ci d’un budget plus conséquent lui permettant de mener une politique d’aide, de subventions plutôt que d’agir sur la dette. Le fonds de relance, en cours d’élaboration au sein des instances européennes, serait l’outil idéal pour ce changement de méthode et d’ambition. Annoncé à hauteur de 1000 milliards d’euros, il pourrait être encore augmenté.

Green New Deal, et nous et nous…  

C’est ici qu’il convient de s’intéresser à une autre petite phrase, prononcée par la présidente de la Commission. L’ancienne ministre d’Angela Merkel, Ursula von der Leyen, a précisé ses intentions post COVID-19: « Tôt ou tard, nous trouverons un vaccin contre le coronavirus. Mais il n’existe pas de vaccin contre le changement climatique. C’est pourquoi l’Europe doit dès maintenant investir dans un avenir propre.» Bruxelles s’active ainsi à la fois à lancer son fonds de relance pour aider les pays à faire face aux conséquences de la crise sanitaire sans perdre de vue l’objectif initial de la Commission annoncé lors de son entrée en fonction en décembre dernier, un Green New Deal, réorientant les soutiens européens vers la transition énergétique et le développement durable.  

Rattachés que nous sommes, nous autres Suisses, au marché unique, nous ne devrions pas perdre de vue qu’il risque de passablement évoluer. Une plus grande attention aux problèmes environnementaux sera raccord avec nos propres préoccupations. Mais de nouveaux standards, auxquels il faudra se conformer, pourraient émerger. Surtout, nous ne devrions pas zapper la dimension politique de la situation, comme nous en avons pris la fâcheuse habitude: une plus grande intégration politique au sein de l’UE, mobilisant plus de moyens financiers, aura un impact sur les relations bilatérales et le contenu de futurs accords. Pour continuer à profiter du marché des 27, et de quelques autres programmes de recherche ou de formation, il nous faudra payer plus, à l’image des membres du club, appelés à augmenter leurs contributions. Y-aura-t-il un conseiller fédéral pour prendre publiquement la mesure des récentes déclarations d’Angela Merkel et de Ursula von der Leyen, et les commenter positivement à l’intention de l’opinion publique helvétique?

Le risque de s’automarginaliser 

Dans l’approche de la relation avec l’UE, la Suisse est focalisée sur son propre calendrier interne: voter sur l’initiative de résiliation, lancée par l’UDC, en septembre, puis si l’écueil est surmonté, reprendre le dossier de l’accord-cadre, le signer, le faire adopter par le Parlement et convaincre le peuple et les cantons. On en a au minimum pour un an. Pendant ce temps, l’UE risque d’accomplir de nouveaux pas. Gare aux conséquences de notre sur-place: dans un mode post COVID, où les chaînes de production et les relations commerciales vont se redéfinir, nous devrions veiller à ne pas nous marginaliser nous-mêmes.  

*Article paru le 17 mai 2020 sur le site Bon pour la tête

La vague verte emportera-t-elle les bilatérales ?


Le 17 mai, nous votons sur une nouvelle initiative de l’UDC dont l’acceptation aurait pour conséquence la fin des accords bilatéraux qui, depuis bientôt vingt ans, ont assuré à la Suisse croissance et prospérité. Quel sera l’impact de la mobilisation contre le réchauffement climatique sur cet enjeu? L’histoire de nos relations avec l’UE invite à la prudence: en 1992, le choix des écologistes de ne pas soutenir l’Espace économique européen a été lourd de conséquences. Analyse.

Depuis le premier vote sur les accords bilatéraux en 2000, à la faveur de referendums ou d’initiatives, c’est la dixième fois que nous allons nous exprimer sur la poursuite de la voie bilatérale le 17 mai prochain.
Il vaut la peine de retracer l’histoire de cette option, proposée le 6 décembre 1992 par Christoph Blocher lui-même au soir du refus de l’Espace économique européen (EEE). Les nouvelles générations de grévistes du climat qui sont descendues l’an dernier dans la rue la connaissent mal. Sommé d’indiquer ce que le Conseil fédéral devrait faire pour aménager nos relations avec l’Union européenne (UE), le tribun UDC avait alors recommandé la négociation «d’accords bilatéraux».

Convaincre l’UE de discuter avec nous seulement – et pas via l’Association européenne de libre-échange (AELE) comme cela avait été le cas pour l’EEE – ne fut pas une mince affaire. L’UE finit par y consentir en imaginant que cette phase «sur mesure» avec les Helvètes constituerait une préparation à l’adhésion. Signés en 1999, les accords bilatéraux I furent acceptés le 21 mai 2000 par 67% des votants. Cette large approbation mettait fin à la période de stagnation de l’économie suisse, qui avait suivi le refus de l’EEE.

Par la suite, l’amplitude du soutien à la voie bilatérale a varié de 53% (scrutin sur les fonds de cohésion pour les pays de l’Est, en novembre 2006) à 74 % (refus de l’initiative Ecopop, en novembre 2014). De manière récurrente, les sondages mesurant l’envie des Suisses d’en finir avec la libre-circulation des personnes, comme le propose l’initiative de l’UDC appelée cette fois-ci «de limitation» par ses partisans mais «de résiliation» par ses opposants, suscite le rejet à hauteur de plus de 60%.

Le couac de 2014

Seul couac dans cette succession de confirmation de la voie bilatérale, le 9 février 2014, une courte majorité du peuple, 50,3% des votants (comme en 1992) disaient oui à l’initiative dite «contre l’immigration de masse».

Morale de cette histoire, les Suisses sont attachés à la voie bilatérale (qui leur évite de se poser la question de l’adhésion à l’UE), mais un accident reste toujours possible. Différents facteurs peuvent faire basculer une votation: un engagement mollasson du Conseil fédéral ou des partis, un contexte géopolitique particulier, les millions de francs investis dans la propagande de l’UDC par le clan Blocher (dans une totale opacité), une mobilisation faible et pavlovienne des partisans des accords bilatéraux.

Karin Keller-Sutter bien seule

Qu’en est-il en ce début 2020? En charge du dossier de la migration comme cheffe du Département de justice et police, Karin Keller-Sutter (PLR) est montée au front, avec la détermination qu’on lui connaît, mais bien seule. A la tête du Département de l’économie, de la formation et de la recherche, Guy Parmelin ne semble pas prêt à mouiller collégialement le maillot, et à affronter son parti qui a lancé cet énième texte attaquant la voie bilatérale que les milieux économiques veulent quasi unanimement préserver.

Troisième ministre théoriquement en première ligne comme chef du Département des affaires étrangères, Ignazio Cassis, lui aussi PLR, peine à plaider la cause européenne avec conviction. KKS peut toutefois compter sur la présidente de la Confédération. Simonetta Sommarugua a vécu la débâcle de 2014, et en a tiré les leçons: il n’y aura pas de plan B, une acceptation de l’initiative serait un saut dans l’inconnu, elle obligerait le gouvernement à repartir de zéro pour négocier avec l’UE. La socialiste n’a aucune envie de gérer le chaos qu’entraînerait un Swissxit.

Pour ce qui est du contexte qui va influencer la campagne, il n’augure pas d’une promenade de santé. Une grosse couche de paranoïa entourant l’épidémie de coronavirus pourrait accréditer l’idée que la fermeture des frontières est la panacée universelle.

La mondialisation, c’est mal 

Et puis, il y a les inconnues de la vague verte, qui a tellement influencé le résultat des élections fédérales l’automne dernier. Qu’a-t-on entendu depuis une année? Une légitime préoccupation sur les effets du réchauffement climatique, mais aussi une vision parfois simpliste des causes qui l’ont provoqué. Pour beaucoup d’activistes, la mondialisation, c’est mal, et le libre-échange (c’est-à-dire la circulation facilitée des marchandises entre les différentes régions de la planète), c’est le mal absolu. Circuits courts et produits de proximité sont érigés en vertueux impératifs. A cette aune-là, la libre-circulation des personnes se voit assimilée à un dérivé de la mondialisation honnie, une sorte de synonyme européen des comportements à combattre.

En 1992 ou en 2014, le résultat s’était joué dans un mouchoir de poche. A 10 000 voix près, la majorité du peuple basculait du côté de l’EEE ou rejetait l’initiative contre l’immigration de masse. En 1992, la majorité des cantons aurait peut-être manqué, mais la dynamique politico-diplomatique aurait été tout autre. Après le 9 février 2014, la Suisse se serait évité retard et complications dans les négociations de l’accord-cadre avec l’UE.

En 1992, les Verts étaient anti-européens

Or, en 1992, les écologistes suisses avaient préconisé le refus de l’EEE (les sections romandes et bâloises recommandant le oui). Depuis, le parti s’est clairement rallié aux Verts européens et à leurs idéaux. Mais, les grévistes du climat, les jeunes rebelles qui pensent que nous courons tout droit et sans alternative vers l’extinction de la vie sur terre, que pensent-ils des accords bilatéraux, cet édifice complexe et terriblement institutionnel? Sont-ils attachés aux libertés de mouvement et d’établissement que ces textes garantissent aux Suisses et aux Européens? Ou bien cette cause leur est-elle indifférente? Le pacte vert européen, proposé par la nouvelle commission von der Leyen, les fait-il bailler ou suscite-t-il en eux l’espoir d’une coordination continentale efficace contre les effets du réchauffement? Vont-ils se mobiliser pour la libre-circulation des personnes qui a permis aux jeunes générations de profiter des programmes Erasmus et de disposer d’amis aux quatre coins du continent? Ou vont-ils renforcer le camp national-populiste de l’UDC?

L’emprise étrangère sur notre sol et nos paysages

Chaque fois que la voie bilatérale a été attaquée, les milieux économiques ont fait campagne sur les conséquences dommageables sur l’emploi et la prospérité. Cet argumentaire rationnel peut-il convaincre celles et ceux qui remettent en question la croissance et les dérives de la mondialisation? La libre-circulation des personnes a aussi une dimension humaniste, c’est une liberté fondamentale que les membres de l’UE partagent avec nous, et qui nous offre de réelles facilités de déplacement et d’établissement. Encore faut-il considérer ces perspectives comme une chance et un progrès dans l’histoire des humains.

Car, il faut s’en souvenir, à chaque fois que les Suisses ont eu à se prononcer sur l’immigration, des initiatives Schwarzenbach à celles de l’UDC, le discours sur le péril que ferait courir «l’emprise étrangère» sur notre environnement, notre sol et nos paysages, a gagné en vigueur. Ce cocktail est vénéneux qui nourrit l’illusion que la Suisse se porterait mieux en se coupant du monde. Il a un potentiel pouvoir de séduction sur celles et ceux que les dérèglements actuels font paniquer.

Pour les tenants de la voie bilatérale, malgré l’expérience engrangée depuis vingt ans, l’échéance du 17 mai n’est vraiment pas gagnée d’avance.

Article paru le 10 mars sur le site Bon pour la tête

La Suisse, bientôt état tiers pour l’Union européenne?

Si la Suisse ne signe pas l’accord-cadre avec l’Union européenne, est-ce la fin de la si profitable économiquement voie bilatérale?  Voyons la question d’abord sous l’angle technique avant de procéder à une appréciation plus politique.

Si la Suisse refuse l’accord-cadre institutionnel, qui traite de la manière dont gérer nos relations avec l’UE, les accords déjà signés restent en vigueur. Mais, à moins d’un revirement de Bruxelles, ils ne seront plus mis à jour. Or, la machine législative communautaire génère sans cesse des adaptations. On connaît le problème avec les mises à jour des logiciels: si on ne les accepte pas, tôt ou tard l’ordinateur bugge. C’est cette obsolescence programmée que redoutent nos industries d’exportation.

Un refus de l’accord-cadre n’entraînerait pas le déclenchement de la clause guillotine, celle qui lie les accords bilatéraux entre eux, et ferait capoter tout l’édifice. Ce scénario d’implosion nous est promis en cas d’acceptation l’an prochain de la nouvelle initiative de l’UDC dite de « limitation », qui prévoit la résiliation de l’accord sur la libre-circulation des personnes.

Techniquement donc, la Suisse pourrait continuer à vivre avec ses accords bilatéraux mais sans perspectives d’en conclure d’autres, un peu comme elle a réussi à vivre avec le franc fort. Ce serait un obstacle de plus à surmonter pour notre économie, des tracasseries et des coûts supplémentaires.

Politiquement toutefois, la mise à la poubelle de cinq ans de négociations avec l’UE sera difficile à faire avaler aux 27. Il sera ardu de les ramener avant longtemps à la table des négociations pour re-bricoler autre chose. Que l’on ne s’attende pas à obtenir un meilleur résultat que l’actuel!

A cause du Brexit, l’UE a reconceptualisé ses relations avec ses partenaires économiques. Elle offre le choix de l’Espace économique européen (accès privilégié au marché avec reprise du droit communautaire sans co-décision) ou le statut d’état tiers (accords de libre-échange commercial ou ponctuels dans d’autres domaines).

Dans cette nouvelle architecture institutionnelle, la voie bilatérale, concédée aux Suisses en 1999, n’existe plus. L’accord-cadre, du point de vue de l’UE, est une exception qui pouvait être prolongée eu égard à la densité des échanges avec la Confédération. Mais si la Suisse elle-même ne veut pas la rebooster, les 27 cesseront l’acharnement thérapeutique.

On ne l’a pas encore compris à Berne, un non à l’accord-cadre sera perçu par Bruxelles comme l’arrêt de mort clinique de la voie bilatérale, cette voie royale que le Conseil fédéral s’enorgueillissait tant d’avoir réussi à tracer, car substantiellement bien plus consistante que l’EEE.

Par honnêteté intellectuelle, on peut spéculer sur un retournement de doctrine de la Commission. Avec des si, une bienveillance extrême des 27 les amènerait à continuer à nous chouchouter, à céder à nos exigences, et peut-être aussi à celles des Britanniques….

Il n’est jamais interdit de rêver. C’est plus doux que de nous imaginer rejetés en état tiers, discriminés par notre propre faute.

Chronique paru dans l’hebdomadaire Il Caffè, le 7 juillet 2019

http://www.caffe.ch/section/il_commento/

Accord-cadre: il est grand temps

Vendredi 7 juin, la classe politique suisse poussait un ouf de soulagement: après des mois de tergiversations, le Conseil fédéral exprimait enfin un avis sur l’accord-cadre négocié avec l’Union européenne et présentait sa stratégie. Le contentement aura été de courte durée. Mardi 11 juin, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, actionnait la douche froide. Là où les Suisses pensaient encore gagner du temps, il imposait un calendrier strict à l’exercice de « clarification ».

Pourquoi cette accélération ? La patience des Européens à notre égard s’est usée à force d’avoir été abusée. Cela fait cinq ans que les négociations ont commencé. Les diplomates ont rendu leur copie en novembre dernier. Six mois plus tard, le texte n’a toujours pas été paraphé. Objectivement, il y a de quoi être agacé. En plus, il y a un facteur personnel, Juncker veut signer cet accord avant de s’en aller en octobre prochain. Après lui, il y a un gros risque, gravement sous-estimé, que son successeur n’assume plus les grosses concessions qui nous ont été faites.

Pouvons-nous gagner cette guéguerre de calendrier ? On devrait le savoir assez vite vu que Juncker a fixé à mardi 18 juin une première échéance. A cette date, le collège des commissaires doit évaluer la qualité des relations entre la Confédération et l’UE. En termes de représailles, l’UE dispose d’une boîte à outils bien plus fournie que la nôtre. La fameuse équivalence boursière, mais aussi la suspension de nos nombreuses coopérations scientifiques, universitaires ou culturelles, des tracasseries administratives de toutes sortes pour nos industries d’exportation,… Nous sommes si imbriqués dans les politiques européennes qu’il y a mille façons de nous pénaliser, un peu, beaucoup, passionnément.

Mais ce regain de tensions entre Berne et Bruxelles n’est peut-être qu’un théâtre. Nouveau venu dans la comédie, le chancelier de la Confédération Walter Thurnherr a rencontré, avant les annonces du Conseil fédéral, Martin Selmayr, le secrétaire général de la Commission. Quelle est l’ampleur de ces contacts préalables ? De quoi les deux hommes ont-ils convenu ? D’une brouille de façade pour mieux donner le sentiment ensuite que la Suisse a obtenu des concessions ?

Quoi qu’il en soit, les petits calculs machiavéliques de Berne contrastent avec les récents votes pro UE du peuple et des cantons. Le 19 mai, 63% des Suisses ont accepté une nouvelle loi sur les armes eurocompatible. En novembre 2018, 66% ont balayé l’initiative dite « contre les juges étrangers », qui visait principalement l’influence du droit européen. Cette confiance dans l’ordre juridique du continent était un signal fort que nos élites n’ont pas su capter.

Lui aussi nouveau venu dans la comédie, Pierre-Yves Maillard, le président de l’Union syndicale suisse, n’a pas de mots assez durs pour « protéger les salaires » helvétiques des pressions européennes. Personne n’a envie de voir son salaire baisser. Mais il oublie qu’il y a plus grave : la perte d’emploi. Dans ce cas, les indemnités de chômage entraînent mécaniquement une baisse de revenu de 20 à 30%. Or un accès compromis au marché unique européen condamnerait à terme des milliers d’emplois.

La Suisse partage avec les 27 une communauté de destin qui devrait lui faire éviter de sombrer dans les outrances des impuissants Brexiters. Il est grand temps pour nous de nous décider.

* Chronique parue dans l’hebdomadaire Il Caffè du 16 juin 2019

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Suisse-UE: L’année du choix

Qu’est-ce qui va se passer en 2019 entre la Suisse et l’UE ? Tentons de lire l’avenir dans une boule de cristal brisée en mille morceaux.

Imaginons d’abord que le gouvernement britannique organise un nouveau vote sur le Brexit, et que, finalement, le Royaume-Uni décide de rester dans l’UE. L’onde de choc aura un impact sur les relations entre la Suisse et Bruxelles. Les 27, soulagés, pourraient se montrer magnanimes avec nous, et nous accorder quelques caprices supplémentaires. Ou alors, sûrs que leur intransigeance a payé, se montrer inflexibles et prendre toutes sortes de mesures de rétorsion.

Et nous, qu’allons nous décider au terme de la procédure de consultation en cours sur l’accord-cadre ? Explorons le scénario optimiste. A la suite des milieux économiques, une majorité de cantons préavise positivement le texte négocié par le Secrétaire d’Etat Roberto Balzaretti et ses prédécesseurs. Le Conseil fédéral décide alors de le soumettre au verdict du parlement, puis du peuple. L’accord passe de justesse dans les deux chambres. Le sens de la Realpolitik s’impose, notamment au PLR et au PDC. Dans la foulée, le monde académique et scientifique se mobilise. Les sondages donnent l’électorat de gauche divisé (des socialistes se souviennent que le programme du parti prône l’adhésion à l’UE). L’accord-cadre finit par être approuvé.

La probabilité que le peuple dise non est évidemment réelle. Difficile de gagner si l’UDC et le PS se liguent. A eux deux, ils représentent une moitié de l’électorat.

Le grand débat de cette année va donc être le coût du non. Si nous refusons l’accord-cadre, quel que soit l’enchaînement exact des décisions, l’UE nous le fera-t-elle payer un peu, beaucoup, ou énormément ?

L’éventail des mesures de rétorsion est vaste : l’équivalence boursière, les programmes de recherche, Erasmus. De manière plus insidieuse, en fonction des évolutions législatives internes à l’UE, les facilités qu’offrent actuellement les accords bilatéraux vont s’estomper. Une lente érosion dans l’accès au marché européen, de plus en plus de tracasseries aux frontières, qui auront pour conséquences que les entreprises développeront leurs activités dans l’UE plutôt qu’en Suisse, et que nos sous-traitants seront de moins en moins sollicités. Un exemple : si l’accord sur la suppression des barrières douanières n’est plus mis à jour, il pourrait en coûter entre 150 et 300 millions de francs par an à l’économie suisse.

En lançant une consultation dont il évaluera les résultats au printemps, le Conseil fédéral a cherché à gagner du temps. L’UE a rétorqué en demandant un « avis positif » sur l’accord-cadre avant fin juin. Sinon l’équivalence boursière tombera.

L’année électorale va électriser la discussion. L’économie qui tient à cet accord pourrait créer la surprise en négociant avec les syndicats de nouvelles mesures d’amélioration du pouvoir d’achat en échange de leur ralliement.

Après cinq ans de tergiversations, 2019 sera pour la Suisse l’année du choix européen… sachant qu’un non-choix aura un coût élevé, et que les bilatérales ont été un formidable plan B. Le plan B du plan B, pas sûr que cela existe (d’autant que l’UE exclut de renégocier quoi que ce soit avant longtemps). Tous ceux qui tiennent à conserver l’accès au lucratif marché unique, sans discrimination et sans devoir adhérer à l’UE, vont devoir faire preuve de créativité et de courage.

Texte publié en italien dans l’hebdomadaire Il Caffè: http://caffe.ch/section/il_commento/

L’accord-cadre: un si beau compromis

Depuis que le Conseil fédéral l’a envoyé en consultation, c’est à qui dira le plus de mal de l’accord-cadre négocié avec Bruxelles. En année électorale, comme d’habitude, nos élus répugnent à débattre des enjeux européens. C’est bien triste, parce que nos diplomates ont obtenu des concessions, qui ne seront certainement plus sur la table après le Brexit. En politique extérieure aussi, la Suisse a perdu sa légendaire aptitude à apprécier les compromis.

Le sens du compromis, il en a beaucoup été question lors de la récente désignation des deux nouvelles conseillères fédérales. La démocrate-chrétienne Amherd comme la libérale-radicale Keller-Sutter ont assuré vouloir le pratiquer ardemment. Les bilans de la législature écoulée, qui ouvrent l’année des élections fédérales, soulignent à quel point celui-ci a manqué à toutes sortes de réformes présentées pourtant comme urgentes.

Mais il n’y a pas qu’en politique intérieure que la Suisse a perdu le sens du compromis, célébré naguère comme une de ses forces. Dans l’évaluation de sa relation avec l’Union européenne, elle se complaît dans une attitude victimaire ni digne, ni raisonnable. Face à Bruxelles, nous avons aussi égaré notre aptitude aux marchandages constructifs où l’on perd un peu tout en gagnant globalement.

A l’origine, une idée suisse

Un accord-cadre pour coiffer et régler de la manière la plus harmonieuse possible nos denses relations avec les 27 a été à l’origine, il faut le rappeler, une idée suisse. L’UE a mis du temps à accepter de négocier un nouveau machin sur-mesure pour nous. Le résultat des négociations, dévoilé en décembre dernier, est un chef d’œuvre de compromis. En matière d’arbitrage des différends, Bruxelles a concédé à la Suisse une solution respectueuse de sa souveraineté autant que faire se peut. La Cour européenne de justice, qui arbitre les incohérences – ou les impuissances – du droit européen, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, n’a d’ailleurs pas encore donné son aval au compromis audacieux tricoté par les diplomates. Quant aux autres lignes rouges, définies dans le mandat de négociations du Conseil fédéral, elles ont été respectées, moyennant quelques aménagements techniques (la règle des huit jours passe à quatre). L’UE a également basté sur la reprise de directives (citoyenneté, régimes sociaux) dont Berne ne voulait pas. Nos diplomates ont même obtenu que dans le processus législatif interne aux 27, l’avis des Suisses puisse être mieux pris en compte.

«L’UE, tu l’aimes ou tu la quittes»

La probabilité d’obtenir un meilleur accord dans quelques années tend vers zéro. Le Brexit a rigidifié les marges de manœuvre dont ont longtemps bénéficié les Suisses. L’UE à l’avenir, ce sera «tu l’aimes ou tu la quittes, tu reprends le droit communautaire ou tu deviens un état tiers sans accès automatique au marché unique».

Depuis que le Conseil fédéral l’a envoyé en consultation, sans indiquer ce qu’il en pense lui-même, les politiciens suisses rivalisent pour dire tout le mal qu’ils pensent de cet accord-cadre négocié avec l’UE. Ils ont l’air de découvrir que, pour profiter du grand marché de l’Union, il faut en accepter les lois. Cela leur semble inconvenant et surréaliste, alors que nous pratiquons cette satellisation de plein gré depuis vingt ans, pour notre plus grand confort matériel et intellectuel. Le monde économique, lui, se montre plus circonspect: il sait à quel point il a besoin de garder un accès sûr aux marchés européens, et, dans la mesure où il se sent encore un brin patriote, il redoute d’avoir à administrer le déclin des entreprises rouges à croix blanche.

Curieuse noce à Thomas contre cette démarche diplomatique qui devait consolider la voie bilatérale, l’option la plus prisée des Suisses pour régler nos relations avec l’UE. Cet objectif est totalement oublié au profit de l’exégèse des points de détails. On fait semblant de croire qu’un autre résultat aurait été possible, et on feint de croire que le refus du paquet sera sans conséquences.

Pourquoi pareille cécité? Nous sommes entrés en année électorale, et comme d’habitude, les partis répugnent à parler d’Europe. Le sujet, paraît-il, rebute les électeurs. Curieux pays où une année électorale n’est pas jugée propice à débattre d’un des thèmes les plus chauds.

Les partis préfèrent évaluer leurs gains électoraux potentiels, même si le système condamne d’avance toute percée spectaculaire. Il y aura cette année, ici comme on a pu l’observer ailleurs, un peu de dégagisme: plus on personnalise la politique, plus le besoin de renouveler le casting s’impose. Mais cette envie de renouveau sera noyée dans la proportionnelle (pour le National) et dans les contextes cantonaux particuliers (pour les Etats).

Souverainisme de pacotille

Alors, comme toujours depuis trente ans, l’enjeu européen agit en révélateur de l’incapacité des partis politiques suisses à se projeter dans l’avenir, à appréhender la réalité de la construction européenne, et à l’analyser sereinement sous l’angle coûts-bénéfices. Dans le registre souverainiste de pacotille qui s’est imposé, nos élus bandent les muscles et ne voient pas que les Britanniques eux-mêmes ne sont pas parvenus à obtenir mieux que nous de l’UE.

Alors que le multilatéralisme est remis en cause par les plus grands de la planète, l’accord-cadre nous assure un accès sûr et privilégié à nos marchés traditionnels (ceux de nos voisins) pour longtemps, et à bas coûts politiques et économiques. Il maintient une situation d’exception, qui a rendu la Suisse très prospère depuis le début du millénaire: les marchandises que nous produisons passent les frontières européennes comme si nous en étions un état-membre, pas de discrimination sur nos produits, mais une concurrence à la loyale, qui permet à nombre de nos entreprises d’inscrire leur savoir-faire dans la chaîne de valeur européenne. Ce sésame, meilleur rempart contre les effets des crises protectionnistes à venir, s’appelle reconnaissance des normes. C’est technique, mais en cas de non adaptation des accords qui la régissent, les Suisses découvriront vite son impact sur leurs emplois.

Un non-choix est aussi un choix. Quand on reste figé alors que les autres avancent, on recule, on est marginalisé. Le droit européen évolue, l’accord-cadre nous promet que ses évolutions ne se retourneront pas contre nos intérêts. Au nom de la protection des salaires, la gauche et les syndicats défendent bel et ongle les mesures d’accompagnement et la fameuse règle des huit jours; ils démolissent l’accord-cadre qui en demande une certaine adaptation. Le sens du compromis, qui leur a naguère permis d’arracher au patronat et à la droite des avancées sociales, les a tragiquement quittés. Qu’en sera-t-il des salaires suisses quand les entreprises n’investiront plus de ce côté-ci des frontières helvétiques, ou que des sociétés européennes choisiront d’autres sous-traitants, pour s’éviter des tracas douaniers?

Une question de pouvoir d’achat

Les succès électoraux des mouvements populistes et la crise des gilets jaunes le démontrent, la question du pouvoir d’achat est devenue centrale pour les classes moyennes des pays occidentaux. Plutôt que de se cramponner à l’intangibilité des mesures d’accompagnement, les syndicats devraient proposer d’autres moyens pour protéger et développer le pouvoir d’achat des Suisses. Les hausses sans fin des primes d’assurance-maladie impactent bien plus qu’une règle des quatre-jours notre train de vie et nos fins de mois.

Pour le dire autrement: les salaires suisses, les plus élevés en moyenne du continent, sont plus menacés par l’incapacité du monde politique et des partenaires sociaux à penser leur évolution dans le contexte européen que par une règle contre le dumping appliquée aux travailleurs détachés.

Une année électorale devrait être propice à la créativité politique, au débat d’idées, à l’émergence de solutions innovantes. On adorerait se tromper en affirmant qu’il n’en sera rien. Au contact des réalités européennes, les partis suisses se rigidifient plutôt qu’ils ne stimulent leur réflexion. A moins d’un sursaut d’ardeur du Conseil fédéral, le joli compromis de l’accord-cadre sera coulé, avec notamment le fallacieux prétexte du mauvais timing. C’est ensuite qu’éclatera une sacrée tempête, que les élus d’octobre 2019 auront été incapables, à quelques rares exceptions près, de voir venir.

Texte paru sur le site Bon pour la tête: https://bonpourlatete.com/actuel/l-accord-cadre-un-si-beau-compromis

Suisse-UE: des syndicats irresponsables

Trouver une solution favorable avec l’UE n’incombe pas aux seuls conseillers fédéraux. L’attitude des syndicats est incroyablement irresponsable. Qu’adviendra-t-il des salaires et du marché du travail en cas de dénonciation des accords bilatéraux ?

Paul Rechsteiner est parlementaire fédéral depuis 1986. Le syndicaliste saint-gallois, même s’il n’a jamais appartenu à la Commission des affaires étrangères, a suivi tous les débats de politique européenne, il connaît toutes les étapes de nos relations avec l’UE, qui nous ont amenés à la phase de négociation actuelle.

Son refus de discuter avec le chef du Département de l’Economie est particulièrement grotesque. Paul Rechsteiner sait qu’il faut renouveler la voie bilatérale par un accord institutionnel. Et, il appartient au parti socialiste, seul parti gouvernemental qui demande encore dans son programme l’adhésion à l’UE. Sa posture est incohérente !

Les syndicats oublient la portée pratique des mesures d’accompagnement. Elaborées à la fin des années 1990, au moment où la Suisse a réussi à se rabibocher avec l’UE grâce aux accords bilatéraux, celles-ci ont été introduites pour protéger le marché du travail tel qu’il était. Près de deux décennies plus tard, la révolution numérique a changé la donne. Là où il fallait huit jours pour organiser des contrôles, on pourrait s’y prendre autrement, en poursuivant le même but.

Surtout, le dumping salarial n’existe pas qu’en Suisse. Le Parlement européen a renforcé ce printemps les mesures de lutte contre la concurrence des travailleurs détachés. Les syndicats et le Conseil fédéral devraient informent plus en profondeur la population sur ce qui se passe au niveau européen.

Il faudrait aussi se souvenir que sans accord cadre renouvelant la voie bilatérale d’ici la fin de l’année, le maintien de l’équivalence boursière est compromis. Veut-on porter ce coup à notre place financière ?

La diabolisation de l’UE atteint chez nous des proportions hallucinantes. La question qui est devant nous est pourtant simple : au XXIième siècle voulons-nous vivre et prospérer selon les normes européennes, chinoises ou américaines ? En matière de droits humains et de climat, la réponse est évidente. En matière commerciale et économique, elle l’est tout autant. Les accords bilatéraux qui nous donnent accès au grand marché européen sont fondés sur une concurrence respectueuse de tous les partenaires. Un peu comme la paix du travail en Suisse, avant que droite et gauche ne se mettent à brader ce précieux outil. La paix du travail comme les accords bilatéraux permettent d’avancer ensemble, même quand on n’est pas d’accord sur tous les points.

On n’obtient aucune avancée en boudant ou en érigeant des lignes rouges infranchissables. Puisse les conseillers fédéraux et Paul Rechsteiner s’en souvenir avant qu’il ne soit trop tard. La Suisse perd son temps en s’inventant des psychodrames : Didier Burkhalter a démissionné faute de soutien du gouvernement ; le franc-parler d’Ignazio Cassis est devenu un bouc émissaire ; et maintenant c’est Johann Schneider-Ammann qui s’y prendrait mal. L’irresponsabilité devient collective.

Paru en italien dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè le 12 août 2018

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Cassis-Balzaretti, un duo de professeurs

Amis tessinois, vous avez cru gagner un conseiller fédéral et un Secrétaire d’Etat? * De fait, Ignazio Cassis et Roberto Balzaretti vont se transformer dans les semaines à venir en professeurs de droit international. C’était spectaculaire lors de leur dernière conférence de presse. Le reset des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne butte sur la manière de résoudre les conflits quand il s’en présente. L’UDC a dit «pas de juges étrangers». Mais la question à résoudre est beaucoup plus complexe qu’un slogan.

Comme l’a pédagogiquement rappelé le chef du Département des affaires étrangères, nous ne voulons pas de juges étrangers, mais les Européens sont comme nous: ils n’en veulent pas non plus, ils ne veulent pas que des juges suisses décident de ce qui se passe dans LEUR marché unique. A partir de là, il faut trouver des procédures de résolution des conflits. La Commission européenne a proposé une Cour arbitrale où siègeront un Suisse, un Européen, et un expert neutre désigné par les deux parties. Chacun consultera ses juristes (pour l’UE, ceux de la Cour européenne de justice), et une solution sera proposée. Si celle-ci n’est pas agréée, et qu’une des deux parties décide de ne pas s’y plier, s’ouvrira alors une autre procédure pour établir proportionnellement au dommage causé des mesures de rétorsion.

Ce paragraphe vous a ennuyés? C’est le droit international qui est compliqué, mais sa mise en œuvre vaut toujours mieux qu’une guerre commerciale ou une guerre tout court.

Les procédures d’arbitrage sont courantes entre états et dans le monde des affaires. Les Suisses les acceptent sans rechigner et sans la moindre discussion publique lorsqu’elles se déroulent sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce. Parce qu’il s’agit de l’UE, on a pris la masochiste habitude d’en faire une histoire de capitulation et d’orgueil.

Le duo Cassis-Balzaretti va donc donner des cours de droit international à toute la nation. Et expliquer le but. On peut bien se perdre dans les détails des procédures d’arbitrage pour estimer les millimètres carré de souveraineté nationale formelle qui risquent peut-être d’être impactés par le droit européen. Mais le choix que nous devons faire est politique: voulons-nous poursuivre nos relations avec l’UE de manière efficace?

Le temps presse. Il faut aboutir avant la fin de l’année parce que ensuite la Suisse comme l’UE seront absorbées par les élections. Et il y a le Brexit. Dont l’effet sur ce que les Européens sont prêts à lâcher pour les amis suisses est sous-estimé chez nous. Pour l’instant, la confusion est telle que nombre de diplomates britanniques démissionnent faute de pouvoir travailler avec un mandat clair. Ce flou offre au Conseil fédéral, qui sait désormais exactement ce qu’il veut ou ne veut pas (même si Ueli Maurer et Guy Parmelin font la moue), la possibilité de conclure rapidement un accord satisfaisant.  Le duo tessinois sera alors bien rôdé pour convaincre les Suisses d’accepter cet accord dans leur intérêt. Et de laisser le mythe des juges étrangers aux bons soins des historiens.

 

  • texte paru dans l’hebdomadaire dominical Il Caffè, le 11 mars 2018

L’hypocrisie, une règle de la politique suisse

 

Bilan du SECO sur la libre-circulation, congé-paternité, égalité salariale, les collisions dans l’actualité de cette semaine sont particulièrement inspirantes.

Reprenons dans l’ordre. Le SECO a tiré un bilan « globalement positif » de quinze années d’application du principe de la libre-circulation des personnes. Ce satisfecit agace beaucoup. Trop de gens connaissent des quinquagénaires que personne ne veut engager malgré leurs qualités, trop de gens n’ont guère senti leur salaire progresser, bien au contraire, et trop de gens s’inquiètent de voir les jeunes bardés de diplômes enchaîner les stages mal ou non rémunérés. Le sentiment populaire ne partage pas l’optimisme officiel.

Un exemple ? Il y a plus de 40 000 demandeurs d’emploi entre Genève et Vaud.  Cela fait du monde, d’autant que le nombre de frontaliers continue à croître dans l’arc lémanique. Malgré le coup de semonce du 9 février 2014,  tout se passe comme si le concept de « responsabilité sociale » restait totalement étranger à nombre d’employeurs.

Car, quel que soit le contenu des ordonnances du Conseil fédéral sur l’application de l’article 121 a de la Constitution, rien n’empêche les entreprises d’engager des Suisses ou de la main  d’œuvre déjà présente sur notre territoire. Elles peuvent pratiquer la préférence nationale sans même le dire en décidant d’engager des gens qui ont un CV peut-être un chouïa moins idéal qu’espéré. Mais dans certains services de ressources humaines, on se la joue un peu trop facilement « grand groupe qui recrute à l’échelle européenne », alors que pour suppléer aux prétendues carences de la main d’œuvre d’ici, un peu d’investissements dans la formation continue suffirait. Le principe de la libre circulation des personnes, avec son label européen, est un trop commode bouc émissaire.

Le  solde migratoire s’est divisé par deux depuis la votation fatidique. Des 80 000 agités pendant la campagne, on est passé à  35 000. La conjoncture demeure le meilleur des régulateurs. Toutefois, comme l’UDC promet de nouveaux scrutins sur l’immigration,  il vaudrait mieux que les employeurs se montrent plus soucieux des humeurs de l’opinion.

Les hasards du calendrier ont amené les partisans d’un congé-paternité de 20 jours à déposer leur initiative, cette semaine également.  Les milieux patronaux ont accueilli fraîchement cette proposition devisée à 350 millions de francs par année.  Cette mesure serait pourtant bienvenue pour encourager l’égalité entre hommes et femmes, la conciliation entre vies privée et professionnelles.  Elle constitue surtout une manière bon marché de redistribuer un peu des fruits de la croissance générée par les accords avec l’Union européenne, et dont trop de salariés estiment ne pas profiter.

Dans le grand débat sur l’optimisation des forces de travail à disposition, les femmes et les « seniors » sont en première ligne. Qui souhaite la diminution de notre dépendance à la main d’œuvre extérieure devrait s’enthousiasmer pour le congé-paternité – qui rendra les mères plus disponibles puisque pouvant compter sur des pères plus impliqués dans la prise en charge des enfants. Les mêmes tenants de la préférence nationale devraient applaudir le plan Sommaruga pour vérifier l’égalité salariale au sein des entreprises. Présenté mercredi, celui-ci est délicieusement non-contraignant et compte sur la responsabilité sociale des employeurs pour appliquer un principe constitutionnel. Aucune sanction n’est prévue.

Imaginons que cela marche :  les femmes aux salaires enfin réhaussés dépenseront plus , paieront plus d’impôts, cotiseront plus à l’AVS et seront à terme moins dépendantes de l’aide sociale. Que des bénéfices.  Pourtant, l’idée de devoir procéder à des contrôles réguliers indispose les milieux patronaux. Là encore, ils se privent d’une solution bon marché pour s’attirer la sympathie.

Il est une constante de la politique suisse que l’on n’aime guère énoncer.  C’est le règne de l’hypocrisie. La main droite se fait un point d’honneur d’ignorer ce qu’accomplit la main gauche, et vice-versa. Politiques migratoires, familiales et salariales sont éminement liées. Leurs objectifs devraient être pensés comme un tout, assurant à la Suisse une main d’œuvre compétente mais aussi prospère et motivée.

Allez savoir pourquoi, dans notre pays, on adore la tactique du salami, on se vautre dans les objections de détails pour mieux perdre de vue l’ensemble, on légifère dans un petit coin en oubliant le prochain dossier à venir. Tout se passe comme si les partis ne relisaient jamais les programmes qu’ils rédigent en période électorale, et comme si la cohérence (si je suis pour cela, alors je dois logiquement soutenir cet autre point) était un luxe démocratique inatteignable.

Tout se passe comme si les entreprises n’étaient pas suisses – malgré l’usage que font de cet adjectif leurs services marketing – mais seulement domiciliées dans un cadre juridique minimaliste, le moins contraignant possible, et dédaigneusement déconnectées des habitants de ce territoire.