Affaires Broulis, Maudet… De l’exemplarité des politiciens

Système de milice oblige, la Suisse n’aime pas se pencher sur les conflits d’intérêts. Notre chroniqueuse se demande jusqu’où doit aller l’exigence de transparence sur le train de vie des élus.

Y aura-t-il à l’avenir des services de «compliance» dans les partis ou les administrations publiques, comme c’est désormais le cas dans les banques? Vérifiera-t-on systématiquement la conformité aux règlements et à l’éthique des décisions et des comportements de nos élus?

Sommes-nous certains de vouloir vivre dans une société du soupçon permanent et du contrôle obsessionnel?

De plus en plus de polémiques naissent d’une question légitime, quoique dopée par le populisme anti-élites  ambiant: qu’est-ce qui est permis à nos politiciens dans leur train de vie, qu’est-ce qui ne l’est pas? Qu’est-ce qui procède de relations conviviales ou de petits arrangements obscurs? Ainsi, Pascal Broulis a-t-il correctement déclaré ses revenus là où il le devait? Ou, Pierre Maudet a-t-il voyagé avec sa famille gratis à titre privé ou officieux? Ou encore, un parlementaire peut-il faire un tour en hélico pour contempler la Patrouille des Glaciers, invité par la Loterie romande?

Les polémiques enflent – et elles finiront peut-être par faire pschittt – parce que nos règles sont floues. En matière d’exemplarité des élus, la Suisse est un cas à part. Tout son édifice politique repose sur le principe de milice: la tradition veut que les politiciens travaillent pour gagner leur vie et n’exercent que par devoir citoyen un mandat pour lequel ils sont modestement défrayés.

Que ce service patriotique accessoire soit devenu une fiction – surtout au niveau fédéral où nombre de parlementaires sont professionnels – n’a guère modifié les mentalités: la Suisse reste terriblement peu sensible aux conflits d’intérêts. Le mélange des genres et le sentiment que le politique doit toujours s’effacer dévotement devant les impératifs économiques s’imposent, sans grande contestation.

Les remarques des instances internationales, tel le Greco (Groupe d’Etats contre la corruption), sur l’absence de transparence du financement des partis et des campagnes, se heurtent à une indifférence granitique. Tout se passe comme si notre démocratie directe était si parfaite que tout questionnement sur les flux d’argent qui l’irriguent relèverait du crime de lèse-majesté.

Les affaires Broulis et Maudet ont atteint l’image de deux politiciens qui passaient jusque-là pour des exemples d’intégrité et d’efficacité. On verra si leurs fautes sont avérées ou si elles n’ont tenu le haut du pavé qu’à cause de leurs maladresses de communication. Quoi qu’il en soit, il reste sain en démocratie de débattre périodiquement de l’éthique des élus, et il est certain que notre vie politique ne serait pas altérée par des règles de transparence accrue, et l’instauration de contrôles plus sourcilleux par les commissions de gestion ou de surveillance. Tous les citoyens seront d’ailleurs appelés à voter sur une initiative «pour plus de transparence dans le financement de la vie politique», qui a abouti l’an dernier, et qui permettra de mesurer la réelle sensibilité populaire en la matière.

On se gardera toutefois de promouvoir l’avènement de politiciens plus blancs que blancs devant se soumettre à un strip-tease patrimonial ou fiscal complet, public et permanent. Les élus sont des citoyens comme les autres, ils ont aussi droit à leur sphère privée. Aucune loi, aucun code de conduite, aussi tatillons soient-ils, ne remplacera l’éthique personnelle.

Souvenons-nous de l’affaire Cahuzac: le ministre français, qui détenait un compte bancaire en Suisse, a menti «les yeux dans les jeux» au président de la République François Hollande, et devant l’Assemblée nationale. Non, rien ne pourra jamais remplacer l’éthique personnelle. En démocratie, la confiance ne s’ordonne pas, elle se délègue autant qu’elle se mérite.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/de-l-exemplarite-des-politiciens

Le pouvoir aura toujours sa part d’ombre

A Berne, les lobbyistes sont trois fois plus nombreux que les journalistes accrédités : 450 contre 150. Des chiffres à mettre en regard des 246 parlementaires chargés de voter nos lois.

Pourquoi sont-ils si nombreux? Des chercheurs universitaires viennent de livrer quelques explications. Autrefois, le travail d’influence se faisait en amont dans de petits cercles mêlant décideurs politiques et économiques. Le Parlement était alors considéré comme une chambre d’enregistrement. Aujourd’hui, les majorités sont plus difficiles à trouver, le Parlement a gagné en importance, et qui souhaite l’infléchir doit être présent lors des débats.

Autre changement majeur, l’internationalisation des managers à la tête des entreprises suisses. Ces dirigeants venus d’ailleurs sont mal connectés au tissu politique, il arrive qu’ils ne maîtrisent même pas une de nos langues nationales. Les sociétés ont donc besoin d’émissaires ou de mercenaires, les lobbyistes, pour défendre leurs intérêts.

A la suite de l’ « affaire » Markwalder, de nombreuses voix réclament plus de transparence sur ceux qui oeuvrent en coulisses, et notamment sur les liens financiers qui peuvent s’installer avec les élus.

La transparence est le véritable mantra de notre époque. Le sentiment prévaut que lorsque tout le processus décisionnel serait devenu transparent, tout serait plus juste, plus équitable, plus efficace.

Un coup d’oeil sur ce qui se passe à l’étranger devrait nous rendre plus circonspects. La transparence des financements de campagne aux Etats Unis n’empêche ni les tentatives de corruption ni les scandales, ni les manipulations. La masse des données publiées noie ceux qui cherchent à comprendre qui a voulu influencer qui.

Rien ne remplacera jamais l’intégrité personnelle, le sens de l’éthique. L’exercice du pouvoir aura toujours une part d’ombre. Il n’est pas toujours souhaitable de tout savoir tout de suite. Les responsables politiques ont parfois besoin d’une certaine confidentialité pour avoir le courage de trancher. L’instauration d’une transparence absolue pourrait conduire à la paralysie et à une soumission aux diktats d’une opinion parfois volage.

En matière de transparence sur le financement des partis politiques et sur les liens que les élus entretiennent avec les lobbyistes, la Suisse a indéniablement des progrès à accomplir. Mais il faudrait aussi muscler les organes de contrôle a posteriori, organiser de meilleurs contre-pouvoirs. Pourquoi ne pas instaurer des auditions publiques sur le modèle américain, qui permettent aux parlementaires d’investiguer au grand jour sur les décisions controversées ? Chez nous, les commissions d’enquête oeuvrent à huis clos. Organiser des débriefings de crise visibles par les citoyens constituerait le meilleur moyen de lutter contre les abus des pouvoirs occultes, et les trafics d’influence.

* Texte paru en italien sur le site du Caffè http://www.caffe.ch/section/il_punto/